Dans le diocèse d’Arras, l’interpellation d’aînés


Le diocèse d’Arras a choisi d’interpeller des personnes à partir de cinquante ans pour le ministère presbytéral. En septembre dernier, avant de quitter son siège épiscopal, Mgr Derouet a voulu nous partager cette expérience.

Mgr Henri DEROUET
ancien évêque d’Arras
René DELEFLIE
Vicaire épiscopal chargé du ministère presbytéral

En ouvrant un premier cycle de Grand Séminaire au diocèse d’Arras, dans les années 1987, nous avions la volonté de relancer largement l’appel au ministère presbytéral. De fait, l’appel a été entendu et des jeunes adultes se sont présentés : l’un instituteur, l’autre barman, un ouvrier d’usine qui atteignait largement la cinquantaine... Fut-il dépaysé au milieu des plus jeunes ? Pas le moins du monde. Les plus jeunes l’aidaient à assimiler les cours. Il témoignait au milieu d’eux du sérieux avec lequel il fallait envisager la préparation au ministère, investir dans l’approfondissement de la foi et l’investissement spirituel. " Si vous ne priez pas maintenant et plus tard, vous vous casserez la figure ! "

Le prêtre : un " sage "

La présence d’hommes mûrs au milieu des candidats au sacerdoce rappelle au peuple chrétien que le prêtre a vocation d’être un homme d’âge, un homme qui pèse par son jugement, un " sage ".

Nourris de cette conviction, nous avons, au diocèse d’Arras, lancé l’appel en direction d’aînés. Certains se sont présentés ; d’autres s’inscrivent. Nous ne regrettons pas l’expérience.

Sans préjuger de l’avenir car l’expérience est encore récente, sans prétendre qu’elle doit être prise en exemple dans les autres diocèses car nous n’ignorons pas que des essais se font ailleurs, autrement, sur d’autres bases, cette expérience, nous vous la livrons.

Elle est limitée. Nous avons présenté, ces dernières années, au sacerdoce trois candidats de 52, 66, 69 ans. Ils sont maintenant responsables pastoraux.

Se préparent actuellement deux candidats : l’un de 55, l’autre de 60 ans. Que faisaient-ils ? Employé des Allocations familiales, assureur, commerçant de quartier, patron de salons de coiffure, cultivateur. Deux sont célibataires, les autres veufs.

Les circonstances de l’appel de tels candidats

Sur fond de crise

Faut-il dire que si les grands séminaires " fournissaient " les contingents de jeunes prêtres pour le besoin du diocèse, la question ne se poserait pas. La pénurie a fait poser des gestes nouveaux. On a vu d’abord des laïcs disponibles se donner en différentes tâches ecclésiales pour rendre service au prêtre surchargé, témoigner aux yeux de ce prêtre d’une discrétion, d’un sens apostolique, d’un sens de l’Eglise qui l’étonnaient lui-même.

Tout naturellement, par la suite, le prêtre se disait : " Si je l’avais comme vicaire, il ne ferait pas mieux, mais au moins, il serait prêtre ".

Des candidats qui s’ignorent

Ils ont la cinquantaine, l’un d’eux a bientôt soixante-cinq ans, ils ont été mariés, maintenant veufs. Plus d’enfants à charge, la volonté de se rendre utiles. Retraités, disposant de pensions...

Croyants aussi, membres de mouvements, encore marqués de l’engagement qu’ils avaient avec leur épouse. La vie spirituelle a de l’importance pour eux. On les voit à des récollections ouvertes aux laïcs, à la messe de semaine...

En cela, rien de commun avec les jeunes candidats au grand séminaire. Ces derniers se sentent appelés, ils viennent frapper à la porte du séminaire, ont été suivis par des prêtres, des S.D.V., des évêques, que sais-je ? Tout en se sentant appelés, ils n’ont pas tous une vie ecclésiale. Leur foi est parfois marquée au coin de l’individualisme, de l’idéalisme et de la générosité.

Pour les aînés, une interpellation est nécessaire

Un jour , un prêtre qui les connaît bien leur dit : " Antoine. Prêtre, pourquoi pas ? " - ou - " Pourquoi n’irais-tu pas plus loin maintenant ? Tu n’as jamais pensé à te mettre plus au service de l’Eglise ? "

C’est souvent un coup de foudre dans un ciel serein. Ils n’y ont pas pensé. Les habitudes de l’Eglise, ce que l’on dit sur la formation au ministère presbytéral, les souvenirs, leur vie passée étaient autant d’obstacles pour les empêcher d’envisager un avenir de ce genre, d’autant plus qu’ils pensent, comme beaucoup, avoir leur avenir derrière eux, qu’ils ne manquent pas de réalisme ni d’humilité.

Le discernement doit précéder l’appel, et le premier appel doit être presque définitif...

Il existe, nous le savons bien, un discernement avant l’entrée au séminaire des jeunes candidats ; certaines institutions, comme l’année propédeutique, les sessions propédeutique, différentes sessions de S.D.V. dans l’année qui précède, ont pour but d’éviter une expérience onéreuse et douloureuse de sortie du séminaire.

C’est dire l’importance de mieux faire encore le discernement de nos candidats aînés.

Ils ont des qualités et des défauts, des tournures d’esprit, des courbures pastorales. Il faut savoir qu’on ne change plus à soixante comme à trente ans. Celui qui fut " manager " dans toute sa vie professionnelle n’acquerra qu’au prix de gros efforts d’écoute le goût et les résultats d’un accompagnement humble et patient.

Ce sont des hommes mûrs que l’Eglise appelle. Elle saura regarder dans la vie passée les critères qui permettront le conseil, l’aide, le souci de communion, le sens des sacrements, qu’elle demande à ses prêtres. Dans sa sagesse, elle sait qu’elle ne peut demander toutes les qualités à tout le monde.

On doit passer du temps, s’entourer de toutes les garanties pour ce discernement car une fois l’appel fait, il est difficile de revenir en arrière. On est condamné à ne pas se tromper. Qui peut dire cela sans gêne, s’il a un peu conscience du mystère personnel de chaque homme, s’il a un peu de connaissance de la réalité ?

Une fois appelés, comment les former ?

Tenir compte de leur expérience

On ne peut faire fi de leurs années de vie active. On en tient compte dans les formations d’adultes, pourquoi pas ici ? Ils ont une expérience du travail, de la vie sociale, de la vie civique. Ils ont vécu une responsabilité familiale, de parents. Ils ont aussi une vie intérieure, nourrie des expériences et des engagements qu’ils ont pris.

Une équipe d’accompagnement sur place doit pouvoir suivre leur évolution, leur formation, leurs questions tout au long des trois ans de leur formation. Trois ans pendant lesquels on aura le souci de les garder dans leur milieu de travail apostolique.

La formation

Formation intellectuelle : nous leur avons fait suivre la formation donnée dans le diocèse à tous les permanents de première année. Ils y ont rencontré des éléments d’une Eglise de demain, en même temps que les séminaristes de première année. Une journée par semaine où l’on a pour but de donner une vue d’ensemble du mystère chrétien. C’était aussi pour nous un test sur leur capacité d’adaptation à des plus jeunes et leur capacité à faire des études.

Puis, par journée, au séminaire de Lille, les cours d’Ancien et de Nouveau Testament, l’ecclésiologie... Quelques sessions sur la patrologie et la morale. Et, deux heures pas semaine, lecture des grands textes du Concile, explication du rituel et des sacrements, spiritualité.

Formation spirituelle : une retraite annuelle solide, un accompagnateur connu, une équipe de révision de vie fouillée avec un prêtre d’expérience, la présence comme animateurs dans l’équipe des animateurs au pèlerinage diocésain de Lourdes, une initiation à la Liturgie des Heures qu’ils avaient découverte à la première année de leur formation.

Formation pastorale : dès leur année diaconale, ils ont été mis en responsabilité dans un presbytère sous le regard d’un prêtre modérateur qui les conseillait et à qui ils rendaient compte de leur activité.

Formation diocésaine et au presbyterium : ils ont participé - en prenant bien leur place - aux rencontres trimestrielles des séminaristes auxquels se joignent les jeunes prêtres ordonnés dans les trois dernières années. Ils y participent avec beaucoup de confiance et il y a beaucoup d’amitié entre les jeunes et les moins jeunes. Nous avons été heureux et surpris de les voir inscrits à telle ou telle retraite des prêtres organisée par le diocèse.

Leur accueil dans le diocèse

Par les séminaristes : ils les ont accueillis volontiers et se sont intéressés à leur parcours et à leurs motivations. Les jeunes sont heureux que l’appel touche des gens de tous âges.

Par les chrétiens proches : les amis et collaborateurs ont été heureux de voir reconnu le mérite de l’un des leurs. Bien souvent, ils y avaient pensé auparavant mais plus pour le diaconat parce qu’ils n’osaient pas penser qu’un accès au presbytérat fut possible.

Par les autres prêtres : largement compréhensifs et ouverts dans leur ensemble, beaucoup avaient admiré deux veufs ordonnés prêtres ayant exercé un ministère de qualité sur le littoral boulonnais.

Leurs paroissiens d’aujourd’hui les trouvent zélés, inventifs pour des gens de leur âge. Leur expérience est mise à profit : on les consulte souvent.

D’aucuns trouvent qu’ils ont tendance à reproduire le ministère presbytéral des prêtres d’il y a vingt ou trente ans. S’ils ne préparent pas plus que d’autres l’Eglise de demain, ils servent à assurer la soudure entre notre époque et la suivante. Ils donnent un sérieux coup de main. Certains, forts de leur expérience professionnelle, ne laisseront pas d’être inventifs.

Une expérience globalement positive

Nous avons gagné quelques prêtres de plus, zélés, heureux, surtout, et qui " donnent satisfaction ". Expérience tellement positive que nous avons ouvert la possibilité à deux autres qui vont bientôt les suivre dans le presbytérat. La formation est sensiblement voisine. Nous avons souhaité toutefois une formation plus élaborée et plus complète sans rallonger sensiblement le temps de formation.

L’un a partagé presque intégralement la formation des permanents de pastorale du C.I.P.A.C. à Lille ; l’autre, en suivant des cours du Séminaire, participait aussi à la formation diaconale qu’il avait commencée et dont il aimait l’ambiance et la méthode de travail.

Le Conseil Episcopal a élaboré pour des candidats de cet âge des " orientations diocésaines " dans lesquelles il précise, après des considérations sur les critères et la formation, le rôle de l’équipe diocésaine responsable de la formation au ministère presbytéral, celui de l’équipe d’accompagnement et les relations entre ces deux équipes.

Le séminaire interdiocésain de Lille, tout en étant le partenaire de cette formation, puisqu’il reçoit souvent en externes, pour les cours, quelques-uns de ces candidats, est interpellé pour donner son avis, mais nous n’avons pas voulu le mettre en difficulté vis-à-vis de la Ratio des séminaires qui a d’autres exigences. C’est donc une équipe diocésaine qui se sent responsable de ces candidats.

Cette équipe d’accompagnement joue un rôle important dans notre façon de faire. Le candidat qui avait participé, pour une part, au choix des personnes de cette équipe, se trouvait en confiance. Il s’ouvrait des questions qu’il rencontrait, de ses joies et de ses difficultés. Quant à l’équipe, elle l’interrogeait aussi, l’amenait à préciser comment il voyait son ministère. Cette équipe joue un rôle important, comme signe de la communauté qui appelle, dans la célébration de l’ordination.

Des " Aînés ", devenir Prêtres ?

Nous avons voulu, dans les orientations diocésaines d’Arras, nous en tenir aux candidats proches de la retraite, c’est-à-dire vers les soixante ans.

Si nous avions des candidats plus jeunes, dans la quarantaine, nous ne procéderions sans doute pas de même. Nous agirions autrement s’il s’agissait de célibataires ou de veufs. Nous ne ferions pas non plus de même si nous nous trouvions devant des candidats qui se présenteraient personnellement.

S’ils se présentaient d’eux-mêmes comme candidats ?

Nous enverrions au séminaire pour la session propédeutique en vue d’un premier discernement. Nous proposerions un parcours classique : un premier cycle qui leur permettrait de tester leurs aptitudes à la vie de la communauté. La vie commune permet, dans le cycle du discernement et d’observation, de remarquer des traits de la personnalité, la capacité (réduite) à évoluer, la patience, l’esprit fraternel, le sens pastoral. On pourra, plus tard dans le second cycle, examiner s’il peut être ordonné une année ou deux avant le temps habituel.

Célibataires

En ce qui concerne les célibataires, on peut toujours se poser la question : " Pourquoi viens-tu si tard ? " Il y a à chercher du côté de l’affectivité, de l’attachement aux parents, d’une tendance latente. Ne pas laisser de blancs dans l’anamnèse du passé.

Célibataires, ils peuvent être endurcis. Veiller particulièrement à leur attitude dans les lieux d’insertion : ne sont-ils pas raides, durs, misogynes, impatients avec les enfants, animateurs plutôt que pasteurs ?...

Veufs

Distinguer ceux qui ont des enfants et ceux qui n’en ont pas.

A la quarantaine, la plupart des hommes mariés ont à charge des enfants jeunes encore, ou étudiants, on non encore mariés. Bien voir la situation de chacun. Ecouter la famille.

Pour des gens qui ont été mariés et qui sont encore jeunes, se donner un temps de réflexion et de discernement suffisant.

S’assurer que le deuil est bien assumé depuis le décès de l’épouse. Que le souvenir de l’épouse soit bien intégré à l’évolution du candidat, qu’il en parle en liberté. Il serait anormal que cette femme soit totalement oubliée après avoir pris une place importante dans sa vie.

Veiller aussi à ce que le candidat n’abandonne pas ses devoirs naturels de paternité pour une " vocation qui répondrait à un désir d’évasion ". C’est alors qu’il ne faudrait rien précipiter.

Le cas différent de candidats interpellés ...

Les autres sont ceux que le comportement, la voix publique, la communauté locale (n’est-ce pas ce que nous pourrions souhaiter plutôt ? ) désigneraient comme candidats possibles.

Ce sont ceux que nous appellerions... Encore vaudrait-il mieux utiliser le terme " interpeller ", réservant le terme " appeler " pour la célébration de l’appel des candidats.

Que les communautés fassent signe…

Une expérience limitée, disions-nous, qui n’a qu’un avenir limité. Nous aurons tôt fait d’explorer les possibles !

Un appel au ministère presbytéral à rapprocher de l’appel au diaconat qui amènerait peut être à harmoniser la formation des uns et des autres.

Une plus grande place faite aux communautés dans le discernement et l’appel.

Une formation qui s’adapte à la Ratio des séminaires, en en respectant l’esprit.

L’avenir du ministère presbytéral n’est probablement pas dans le recrutement des veufs disponibles, il est plutôt dans la prise de conscience des communautés locales que des ministres ordonnés existent déjà dans leur sein, qu’elles sont responsables aussi de leur appel, de leur soutien et de leur formation...

Et si des hommes n’attendaient qu’un signe de ces communautés ?