Le ministère de prêtre diocésain aujourd’hui


père Jean-Luc Brunin
supérieur du séminaire de Lille

Pour mener une réflexion sur l’appel au ministère du prêtre diocésain, il faudrait aborder pour elles-mêmes, un certain nombre de questions : les changements socio-culturels, la rénovation des Eglises locales (constitution de paroisses nouvelles par exemple), les conditions de vie personnelle des prêtres (vie affective, conditions de logement...). Je ne ferai que les évoquer au fil du texte. Je ne m’attarderai pas non plus sur les questions liées aux jeunes eux-mêmes. Je vous renvoie à ce que j’ai déjà exprimé [1]. Je voudrais m’arrêter sur les questions liées à la vie de l’Eglise et aux conditions actuelles dans lesquelles elle doit vivre sa mission.

Une image brouillée

Nous constatons que l’image du prêtre diocésain est assez "brouillée" dans l’opinion publique, comme d’ailleurs chez beaucoup de chrétiens. Sur ce point, deux remarques préalables qui correspondent à une double inquiétude chez un supérieur de séminaire. Tout d’abord, il n’est pas inutile de rappeler combien le procès fait aux communautés d’Eglise, aux prêtres ou aux jeunes semble injuste. Nous avons tous entendu ces remarques malveillantes selon lesquelles les vocations ne manquent que là où la générosité et la spiritualité se sont affadies chez les chrétiens et surtout chez les prêtres. On laisse aussi entendre que seules ont des vocations les communautés qui placent la prière au cœur de leur vie. Par conséquent, on laisse supposer que les Eglises qui n’en ont pas sont spirituellement tièdes ! Ce procès fait aux communautés ecclésiales en général, à la générosité des jeunes et à la qualité de vie spirituelle des prêtres diocésains en particulier, est largement injuste et inacceptable.

En second lieu, il serait illusoire de croire qu’une seule attitude volontariste pourra pallier la crise des vocations presbytérales que traversent actuellement nos Eglises diocésaines. Nous voici donc requis à refuser tous les simplismes pour chercher à analyser et comprendre les causes et, patiemment, avec foi et espérance, travailler à créer les conditions nécessaires pour que la grâce de Dieu n’agisse pas en vain dans le cœur de nombreux jeunes. Le Seigneur n’abandonne pas notre Eglise, il continue d’appeler. A nous de créer les conditions favorables à l’accueil de cet appel et à l’épanouissement de la vocation reçue. Je demeure émerveillé de la qualité d’accueil et d’accompagnement des communautés ecclésiales auxquelles on envoie un séminariste en insertion pastorale. Ce que je découvre depuis cinq années dans ma responsabilité de supérieur de séminaire, me permet d’attester combien la vitalité de nos Eglises diocésaines est certaine, malgré la diminution et le vieillissement qui affectent bien des communautés locales.

Pourquoi donc l’image du prêtre diocésain apparaît-elle aussi troublée ? Il y a, me semble-t-il, de multiples raisons. Renonçant à l’exhaustivité, je me contenterai d’en évoquer deux. Je tenterai ensuite d’ouvrir quelques perspectives pour l’avenir du ministère et préciser des appels pour un service des vocations.

Plus de modèle identificateur

Beaucoup de jeunes n’ont plus, aujourd’hui, de modèle presbytéral identificateur. Ou bien ces modèles sont inexistants et ont disparu de leur horizon, ou bien ils sont trop en décalage avec ce que vivent les jeunes et ce qu’ils sont devenus. On constate que les vocations au ministère baissent sensiblement dans les régions rurales. Je pense que c’est en partie lié à une forte diminution du nombre et au vieillissement certain des prêtres dans le rural. On pourrait aussi percevoir le phénomène dans l’enseignement catholique. Les jeunes n’y rencontrent que peu de prêtres. On assure l’animation pastorale avec des accompagnateurs laïcs, le prêtre est uniquement un référent, souvent épisodique et lointain. Il en serait de même en catéchèse ou dans les mouvements. Parfois, les laïcs s’habituent à une vie ecclésiale sans prêtre. En fait, la plupart des jeunes chrétiens grandissent et évoluent dans un monde où le prêtre est absent. La figure du prêtre proche des gens, partageant leur vie, leurs épreuves et leurs joies, se raréfie dans le paysage ecclésial de notre pays.

La désécularisation et ses dérives

La seconde raison que je retiendrai, c’est " l’assignation à résidence " du prêtre dans des espaces et des moments particuliers. On assiste en effet aujourd’hui à une hyper spécialisation cultuelle et spirituelle. Nous avons là un prolongement, au niveau du ministère presbytéral, des conséquences de la sécularisation de la société. Celle-ci, en effet, se rendant autonome vis-à-vis du religieux, conduit les espaces religieux à se déséculariser.

Du fait de la désécularisation du ministère, la figure du prêtre prend, pour les jeunes, une teinte d’exotisme qui en fait un être séparé, pris dans un univers qui est autre que celui du quotidien des hommes. Certains jeunes prêtres souffrent de ce brouillage d’image lié à ce phénomène de désécularisation des espaces religieux. Ils se voient alors confrontés à une double demande, contradictoire mais pressante, qui les déstabilise ou - s’ils y cèdent - les positionne d’une façon qui ne sera pas juste. En effet, les demandes des personnes qui trouvent un intérêt au ministère du prêtre se situent sur deux registres différents et contradictoires. Ou bien le prêtre est sollicité comme gourou qui flatte la soif de spiritualité et on en fait alors un homme marginal et déconnecté. Ou bien il est réduit à un rôle d’acteur social dans des situations où le lien social est faible, voire menacé. On en fait alors un homme banalisé. Si la proximité y trouve son compte, elle sera alors perçue comme celle d’un animateur social.

Face à cette double dérive possible, il importe d’affirmer avec force qu’il n’y aura pas d’Eglise sans prêtre, de même qu’il ne peut y avoir de prêtre sans Eglise.

Des chemins à retrouver

Si ce que je viens de dire possède quelques accents de vérité, il faut pouvoir dessiner des chemins par lesquels le ministère de prêtre diocésain pourra de nouveau être perçu de façon juste et retrouver une certaine pertinence au regard de nos contemporains, notamment chez les jeunes.

Résister à la double réduction possible du ministère

Le décret conciliaire Presbyterorum ordinis rappelle que la fonction première du ministère du prêtre est le service de la Parole (§ 4). Cela ne signifie pas que le service des sacrements, et de l’Eucharistie notamment, soit secondaire. Mais le concile rappelle que " le peuple de Dieu est rassemblé d’abord par la Parole du Dieu vivant. [...] C’est la parole de salut qui éveille la foi dans le cœur des non-chrétiens et qui la nourrit dans le cœur des chrétiens ; c’est elle qui donne naissance et croissance à la communauté. " (§ 4)

La communauté ainsi rassemblée peut célébrer les sacrements présidés par les prêtres. Elle puise ainsi aux sources du don de Dieu et devient une vivante offrande à la louange du Père. La célébration des sacrements est ainsi étroitement liée au service de la Parole et à la responsabilité de la communauté. On ne peut prendre isolément une de ces trois dimensions pour définir le ministère.

" De nos jours, comme à chaque époque, l’Eglise a besoin de hérauts de l’Evangile, experts en humanité, qui connaissent à fond le cœur de l’homme d’aujourd’hui, partageant ses joies et ses espoirs, ses angoisses et ses tristesses, et qui soient, en même temps des contemplatifs épris de Dieu. [...] Le rôle de l’évangélisation est précisément d’éduquer tellement dans la foi qu’elle conduise chaque chrétien à vivre - et non à recevoir passivement, ou à subir - les sacrements comme de véritables sacrements de la foi. [...] L’évangélisation comporte : annonce, témoignage, dialogue et service ; elle se fonde sur l’union des trois éléments inséparables : la prédication de la Parole, le ministère sacramentel et la conduite des fidèles [2]. " L’articulation de ces trois éléments demeure une façon d’enrayer tout processus de désécularisation du ministère presbytéral. Fondée sur l’Incarnation du Verbe divin qui a " planté sa tente parmi nous " (Jn 1,14), la sécularité [3] est une dimension importante de la foi chrétienne, de la mission de l’Eglise et du ministère presbytéral. On risque parfois de l’occulter par une double réduction spiritualiste ou humaniste. Si cela n’apparaît pas clairement, on risque de voir des prêtres s’ajuster aux attentes les plus naturelles de nos contemporains, à savoir la requête d’un subjectivisme exacerbé (modèle du gourou) ou bien la recherche d’une harmonie sociale (modèle du travailleur social). Toute la difficulté, pour les prêtres, est de faire valoir la spécificité de leur ministère qui inclut l’aide spirituelle et l’agir social, sans pourtant se dissoudre dans ces deux dimensions.

Retrouver la primauté du service de la Parole

Une bonne façon de situer de façon juste le ministère presbytéral dans la vie et la mission de l’Eglise, c’est de retrouver la primauté du service de la Parole. Cette responsabilité appartient à l’ensemble du peuple de Dieu, mais à un titre spécial au ministère ordonné. Le paragraphe 4 du décret conciliaire Presbyterorum ordinis articule bien ce service de la Parole de Dieu et la nécessaire proximité du ministère. En effet, il présente - selon un ordre qui ne semble pas fortuit - les quatre manières pour le prêtre de servir la Parole. Rappelant que " les prêtres se doivent à tous les hommes " et qu’" ils ont à leur faire partager l’Evangile dont le Seigneur les fait bénéficier ", les pères conciliaires énumèrent les modalités de ce service de la Parole : " Soit qu’ils aient parmi les païens, une belle conduite pour les amener à louer Dieu ; soit qu’ils prêchent ouvertement aux incroyants le mystère du Christ ; soit qu’ils transmettent l’enseignement chrétien ou exposent la doctrine de l’Eglise ; soit qu’ils étudient à la lumière du Christ les problèmes de leur temps, [...] dans tous les cas, il s’agit d’enseigner, non leur propre sagesse, mais la Parole de Dieu... "

Ce qui permet de vivre une juste proximité, c’est bien le service de la Parole de Dieu qui s’est incarnée. Le prêtre est appelé à vivre au contact des hommes et des femmes de son temps, et pas des seuls chrétiens. " Mis à part pour l’Evangile de Dieu " (Rm 1,1), il lui faut " se faire tout à tous afin de les sauver tous " (1 Co. 9,22). Si les prêtres sont " mis à part au sein du peuple de Dieu ", ce n’est pas, redit le décret Presbyterorum ordinis au paragraphe 3, " pour être séparés de ce peuple, ni d’aucun homme quel qu’il soit. "

Voilà pourquoi il importe que des prêtres puissent assurer ce service de la Parole notamment auprès des jeunes. Cantonner les prêtres dans le seul service sacramentel serait dommageable pour les uns et les autres. Il faut que des jeunes puissent voir des prêtres se dépenser auprès d’eux, être attentifs à leur vie, chercher à leur annoncer l’Evangile et les aider à comprendre leur vie de jeunes à sa lumière. Il est essentiel pour les jeunes de voir des prêtres heureux de vivre ce ministère, de célébrer les sacrements de la foi et surtout l’Eucharistie, de les voir prier, se dépenser au service du Christ et de leurs frères. Bien entendu, il faudra veiller à ce que cette proximité se vive en lien étroit avec les autres acteurs de la vie et de la mission de l’Eglise (laïcs, consacrés, diacres permanents).

Resituer le ministère dans un "nous" ecclésial diversifié

Il est urgent aussi de bien resituer l’exercice du ministère presbytéral dans un "nous" ecclésial diversifié, constitué par une diversité de vocations particulières. La participation des laïcs à la vie et la mission de l’Eglise, même si elle se trouve amplifiée par la diminution du nombre des prêtres, trouve son fondement ailleurs que dans une situation de récession. Dans le décret conciliaire sur l’apostolat des laïcs, on peut lire au paragraphe 2 : " Dans l’organisme d’un corps vivant, aucun membre ne se comporte de manière passive, mais participe à la vie et à l’activité générale du corps. [...] Les laïcs assument, dans l’Eglise et dans le monde, leur part dans ce qui est la mission du peuple tout entier. " L’habilitation des laïcs à participer à la mission de l’Eglise se situe fondamentalement dans leur baptême, incorporation au Christ : " Les laïcs tiennent de leur union même au Christ, le devoir et le droit d’être apôtres " (id. § 3). Il ne s’agit pas d’une matière à option : " Un membre qui ne travaille pas selon ses possibilités à la croissance du corps doit être réputé inutile à l’Eglise et à lui-même " (id. § 2 ).

Avant de penser la diversité des vocations dans l’Eglise, il importe de bien appréhender la vocation unique de l’ensemble du peuple des baptisés. Le ministère pastoral de l’évêque et des prêtres vise à " mettre les saints en état d’assurer le ministère pour bâtir le corps du Christ " (Ep. 4,12). Tous les baptisés sont responsables dans l’Eglise, mais ce qui reste encore à découvrir, c’est qu’ils sont diversement et solidairement responsables de l’Eglise. Avant de penser la diversité des ministères, il importe de bien percevoir l’unicité du ministère de l’Eglise. C’est ensemble, dans un "nous" ecclésial diversifié, que les baptisés en sont responsables.

Pour progresser dans une conscience de vocations particulières situées dans un nous ecclésial diversifié, il est essentiel de cultiver le sens de l’ecclésialité de chaque vocation. Arrêtons-nous un instant sur cet aspect essentiel.

Cultiver le sens de l’ecclésialité

Les gens vivent des appartenances multiples : famille, quartier, groupe d’amis, associations, collège, lycée, profession, etc. Leur vie est éclatée dans des mondes différents, de plus en plus cloisonnés. Leur identité se constitue dans le jeu d’appartenance à des réseaux. L’Eglise ne peut prétendre globaliser l’appartenance, laissons cela aux sectes. Dans ce sens, il importe d’être vigilants pour ne pas sombrer dans le piège du "communautarisme". A trop valoriser la communauté chrétienne auprès des personnes, on risque de renforcer le mouvement communautariste. Tout rassemblement doit être ecclésial, c’est-à-dire rassembler des gens différents. Si on se regroupe en communauté d’Eglise, ce n’est pas par instinct grégaire, ni parce qu’on a des affinités spirituelles, ethniques et/ou culturelles, mais parce qu’on se reconnaît invités, convoqués par une Parole venue d’un autre. C’est là le caractère ecclésial de toute vocation. La question se pose alors de savoir comment nous pouvons aider les vocations particulières à vivre cette dimension de l’ecclésialité.

Des appels pour un service des vocations

a) Dans un service diocésain des vocations, il est important que la diversité des vocations particulières soient bien replacée dans la perspective du ministère de l’ensemble de l’Eglise. La réponse qu’un baptisé fait à l’appel du Christ dans une vocation particulière, s’inscrit toujours dans un "nous" ecclésial porteur de la mission. C’est dans cet ensemble que le baptisé peut inscrire sa réponse d’amour à l’appel qui lui est adressé (vie consacrée, mariage, célibat, diaconat, presbytérat).

b) Il importe de rester assez inventifs et audacieux dans nos mouvements, nos communautés, nos paroisses, non pas pour créer des chapelles, mais pour faire exister des communautés ouvertes les unes sur les autres. C’est là l’enjeu de la proposition de temps de rencontre, de convivialité, de partage, d’approfondissement de la foi, de prière et de célébration. Ces propositions peuvent dynamiser la vie de nos Eglises locales. Il s’agit aussi de retrouver la valeur de la paroisse et de situer son rôle essentiel. Sa vocation est de devenir toujours plus une communion de groupes ecclésiaux, chargée d’inscrire la catholicité de l’Evangile dans l’espace social. Les restructurations pastorales sont une chance pour aider le peuple de Dieu dans son ensemble, à grandir dans une conscience de la catholicité de sa vie et de sa mission.

c) Dans le cheminement vocationnel des jeunes, il est important d’aider à opérer un retournement. En effet, un jeune vient souvent au SDV parce qu’il se sent appelé à quelque chose, ce qui a donné forme et contenu à un appel ressenti intérieurement. Cependant, pour que ce projet vocationnel puisse avoir un avenir, il faut un retournement qui conduit à se reconnaître appelé par Quelqu’un. Cela suppose une certaine dépossession de son projet initial, l’acquisition d’une authentique liberté intérieure vis-à-vis de modèles précis en vue d’une réelle disponibilité à l’Eglise qui appelle. Seuls un attachement à la personne du Christ et une expérience spirituelle forte et réellement pascale (pas seulement une spiritualité gratifiante et complaisante) peuvent épanouir une vocation ecclésiale quelle qu’elle soit. Le choix qui est fait l’est " à cause de Jésus " (2 Co. 4,5).

Pour mettre en œuvre une pastorale des vocations vraiment ecclésiale, il est essentiel de mesurer les enjeux évoqués. Je termine par un indice qui me semble pouvoir être un repère dans la tradition spirituelle de notre Eglise. Pour des jeunes qui envisagent la vie consacrée, peut-on vérifier leur aptitude à vivre une spiritualité articulée à la mise en œuvre du charisme d’une congrégation ? Pour des jeunes qui envisagent le mariage, peuvent-ils vivre une spiritualité qui s’harmonise avec un projet de conjugalité ? Pour ceux qui envisagent le ministère de prêtre diocésain, sont-ils capables de vivre une spiritualité ressourcée à l’exercice du ministère pastoral ? Cultiver l’ecclésialité de chaque vocation, c’est aider à sortir d’un narcissisme et d’un subjectivisme si naturels de nos jours, et offrir au Seigneur un terrain favorable à la fécondation des appels qu’Il ne cesse d’adresser aujourd’hui.

Notes

1. Cf. Jeunes et Vocations n° 89, second trimestre 1998, "Proposer une démarche vocationnelle dans la société actuelle", p. 33-38. [Retour au Texte]

2. Document de la Congrégation pour le clergé, "Le prêtre maître de la Parole, ministre des sacrements et guide de la communauté en vue du troisième millénaire chrétien". La Documentation Catholique n° 2212, 17 octobre 99, p. 886.[Retour au Texte]

3.On peut lire : Jean-Paul II, Les fidèles laïcs, page 27 : "Il est certain que tous les membres de l’Eglise participent à sa dimension séculière ; mais cela de façons diverses. En particulier la participation des fidèles laïcs a une modalité de réalisation et de fonction qui, selon le Concile, leur est "propre et particulière" : c’est cette modalité que l’on désigne du nom de "caractère séculier". [Retour au Texte]