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Ouvrir les portes
supérieur du séminaire de Caen
Vivre l’attente
Le séminaire de Caen regroupe les séminaristes des trois diocèses de Bayeux, Coutances et Sées depuis 1970. Cela veut dire déjà une assez longue et stable expérience.
Sur les vingt cinq dernières années, l’effectif global des séminaristes a oscillé entre une bonne vingtaine (25 - chiffre minimum) et une bonne trentaine (40 - chiffre maximum). Il est, depuis deux ans, de 27, avec une tendance légère à la baisse depuis trois ans.
Depuis dix ans que j’en suis le responsable, j’ai appris à vivre assez intensément l’attente de nouveaux séminaristes, l’attente d’une reprise vocationnelle toujours espérée, souvent annoncée, et hélas différée. Il y a deux ans, les Journées Mondiales de la Jeunesse avaient fortement relancé cet espoir et puis les retombées se font attendre, toujours.
Au début, je ne manquais pas de solliciter un peu nerveusement mes collègues des Services des Vocations pour savoir sur combien d’entrants j’allais pouvoir compter. Et puis j’ai appris à ne pas savoir en mai, en juin, parfois en juillet même, le nombre exact d’entrées à venir... Je ne dis pas que l’indifférence est venue, non ! Sûrement non, car la question des effectifs demeure pressante et préoccupante pour un séminaire comme le nôtre, mais j’ai appris à prendre de la distance, du recul par rapport à cette question immédiate des entrées.
Nous avons appris, ensemble au séminaire, à nous sentir plus impliqués dans cette attente, et donc dans cette demande de vocations. Depuis quelques années, la prière pour les vocations s’est faite plus explicite, plus fréquente, plus ardente, au fil des offices de la communauté ; une nuit de prière au mois de mai nous rapproche de l’appel des communautés paroissiales autour de la journée mondiale de prière pour les vocations... Et puis le séminaire s’implique plus, depuis quelques années, j’y reviendrai, dans la pastorale des vocations.
Depuis dix ans, bien des signes d’inquiétude sont apparus : la diminution générale du nombre d’enfants catéchisés, la baisse d’effectifs des équipes de jeunes dans les aumôneries, les mouvements et les groupes paroissiaux. Tout cela constitue des difficultés supplémentaires pour les vocations. Et même si la vitalité de certains groupes chrétiens, de paroisses nouvelles, de certaines familles peut légitimement susciter de nouveau l’espérance, il reste que tout cela prendra du temps. Il ne serait pas raisonnable d’attendre pour demain une reprise sensible.
Il nous faut donc apprendre à durer dans l’attente, comme à travers le désert, comme en exil. Il nous faut apprendre à creuser l’attente, activement, en travaillant à tout ce qui peut améliorer la situation : comment ne pas souligner ici le dynamisme des Services Diocésains des Vocations et leurs efforts soutenus et répétés en faveur de l’appel, et dire aussi notre bonne collaboration avec eux ? Il faut durer dans l’attente, mais aussi savoir s’en remettre au maître de la moisson. Déjà la prière de l’abbé Couturier nous a appris, à propos de l’œcuménisme et du désir de l’unité, à dire au Seigneur : " Quand tu veux, par les moyens que tu veux. "
La prière de Jésus (Mt 9,38 et Lc 10,2) nous ouvre à cette disponibilité fondamentale : " Priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. "
Accueillir le don de Dieu
Si nous avons remis l’attente de vocations dans les mains du Seigneur, alors nous devons accueillir celles qui se présentent comme un don de Dieu.
Accueillir
Le mot est fort. Et il implique vraiment qu’un jeune ou un moins jeune qui fait cette démarche difficile de venir au séminaire s’y sente accueilli. Ce n’est pas toujours simple car il arrive que les itinéraires suivis ne soient pas ceux que nous aurions souhaités. Il arrive que le SDV ait été oublié ou évité sous l’influence malencontreuse d’un prêtre qui peut-être fait peser sur les jeunes qu’il rencontre les difficultés qu’il a lui-même subies. Il arrive que ce jeune vienne un peu "à reculons", parce qu’il espérait un autre séminaire, plus classique, plus "spirituel" (que cette remarque est fréquente !), et qu’il soit un peu forcé par le S D V ou par son évêque qui a choisi une politique ferme de ce côté-là.
Accueillir d’abord la démarche d’une vie qui se présente pour le service, qui vient s’offrir pour le Seigneur et son Eglise, même si bien des choses restent à apprendre, à découvrir encore sur ce que signifie ce service. La tâche du séminaire au long des années de formation sera précisément d’y aider.
J’ai toujours été admiratif de cette capacité de don, de cette "oblativité" pour parler comme le P. Martelet, qui nous est donnée à recevoir, à contempler, en accueillant de futurs séminaristes. Les raisons immédiates de leur appel sont variées.
Voici un jeune qui a été marqué par un grand pèlerinage - style JMJ - à Czestochowa ou à Compostelle ou peut-être à Paris ! C’est là qu’il a entendu le Seigneur lui demander de le suivre plus totalement pour devenir prêtre.
En voici un autre qui a entendu l’appel lancé par son évêque lors d’un rassemblement diocésain de jeunes pour que ces jeunes dont il fait partie prennent leur place dans l’Eglise, dans leurs communautés paroissiales, qu’ils aient le souci de partager leur foi avec d’autres, et c’est cet appel qui l’a mis en route.
En voici un autre engagé déjà dans la vie professionnelle qui fait l’expérience spirituelle de l’appel de Dieu au cours d’une prière personnelle dans une église et qui s’entend interpeller quelques semaines après par une collègue de travail : " Pourquoi n’as-tu jamais pensé à devenir prêtre ? "
En voici un autre encore, lui aussi investi dans la vie professionnelle, dans la vie associative, dans la vie paroissiale, et qui s’interroge devant la difficulté grandissante des prêtres à faire face à tous les besoins pastoraux, à cause de leur âge, de leur essoufflement, et qui s’entend dire : " Pourquoi pas moi ? "
L’expérience nous montre une grande variété dans les formes de l’appel mais toujours une grande ouverture à la disponibilité. Le Seigneur entre dans leur vie avec son dessein de salut sur l’humanité. Et le désir de répondre à son appel, de rejoindre le service de la mission, n’est rien d’autre que le désir d’accueillir et de faire connaître son salut. Il me semble, de ce point de vue, que nous devons être particulièrement attentifs à faire entendre l’appel partout où c’est possible. Pas seulement pour dire d’une façon générale et impersonnelle : l’Eglise a besoin de prêtres et de diacres pour prendre la relève, mais d’une façon plus directe, plus concrète aussi, comme nous le rapporte saint Paul dans la Lettre aux Romains : " Comment croiraient-ils sans l’avoir entendu et comment l’entendraient-ils si personne ne le proclame ? Et comment le proclamer sans être envoyé ? " (Rm. 10,14-15). Ou, mieux encore, comme le rapporte le prophète Isaïe : " J’entendis la voix du Seigneur me disant : "Qui enverrai-je ? Qui sera mon messager ?" Alors j’ai dit : "Me voici, envoie-moi." " (Is. 6,8)
On dit souvent que le ministère des prêtres d’aujourd’hui n’est pas appelant pour les jeunes, que leurs agendas sont surchargés, que leur vie trop remplie et stressante ne serait pas attirante pour eux ! Il est vrai que les prêtres ont beaucoup à faire. Il est vrai que la non reconnaissance sociale de leur ministère et le flou persistant autour des tâches concrètes permettant d’identifier le ministère du prêtre diocésain constituent un handicap ou du moins une question qu’il faut travailler à résoudre. Mais je crois aussi que la situation difficile à laquelle nous sommes affrontés est un véritable appel : devant le désert presbytéral qui se prépare dans certaines régions de nos diocèses, devant le vieillissement généralisé des prêtres, devant les demandes d’accompagnement, d’encouragement, de soutien, qui émanent des laïcs qui prennent à bras le corps la responsabilité du devenir de leurs communautés chrétiennes dans les relais des nouvelles paroisses rurales maintenant très étendues, des jeunes, des adultes, peuvent entendre fortement et d’une manière toute neuve l’appel de l’Eglise qui demande des ouvriers pour la moisson, qui demande des pasteurs pour sa vie et sa mission.
C’est ainsi que l’Eglise appelle ses diacres permanents et il y a place certainement pour cette forme d’appel aussi pour les prêtres.
Accueillir dit encore pour moi ouverture d’esprit. Pour être capable de s’étonner, de s’émerveiller mais aussi, tout simplement, de se laisser surprendre par les choix du Seigneur. Le récit du premier livre de Samuel concernant le choix de David reste dans notre mémoire : " Les vues de Dieu ne sont pas comme les vues de l’homme, car l’homme regarde à l’apparence, mais le Seigneur regarde au cœur " (1 Sa. 16,6-13).
Ou encore ce que dit Paul aux Corinthiens : " Regardez bien qui vous êtes, vous qui avez reçu l’appel de Dieu : il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de bonnes familles, mais ce qui est fou dans le monde, Dieu l’a choisi... " (1 Co 1,26-29).
L’expérience de l’accueil des vocations invite à la fois à l’action de grâce et à la modestie, en tous cas à une disponibilité certaine.
Former en Eglise
Evidemment, le séminaire a pour tâche de discerner et de former ceux qu’il accueille, pour confirmer l’appel du Seigneur en eux et présenter à l’Eglise les ministres dont elle a besoin.
Toute la formation doit être ecclésiale, le séminaire étant lui-même une communauté d’Eglise qui initie chacun de ses membres à la vie fraternelle et communautaire, au long des années de la formation. Mais la formation doit être tout entière orientée vers l’Eglise, finalisée en direction de l’Eglise : l’Eglise locale, l’Eglise diocésaine, dont les séminaristes seront un jour les ministres comme prêtres diocésains.
Le fait que ce séminaire accueille les candidats de trois diocèses qui ont l’habitude de travailler ensemble y aide beaucoup. Les évêques sont présents à la vie du séminaire, se réunissant deux fois par an avec l’équipe animatrice, mais venant aussi à la rencontre de leurs séminaristes et de leurs enseignants, intervenant régulièrement dans la vie communautaire pour célébrer les admissions, les institutions, les ordinations.
La formation au long des années implique une présence des séminaristes dans leur diocèse : légère en premier cycle - il s’agit du lien avec une communauté le plus souvent paroissiale - puis de plus en plus importante en second cycle (le week-end) et en troisième cycle (trois jours par semaine en cinquième année, trois semaines par mois en sixième année).
L’insertion en paroisse et la découverte progressive de la responsabilité pastorale à travers l’accompagnement d’une équipe, en lien avec une communauté concrète de croyants, mais aussi le dialogue avec des prêtres du diocèse qui accueillent le séminariste contribue considérablement - il me semble - à faire grandir l’appel au ministère, notamment par la découverte concrète de la charité pastorale, principe intérieur du ministère du prêtre, comme l’a rappelé le pape Jean- Paul II (Pastores dabo vobis, n° 23).
C’est souvent sur ce terrain pastoral que s’opèrent les déplacements nécessaires, les avancées décisives dans le parcours de formation, et surtout dans l’élaboration d’une réponse libre et confiante à l’appel du Seigneur.
Il est clair ici que les communautés paroissiales d’accueil jouent un grand rôle dans cette étape, qui les rapproche du séminaire en les faisant participer vraiment à la formation des futurs prêtres. Mais la seule présence des séminaristes sur le terrain paroissial joue aussi un rôle décisif en posant explicitement - en chair et en os, allais-je dire - la question d’une vocation possible auprès de jeunes, auprès des familles, auprès des responsables ecclésiaux.
L’an dernier, une journée "Portes Ouvertes" a été organisée au séminaire à destination des animateurs en pastorale laïcs et religieux des trois diocèses. Près de 180 personnes sont venues, très majoritairement laïques, pour découvrir le séminaire, ses objectifs de formation, et réfléchir avec nous à la question de l’appel aux vocations. Cette journée nous a montré combien il était important de resserrer les liens entre les différents partenaires sur le terrain :
- pour considérer que la présence d’un séminariste pouvait aider, soutenir l’engagement des animateurs laïcs, mais aussi les éveiller à la prise de conscience de la place du ministère ordonné et à sa nécessité pour la vie de la communauté ;
- pour considérer aussi que la collaboration étroite avec les animatrices laïques en pastorale aidait les séminaristes à découvrir la réalité, la richesse et l’avenir du ministère du prêtre diocésain, appelé à œuvrer dans un contexte de coresponsabilité ecclésiale, à les sensibiliser aussi à la responsabilité du pasteur comme éveilleur de toutes les vocations pour le service de la communauté.
Cette journée a paru riche à tous les participants et elle les a convaincus qu’il n’y avait pas de concurrence dans l’appel entre les différentes vocations mais, au contraire, une émulation et un enrichissement.
Il faut dire aussi que, depuis sa création, le séminaire de Caen a la particularité d’être en même temps un Centre d’Etudes Théologiques dont les enseignements sont ouverts à tous, prêtres, religieux(ses) et laïcs. Les séminaristes ont donc l’habitude de côtoyer des laïcs en cours de théologie, d’exégèse ou de liturgie. Depuis quelques années, les diocèses nous ont demandé d’accueillir pour des parcours de formation plus spécifiques ceux et celles qui deviennent animateurs pastoraux sur le terrain et il est important de souligner que cette collaboration dans la formation se révèle être une aide pour le travail pastoral accompli en commun dans l’insertion pastorale et préparant les collaborations à venir entre prêtres et laïcs.
Il apparaît vital aujourd’hui de resserrer ces liens avec l’Eglise diocésaine.
Le séminaire se doit d’être présent à la pastorale des vocations dans chaque diocèse et ici, dans la communauté, un séminariste de chaque diocèse est correspondant du SDV. La revue L’Appel qui regroupe les SDV des trois diocèses, concrétise ce lien. Il arrive aussi que des équipes de séminaristes se rendent en paroisse pour un week-end et, à cette occasion, participent activement à l’Eucharistie dominicale et y témoignent de ce qu’ils vivent. Il arrive aussi que le séminaire accueille des jeunes des diocèses : équipes d’enfants du catéchisme avec leurs animateurs, ou week-end d’aumôneries de l’enseignement public ou d’enseignement catholique. Parfois, ce sont des rencontres de prêtres en doyenné ou des rencontres d’équipes pastorales (prêtres, religieux, laïcs) de paroisses qui ont lieu au séminaire et qui permettent de créer ces liens ou de les entretenir.
Tout ce qui contribue à développer le lien naturel entre le séminaire et l’Eglise diocésaine est bon pour les vocations et ceci dans les deux sens. Il est important que le séminaire soit présent à la vie diocésaine, et il l’est par toutes les participations des séminaristes à la vie apostolique des diocèses, mais il est essentiel aussi que la vie des Eglises diocésaines nourrisse la vie au séminaire, notamment pendant cette année jubilaire où vont se multiplier les rassemblements en paroisses, en doyennés, au niveau des diocèses et où va chercher à s’exprimer la vitalité de l’Eglise. Comment cela n’aurait-il pas un impact sur le cheminement vocationnel de ceux qui se préparent à servir ces Eglises-là ? Et comment chercher ailleurs des lieux d’appel pour demain ?
Portes Ouvertes
Le 25 mars prochain, le plupart des séminaires de France ouvriront leurs portes. Il est sûrement très important que cette journée soit un succès pour démultiplier tous ces liens tissés avec nos diocèses par le biais des paroisses, des mouvements et des services avec lesquels nous travaillons. Pour que nous puissions rejoindre un public beaucoup plus large de chrétiens qui ne savent pas que le séminaire existe, relativement proche d’eux encore, et surtout qui ne savent pas bien ce qui s’y vit. Beaucoup gardent le souvenir d’un séminaire fermé, une sorte de serre ou de couveuse hyperprotectrice pour des individus exceptionnels, un peu étranges et sûrement lointains. Ceci n’est évidemment pas favorable à l’éveil des vocations.
Il est important de changer rapidement cette image qui reste d’une institution fermée sur elle-même, de montrer comment le séminaire se veut au service des Eglises diocésaines, comment il prépare concrètement les prêtres de demain. Là encore avec modestie et ouverture d’esprit.
Que les séminaristes et leurs formateurs apparaissent :
- ouverts à la vie de l’Eglise, à ses évolutions, à une collaboration franche entre tous, prêtres et laïcs ; ouverts aussi aux questions et aux préoccupations du monde d’aujourd’hui,
- mais porteurs aussi d’un appel et d’une question qui nous concernent tous, l’appel que Dieu nous adresse :
" Par leur vocation et leur ordination, les prêtres de la nouvelle alliance sont, d’une certaine manière, mis à part au sein du peuple de Dieu : mais ce n’est pas pour être séparés de ce peuple, ni d’aucun homme quel qu’il soit, c’est pour être totalement consacrés à l’œuvre à laquelle le Seigneur les appelle. Ils ne pourraient être ministres du Christ s’ils n’étaient témoins et dispensateurs d’une vie autre que la vie terrestre, mais ils ne seraient pas non plus capables de servir les hommes s’ils restaient étrangers à leur existence et à leurs conditions de vie. Leur ministère même exige, à un titre particulier, qu’ils ne prennent pas modèle sur le monde présent et, en même temps, il réclame qu’ils vivent dans ce monde au milieu des hommes, que, tels de bons pasteurs, ils connaissent leurs brebis et cherchent à amener celles qui ne sont pas dans le bercail, pour qu’elles aussi écoutent la voix du Christ afin qu’il y ait un seul troupeau, un seul pasteur " (Concile Vatican II, décret Presbyterorum ordinis, n° 3).
L’aventure évangélique a commencé il y a près de deux mille ans sur les bords du lac de Tibériade, quand Jésus a rencontré Pierre et André, puis Jacques et Jean. Le séminaire aujourd’hui ne fait rien d’autre que de prolonger cet appel, d’aider à l’inscrire aussi dans nos vies comme une réponse donnée, qui nous met au service les uns des autres pour que chacun découvre sa vraie liberté en Christ. N’ayons pas peur de continuer cette œuvre-là. Elle est vitale pour les hommes.