La beauté de l’Eglise, porte des vocations


Eric JULIEN
laïc, auteur compositeur interprète

Voilà neuf ans que j’ai accepté de travailler à mi-temps dans l’équipe pastorale du Service National des Vocations. 1999 sera ma dernière année. Au terme de ce voyage passionnant dans les coulisses de l’Eglise, Jean-Marie Launay me demande de m’associer à mon tour à ce numéro de la revue, en faisant un tour d’horizon de ce que j’ai pu vivre en une quasi-décennie. Pourquoi suis-je arrivé-là ? Qu’y ai-je découvert ? Comment ma vision de l’Eglise a-t-elle évolué ? Qu’ai-je vu bouger dans l’Eglise de France en neuf années ? Voilà quelques questions auxquelles je tenterai de répondre.

I Un peuple sans descendance

Le monde sympathique des SDV

Mon premier plongeon dans l’univers des vocations eut lieu en septembre 90, lors de la session de rentrée des responsables régionaux, à Montpellier. Nous étions une quinzaine et il fallait ébaucher le futur congrès de Lourdes.

Jargon, quand tu nous tiens...

La première chose qui me frappa fut le vocabulaire employé : vocationnel, SDV, instituts, CRV, profès, laïc engagé, jeune en recherche... sans oublier les expressions consacrées : se laisser interpeller, partager ensemble (merveilleuse tautologie !), la relecture du quotidien... Tout un vocabulaire quelquefois savoureux dans le pur style de la langue "de bois" dont les observateurs de l’Eglise s’amusent volontiers.

Toute institution génère son vocabulaire spécialisé, cela n’a rien d’anormal. Ce qui frappe dans celui de l’Eglise, c’est que celui-ci a, par endroits, pris la place d’une véritable langue, employée jusque dans la littérature des homélies ou l’imagerie de nombreux chants liturgiques. Nous en sommes arrivés à nous forger une véritable langue ecclésiale tout en restant persuadés que le monde entier l’adoptait avec nous. J’ai souvent pu noter que des chrétiens en venaient à utiliser cette langue à tout moment, en dehors de la sphère de l’Eglise, comme s’il était évident que ce langage métaphorique était devenu universel. Et cela sous les yeux interloqués de jeunes "non-cathos"... comme de chrétiens de pays étrangers. Il m’est apparu alors que, dans l’Eglise de France, nous avions perdu cette faculté de nous exprimer simplement et avec précision en dehors de notre vocabulaire propre.

Je crois avoir observé, en neuf années, un certain progrès en ce domaine, du moins dans la pastorale des vocations. Les affiches, les thèmes des Journées mondiales sont sans doute moins énigmatiques qu’auparavant. Mais il suffit de lire avec un peu de recul une bonne partie des textes ou déclarations officielles les plus récentes pour convenir qu’elles sont souvent indécodables pour une majeure partie de nos contemporains. Si j’insiste sur ce point, c’est qu’il est assez typique de notre déficit de communication avec "l’extérieur", notamment avec les jeunes.

C’est peut-être aussi l’un des signes que nous n’avons pas encore pris la mesure de la distance culturelle qu’il y a - et qui croît - entre la sphère chrétienne et les autres sphères de la société occidentale.

Beaucoup de chaleur et peu de moyens

La seconde chose qui m’a frappé lors de mon entrée dans les circuits "vocationnels", c’est la pauvreté des moyens humains mis en oeuvre, compensée par une bonne humeur générale doublée d’un accueil chaleureux. J’observai avec joie que nos évêques avaient eu à coeur de choisir pour responsables des vocations des hommes (et quelques femmes, déjà), jeunes pour la plupart, débordant de courage et préservés de la morosité, voire de la suspicion ambiante à l’égard des vocations. Il me fallait cependant reconnaître que les moyens dont disposaient les SDV restaient d’une grande humilité face à l’ampleur de la mission.

C’était, en ce qui me concerne, ma première intrusion dans un circuit national de l’Eglise. J’ai été impressionné par le contraste entre le poids de la responsabilité pesant sur ces hommes et la simplicité paisible avec laquelle ils abordaient les difficiles rivages de leur mission. Il y avait en tous comme la certitude que les jours de labeurs seraient longs et nombreux avant qu’apparaissent des conditions plus favorables pour la moisson.

Des plaies difficiles à panser

Quelquefois isolés dans leur Eglise diocésaine, comme les "derniers des Mohicans" à croire encore ouvertement à la nécessité des vocations et à la réalité des appels de Dieu, ils avaient l’enthousiasme de ceux qui sont portés par la force de l’Esprit tout autant que par l’énergie de leur propre conviction. Sans doute, sans le savoir, ils étaient aux avant-postes d’un renouveau de l’Eglise de France, renouveau encore impalpable à l’époque et qui, plus tard, allait s’exprimer dans le rapport Dagens.

Je découvrais dans l’isolement de certains de ces responsables qu’il y avait des blessures profondes dans notre Eglise, et que les vocations étaient une plaie emblématique. Une plaie qui se montrerait difficile à panser, douloureuse à soigner, longue à guérir.

Où est notre descendance ?

En 1990, les vocations étaient donc un tabou dans la majeure partie des secteurs de l’Eglise de France. Verrouillé, le sujet l’était. Impossible d’en parler avec de nombreux permanents en pastorale comme avec beaucoup de prêtres ou, tout simplement, dans le cadre paroissial. Des verrous légués par un passé difficile : question de sa propre vocation jamais vraiment réglée, choc du départ de prêtres ou religieux proches, désillusions après l’enthousiasme de Vatican II, usure de la foi et des personnes dans un environnement indifférent... ou, pour les parents, peur d’aborder une question qui pourrait concerner ses propres enfants.

Les vocations étaient alors un sujet brûlant, impossible à aborder sereinement en de nombreux endroits. Ce sujet demeure, sans doute, dans l’Eglise l’un des sujets les plus difficiles qui soit. Car parler de ces vocations manquantes, c’est à la fois devoir parler de soi et devoir parler de sa descendance.

Un passé difficile à relire

Parler de vocations c’est, en effet, évoquer sa propre descendance, l’avenir de sa famille. Sujet délicat, tout comme, dans un couple, celui de l’éducation des enfants. On sait bien que, lors de l’annonce d’une stérilité, le regard des deux conjoints s’échange avec un pesant sous-entendu : A qui la faute ? A toi, bien sûr...

Le manque de vocations questionne directement la crédibilité dont nous faisons preuve en assumant notre propre vocation : si les vocations manquent, c’est peut-être parce que l’image que nous en donnons n’attire plus. Ce constat ne donne qu’une image partielle de la réalité. Mais la part de vérité qu’il peut contenir conduit à une autocritique douloureuse, voire à un complexe d’échec : "Qu’avons-nous raté ? En quoi avons-nous failli ?" Regarder son passé avec lucidité n’est pas un travail facile. Accompli seul, ce travail a sans doute conduit de nombreux prêtres et laïcs à la morosité et au défaitisme. Donc au silence. Ainsi s’installent les tabous : dans le terreau de nos échecs ou, du moins, dans ce que nous croyons être des échecs.

L’expérience de la pauvreté

Neuf ans après, des premiers verrous ont sauté. Pas partout, loin s’en faut. Mais le sujet n’est plus interdit d’ordre du jour. Peut-être parce que notre Eglise est devenue plus fragile, peut-être parce que le "petit troupeau" se fait moins d’illusions sur ses propres forces. L’expérience de la pauvreté est la meilleure porte par laquelle nous pouvons laisser Dieu venir à notre aide. Toujours est-il que nous avons aujourd’hui accepté de reconnaître l’existence de cette plaie, accepté de parler ensemble des moyens à notre portée pour la soigner.

Les bons côtés de l’Exil

L’image la plus juste, à mon sens, pour caractériser les temps que nous vivons est celle de l’Exil, image déployée par le cardinal Danneels lors d’une session des responsables diocésains des vocations en 1996. L’Exil nous a permis de commencer à mesurer notre pauvreté. Après une période de stupeur et de morosité, il nous a permis de comprendre ce qui nous arrivait. Jamais, en effet, nous n’avons disposé d’outils aussi fins, aussi précis dans l’analyse des causes de cette crise. Le meilleur texte en ce domaine demeure le Document final du Congrès de Rome sur les vocations en Europe. Une analyse remarquable, claire et pertinente de la situation, nous permettant, qui plus est, de relativiser notre situation franco-française en la comprenant dans l’ensemble plus vaste de l’Europe.

L’heure du départ

Nous avons donc découvert peu à peu que la crise des vocations n’était pas un phénomène isolé dont les uns ou les autres seraient fautifs, mais qu’il fallait la comprendre dans un ensemble : crise de la foi chrétienne, crise de la société et des institutions, crise du rapport au Père comme à l’autorité, du rapport au temps et à l’espace, crise du sens de l’universel au profit de tous les subjectivismes, crise de l’intérêt général au profit de tous les particularismes...

Bon, et après ? Les meilleures analyses ne suffisent pas à donner le début d’une solution. D’analyses pertinentes en constats précis, on peut, à loisir, retarder le moment inévitable où l’on se décide ensemble à quitter les terres désolées et désolantes de l’Exil pour partir en quête d’une terre à nouveau fertile.

Or, l’heure du départ a bien sonné. En deux occasions : la publication du rapport Dagens puis toute la réflexion qui a suivi, et les JMJ de Paris. Ces deux événements ont, à mon sens, sonné pour l’Eglise de France le temps d’une remise en route, d’un passage de nos ennuis "à pied sec", dans un état d’esprit plus positif et déculpabilisé.

Entendons-nous bien : l’image du départ, ou du passage, a ses limites. Elle ne suppose pas ici qu’il y ait un rivage à laisser derrière soi pour partir à l’aveugle vers on ne sait quelle rive tout autant hypothétique qu’idéale. Il s’agit plutôt, je pense, de nous remettre en joie, en appétit, sans laisser quiconque derrière nous sinon les mauvais esprits qui pouvaient nous paralyser jusqu’ici : la peur de croire et d’être crus. Bref, retrouver la joie du petit matin de Pâques, celle qui, faite de petits moyens, avec un petit troupeau, puise son énergie dans la certitude de la résurrection du Maître.

Peur de croire et d’être crus

Je voudrais revenir ici sur un constat qui a été développé dans toutes les analyses citées plus haut : ce que la joie et la force des JMJ avait de nouveau dans le paysage chrétien français.

Je n’oublierai jamais cette ambiance incroyable qui régnait dans le métro parisien pendant cette folle semaine. C’est, en ce qui me concerne, l’image la plus significative de ces JMJ. Pourquoi ? Parce que le métro, pour qui le pratique un peu, est un symbole fort de la vie parisienne et de la tristesse qui entoure les habitants des mégapoles modernes. Il est aussi le symbole d’une particularité bien française : l’obsession de la laïcité, qui a mis à l’écart de la vie sociale tout questionnement spirituel. Celui-ci est traditionnellement gommé, relégué au seul plan personnel, au profit de préoccupations la plupart du temps mercantiles. Le seul discours tenu dans le métro est en effet un discours commercial, au travers des milliers de panneaux publicitaires qui habillent les stations. Comme si le seul point commun de tous ces passagers anonymes était la soif d’acheter, de consommer. Rares sont les campagnes qui appellent au don de soi mais bien plutôt au don de son argent pour l’acquisition de biens supplémentaires.

L’habillage du métro recouvre ainsi les souffrances, comme les aspirations les plus profondes de tout être, du vernis faussement joyeux du culte de la consommation. C’est encore, en France, le seul culte bénéficiant d’un crédit unanime lui permettant d’être présent partout, dans tous lieux et tous les discours sans que l’on s’offusque d’une telle mainmise comme on peut le faire lors de la moindre prise de parole d’un évêque, par exemple.

La joie d’être de ses disciples...

Ce métro, donc, fut totalement "rhabillé" lors des JMJ. Invisibles, la pub, l’indifférence habituelle, les regards fatigués et absents... Les jeunes avaient proposé une autre logique, celle du sourire, de la bonne humeur, de la joie parlée, chantée, partagée... C’était, pour beaucoup d’entre eux, la première occasion qui leur était donnée d’exprimer en communauté et publiquement ce qui était l’essence de leur vie : leur attachement au Christ. Et ceci dans des lieux "neutres" où, habituellement, notre présence se veut aussi discrète et anonyme que celle des autres passagers.

Dans le contexte d’une laïcité omniprésente héritée de la Révolution, c’était... révolutionnaire. Cela a, je pense, marqué une étape dans la façon dont les jeunes générations de chrétiens, et par contagion, leurs aînés, se représentaient au sein de la société française. Jusque-là, ils se sentaient minoritaires avec le seul droit de se taire et d’être accusés de tous les ringardismes, en matière de culture et de sexualité au premier chef.

Les JMJ ont permis à ces jeunes de réaliser qu’ils étaient, bien que réellement minoritaires, loin de porter un message insignifiant et sans valeur. Ils se sont vus en communauté, en Eglise, hors de leurs églises ou de leurs aumôneries habituelles. Ils se sont découverts beaux, capables d’étonner, de faire sourire, d’attirer la sympathie et même, de faire parler. Ce qui, dans le métro, est un exploit.

En un sens, ces jeunes ont peut-être retrouvé pour nous la joie publique d’être de ses disciples, d’être à Celui dont, avant la Pentecôte, on taisait encore le nom par peur des représailles. Joie de croire et, peut-être un peu, joie d’être crus, ou au moins, crédibles.

Cela n’a rien changé en apparence. La vie a repris son cours, le métro son décor habituel et nous avons, les dimanches suivants, cherché ces jeunes dans les rangs de nos églises. Sans en retrouver la majeure partie. Retour à la case départ ? Non : il s’est opéré là un retournement dans l’image que les catholiques se font d’eux-mêmes au sein de la société française. Et, à mon sens, cette avancée est à l’image de ce que l’Eglise devrait vivre dans son ensemble dans les années qui viennent : une décontraction et une déculpabilisation.

Comme ces jeunes ont goûté avec joie le plaisir d’être de l’Eglise tout en la découvrant, nous sortirons de l’Exil en redécouvrant belle cette Eglise que nous aimons si mal.

II Découvrir l’Eglise

Ce que je voudrais exprimer simplement ici n’est ni une recette ni une solution aux manque de vocations. Je n’ai certes pas la prétention d’en avoir. Je ne veux rien dire d’autre que l’essentiel de ce que j’ai eu la chance de découvrir au long de ces neuf années : l’Eglise.

Il me semble que nous avons deux obstacles à lever : notre manque de confiance en l’Eglise et notre manque de connaissance à son sujet. Les deux obstacles se nourrissent l’un l’autre. Ils sont, à mon sens, parmi les causes profondes de la fragilité ou de l’absence de notre " descendance " ainsi que de notre crispation sur le sujet des vocations.

Retrouver la parole et la confiance

Je regarde aujourd’hui avec bonheur ce travail de "déliage des langues" que peut notamment susciter le SNV, comme un service de libération et de réconciliation. Un travail qui peut aussi bien se faire de coeur à coeur, entre accompagnant et accompagné, qu’en communauté paroissiale ou lors d’une retraite de prêtres, en conseil presbytéral...

L’un de mes plus beaux souvenirs en la matière est peut-être la Journée des vocations de 96. Autour du thème : "Le Seigneur a fait pour moi des merveilles. Proclame ce que tu as reçu", nous proposions aux chrétiens un temps d’échange sur les vocations à partir de leur vocation. Ceci pouvait aussi bien se réaliser en lieu et place de l’homélie du quatrième dimanche de Pâques, comme lors d’une rencontre organisée ponctuellement. Plusieurs paroisses nous ont écrit par la suite pour nous remercier de cette proposition. L’un des curés soulignait que c’était bien la première fois que ses paroissiens avaient l’occasion de parler ensemble de cette question. Et les surprises avaient été grandes chez certains de découvrir que l’idée de vocation n’était pas propriété privée de quelque élite dévolue à la spiritualité ou au rites religieux, comme l’étaient les Lévites de l’Ancien Testament.

Plus que jamais, je crois ce travail utile et urgent. A long terme, il nous permet de nous réconcilier les uns avec les autres, entre toutes générations qui, sans cela, ne peuvent que se renvoyer la balle et s’accuser mutuellement du mal dont nous souffrons. Retrouver la parole nous permet de nous réconcilier avec l’idée même de vocation, la nôtre et celle des autres. Cela nous permet de nous réapproprier cette réalité comme étant l’heureux fondement de notre relation au Christ, depuis notre baptême jusqu’à notre entrée dans son Royaume.

Retrouver ensemble la parole nous permet de ne plus voir les vocations comme "un problème". Les vocations ne sont pas un problème mais une chance, une grâce. Comment l’oublier ! Si le manque de vocations reste problématique, il ne nous faut pas rester les yeux tristement fixés sur un passé qui ne peut plus maintenant être une référence, au risque d’être paralysés par ce manque. Il nous faut bien plutôt nous concentrer sur tous les éléments réels donc, positifs, dont nous disposons pour sortir de l’ornière.

Retrouver la parole en nous-mêmes et entre nous n’est pas une simple technique de " management " pour motiver des troupes démobilisées. C’est un combat spirituel où nous appelons l’Esprit, le Défenseur, à notre aide. Devant la tentation du soupçon sur Dieu, sur l’Eglise - tentation du jardin d’Eden -, devant la tentation de la méfiance devant toute idée de vocation comme aliénante, devant la tentation de la division, l’Esprit est celui qui rend la Parole dont il est l’envoyé. Restaurer la parole, c’est retrouver la confiance.

Quitter l’image d’une Eglise à consommer

Quelque part, ce corps ecclésial n’est pas vraiment le nôtre. Nous le professons, mais nous n’y croyons pas totalement. Comme si nous ne l’avions pas " adopté ". Ce corps de l’Eglise nous reste extérieur et parfois concurrentiel. Combien de chrétiens convaincus parlant de " l’Eglise " ne sous-entendent par ce mot que la partie cléricale de l’édifice : " Le pape, les évêques, les prêtres... " ? Cet héritage d’une connaissance superficielle du mystère de l’Eglise induit en retour un certain consumérisme vis-à-vis d’elle. Nous la regardons comme une institution dont nous tirons certains profits spirituels et non comme un corps dont nous portons la responsabilité, simplement parce qu’il est notre corps. Un peu comme un bébé est tellement attiré par le sein nourrissant de sa mère qu’il n’en voit pas le visage. L’Eglise est une mère dont nous n’avons peut-être pas découvert la beauté, une mère dont nous n’avons pas encore pris le temps d’admirer le visage, pris par l’image fonctionnelle, institutionnelle que nous avons d’elle.

Il est vrai que, côté institution, elle fonctionne plutôt bien et ne fait pas son âge. Nos liturgies sont huilées, le caté est assuré, nos comptes sont bien gérés, la machine tourne... Et l’on compense, bon gré-mal gré, l’absence de prêtres en y suppléant d’une façon ou d’une autre. Pour l’instant. Nous savons bien le danger d’une telle vision " fonctionnariste " de l’Eglise, qui gomme notre dignité à tous d’êtres "appelés et appelants".

Peut-être nous faut-il simplement découvrir que l’Eglise est belle. Peut-être avons-nous besoin, exactement comme nos contemporains, de nous laisser séduire par elle. Pour aller dans cette direction, prenons un peu de recul.

Vivons-nous une adolescence du monde ?

Je voudrais utiliser ici une autre comparaison. Par certains côtés, l’évolution actuelle de notre planète me fait penser à une crise d’adolescence. Un peu à la manière de la fin du Moyen-Age et du début de la Renaissance. A ceci près que tous les repères religieux et pas mal de repères sociaux ont basculé pour être remplacés par... rien. Ce rien nous laissant, nous et nos contemporains, les plus jeunes au premier rang, désarmés et sans clés de compréhension du monde et de l’histoire autre que celles que nous pouvons nous bricoler, tant bien que mal, à partir de nos expérimentations.

Le monde est, en ce moment, à l’image de ces adolescents boutonneux, mal dans leur peau, partagés entre générosité et égoïsme. Adolescent, ce monde qui souvent se fuit et se fait peur dans la glace, se dévalorise ou s’encense au rythme de ses expérimentations. Adolescent, ce monde qui rejette ses "parents", et parmi eux, l’Eglise qui lui a offert une bonne part de son histoire et de son héritage culturel, de ses habitudes, de son langage et de ses traditions. Adolescent, ce monde qui prétend se débrouiller seul mais s’engouffre volontiers dans les promesses les plus folles proférées par les sectes ou les vendeurs d’un bonheur facile (et très cher).

Derrière ces boutons de jeunesse, derrière cette laideur passagère et ces comportements quelquefois hasardeux, se profile le visage magnifique d’une humanité dont nous sommes et qu’il nous faut aider à advenir.

Aurions-nous perdu la partie ?

Jusqu’au siècle des Lumières, l’Eglise catholique roulait sur ses acquis. Elle avait pris l’habitude d’être le diapason culturel et social de la société française. Avec la Révolution, la modernité, l’industrialisation, le monde civil a pris ses distances. Souvent avec violence. Avouons-le, l’Eglise n’y a pas cru, comme une mère s’attend à ce que son enfant revienne de lui-même après une courte fugue. Je suis persuadé qu’une part de chrétiens n’y "croit" toujours pas, s’attendant un jour ou l’autre à une restauration inéluctable et contrie de la société dans l’ordre confortable d’hier.

Nous avons peut-être cru aussi que le Concile allait réparer cet éloignement grandissant, scellant une réconciliation définitive avec le monde moderne, mettant fin à un terrible malentendu. Pourvu que tout le monde admette que nous avions raison... Nous savons qu’il n’en sera rien.

Le monde continue son chemin sans nous demander notre avis. Ceux qui, hors de l’Eglise s’intéressent un peu à nous ne voient, au mieux, dans le Concile, qu’une tentative bien timide "d’adapter" l’Eglise à la modernité. Tentative vaine puisque que, dans l’esprit de beaucoup, il semble que nous ayons perdu la partie face au supermarché des religions où chacun puise sans contrainte les éléments en kit d’une spiritualité à son goût.(1)

La chance de Vatican II

Dieu nous aurait-il abandonné ? Ne serait-il pas au courant de cette mise au banc de la société occidentale ? Je suis persuadé, au contraire, qu’il a voulu faire de ce Concile une œuvre pédagogique nous donnant les moyens et la force de trouver dans ce monde qui refuse toute boussole, une place de veilleurs et de témoins du beau. Du beau dont il est la source unique.

La véritable chance du Concile, sa véritable originalité fut autre que ce que nous en voyions au premier abord : quelle surprise nous fit l’Esprit Saint en nous soufflant un Concile - le premier du genre - sur... l’Eglise ! Loin des premiers et rapides enthousiasmes qui pensaient que le cœur de Vatican II était la réforme liturgique (si nécessaire était-elle), nous pouvons aujourd’hui savourer ce que Dieu nous y enseigne d’essentiel : ce qu’est l’Eglise, ce que nous sommes nous-même en elle (c’est à dire notre identité, notre vocation) et ce qu’elle fait advenir du monde.

 

Eglise, mystère de beauté

C’est un fait, le monde s’offusque lorsque nous prétendons à l’universalité de notre Parole : " Pourquoi parlez-vous encore d’universalité dans un monde où tout est particularisé, soumis à la seule décision individuelle et au libre-arbitre ? "

Puisque l’universalité est un sujet qui fâche, prenons la question par un autre bout. Le cardinal Danneels, toujours lors de la même session, entrouvrait pour nous " la dernière porte par où les jeunes peuvent découvrir le Christ. " Maintenant que la porte de la vérité n’a, à leur yeux, plus de crédit, il nous reste la porte de la beauté.

Assurément, cette porte ne concerne pas uniquement les jeunes. Dans ce monde fasciné par l’esthétisme, la beauté du Christ est sûrement une porte par laquelle beaucoup peuvent rentrer et redécouvrir la beauté fondamentale de leur existence, de leur histoire et.. d’un Père qui leur offre de vivre cette aventure passionnante. Une porte qui a toujours été, et que nous avions sans doute délaissée au profit de portes plus dogmatiques, plus faciles à défendre. Comme le rappelle le philosophe Guy Coq, l’incarnation rappelle que le visage de Dieu peut se dire dans une figure humaine. La beauté, l’art, parlent de Dieu. L’invisible peut se dire dans la beauté du visible. C’est une véritable porte.

Cette beauté de l’Eglise, nous ne la sortons pas du chapeau pour faire moderne. Elle nous précède depuis bien longtemps. Que faut-il alors entendre par l’image de cette porte ? A l’image de ces jeunes chrétiens revêtant le métro d’une présence inhabituelle, chaleureuse et bienveillante, notre Eglise peut être en ce monde un lieu beau, attirant par son identité même de lieu qui permet à chacun " de renaître d’en haut ".

C’est, je le crois, le message du dernier Concile, ce que le Seigneur voudrait nous faire percevoir en cette époque ou deux millénaires se croisent, afin que son corps puisse mieux répondre à sa mission, afin que ce corps mystérieux et beau puisse mieux accueillir et porter les blessures, " les joies et les espoirs de toute l’humanité " (Gaudium et spes).

Belle Eglise qui dit la beauté de Dieu

Au SNV, pendant toutes ces années, de rencontre en rencontre, c’est avec la beauté de l’Eglise que j’ai doucement fait connaissance.

Dans un service national, on voit de tout. Des compagnons de route fidèles, nourrissants, édifiants. Si l’on voit se qui se passe au grand jour, on découvre aussi les cuisines. Là, ce n’est pas toujours grandiose, quelquefois attristant. Mais, derrière "l’hommerie" qui pointe son nez en toute entreprise confiée à des humains, demeure l’intuition géniale du fondateur. Il faut le dire : le fondateur de l’Eglise nous a donné le meilleur de lui-même !

J’ai découvert avec émerveillement que chaque être humain était unique, comme un trésor précieux confié à l’aventure de la vie. Et que la vocation n’était pas un privilège réservé à certains pour accomplir des tâches, pour faire "tourner la boutique". J’ai découvert que l’état de vocation est une chance pour tous puisque tous, nous sommes appelés à vivre, à apprendre à aimer, à prendre ce temps donné pour devenir ce que nous sommes et qui nous échappe encore : des êtres magnifiques et éternels puisque baignés de la lumière du Ressuscité, puisqu’appelés "fils " et "filles" par notre Père des cieux.

J’ai découvert que l’Eglise est un gigantesque... service des vocations, offrant à tout être de découvrir qu’il est aimé, désiré de façon unique pour faire de sa vie une " histoire d’amour ", une histoire sainte. J’ai découvert en l’Eglise une école de croissance, une école de vocation, parce que l’état d’être appelé puis, à son tour, " appelant ", est l’originalité même de l’être chrétien, de celui qui se reconnaît sauvé par le Ressuscité.

A l’occasion des JMJ de 97, j’ai eu la chance d’être invité à mettre sur le papier cette découverte qui brûlait mon coeur. L’animation de la veillée pour les vocations devant Notre Dame de Paris, commandée au SNV par les JMJ, était l’occasion unique de faire parler l’Eglise, de lui faire dire ce qu’elle avait sur le coeur : " Vous êtes mes pierres. Ne cherchez pas à vous construire sans moi car en me consolidant par votre pierre, c’est vous-même que vous édifiez. "

Pierre après pierre, indispensables les uns aux autres

En relisant l’Oratorio pour les vocations, j’y lis tout ce que j’ai eu la chance de découvrir lors de ces quelques années. Que l’Eglise est un édifice merveilleux dont nous mettons tant de temps à saisir la beauté et la grandeur parce que nous la voyons tous les jours et de trop près, sans recul. Comme une cathédrale dont les détails sont incompréhensibles s’ils ne sont lus dans l’ensemble que forme la façade. Que nous sommes chacun, chacune, de belles pierres, des joyaux de cette Eglise et ne pouvons nous comprendre nous-mêmes qu’en nous reliant les uns aux autres. Que les pierres qui nous semblent les plus belles ne sont rien sans les pierres les plus humbles qui les supportent. Qu’il n’y a pas de vocation plus digne qu’une autre, ni de tâche moins belle qu’une autre. Que la seule vocation d’être à sa place dans cet édifice où Dieu nous espère est un cadeau immense et notre plus grande fierté.

Autant la beauté des cathédrales est indiscutable, autant devrait l’être cette cathédrale divine, ce "siège du Christ" qu’est son Eglise. Car l’Eglise, dans son identité la plus profonde, dit à chacun : " Dieu te veut, il aspire à toi, tu es précieux à ses yeux, nécessaire, même si tu n’oses plus te regarder dans la glace. La compassion de ton Père des cieux est plus forte que ton mépris pour toi. Ta vie est une histoire unique, une vocation. " Tout être humain a la dignité d’un être désiré, voulu, appelé.

Qu’il est étonnant, le corps vivant de tous ces appelés qui se reconnaissent nécessaires les uns aux autres pour grandir peu à peu dans l’apprentissage de l’amour ! Lorsque je regarde tous ceux que la foi m’a permis de rencontrer, ceux et celles auxquels ma vie s’est liée peu à peu, je m’émerveille. D’hommes et de femmes souvent radicalement différents que rien ne prédispose à la rencontre, l’Eglise fait un peuple familial. Prêtres, diacres, évêques, consacrés et mariés, chacun épaulant l’autre de ses talents, de la charge qu’il a reçue ou du charisme auquel il participe. Tous nécessaires les uns aux autres comme les pierres de Notre Dame le sont, de la plus petite et la plus cachée jusqu’aux gargouilles les plus admirables.

Voilà ce qu’aujourd’hui je sais de la beauté de ce corps qui est le nôtre. Voilà cette porte dont je devine aujourd’hui les contours magnifiques. Une porte par où nombre d’hommes et de femmes aimeraient entrer pour retrouver goût de vivre, s’ils en connaissaient l’existence.

Eglise : service des vocations du monde ?

Notre culture contemporaine est a-vocationnelle : chacun y revendique son autonomie jusqu’à perdre les plus fragiles qui, les premiers, réalisent ce que le culte de l’autonomie porte de mortifère et d’isolant. Au coeur de cette culture, nous pouvons professer notre belle originalité et travailler au développement d’une culture de la vocation.

Pas une contre-culture, car cultiver le sens de l’appel ne peut se faire que d’une façon positive, par un éveil à la beauté de notre dignité d’homme et de femmes appelés à la divinisation. De plus, nous avons, malgré et aussi à cause de nous, construit chez nos concitoyens une image négative de l’Eglise : un clocher qui ne sonne que le glas, un groupe de pression souvent critique et opposé à toute nouveauté. Pour que notre parole ait encore la moindre portée, cultivons un langage positif, simple et humble. Cela n’est pas toujours possible lorsque l’essentiel est mis en cause. Mais la culture des vocations, en empruntant cette porte de la beauté, permet de communiquer dans ce sens.

La belle originalité chrétienne

Ce qui assure la solidité de notre édifice ecclésial est qu’il ne se fonde pas sur une simple juxtaposition de désirs ou d’ambitions personnelles, mais sur des appels différenciés lancés à chacun par le Maître de la moisson et reconnus comme valides par un discernement du corps tout entier, sous la présidence des successeurs des apôtres.

Notre vie prend ici une autre dimension que celle de l’épanouissement individuel auquel le monde actuel, par défaut, nous invite. Ici naît un sens de l’intérêt général original pour notre temps. Parler de vocation chrétienne, c’est allier le service du corps auquel nous appartenons et de qui nous tenons notre croissance intérieure - le corps du Seigneur -, le service du monde et de ses détresses, et le service de notre propre épanouissement personnel. La conjonction de ces trois pôles est extraordinairement originale. Ce mode d’existence où l’individu ne se perd ni dans le service totalitaire d’une collectivité, ni dans la quête stérile de ses propres intérêts est unique. Unique et chrétien. Il mérite d’être mieux mis en valeur. Ce mode d’existence a aujourd’hui, je le crois, un pouvoir d’attraction dont nous ne mesurons pas l’ampleur.

Regardons autour de nous, écoutons bien : nous sommes les seuls à annoncer ainsi la Bonne Nouvelle de l’existence humaine. Car c’est bien là le coeur, le noyau dur, l’identité profonde des fidèles du Christ. N’ayons donc pas peur de ce qui fait notre originalité. Cultivons-la : devenons cette Eglise que Vatican II dévoile à nos yeux. Une communauté dont chaque membre sait qu’il croît et trouve sa juste place grâce à l’appel qu’il reçoit de son Seigneur et grâce à ce que ses frères et ses soeurs l’aident à en percevoir. Cette "Eglise-école de la vocation" est un véritable service d’humanisation. C’est sans doute aujourd’hui ce qui, dans la façon dont on présente la mission de l’Eglise, est le plus en adéquation avec les aspirations des hommes de ce temps.

Concrètement, cela passe par des lieux d’expériment : des paroisses vivantes, chaleureuses dans toutes leurs activités - qu’elles soient internes ou tournées vers l’extérieur -, des mouvements, des écoles de la foi, par exemple... Tous ces lieux que nous connaissons, où la beauté dont nous nous réclamons pourra être palpable.

Je vois ici deux modes et un lieu possibles où cet éveil positif peut se jouer : la gratuité, la confiance, la famille.

Eglise : service de la gratuité du monde

Lorsque beaucoup de choses tournent sous le registre de la rentabilité, nous pouvons manifester la beauté de la gratuité. Jusque dans la façon dont nous proposons les sacrements d’initiation à des gens qui viennent souvent en simples consommateurs, sans volonté de nuire mais portés par une culture dans laquelle tout s’achète ou s’obtient de droit.

Souvent, le baptême, le mariage, les obsèques sont ainsi considérés : de simples prestations de service. Qui n’a entendu des parents dire un jour : " Nous baptisons notre enfant " ? Nous avons un devoir de pédagogie pour initier à une autre logique : celle de la réponse à l’appel du Tout-Autre. Parce que la gratuité que nous défendons et dont nous nous nourrissons, n’est pas de même nature que la gratuité de l’école publique ou des restos du coeur, aussi nécessaire soit-elle.

Découvrir son existence comme une vocation commence bien à ces moments-là, dans ces étapes clés de la vie où la question d’une transcendance "appelante" peut faire irruption dans un horizon jusqu’alors bien souvent horizontal dont nous serions les seuls moteurs.

La liturgie est bien ce lieu gratuit par excellence où le Seigneur nous donne des signes visibles de la beauté de ce corps auquel nous participons. Le lieu où il nous donne de nous voir les uns les autres comme acteurs complémentaires de la croissance de ce corps. Lorsqu’on regarde les tranches d’âge représentées lors de nos célébrations, il y a tout lieu de s’inquiéter. La façon dont nous donnons accès au rite fondateur de notre Eglise pose un vrai problème : la qualité et la quantité des chants, le langage employé, la gestuelle, la place du silence... autant d’éléments dont la gestion actuelle ne permet visiblement plus aux 30-50 ans, encore moins aux 15-30 ans, d’accéder au mystère de la foi.

Si cela n’était pas vrai, pourquoi les plus vulnérables d’entre eux iraient apaiser cette soif de mystère et de chaleur communautaire dans d’autres rites, d’autres lieux, quelquefois mortifères ?

Nous abordons ici un autre problème, mais il me semble que, par nature, les services de vocations et les services de la liturgie gagneraient à travailler ensemble sur le fond de l’expression liturgique au vu de l’évolution de la culture contemporaine. Pas seulement pour l’animation de la messe du quatrième dimanche de Pâques. Cela parce que l’animation des liturgies représente beaucoup, beaucoup plus que le simple choix de chants ou la rédaction d’intentions de "P.U.". Le service de la liturgie est l’axe essentiel qui permet au corps du Seigneur de se reconnaître comme tel : un vrai peuple voulu, choisi par Dieu. Sans la lisibilité des signes liturgiques, le corps perd son identité et les moyens de la percevoir.

Eglise : service de la confiance

Beaucoup de relations humaines sont régies par la défiance. Défiance entre générations, entre vieux et jeunes, entre adultes et enfants, défiance au sein des couples, dans le monde du travail... Si nous retrouvons confiance en nous-mêmes, en la beauté de notre vocation et de notre Eglise, nous pouvons, à notre tour, rendre au monde ce témoignage de la confiance retrouvée.

Je crois à la beauté de la confiance. J’y crois pour rencontrer, lors de mes spectacles en milieu scolaire, tant de jeunes blessés par des paroles non tenues, par des confiances trahies qui éclatent de l’intérieur leur conception du monde, de l’avenir, d’eux-mêmes. Nous sommes un petit troupeau mais la confiance que nous recevons de l’Esprit, du Défenseur, est un havre de paix et de lumière extraordinaire dont nous n’avons peut-être pas toujours conscience. Or, les ravages du Diviseur et de la défiance qu’il instaure entre les êtres sont un appel à partager du mieux que nous pouvons ce trésor à ceux qui, aujourd’hui, en sont assoiffés.

La famille au coeur de toute culture vocationnelle

Ce sera mon dernier point. Beaucoup d’images employées dans cet article, je viens de le réaliser, sont issues de la vie familiale. Ce n’est pas un hasard. J’ai découvert tout cela conjointement à l’apprentissage de mon métier d’époux d’Agnès et de père. La famille est une merveilleuse école... ecclésiale.

J’ai découvert la parenté entre l’exercice de la paternité et de la maternité et l’exercice du ministère pastoral. Il y a bien de cela dans l’accompagnement de la croissance des enfants, dans le devoir d’aider chacun à se trouver et à trouver Dieu. A s’estimer et à estimer son Père des cieux. La paternité du père de famille et celle du Père-prêtre sont parentes car issues de la même paternité de Dieu. Je crois profondément qu’elles en participent même si les communautés dont nous avons charge n’ont pas les mêmes tailles. Je pense qu’il y a, dans les familles, de quoi nourrir la spiritualité du prêtre diocésain. De même que l’amitié avec des prêtres m’a beaucoup apporté dans mon "ministère" parental. Complémentarité toujours.

Un autre exemple : la parenté entre la vie religieuse apostolique et la vie de famille. En me liant d’amitié avec des religieux et des religieuses, j’ai découvert combien la pratique des voeux était proche des exigences de la vie de couple. Oui, il y a une certaine obéissance, une certaine pauvreté qui est inscrite dans le mariage chrétien lorsqu’on consent à ne plus être seul maître de son quotidien et de son compte en banque, lorsqu’on consent à subordonner ses choix à ceux d’un époux, d’une épouse. Oui, il y a une chasteté qui se construit jour après jour entre époux pour que les élans passionnés des débuts croissent en une durable et belle tendresse, faite de respect et d’attachement. La vie consacrée, d’une façon générale, et la vie religieuse apostolique en particulier sont, je le crois, nourrissantes pour les époux, tant sont fortes les tentations de "phagocyter" l’autre, de le dominer ou d’établir sur lui son pouvoir. Que de pères et de mères castrateurs auraient sans doute pu ne pas le devenir en se nourrissant de relations plus étroites avec la vie religieuse ! Complémentarité encore...

Au-delà de ces deux exemples, je suis persuadé que les familles sont au croisement des différentes vocations dont l’Eglise est porteuse. Avec un peu de sensibilisation à cette beauté de l’Eglise, avec une initiation simple à l’ecclésiologie dans laquelle le concile nous introduit, de nombreux parents pourraient redécouvrir avec bonheur leur vocation et comment ils servent celle des autres. Et devenir ainsi des acteurs centraux de cette culture de la vocation.

Initier à une théologie de la vocation

Comprendre les tâches à remplir au regard des vocations.

Je défends ici un accès large et simple à une véritable théologie de la vocation. Ce que j’ai découvert en servant les SDV m’aide aujourd’hui à me comprendre et à comprendre l’Eglise. Cela m’aide à vivre. Cela pourrait bénéficier à beaucoup d’autres. Par quel moyen ? La vie paroissiale peut permettre cela lorsqu’elle exalte la complémentarité des membres du corps, lorsqu’elle aide chacun, ministres ordonnés comme laïcs, à y trouver une place à sa mesure.

La liturgie, notamment les homélies, sont un lieu d’exégèse privilégié pour aider chacun à réaliser cette beauté de l’Eglise qu’il expérimente au sein de la communauté, à la lumière de la Parole de Dieu.

Certains pourront s’étonner de cette vision idyllique quand, dans de nombreuses communautés paroissiales, un mauvais équilibre dans la répartition des tâches engendre une conception concurrentielle des vocations : les laïcs semblent occuper toute la place au détriment des ministres ordonnés ou l’inverse. Des situations conflictuelles qui naissent souvent de la peur des uns ou des autres de perdre le pouvoir sur telle ou telle tâche.

La réalité de ces souffrances montre bien la nécessité d’une formation de tous à cette compréhension de ce qu’est l’Eglise. Elle permettrait notamment de situer à des plans différents ce qui est de l’ordre de la tâche à accomplir et ce qui est de l’ordre de l’identité profonde d’une vocation reçue en Eglise : qui m’envoie ? pour quelle durée ? qui suis-je appelé à servir ? qui m’accompagne dans ma mission ?

Aider le peuple chrétien à clarifier cela, responsabiliser chacun dans son propre charisme, son propre état de vie par les tâches qui lui sont confiées est, je crois, une œuvre urgente et salutaire pour que, chacun trouvant sa place en véritable complémentarité des autres, l’Eglise manifeste sa beauté au monde.

La place des petits

Je parle des adultes. Je n’oublie pas les petits. Personne ne nait chrétien, personne ne naît habité de cette conscience d’être appelé. Ce travail d’éveil à l’appel de Dieu doit se renouveler à chaque génération. Il n’est jamais un fait acquis.

Nous savons maintenant que l’essentiel de la structuration d’un individu s’acquiert dans les cinq ou six premières années de sa vie. C’est aussi à cette période-là que l’initiation à la vie ecclésiale, à la beauté du monde et de l’Eglise prend racine. Si les efforts de la pastorale des vocations envers les adolescents et les jeunes me semblent légitimes, il ne faut pas oublier les tous-petits et l’âge de l’éveil à la foi. C’est là que se joue, très discrètement et l’air de rien, l’avenir de l’Eglise et des vocations à moyen terme, c’est à dire, pour parler concrètement, les entrées au séminaire, dans les noviciats et les demandes de mariages chrétiens dans deux petites décennies.

Investissons-nous assez sur l’accompagnement de parents de tous-petits ? Eux aussi ont besoin de soutien. Eux aussi ont besoin de découvrir que leur travail est celui des fondations d’une culture vocationnelle qu’ils pratiquent déjà sans en avoir le vocabulaire. Les parents, les éducateurs savent bien que le goût d’être appelé, la saveur de répondre, tout cela se développe et s’éduque dans les premières années, mais beaucoup ne savent pas enclore clairement que tout cela est l’essence même de l’Eglise dont ils sont acteurs.

Oui, les laïcs ont une place à tenir en pastorale des vocations. Une place et pas un strapontin, car, parents chrétiens, ils ont une vraie vocation, une charge pastorale d’élévation de leurs enfants. Parce que familiers de l’accueil de l’autre, de l’enfant, ils peuvent aussi aider les uns et les autres à accueillir, à estimer toute vocation comme un don unique de Dieu fait à son Eglise.

Les vocations : une pastorale pour tous

L’une de mes premières découvertes au SNV était que les SDV étaient des services de substitution : normalement ils ne devraient pas exister, si chacun remplissait sa mission. Cette réalité demeure. Plus qu’un travail de promotion de telle ou telle vocation, le travail des années à venir sera, à mon avis, une œuvre de réconciliation de chacun avec sa vocation et avec celle des autres. Parce que tous, laïcs, ministres ordonnés, religieux… nous avons faim de nous savoir estimés, reconnus et confirmés par les autres dans notre vocation.

Ce travail n’est pas un travail de spécialistes. Il est celui de frères et de sœurs qui, tôt ou tard, découvrent qu’ils sont, par choix de Dieu, au service les uns des autres. Pour, apprendre ensemble à manifester la beauté de l’Eglise.