Heureux les invités au repas du Seigneur


Père Yvon AYBRAM
prêtre du diocèse de Nanterre

Je pense que la principale raison qui m’a conduit à demander l’ordination sacerdotale est l’amour de la messe. Et depuis 25 ans, rares sont les jours où je ne l’ai pas célébrée. Grâce à Dieu, je ne m’en lasse pas.

En lisant le concile Vatican II, je reviens à cette phrase : « Dans le mystère du sacrifice eucharistique, où les prêtres exercent leur fonction principale, c’est l’œuvre de notre Rédemption qui s’accomplit sans cesse. C’est pourquoi il leur est recommandé de célébrer la messe tous les jours ; même si les chrétiens ne peuvent y être présents, c’est un acte du Christ et de l’Eglise » (Presbyterorum ordinis, n° 13). Il faut croire que ce conseil est d’importance, puisqu’il a été repris en 1983 par le code de droit canonique (CIC, n° 904).

Que l’on comprenne bien, surtout en cette circonstance jubilaire : je ne veux donner de leçon à aucun confrère. Je dis simplement que c’est ma conviction et mon expérience : en effet, célébrer la messe est ma fonction principale, c’est ce qui structure mon existence. J’ai conscience d’être « ordonné » à cette célébration.

Jour après jour, chaque geste accompli, chaque parole prononcée s’alourdit de sens. Pourtant, aucun n’est de moi. Je me contente d’accomplir et de dire, « de tout mon cœur, de toute mon âme et de toute ma force » (Dt 6, 4) ce que me demande l’Eglise. Me laissant habiter par le dynamisme du missel, ces gestes et ces paroles deviennent, je l’espère, de plus en plus les miens. C’est le lieu où s’exercent mon obéissance et ma liberté.

La messe ne tourne pas vers la sacristie, mais vers le monde. Aussi curieux que cela puisse paraître, on ne connaît pas très bien l’origine du mot, mais il semble qu’on ait donné à l’ensemble de l’action liturgique une appellation venant de l’expression latine qui la conclut : Ite missa est, c’est-à-dire : « Allez, c’est l’envoi. » Autrement dit, la perspective est largement missionnaire. Ayant été rassemblés pour se nourrir de la Parole et du Pain eucharistique, les chrétiens sont renvoyés vivre au milieu des hommes de l’expérience du Royaume qu’ils viennent de partager.

Nous n’avons pas à choisir entre Dieu et les hommes, nous n’avons pas à choisir entre l’action de grâce et l’engagement de la charité quotidienne. Nous célébrons indissociablement « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». Tout simplement parce que la gloire de Dieu, c’est le salut du monde, parce que la volonté de Dieu, c’est le bonheur des hommes. Célébrer l’amour divin et travailler pour la paix et la justice sont les deux faces de l’engagement du chrétien.

C’est pour vivre ainsi que nous avons besoin de la nourriture eucharistique. Jésus-Christ s’offre comme le pain vivant venu du ciel et celui qui le mange vivra éternellement (Jn 6, 51). Prêtre, je rends cela possible aujourd’hui lorsque je romps le pain que j’ai consacré à l’autel, pour venir le donner à mes frères : nul ne peut réaliser un acte plus sublime, et, malgré mes faiblesses et mon indignité, j’ai été choisi pour accomplir cet acte sublime.

Je regarde l’hostie consacrée par mon ministère et je vois le Christ ; je regarde l’Eglise rassemblée par mon ministère et je vois le Christ. Le Corps du Christ, « c’est le sacrement de ce que vous êtes, que vous recevez », selon la célèbre formule de saint Augustin (sermon 272).

Je regarde aussi la multitude de ceux qui ne viennent pas dans nos églises : on dit qu’aujourd’hui, en France, 10% de la population vient à la messe chaque dimanche. Le Christ est aussi pour ceux qui ne franchissent pas les portes de nos sanctuaires. La liturgie est on ne peut plus claire : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Heureux les invités au repas du Seigneur. » C’est une citation de l’Apocalypse (Ap19, 9) et sa compréhension est sans ambiguïté : le festin des noces de l’Agneau est le triomphe définitif d’une foule immense » (Ap19, 1) sur toutes les forces du mal. Ce triomphe est celui du Christ vainqueur.

« Heureux les invités au repas du Seigneur » est loin d’être simplement une invitation à s’avancer pour la communion. C’est la proclamation de l’universalité du salut. Déjà comblés par la nourriture eucharistique, vivant déjà du bonheur de l’éternité, nous sommes envoyés « aux croisées des chemins » (Mt 22, 9) pour faire entendre dans le langage d’aujourd’hui l’invitation du Maître du repas, la Bonne Nouvelle de l’Evangile.

Tout comme l’Eucharistie, l’évangélisation est un acte dans lequel sont liés le Christ et son Eglise. Le prêtre est aussi là pour le signifier aujourd’hui.

Puissent des jeunes et, en particulier, des jeunes de la communauté dont je suis actuellement le pasteur, comprendre cela et se rendre disponibles et persévérants dans la disponibilité à une ordination.

Frères et sœurs, aujourd’hui je rends grâce pour celles et ceux, laïcs, religieuses et prêtres qui m’ont appris, depuis beaucoup plus de vingt-cinq ans, à aimer la messe et pour celles et ceux qui continuent de me la faire découvrir. Je rends grâce pour celles et ceux qui, grâce au ministère qui m’est confié, peuvent participer à la célébration de l’Eucharistie. Je rends grâce pour celles et ceux auxquels nous sommes envoyés : « La moisson est abondante » (Mt 9, 37).

Je regrette de ne pas toujours bien savoir le manifester, mais je suis heureux d’être prêtre et heureux d’être là où je suis envoyé. Amen.