Comment servir la vocation des 35-45 ans ?


Père Jean Meynier
Supérieur du séminaire d’aînés de Vienne

Seul rescapé des " séminaires de vocations tardives " d’autrefois, le séminaire d’aînés de Vienne semble, à première vue, en situation de compétence en ce domaine de la vocation des 35-45 ans. Pour éviter tout malentendu, quelques remarques préliminaires s’imposent afin que le lecteur situe bien l’origine de la réponse tentée dans cet article par l’équipe responsable de ce séminaîre d’Aînés.

Première remarque à noter : cette institution n’est pas encore un séminaire, mais plutôt une propédeutique un peu particulière. Sa mission est de proposer à de jeunes adultes qui ont fait des études générales limitées, une année de mise à niveau intellectuel qui est aussi temps de vie communautaire et de discernement en vue du séminiare. Les 35-45 ans y sont l’exception, même s’il s’en trouve un ou deux chaque année. En fait, les séminaires voient entrer en premier cycle un nombre plus important d’adulte de ces âges.

Une deuxième remarque est essentielle. Notre niveau d’expérience est mince. Sur ce terrain, le " supérieur " que je suis, a six mois de présence : le lecteur prendra les points d’attention évoqués ici seulement pour des points d’attention, sans aucune autorité ou exhaustivité. Dieu veuille qu’ils servent à la réflexion !

" Il est urgent d’attendre "

" Au moins, à cet âge-là, c’est une vocation sérieuse. " Cette réflexion s’entend fréquemment quand on parle de la vocation d’un plus de 30 ans. Ce peut être vrai, bien sûr ! Pourtant, paradoxalement, des décisions d’orientation de vie prises par des adultes de ces âges peuvent être aussi hâtives, aussi prématurées que celles de plus jeunes ; notamment lorsqu’elles font suite à un événement brusque, à une conversion ou une découverte plus ou moins fulgurante. L’évidence du moment entraîne autant d’impatience à tout âge. C’est précisément dans ces cas-là qu’il est urgent de ne pas se hâter, de prendre le temps de la maturation et d’un premier discernement.

De plus, l’âge du demandeur peut donner lieu à une tentation supplémentaire avec l’impression qu’il n’y a pas de temps à perdre et que " gagner un an " est essentiel. Et si la première démarche arrive dans l’été, à l’approche de la rentrée, on n’a plus le temps suffisant d’aborder calmement les questions essentielles, ni de solliciter les témoignages qui s’imposeraient.

C’est alors que, responsable des vocations ou de la formation aux ministères, on peut avoir l’illusion que le séminaire, "dont c’est le métier", verra mieux que nous. Illusion ! Le séminaire ne verra pas ce qui était sur le terrain et que des témoignages de proches ou un temps de cheminement sans bousculade, pouvaient mettre en lumière naturellement. Au contraire, le séminaire, qui représente un autre environnement, finalement plus artificiel, aurait bénéficié des points mis en lumière dans un pré-discernement tranquille.

Un temps d’attente n’est donc pas du temps perdu ; à condition, c’est évident, de ne pas être un temps passif. Accompagnement spirituel, rencontres personnelles en SDV, groupe de recherche, propositions ou initiatives d’insertion ecclésiale nouvelle... autant de possibilités de maturation et de terrains de discernement. Parfois, on craint d’introduire un adulte dans un groupe de plus jeunes : on a souvent tort de se priver de la richesse d’un accompagnement de groupe ; si les situations sont différentes, la recherche est la même.

L’occasion d’une relecture de vie

A toute occasion, aujourd’hui, chacun se voit réclamer un curriculum vitae ; c’est devenu si banal qu’on dit couramment un "CV" . Une véritable relecture de vie a une autre portée pour celui qui s’astreint à l’écrire, de façon aussi brève que précise, à la lumière des appels de l’amour de Dieu sur son existence.

Celle-ci peut remonter aux plus lointains souvenirs, en identifiant bien les périodes, les "séquences" de vie, datées aussi précisement que possible, en notant, chemin faisant, les événements, les personnes, les réussites et les échecs, les diffficultés et les points de lumière, en remontant aux premiers appels, très convergents ou peut-être tout autres, jusqu’à la question présente.

Rares sont ceux qui avaient déjà eu l’occasion de réhabiter leur vie de cette manière : ils se découvriront ou se redécouvriront aimés, guidés, portés par le Seigneur. Et, avec eux, nous serons aussi amenés à découvrir les progressions, les convergences, les points de fragilité et les zones laissées dans l’ombre. Avec eux, nous mettrons en lumière des points d’attention inscrits dans une trame personnelle et non plus seulement dans une liste impersonnelle de points de repère théoriques.

Quelques points d’attention

Dans cette liste de points de repère pour une entrée dans la formation du séminaire, on sait l’importance de l’histoire de la santé, de l’équilibre, de l’enracinement humain, de l’affectivité, de la manière d’assumer le célibat. Il y a encore la sociabilité, la capacité de durer, la manière d’assumer les conflits, le rapport à l’argent. Dans les motivations, la place de l’amour personnel du Christ, de l’amour du monde des hommes, du souci de la mission de l’Eglise.

La Ratio publiée par les évêques de France sous le titre " La formation des futurs prêtres " consacre à ces " vocations d’adultes " quelques lignes, p 57-58, et notamment celles-ci : " Il est indispensable d’aider ces hommes souvent animés d’une grande générosité à se désapproprier de leur projet personnel pour que, se laissant configurer au Christ, ils entrent progressivement dans une véritable attitude de pasteur. "

Pour les S.D.V., en amont du temps de formation, il s’agit de préparer cette désappropriation, mais surtout de s’assurer qu’elle sera possible. Un homme de 40 ans, déjà façonné, voire buriné par la vie, n’a plus tout à fait la souplesse d’un jeune. Est-il en mesure de "bouger" ? Dans ses habitudes, dans le réseau de ses relations, dans ses certitudes, ses sensibilités sociales, ecclésiales ...

Certes, la vie au séminaire, la vie communautaire en particulier, donnera l’occasion de vérifier cette capacité sur beaucoup de points ; mais le temps pris en SDV pour un discernement, avec les ouvertures offertes, les thèmes abordés en groupe avec des frères ou des sœurs d’autres générations, d’autres sensibilités, et aussi un premier lien plus large avec l’Eglise diocésaine, tout cela représentera autant de chances de lucidité.

Dans nos Eglises diocésaines, la pénurie de prêtres s’accentue et devient plus évidente pour tous. Mais quoi qu’il en soit de l’abondance ou de la pénurie, servir et accompagner toutes les vocations est une tâche primordiale des communautés chrétiennes.

Les vocations d’adultes à l’âge de la maturité représentent, pour les personnes et les communautés, un enjeu de discernement plus délicat. Mais le Seigneur, qui appelle chacun à sa mesure à prendre sa place de membre de son Corps, nous dit sans cesse " N’ayez pas peur ! " ou " Que votre cœur ne se trouble pas ! Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures. " Jean 14, 2.