L’Eglise et les célibataires de 35-45 ans


Père Patrice VIVARES
du diocèse de Paris, aumônier du MCC

Nous n’avons pas toujours rendu service à certains membres de l’Eglise en les qualifiant trop longtemps de jeunes. Autrefois, on appelait ainsi les garçons et filles de 18 à 25 ans ; bien vite, dans les paroisses, l’échelle s’est agrandie aux 18-30 ans. Est né alors le phénomène des "jeunes professionnels", dont a beaucoup bénéficié le Mouvement des Cadres Chrétiens (MCC) : de nombreux célibataires ont été ainsi amenés à s’inscrire dans ce mouvement ou d’autres, en bénéficiant d’une étiquette gratifiante qui les distinguait des autres.

Vieux jeunes ou jeunes vieux

Les "jeunes professionnels" concernent, a-t-on dit, la population de ceux qui ont moins de 35 ans. Pour ceux qui se sont mariés il était évident qu’ils entraient dans un autre groupe ; les jeunes couples ne sont plus tout à fait des jeunes. Mais, pour les célibataires qui atteignaient la barre fatidique des 35 ans, il était difficile de rentrer dans le rang, de ne plus s’appeler jeunes. Cette génération de célibataires peut vivre sous le registre d’une nostalgie : alors qu’ils ont souvent d’importantes responsabilités professionnelles, ils restent marqués dans l’Eglise d’une étiquette de jeunes attardés qui n’ont pas réussi à prendre une décision.

Certains s’investissent fortement dans le travail : ils ont des responsabilités gratifiantes, exercent avec bonheur leur activité professionnelle et consacrent l’essentiel de leur énergie à cette dimension de leur vie. Comme ils ont du temps et de l’argent ils voyagent beaucoup, participent à des expéditions aventureuses, pratiquent le sport ou participent à un club : le travail de sublimation s’opère bien chez eux. Trop pris pour s’occuper régulièrement et activement d’une association, ils ont volontiers le portefeuille généreux pour partager de leur argent à des causes humanitaires. On peut aussi remarquer l’essor des chorales, religieuses ou non ; seules des personnes célibataires peuvent consacrer régulièrement une soirée par semaine à un tel engagement.

D’autres, au contraire, ne progressent pas dans leur entreprise, ont une situation professionnelle précaire, certains plafonnent dans leur carrière professionnelle, découvrent l’ennui au travail après des débuts prometteurs. La vie de ces célibataires devient souvent un véritable marasme : ils dissimulent mal leur inquiétude, leur mal-être, leur désir et leur impossibilité de trouver l’âme sœur. Ils cachent difficilement le fait qu’ils sont écœurés, c’est à dire littéralement qu’ils n’ont plus le cœur à chercher la rencontre, plus de courage.

Les hommes semblent mieux assumer le célibat, s’investissent plus facilement dans le travail mais se révèlent moins mûrs affectivement : vis à vis des femmes ils hésitent à se montrer trop entreprenant, et se révèlent de piètres conquérants. Le moment venu ils n’osent s’engager définitivement et interrompent des relations déjà bien engagées parfois jusque dans la vie commune.

Les femmes sont plus anxieuses, souvent meurtries de ces échecs. Certaines se sont investies dans le travail entre 25 et 35 ans, et réalisent brusquement qu’elles doivent se dépêcher de se marier si elles veulent avoir un enfant : le désir de maternité reste fortement inscrit, même chez les " célibattantes " qui affichent beaucoup de dynamisme.

Lorsque vient la fin de la trentaine, le moment où se révèle la menace de ne plus pouvoir avoir d’enfant, une sorte d’angoisse se saisit de ces personnes. Elles s’adressent souvent à des agences matrimoniales, et sont généralement bien déçues des hommes qu’elles rencontrent. Beaucoup tentent de rejoindre un éventuel partenaire par des petites annonces sur minitel ou internet. Sur ce point, le film d’Eric Rohmer, Conte d’automne, est assez suggestif, bien qu’il ne concerne pas directement des célibataires. Certains passent des heures entières sur internet en participant à des clubs de rencontre sur les sujets les plus divers

Parfois, la rencontre aboutit, mais le fait de s’être rencontrés ainsi laisse quelques complexes. Lorsque je prépare un couple au mariage, je demande souvent aux deux partenaires comment s’est effectué leur rencontre. Quand c’est le cas, il leur est difficile d’avouer que c’est par le canal du minitel, mais le fait de le dire est libérant : il n’y a pas de sotte rencontre.

Un certain désenchantement par rapport à l’Eglise

Aujourd’hui se greffe de plus en plus dans ces existences la difficulté à surmonter un échec affectif antérieur voire un échec dans une expérience de vocation religieuse. Lorsque l’on a eu trop jeune une expérience affective, une relation sexuelle en dehors du mariage, l’échec de cette rencontre fait prématurément de ces personnes des êtres blasés qui n’osent plus envisager de nouvelles aventures.

Les personnes ne parlent pas facilement de ces échecs, et auraient besoin d’un dialogue avec un accompagnateur pour les aider à surmonter la culpabilité, à tourner la page. Je constate aussi que ceux qui ont effectué une expérience d’un an ou deux dans un séminaire ou un noviciat ont parfois du mal à s’en remettre, ils se recroquevillent dans leur échec : les responsables de noviciat ont-ils toujours le souci d’accompagner ceux qui quittent leur congrégation, en se posant parfois la question de les orienter vers une autre communauté correspondant mieux à la vocation de ces jeunes ?

Ces célibataires de 35-45 ans expérimentent un certain désenchantement par rapport à l’Eglise. Au MCC, beaucoup se sont fortement investi lors des premières années et ralentissent leur engagement lorsque s’expérimente une certaine usure de cet investissement. Avec l’âge on devient plus égocentrique, on se préoccupe plus d’un certain confort personnel et l’on déserte les pèlerinages, les week-ends spirituels d’antan. Dans dix ans la génération JMJ risque d’être blasée spirituellement si son espérance n’est pas réactivée par de nouvelles expériences fortes.

Le défi pour l’Eglise est de ne pas enfermer les célibataires de 35-45 ans entre eux, mais de susciter des espaces de rencontre entre les personnes mariées et les célibataires. Les groupes de vieux célibataires qui existent dans certaines paroisses parisiennes sont tristes à mourir, même s’ils sont pudiquement qualifiés de "jeunes adultes ".

Aux yeux de beaucoup, l’Eglise valorise exclusivement l’engagement du mariage ou de la consécration religieuse et néglige les célibataires. Un curé de paroisse est souvent plus accueillant à l’égard d’un jeune couple qui se présente comme nouvel arrivant qu’à l’égard d’une personne célibataire.

Assumer sans regret ni nostalgie son célibat

Des mouvements comme le MCC ou l’ACI peuvent représenter de tels espaces de rencontre. Au MCC, l’image de marque a été radicalement transformée ces dernières années ; voici quelque temps il s’agissait essentiellement d’un mouvement de foyers, où les célibataires étaient l’exception. Aujourd’hui la proportion a basculé. A Paris, le mouvement comprend plus de célibataires que de personnes mariées. Mais au sein de ces groupes il s’agit de relancer la question de l’avenir.

En fait, il y a un cap à franchir : celui où l’on assume sans regret ni nostalgie le célibat. A un certain moment, des célibataires tournent résolument la page de leur jeunesse, envisagent sereinement l’avenir, sans pour autant définitivement se consacrer dans le célibat ; parfois c’est à ce moment-là que mystérieusement se présente le compagnon attendu : pour se marier il est important d’être bien dans sa peau !

Parfois ces personnes assument une sorte de paternité ou de maternité en étant parrain, marraine, oncle ou tante : il est important, lorsque soi-même on n’a pas d’enfant, de rejoindre les enfants qui sont pour nous, adultes, les indicateurs du Royaume. D’autres peuvent également trouver un nouveau dynamisme dans des engagements syndicaux, associatifs forts, qui leur donne d’exprimer la fécondité de leur vie au service des autres.

En Eglise nous avons à relever le défi de l’espérance : à tant de personnes découragées, inquiètes, souffrant de la solitude, il s’agit de manifester le Royaume offert à tous.