Dans le peuple de baptisés : des prêtres


père Robert Candela
responsable du Service Diocésain des Vocations de Vannes

Interrogeons-nous un instant. Souvent, quand nous parlons "du prêtre", tel ou tel visage nous vient en tête. Ou bien, parler "du prêtre" revient à évoquer tel ou tel aspect de son ministère, son emploi du temps parfois chargé...

Cependant, le prêtre ne se définit pas simplement par son ministère, mais avant tout par le sacrement de l’ordination.

Dans la réflexion qui suit, c’est ce chemin du sacrement que nous allons emprunter pour découvrir ce qu’est un prêtre. Il y a deux avantages à faire ce chemin :

  • Premièrement, nous nous replongeons dans la dimension sacramentelle qui est la source de la vie du prêtre. Etre prêtre, c’est avant tout recevoir un sacrement avant une fonction.
  • Deuxièmement, ce sacrement de l’ordination est, comme tous les sacrements, sacrement du Christ et de l’Eglise. Ceci est lourd de conséquences, car il s’agit de se rappeler d’emblée que c’est la prière de l’Eglise (toute l’Eglise dans la différence de ses membres - Eglise Corps du Christ) qui est essentielle pour que le prêtre puisse vivre et remplir sa mission.

I - Regard sur le sacrement de l’ordination

Si nous nous arrêtons au sacrement de l’ordination, ce n’est pas pour mettre en valeur la personne du prêtre. Celui-ci reste un homme avec ses qualités, ses défauts, son péché. De plus, nous savons tous qu’un sacrement, quel qu’il soit, reste à accueillir et à mettre en œuvre dans la continuité de nos vies.

Cependant, s’arrêter à ce qui fait le cœur du sacrement de l’ordination nous révèle d’une part ce que l’Eglise dit d’elle-même quand elle "fait" des prêtres et, d’autre part, à travers ce sacrement l’Eglise dit aussi sa propre conception du prêtre.

Le sacrement de l’ordination : une profonde intelligence de l’Eglise et de sa communion

En tout premier lieu nous retiendrons que celui qui va recevoir le sacrement de l’ordre est issu de la communauté chrétienne. " Que celui qui va être ordonné prêtre s’avance. - Me voici. " " La Sainte Eglise, notre Mère, vous présente notre frère N. et demande que vous l’ordonniez pour la charge du presbytérat. "

De plus, la communauté est amenée à se prononcer sur le candidat. " Savez-vous s’il a les aptitudes requises ? Le peuple chrétien a été consulté... "

En second lieu, nous retiendrons le cadre dialogal qui ouvre le sacrement de l’ordination à proprement parler : dialogue entre le candidat et l’évêque, pasteur et garant de la communion ecclésiale.

Enfin, si nous nous arrêtons plus précisément à la prière d’ordination nous nous apercevons que celle-ci est une épiclèse (invocation à Dieu pour qu’il envoie son Esprit sur l’ordinand). C’est l’Eglise qui prie et qui invoque la venue de l’Esprit. " Avec tous les saints..., confions à la miséricorde de Dieu celui qu’il a choisi comme prêtre : demandons-lui de répandre sur N. les dons de son Esprit. " Ainsi, c’est toute l’Eglise qui se trouve "compromise" dans la célébration du sacrement : Eglise présente et rassemblée ici et maintenant, Eglise des saints et de tous ceux qui nous ont précédés dans la foi. C’est le sens de la litanie des saints. Le sacrement de l’ordination met donc en œuvre une réelle communion de l’Eglise.

Cette charge de communion ne s’arrête pas là puisque l’ordinand est intégré dans un corps qui le dépasse : le corps presbytéral. Tous les prêtres présents viennent imposer les mains sur l’ordinand, à la suite de l’évêque.

De plus, si nous suivons le texte de la prière d’ordination, nous percevons que cette communion ecclésiale s’étend à l’histoire du salut. Ou, pour le dire autrement, la communion de l’Eglise prend place dans le projet de salut de Dieu pour l’humanité. " Déjà dans la première Alliance... tu avais mis à la tête du peuple Moïse et Aaron, chargés de le conduire... Ton Fils Jésus... a fait participer à sa mission ses Apôtres consacrés dans la Vérité, et tu leur as donné des compagnons pour que l’œuvre du salut soit annoncée et accomplie dans le monde entier. Aujourd’hui encore, Seigneur... accorde-nous les coopérateurs dont nous avons besoin... "

Enfin, cette intelligence de l’Eglise-communion se poursuit dans la célébration du sacrement de l’Eucharistie qui suit le sacrement de l’ordination. Ce n’est pas anodin car, nous le savons, l’Eucharistie est, par excellence, le sacrement qui fait l’Eglise-communion.

Ce que l’Eglise dit d’elle-même quand elle "fait" des prêtres, c’est sa nature profonde : elle est un peuple qui n’existe que dans la communion. Communion à Dieu, communion des membres, peuple envoyé.

Une conception précise du prêtre

A partir de ce regard sur le sacrement de l’ordination que pouvons-nous retenir au sujet du prêtre ?

Tout d’abord nous retiendrons que, même si un homme est appelé, choisi, présenté par une communauté chrétienne (et cela reste important), ce n’est pas ce choix qui en fait un prêtre. On ne devient prêtre que par la prière de l’Eglise et par un don de Dieu.

Plus précisément, nous insisterons sur l’action essentielle de l’Esprit Saint. Dans l’Eglise, le ministère ordonné est œuvre de l’Esprit. C’est sans doute quand on oublie ce point fondamental que l’on risque de faire du ministère du prêtre une "fonction à pouvoir". Gardons toujours au cœur que toute l’Eglise est animée par l’Esprit Saint et donc que, ordonnés par l’Esprit, les ministères ordonnés sont au service de l’unité et du bien de la communauté. Pour le dire autrement, l’Esprit invoqué auprès de Dieu dans le sacrement de l’ordination nous replonge dans le tout de la communion ecclésiale. Si nous ne prêtons pas attention à cette initiative de l’Esprit dans la vie de l’Eglise, nous risquons de n’insister que sur la différence des fonctions. Bien sûr ces différences sont réelles, tout le monde ne fait pas tout dans l’Eglise. Mais avant de parler de différence, le sacrement de l’ordination nous parle de communion.

Enfin, le sacrement de l’ordination nous dit ce qui fait le cœur de la vie du prêtre : " servir et guider le peuple de Dieu, annoncer l’Evangile, célébrer avec foi les mystères du Christ... pour la louange de Dieu et la sanctification du peuple chrétien. "

Nous remarquerons que ces trois dimensions essentielles de la vie du prêtre sont dans la continuité du baptême où chaque chrétien devient "prêtre, prophète et roi ".

II - La prière de l’Eglise nous entraîne dans une vision juste de la coresponsabilité entre prêtres et laïcs[1]

Nous venons de le voir rapidement, le sacrement de l’ordination, s’il concerne la personne de l’ordinand, est avant tout le fait de l’Eglise. C’est toute l’Eglise qui est concernée avec le Christ dans la célébration des sacrements. Ce sacrement est donc affecté d’une réelle charge de communion. Ou, pour le dire autrement, il ne se comprend pas en dehors de la communion de l’Eglise.

Dès lors, si toute l’Eglise est investie dans le moment de la célébration du sacrement de l’ordination, il ne faut pas perdre de vue que cet investissement communionnel est durable.

Pour poursuivre notre réflexion, soyons simplement attentif à ce jeu de communion dans la célébration de l’Eucharistie et découvrons comment à la fois et le prêtre et les laïcs sont renvoyés au cours de la messe à leur propre service communautaire.

Nous mènerons cette réflexion à partir d’une petite phrase qui jalonne, qui rythme nos célébrations dominicales : " Le Seigneur soit avec vous. - Et avec votre esprit. "

Ce double souhait intervient à quatre moments de la célébration Eucharistique : l’accueil, la proclamation de l’Evangile, au début de la prière Eucharistique et à l’envoi. Ces quatre moments structurent la messe.

Le Seigneur soit avec vous

Le prêtre souhaite à l’assemblée qu’elle puisse se mettre en disponibilité d’accueil du Christ présent au milieu d’elle afin qu’elle accomplisse sa fonction liturgique : accueil du Christ qui convoque et rassemble son Eglise, accueil du Christ dans sa Parole qu’il nous transmet, accueil du Christ dans le don de sa vie, accueil du Christ qui nous accompagne dans le quotidien de nos vies là où nous sommes envoyés. Par ce souhait, " Le Seigneur soit avec vous ", le prêtre agit comme un ministre. Il remplit réellement le service pour lequel il a été ordonné. Il est serviteur du projet du Seigneur qui est que son peuple le reconnaisse vivant, présent et agissant et lui rende grâce.

Et avec votre esprit

Au souhait du prêtre, l’assemblée répond elle-même par un souhait. Le prêtre souhaite à l’assemblée de se tenir en présence du Seigneur Ressuscité et à son tour l’assemblée souhaite au prêtre que "le Seigneur soit avec lui" pour qu’il puisse aussi accomplir le ministère pour lequel il a été ordonné. En d’autres termes, nous pourrions traduire la réponse de l’assemblée au prêtre : mets en œuvre l’Esprit que tu as reçu à ton ordination pour le service de la communauté.

De plus, nous noterons là aussi que les moments où interviennent les souhaits de l’assemblée ne sont pas anodins, puisqu’ils sont liés directement au sacrement de l’ordination.

  • Ordonné prêtre pour conduire et guider le peuple de Dieu : c’est le moment de l’accueil et de l’envoi.
  • Ordonné prêtre pour annoncer l’Evangile : c’est le moment de la proclamation de l’Evangile.
  • Ordonné prêtre pour la louange de Dieu et la sanctification du peuple chrétien : c’est le moment du sacrement de l’Eucharistie.

J’aurais envie de dire qu’un prêtre n’est jamais plus prêtre que quand il célèbre l’Eucharistie, puisque ce sacrement focalise en lui les trois dimensions essentielles de l’ordination. A travers le sacrement de l’Eucharistie, le prêtre revient sans cesse à la source sacramentelle de sa vie de prêtre : l’ordination.

" Le [prêtre] prie : "Paix à tout le monde" [...] [L’assemblée] répond : "Et à ton Esprit". [...] Ainsi devient-il manifeste au [prêtre] lui-même et à tous également, que non seulement les autres ont besoin de la bénédiction et de la prière du (prêtre), mais que lui aussi a besoin de la prière de tous. [...] Parce que tous nous sommes un seul corps de Notre Seigneur le Christ (1 Co. 12,27) et tous nous sommes membres les uns des autres (Ep. 5,27) [2]. "

" S’il n’y avait pas de Saint Esprit, il n’y aurait pas de pasteurs et de docteurs dans l’Eglise ; car eux aussi ne le deviennent que par l’Esprit, comme le déclare Paul : dans ce troupeau, l’Esprit Saint vous a établis comme pasteurs et épiscopes (Ac. 20,28). Ne voyez-vous pas que cela aussi est l’œuvre de l’Esprit ? S’il n’y avait pas d’Esprit Saint dans [le ministre ordonné] [3], lorsque, il y a un instant, il est monté à ce saint autel et qu’il vous a donné à tous la paix, vous ne lui auriez pas répondu tous ensemble : "Et avec ton Esprit". Aussi, ce n’est pas seulement quand il monte à l’autel, ou quand il nous parle, ou quand il prie pour vous, que vous lui adressez ce souhait ; mais, aussi, lorsqu’il se tient à cette table sainte, quand il va offrir ce sacrifice redoutable, il ne porte la main sur les oblats qu’après avoir demandé pour vous la grâce du Seigneur et que vous lui ayez répondu : "Et avec ton Esprit". Par cette réponse, vous vous remettez en mémoire que celui qui est visiblement présent ne produit rien, que les dons qui sont là ne sont pas l’œuvre de la nature humaine, mais que c’est la grâce de l’Esprit survenant et couvrant tout de ses ailes qui accomplit le sacrifice mystique [4]. "

Ici encore, ce qu’il est important de noter c’est la structure dialogale entre le souhait du prêtre et le souhait de l’assemblée. Nous sommes loin de cette notion de pouvoir qui serait liée à des prérogatives personnelles. Ce dialogue nous dit au plus haut point que nous sommes bien en situation d’Eglise où les uns ont besoin des autres pour accomplir leur ministère propre.

Conclusion

La prière de l’Eglise est lieu de sens. Elle peut nous aider à nous situer les uns et les autres différents dans notre engagement d’Eglise, différents dans nos vocations. Différents mais sûrement pas en opposition.

Notes

1. Pour aller plus loin dans la réflexion, on peut se reporter au livre du père Paul De Clerck : L’intelligence de la liturgie, Cerf, 1995. [Retour au Texte]

2. Théodore de Mopsueste, L’Homélie sur la messe. [Retour au Texte]

3. Jean Chrysostome, auteur de cet homélie, désigne l’évêque Flavien. "S’il n’y avait pas d’Esprit Saint dans le Père et Docteur commun que voici..." [Retour au Texte]

4. Jean Chrysostome, Homélie sur la Pentecôte, I, 4. [Retour au Texte]