Comment, au-delà de 35 ans, intégrer une vie communautaire ou une vie au séminaire


une équipe de Responsables de Formation
de l’Internoviciat de Chevilly-Larue

L’intégration d’un adulte autour de 35-45 ans ne se réalise pas de la même façon que pour un jeune de 25-30 ans. C’est non seulement normal mais heureux car il faut souhaiter que cette personne ait pu, au cours de ces années de jeunesse et de maturité, mettre en œuvre ses capacités, exercer des responsabilités, prendre sa place dans la vie de la société et de l’Eglise, élargir son champ relationnel, voyager etc... Il faudra prendre en compte l’épaisseur de cette expérience humaine

Ce qui fait la richesse d’une personne ayant 35-45 ans peut aussi avoir son revers : une certaine forme d’indépendance, un attachement trop fort à la reconnaissance sociale des seules compétences professionnelles, des critères exclusifs d’efficacité sur le modèle des entreprises, des habitudes de vie figées, des exigences de confort liés à la santé. Tout ceci fera dire, peut-être un peu trop vite et sans nuance, que ces 35-45 ans ne sont pas assez " souples " pour s’intégrer à une vie commune en séminaire ou dans un institut de vie consacrée.

L’expérience de responsables de formation dans divers instituts et séminaires est précieuse en ce domaine et c’est à eux que nous avons demandé de faire part de leurs découvertes et réflexions devant ce dont ils ont été témoins.

Des étapes semblables pour tous

Ces responsables de formation sont unanimes pour constater que la formation au noviciat (quelle que soit la forme que prenne cette première formation) ou dans un séminaire est un itinéraire, un chemin, dont les étapes sont sensiblement les mêmes pour tous et toutes : chemin de conversion, d’attachement au Christ, de détachement ou de déplacement des priorités et des jugements de valeur, de remise en cause de soi-même, de changement de repères, d’ouverture à l’autre, d’entrée dans un nouveau rapport au collectif et à l’autorité, aux projets personnels et à la gestion du temps... Les exigences de la formation sont les mêmes pour tous et toutes, quel que soit l’âge du candidat. Il s’agit toujours d’un temps d’épreuve, au sens biblique du mot " épreuve " : comme l’or est éprouvé au feu.

Les chances et les risques ou dangers d’une telle formation seront donc les mêmes quel que soit l’âge. Cependant la maturité et l’âge du candidat peuvent rendre ces risques plus aigus.

Celui ou celle qui a eu de grandes responsabilités dans son métier et s’y est beaucoup investi(e) (" célibatant " ou " célibatante ") peut, devant le caractère très dépouillé et dépouillant d’une formation dans un noviciat, un séminaire ou ailleurs, donner des signes d’infantilisation ou de régression plus marqués parce que l’écart entre sa vie passée et présente est trop grand, parce que la perte d’identité et de repères est trop forte. Ce qui se produit habituellement chez un jeune en formation et constitue une étape normale du processus d’intégration dans une nouvelle vie, revêt chez un adulte de 35-45 ans un caractère plus préoccupant et surprenant.

Celui ou celle qui travaille depuis des années dans un petit boulot qui ne lui a pas donné l’occasion de se prendre en charge ou qui a vécu dans une forme de dépendance, aura du mal à oser prendre une part active dans sa formation. Il (elle) est prêt (prête) à tout ce qu’on lui dira mais pas prêt à prendre des initiatives.

L’expérience montre qu’il faut résister à la tentation de raccourcir le temps de la formation pour ces adultes car ils ont, au contraire, besoin de davantage de temps pour franchir les étapes de la formation, faire l’apprentissage des vœux et pour s’intégrer au groupe qu’ils rejoignent.

La vie communautaire dans le cadre de la formation

Quand un homme ou une femme, entre 35-45 ans, se trouve en formation avec de plus jeunes, il (ou elle) peut prendre sa place de manière tout à fait heureuse. Il faudrait cependant être attentif à plusieurs choses :

N’est-il pas tenté parfois de jouer le rôle de père ou de mère ? C’est un rôle gratifiant qui peut rejoindre chez le plus jeune un besoin de compenser l’éloignement de la famille. C’est parfois plus facile pour un jeune de se confier à un autre novice ou séminariste plus âgé mais " du même bord ". L’aîné(e) devra donc être très attentif(ve) à renvoyer au responsable de formation. Sa position n’est pas facile entre les " petits jeunes " qui sont ses collègues et les responsables de formation qui sont de sa génération. La fraternité à vivre avec les uns et les autres peut mettre du temps à se trouver et osciller pendant un certain temps entre camaraderie et paternalisme ou maternage.

Inversement, est-ce que les jeunes ne vont pas trop facilement lui faire jouer le rôle de " papy " ou de " mamie " ? En cas de conflits, les jeunes ne vont-ils pas attendre de leur aîné qu’il joue le rôle d’ " ancien " dont la sagesse voudrait qu’il se retire et cède ou encore qu’il (ou elle) se fasse leur arbitre ? En soi, il n’y a là rien d’alarmant. Mais si une telle répartition des rôles s’installe durablement, nous pouvons craindre pour le candidat plus âgé qu’il considère cette position comme normale et reproduise, dans la suite de son parcours, ce type de relations au lieu de faire l’apprentissage de relations fraternelles entre adultes.

L’expérience professionnelle d’un adulte est un acquis incontestable. Elle manque quelquefois du côté des plus jeunes. Quand cette différence est acceptée de part et d’autre, il y a un réel enrichissement. Mais il n’est pas rare que l’aîné soit un peu " sur sa faim " dans les échanges avec les plus jeunes ; d’autres membres de la communauté pourront se révéler être des partenaires plus appropriés.

La communauté qui accompagne le candidat ou l’équipe de formateurs ont un rôle important. Tout en veillant à ce que chacun reste bien dans sa fonction, des partages ou débats formels ou informels sur des terrains où les compétences sont, en quelque sorte, inversées, peuvent se révéler tout à fait nourrissants de part et d’autre. La reconnaissance et l’estime mutuelle pourront croître et ceci d’autant plus qu’on veillera à ce que tous (ou toutes) aient quelque compétence ou expérience à transmettre.

Devant les compétences ou l’expérience humaine d’un candidat plus âgé, les plus jeunes ne vont-ils pas être déstabilisés, se comparer ? En réalité, l’âge comme les différences d’expériences peuvent être un facteur heureux de différenciation qui révèle à chacun son identité et sa richesse personnelle.

Qu’elles aient vingt-cinq ou quarante ans, les personnes qui se trouvent réunies pour leur formation sont toutes à la même étape de découverte et d’apprentissage d’un nouvel état de vie. C’est, finalement, le facteur le plus fort de rapprochement et d’accueil mutuel au-delà des clivages de générations. La capacité à communiquer et à communier en profondeur avec d’autres générations fait d’ailleurs partie des découvertes et expériences heureuses du noviciat ou du séminaire car elle est relativement rare dans la vie ordinaire, familiale ou professionnelle.

Le discernement de la vocation

La pyramide des âges dans un bon nombre de nos instituts comme dans le clergé diocésain ne doit pas fonctionner comme une pression, ni dans un sens (admettre pour faire nombre), ni dans un autre (ne pas admettre pour ne pas aggraver le poids du vieillissement).

En Afrique, le nombre des candidats au sacerdoce et à la vie religieuse est tel que certains instituts se sont donnés des critères d’admission très " extérieurs " : le Bac, ou l’équivalent, et moins de vingt-cinq ans ! En France, certains instituts se sont donnés une limite supérieure pour l’âge de l’admission. Dans l’un ou l’autre cas, il faut souhaiter que ces critères, s’ils restent indicatifs, ne soient pas des impératifs incontournables et que le discernement se fasse sur les critères plus " intérieurs " de l’appel.

Dans tous les cas, les motivations pour la vie communautaire peuvent être difficiles à décrypter. Il faudra, comme toujours, vérifier qu’il y a une réelle capacité à vivre la solitude et qu’elle a été effectivement et heureusement vécue dans le passé. La personne peut être, parfois à son insu, poussée à rejoindre un groupe quand l’âge vient rendre la solitude plus pesante et l’avenir moins assuré. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? La question est moins présente quand il y a eu, dans le parcours de cette personne, un événement qui fait rupture (par exemple conversion, recommencement à croire, décès d’un proche, rupture affective ou tout autre événement marquant) à partir duquel a pu se greffer le désir d’une nouvelle orientation de vie ou se réveiller un appel ancien. Mais la question reste très présente pour le responsable de formation comme pour celui ou celle qui sollicite son admission et elle colore de manière importante le travail de discernement de part et d’autre.

Certes, la période de l’adolescence se prolonge et l’âge des décisions de choix de vie et de l’entrée dans la vie professionnelle recule ; cependant l’absence de décisions durables peut révéler des difficultés psychologiques qui ne faisaient pas obstacle à une vie de célibataire équilibrée par un travail professionnel mais qui ne seraient pas compatibles avec une vie communautaire.

L’âge d’un candidat à une vie consacrée ou au sacerdoce peut entraver un discernement dans la mesure où un " échec " chez une personne de 35-45 ans n’aura pas les mêmes conséquences que pour un jeune qui aura probablement davantage de possibilités pour " repartir " dans la vie. D’où l’importance accrue dans ces situations de s’assurer, avant l’admission en formation, des possibilités de retrouver son poste ou, du moins, un travail et la nécessité d’une période d’essai (en étant très clair sur ce mot " essai ").

La pratique du stage prolongé en communauté avant d’entreprendre une formation se révèle, en effet, très profitable, à la fois pour la personne qui peut mieux réaliser ce que comportera sa nouvelle vie, et pour l’institut qui peut vérifier l’aptitude du candidat à s’adapter au rythme et à la vie communautaire.

Avant l’admission en formation, il y a tout intérêt aussi à mettre en place, dans le cadre du SDV, par exemple, un accompagnement personnel qui prendra le temps de poser ou de vérifier les soubassements nécessaires : relecture de vie, apprentissage de la prière dans une vie ordinaire, ouverture à la vie ecclésiale, engagement social ou caritatif, capacité de rendre compte des mouvements intérieurs, connaissances suffisantes des fondements de la foi...

Quand la personne a vécu une conversion brutale, elle en vient assez vite à désirer répondre au don de Dieu par la vie consacrée ou le sacerdoce. Il appartient aux responsables de formation et aux supérieurs de ne pas " profiter " d’un enthousiasme trop récent, de protéger les personnes contre un idéal trop grand ou mal ajusté au réel, un idéal qui ne construirait pas la personnalité mais l’écraserait. Le désir de suivre le Christ est en général très vif et il doit être encouragé, accompagné, nourri, honoré, mais doit-il, pour cette personne-ci, s’incarner dans une vie consacrée ou un ministère ordonné ? C’est toute la question à laquelle un discernement sérieux et durable devra répondre.

Le passé affectif et sexuel de la personne ne peut pas ne pas être pris en compte, comme toute réalité qui concerne son histoire. Plus riche d’une histoire déjà fournie, l’aîné n’aura pas nécessairement, du fait de son âge, plus facilement accès à la parole. Toutes ces années vécues avant son entrée en formation sont une richesse si elles peuvent être visitées ou revisitées, guéries, pacifiées, soupesées et reconnues dans leur épaisseur, accueillies et re-situées dans un itinéraire de vie... Le candidat doit accepter, non de gommer son passé, mais de s’en servir comme terreau et de le laisser se déployer sous un jour nouveau. Pour un converti, la tentation sera grande de mettre de côté sa vie antérieure.

De fait, le cheminement d’un jeune n’est pas tout à fait le même que celui d’un adulte :

Un jeune s’appuie sur son passé mais il a habituellement plus de facilités à se projeter dans l’avenir ; un adulte de 35-45 ans a déjà toute une histoire à relire et à intégrer ; il y revient davantage pour se préparer à l’avenir. Le dialogue ou l’accompagnement avec le ou la responsable de formation sera coloré par cette réalité.

La difficulté à faire confiance devant ce qui est nouveau, inconnu, et à lâcher-prise augmente avec les années. C’est vrai pour les gens qui entrent tard en ménage, c’est vrai aussi de l’entrée dans un institut ou un séminaire.

A 35-45 ans, il n’est pas plus facile qu’à vingt-cinq de faire face au décalage entre ce à quoi on aspire et ce que l’on est en vérité...

Une personne très solide dans son milieu professionnel peut être fragilisée dans sa vie affective, psychologique etc...

Quelques situations particulières

Si cet aîné, en entrant dans la vie religieuse ou le sacerdoce, cherche une réponse à l’appel qu’il a entendu dans son jeune âge et qu’il n’a pas " grandi " dans l’Eglise, sa vision de la vie religieuse ou du sacerdoce peut être teintée par cette époque et se trouver en décalage par rapport à la réalité d’aujourd’hui : être prêtre en 99 n’est plus être prêtre dans les années 70 et la vie religieuse a aussi beaucoup évolué.

Si cet aîné a déjà passé quelques années dans une autre congrégation ou dans un autre diocèse, il faudra tenir compte aussi de cette réalité et de cette expérience. Tout dépend finalement de la manière dont les étapes ont été vécues : comme une errance qui engendre la culpabilité ("Je n’ai pas répondu plus tôt ", " Je n’ai pas su me fixer ") ou comme les étapes d’un long parcours nécessaire pour lui ou elle.

Certaines situations peuvent rendre plus prégnantes les difficultés liées à l’âge, par exemple si le responsable de formation est sensiblement plus jeune que le candidat ou si le novice a déjà été ordonné prêtre avant son entrée dans l’institut. Ces situations ne constituent pourtant pas en elles-mêmes des empêchements radicaux à une intégration heureuse.

L’âge civil et l’âge religieux (lenombre d’années de vie dans l’institut) sont deux réalités qui se répercutent sur les relations et jouent de manière très différentes en France et dans d’autres pays, comme les pays d’Afrique par exemple.

 

Le grand respect dont sont entourés les aînés et l’autorité conférée d’emblée à qui vous précède dans un institut sont deux valeurs fortes en Afrique. Ces deux valeurs ont aussi leurs ambiguïtés et peuvent se trouver en concurrence : une professe temporaire de vingt-cinq ans peut, par exemple, être investie d’une autorité excessive par une novice qui pourrait presque être sa mère et céder à la tentation d’exercer cette autorité. Cette situation va maintenir la novice dans un statut de mineure - malgré son âge - et ne permet pas à la professe temporaire de s’exercer à des relations véritablement fraternelles.

Dans les sociétés occidentales, c’est en quelque sorte l’inverse qui se produit : la jeunesse est une véritable valeur, un atout considérable et enviable ; les " vieux " ne sont pas convaincus de leur rôle de transmission et de la richesse que leur confèrent les années, ils demandent plutôt aux jeunes de leur pardonner leur âge !

Encore et toujours du temps…

Finalement, plus le candidat est âgé, plus il faut lui laisser du temps. Son intégration sera plus lente que celle des plus jeunes. Le rôle du responsable de formation sera de moduler ces rythmes, avec souplesse, réalisme, bon sens, sans jamais oublier que l’âge avancé ne dispense pas des étapes et des " âges " de l’intégration dans une vie consacrée et dans un presbyterium ; sans non plus le mettre dans des structures qui évoqueront les années " collège " ancienne version ! Ceci oblige les formateurs à faire sans cesse la distinction entre ce qui est vraiment nécessaire à la formation et ce qui est accessoire et peut souffrir des accommodements avec bénéfices.

L’institution qui accueille doit faire preuve d’une réelle souplesse pour voir ce qui, dans son projet de formation, peut être aménagé, au service de la croissance humaine et spirituelle de chacun, du groupe, dans le respect des diversités. Paradoxalement, moins il y a de candidats dans une même formation, plus il y aura de particularités à honorer.

Quand nous accueillons en formation un " 35-45 ans " nous ne devons pas oublier que, s’il est compétent en son domaine, il a tout à apprendre, comme tout un chacun, de cette nouvelle vie à laquelle il est appelé. Il peut avoir comme les plus jeunes des lacunes importantes dans plusieurs domaines. Il ne sait pas tout, il ne connaît pas tout, même s’il a pas mal vécu !

Pour autant, on ne pourra pas traiter ces aînés comme " les petits derniers " ; il faudra réfléchir en particulier à la place qu’ils auront au sortir de leur formation. Il est fort possible qu’ils se voient confier assez vite des responsabilités. Là encore, il ne faudrait pas court-circuiter les étapes de l’intégration au corps d’un institut ou d’un diocèse. L’exercice d’une responsabilité pourra être associé à un accompagnement, une formation et un soutien proportionnés à la " jeunesse " du statut de consacré ou de prêtre.