Un aménagement pastoral pour des communautés vivantes et appelantes


Paul HOUÉE
Animateur de l’Atelier Aménagement Pastoral, Vice-Président du centre Lebret
Jean LE RETIF
Responsable du Service Diocésain des Vocations

Il y aura bientôt dix ans qu’est apparu nécessaire à l’évêque et aux responsables pastoraux du diocèse de Saint Brieuc et Tréguier de mettre en route une recherche pour permettre aux communautés chrétiennes de se restructurer afin d’être encore mieux "signe du Salut en Jésus-Christ" dans un monde et une société en pleine mutation.

Au fil des années, cet aménagement pastoral s’est imposé comme une nécessité. En même temps, de nombreux diocèses menaient une recherche identique.

Que quatre-vingt un des quatre-vingt quinze diocèses de France métropolitaine aient déjà réalisé leur aménagement pastoral ou soient en train de le faire témoigne de l’ampleur des mutations que connaît l’Eglise, comme la société, dans son agencement territorial et plus largement dans sa présence au monde. Chaque diocèse conduit cette opération difficile à sa manière : il n’y a pas deux expériences identiques. Celle du diocèse de St Brieuc et Tréguier n’est que l’une d’entre elles, aucunement un modèle partout transposable. Si elle est l’une des références les plus souvent citées, elle le doit sans doute à sa démarche méthodique, à un dialogue constant entre les groupes de base et les instances diocésaines, à de bons résultats d’ensemble qu’il est encore prématuré d’évaluer.

Les raisons de cette recomposition pastorale

Certaines des causes qui ont motivé cette importante refonte sont communes à l’Eglise et à la société de ce temps ; d’autres sont propres à l’Eglise, à sa situation actuelle et prévisible, à son être profond.

Le défi des territoires

Le remodelage des structures n’est pas propre à l’Eglise ; aucune institution n’y échappe, c’est la société entière qui est concernée. La France de cette fin de millénaire est bouleversée par des mutations d’une ampleur sans précédent et qui connaissent une accélération difficile à maîtriser. Les découvertes scientifiques aussitôt mises en œuvre transforment rapidement les modes de production et d’échange ; les aspirations des générations montantes bousculent les cadres de vie et les valeurs de référence. " On croit traverser un orage, alors qu’on change de climat ". La relation de l’homme à l’espace et au temps s’en trouve fortement modifiée : attraction des grandes agglomérations à fonctions supérieures, maintien des villes moyennes, concentration des populations et des activités autour des centres et de grands axes de communication, déclin des zones rurales à mesure qu’on s’en éloigne ; allongement de la durée de la vie, réduction et fragilité de la famille, etc.

L’Etat, les pouvoirs publics tentent d’endiguer les déséquilibres majeurs, de réduire les exclusions territoriales s’ajoutant aux exclusions sociales. La loi Voynet (juin 1999), venant après la loi Pasqua (février 1995) tente de définir des orientations à cette recomposition territoriale ; la loi Chevènement (juillet 1999) venant après la loi Joxe-Baylet (février 1992) renforce l’intercommunalité ; les contrats de plan Etat-région tentent de mobiliser les énergies autour de projets communs ; le Schéma de Développement de l’Espace Communautaire vient d’être retenu par l’Europe des 15. A tous les niveaux, l’organisation des territoires, du mieux vivre et participer ensemble est au cœur des débats. Ainsi le département des Côtes d’Armor, à la fin de 1999, conservera ses 372 communes, dont plus de 95 % se regrouperont en 38/40 communautés de communes ou d’agglomérations, elles-mêmes coordonnées en six pays. L’Eglise est directement concernée par ces mutations et ces mesures, sans avoir à s’aligner sur ces dernières.

Les raisons internes à l’Eglise

La cause la plus évidente de la recomposition pastorale réside dans la réduction accélérée, le vieillissement et la faible relève de l’encadrement ecclésial : cela vaut pour les prêtres, les religieux et plus encore les religieuses. Dans le diocèse de St Brieuc et Tréguier, il y avait 913 prêtres en 1953, 340 en 1998, dont 220 en activité, une centaine à terme rapproché. Leur moyenne d’âge est de 72 ans ; 75 ont moins de 65 ans, 10 moins de 50 ans. Mais on compte aussi 9 diacres, 48 animateurs et animatrices de pastorale à temps plein, de nombreux laïcs engagés à tous les échelons, dont 80 suivent une formation permanente ; beaucoup sont de jeunes retraités : qu’en sera-t-il demain ? On assiste à la fois à une forte baisse de la pratique religieuse, mais en même temps à une grande différenciation des demandes religieuses, venant de publics très variés qui attendent des réponses appropriées, exigeantes en qualité, en préparation.

La cause la plus profonde vient de la nature même de l’Eglise et de son mystère. Au début des années 60, le concile Vatican II fut l’événement historique vécu d’abord au sommet ; il faut maintenant le vivre à la base, en appelant tous les baptisés à devenir acteurs à part entière du Peuple de Dieu, à être les messagers actifs d’un amour, d’une espérance au cœur d’un monde en quête de sens et de cœur, dans la diversité de ses appartenances locales et de ses réseaux affinitaires.

Un principe directeur : un projet missionnaire avant des structures remodelées

Passer de la restructuration de paroisses inquiètes pour leur identité et leur avenir à l’élaboration d’un projet missionnaire, dont l’aménagement pastoral soit la traduction territoriale : tel est le défi de la mission, l’esprit qui anime toute la démarche diocésaine. Il ne s’agit plus de restructuration, de replâtrage, mais bien d’inventer ensemble une autre façon de vivre l’Eglise ensemble, la force et la fidélité des héritiers nourrissant l’audace des bâtisseurs.

Une double fidélité

Fidélité au message évangélique, à de longs siècles de christianisme qui ont profondément marqué notre région, ce qui implique d’approfondir et de revisiter la théologie de l’Incarnation et celle de l’Eglise.

Fidélité, écoute de ce que vivent, attendent, les hommes et les femmes d’aujourd’hui, en discernant dans les mutations de notre monde les "signes des temps", ce qui est porteur d’humanisation ouverte à la divinisation, ce qui est menace pour l’homme, sa dignité, sa liberté, pour la cohésion de la société et ses valeurs de dépassement.

Un double souci

• Souci de proximité de ce que chacun vit, de présence à la vie quotidienne, là où habitent et échangent les hommes. Il faut garder le contact, car on n’évangélise que de près et dans une certaine durée. D’où l’importance des relais locaux, de lieux et de temps religieux ouverts à tous, notamment aux malades, aux handicapés, aux gens peu mobiles. Il faut savoir honorer sans l’exalter l’identité locale, la mémoire des fondations sans s’y replier. Ce vieux paysan qu’était Jean XXIII disait que l’Eglise locale est le puits du village où chacun vient étancher sa soif, échanger avec les voisins.

• Mais autant souci d’ouverture à l’avenir, aux multiples réseaux de relations dans lesquels chacun construit son chemin dans une époque de grande mobilité. Il faut savoir se situer en des espaces assez vastes, là où s’organise la vie économique, sociale et culturelle, là où se prennent les décisions qui engagent le devenir humain. Que l’Eglise ne se trompe ni de siècle, ni d’échelle.

Une exigence : faire Eglise autrement

La paroisse ne peut plus être un "diocèse en réduction", assurant tous les services. Il faut coordonner, harmoniser à la fois :

• les échelons territoriaux : relais, paroisse, communauté ou doyenné, zone, diocèse, Eglise ;

• les réseaux et services spécialisés : catéchèse, formation, animation, prières et liturgie, services ;

• les lieux stables, les lieux et temps forts de "la religion pèlerine", dans la diversité des parcours. Cela implique une exigence commune : la mission dans la diversité et la communion ;

• approfondir le rôle des prêtres, des ministres consacrés dans une Eglise baptismale ;

• approfondir la participation des laïcs à l’exercice de la charge pastorale, avec un statut clair et reconnu ;

• savoir donner à toutes les énergies chrétiennes la chance de se déployer ;

• apprendre la co-responsabilité, le dialogue, la concertation avant la décision, puis la confiance dans la réalisation.

" Il y a certes diversité des dons spirituels, mais c’est le même Esprit ; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous... Mais tout cela, c’est le seul et même Esprit qui l’opère, distribuant à chacun en particulier comme Il l’entend, en vue du bien commun. " (1 Cor. 12, 4-11)

Les différentes phases de l’aménagement pastoral

Une phase préalable (1990-1994)

A plusieurs reprises, le conseil presbytéral amorce une réflexion théologique sur les restructurations nécessaires, sur les quatre fonctions de la pastorale (enseignement, célébration, témoignage, service) : des sessions sur l’animation liturgique, la catéchèse sont organisées. En 1992, un atelier d’aménagement pastoral (7-8 personnes) est chargé de réfléchir aux objectifs, aux modalités de consultation, aux outils à mettre en œuvre. Peu après son arrivée, Mgr Fruchaud " invite tous ceux qui le souhaitent à réfléchir et à s’exprimer très librement afin de trouver ensemble les moyens les meilleurs pour permettre à notre Eglise diocésaine de bien remplir sa mission dans le monde de ce temps "

Le pilotage de l’opération est confié à l’atelier d’aménagement et progressivement au Conseil épiscopal.

La méthode proposée a constamment combiné des consultations ascendantes et des orientations descendantes, des propositions émanant de groupes de base et des éclairages théologiques, canoniques, socio-économiques. L’atelier diocésain élabore des notes, des questionnaires précis, des propositions possibles qui sont adressées aux groupes locaux, aux mouvements et services.

Chaque groupe de base ou conseil organise la consultation à sa guise ; les réponses sont centralisées par chaque doyenné, puis traitées par l’atelier diocésain qui en diffuse les résultats. A chaque phase, des propositions sont formulées, soumises au conseil presbytéral et au conseil pastoral, avant décision et promulgation par l’évêque.

La mise en mouvement (avril-novembre 1994)

C’est une consultation générale, destinée à mettre en mouvement les forces chrétiennes. Elle permet d’apprécier l’adhésion des chrétiens à un changement global et missionnaire. Se dessine déjà le projet diocésain, avec ses principaux axes et niveaux. Les résultats sont validés par une assemblée représentative de 350 personnes le 19 novembre 1994 et un document L’aménagement pastoral : un souffle nouveau, diffusé à 40 000 exemplaires. L’aménagement est vraiment lancé.

La formation des zones et des communautés (décembre 1994-juillet 1995)

Dans la foulée, un questionnaire plus précis et un document de cadrage définissent ce que peut être une zone pastorale au niveau du bassin d’emploi ou "pays", regroupant plusieurs communautés pastorales (dont le terme a été préféré aux doyennés) pouvant unir plusieurs paroisses ou "clochers". Diverses propositions sont avancées sur le découpage, les fonctions et l’organisation possibles de l’un et de l’autre niveau. Après plusieurs échanges entre l’échelon diocésain et les groupes locaux, après consultation des instances représentatives, l’ordonnance épiscopale du 16 juillet 1995 crée 8 zones et 44 communauté pastorales, en précise les limites, les fonctions et le fonctionnement, nomme les prêtres responsables.

La formation des paroisses et relais paroissiaux (septembre 1995 - juillet 1997)

Cette consultation s’est prolongée pendant près de deux ans, auprès des conseils pastoraux de communautés et des paroisses existantes, afin de parvenir à un accord concerté, non à une décision imposée. La question centrale était l’articulation à trouver entre la paroisse nouvelle et les anciennes paroisses. Trois solutions étaient proposées et largement débattues par les communautés

• maintenir les paroisse existantes, notamment en milieu urbain et sur le littoral (été) ;

• la communauté fédère plusieurs paroisses nouvelles regroupant elles-mêmes plusieurs relais (anciennes paroisses) ;

• la communauté devient sans transition la nouvelle paroisse à plusieurs relais.

Sur 44 communautés consultées, 29 proposent de se constituer d’emblée en paroisses nouvelles ; 15 de fédérer des paroisses maintenues en milieu urbain ou des paroisses à plusieurs relais. L’ordonnance épiscopale du 16 juillet 1997 érige canoniquement 70 paroisses, reprécise la mission et l’organisation des communautés et des zones. Ce nouveau visage d’Eglise devient réalité à partir de septembre 1997 : 8 zones, 70 paroisses dont 32 unies en 15 communautés, environ 400 relais paroissiaux.

Le gouvernement du diocèse

En juin 1999, Mgr Fruchaud a voulu porter à son terme cette démarche d’aménagement en transformant le conseil épiscopal. L’évêque est désormais entouré :

• d’un conseil restreint : un vicaire général, deux vicaires épiscopaux chargés l’un de la pastorale des jeunes, l’autre des laïcs ayant reçu une lettre de mission (EAP). Il se réunit chaque semaine ;

• d’un conseil élargi : le conseil restreint plus les huit responsables de zone associés directement à la gouvernance du diocèse. Rencontre mensuelle.

Un défi pour la pastorale des vocations

Une urgence : trouver des prêtres pour 70 nouvelles paroisses

Dans ce travail important de restructuration et de refondation, tous les efforts ont été orientés dans deux directions.

• Une recherche des 70 prêtres pouvant assurer la responsabilité curiale des nouvelles paroisses pour une durée de 10 ans.

• La mise en place des équipes d’animation paroissiale. Cela a suscité un dynamisme nouveau dans la coresponsabilité et dans une recherche de formation adaptée. Des voies nouvelles sont apparues à travers des situations nouvelles.

Une dérive à éviter et des convictions à retrouver

Alors que le Service des Vocations connaissait une expérience "en creux" et que certaines communautés se faisaient à l’idée que l’on peut remplacer un prêtre par des laïcs, des initiatives d’urgence ont vu le jour. Celles-ci se sont fondées sur la conviction que toutes les vocations sont nécessaires à la vie de l’Eglise, et particulièrement la vocation de prêtre.

Bien sûr, sous l’effet conjugué de la contrainte (le manque de prêtres) et de la grâce (les appels du concile Vatican II à vivre autrement le ministère presbytéral au sein du peuple de Dieu dans le sens d’une plus grande coresponsabilité), les prêtres ont à inventer avec tous les autres baptisés une nouvelle manière d’être prêtres.

" Ils demeurent les serviteurs de la Parole et des sacrements. Ils partagent cette mission avec toute leur communauté. Bien des chrétiens prennent aujourd’hui leur part dans la préparation des diverses célébrations dominicales, des baptêmes, confirmations, mariages, funérailles. Au milieu de cette symphonie de responsabilités, les prêtres restent les signes de l’Amour de Dieu qui se donne et que l’on ne se donne pas à soi-même. Ils demeurent les responsables des communautés qu’ils guident à la manière de Jésus Pasteur. Là encore, que de changements ! C’est au milieu d’équipes, de conseils divers qu’ils exercent cette charge. Leur ministère est de plus en plus un ministère du Seigneur pour la construire entre tous. " (G. Nicole dans Change ton regard, une plaquette réalisée par le diocèse de St Brieuc en février 1999)

Une mobilisation des conseils diocésains

Au cours de l’année pastorale 1997-1998, le conseil presbytéral et le conseil diocésain de pastorale ont chacun à leur manière pris le temps, durant deux sessions, de regarder avec lucidité la situation des "vocations" dans le diocèse. Dans chacun des lieux, des échanges sans concession, lucides, parfois douloureux, ont eu lieu. Cette libération de la parole a permis de s’interroger, sur le prêtre particulièrement, à l’occasion de l’aménagement pastoral. Quelle est sa place et surtout sa nature ?

Après un long temps de cheminement, débouchant sur l’espérance, les convictions formulées par le Père Fruchaud, évêque de St Brieuc et Tréguier ont pu trouver écho.

Les convictions du Père Lucien Fruchaud

• La conviction qui doit nous animer : nous sommes tous responsables de toute la mission de l’Eglise au cœur du monde. Mais les prêtres sont indispensables.

• C’est une nécessité pour notre temps et notre Eglise diocésaine que d’appeler, de proposer à des jeunes et à des moins jeunes, une relation au Christ, un engagement dans l’Eglise, une formation adaptée, un cheminement vers la possibilité d’un engagement.

• Il nous faut être lucides sur les épreuves que vit notre Eglise et les porter ensemble mais ne pas se laisser trop impressionner, car les erreurs, la part d’échec font partie de notre parcours d’hommes.

• Nous avons un axe mobilisateur autour duquel tout doit venir s’articuler : il s’agit de l’espérance. Cela dépend de notre dynamisme de baptisés. C’est à nous de voir les lumières qui brillent partout, l’Eglise n’est pas à son déclin !

• Croire que l’Esprit-Saint est à l’œuvre. L’Esprit transforme nos cœurs. Vous avez senti combien les membres du Bureau ont cheminé ensemble pour préparer cette réunion. Discernons l’Esprit et laissons-le agir !

En conclusion

Il est possible qu’un souffle nouveau anime une Eglise diocésaine, qui devient tout entière Service des Vocations.

Sur la demande du Père Fruchaud, le Service des Vocations a partagé avec l’ensemble des chrétiens la réflexion engagée. En écrivant le livret Change ton regard, le S.D.V. s’est efforcé de faire connaître la question et surtout de permettre à tous de devenir "responsables" de l’appel.

Manifestement un mouvement s’est créé, en particulier près des chrétiens en responsabilité pastorale. Et voici qu’un week-end vocations est programmé pour les 16-17 octobre, un temps fort où 300 responsables de communautés, services et mouvements sont attendus pour découvrir le sens du mot vocation et la complémentarité des vocations dans l’Eglise.

Après tous les efforts techniques et pastoraux mis en œuvre pour réussir l’aménagement pastoral, notre évêque et le S.D.V. aimeraient que tous les chrétiens de ce diocèse prennent conscience que les vocations, c’est l’affaire de tous.