Faut-il appeler des hommes d’âge mûr au ministère presbytéral ?


Mgr Emile MARCUS
Archevêque de Toulouse

En répondant par l’affirmative à cette question, j’entends me démarquer totalement d’une opinion exprimée à plusieurs reprises ces dernières années, y compris par des voix autorisées, selon laquelle, sauf rares exceptions, il faudrait aujourd’hui renoncer à appeler des hommes jeunes au ministère presbytéral (j’entends par hommes jeunes ceux qui manifestent leur disponibilité pour entrer au séminaire autour de l’âge de vingt ans). Les partisans de cette position la justifient par deux arguments.

Le premier, c’est que le retard à la maturité, notamment en ce qui concerne l’engagement durable - a fortiori s’il s’agit de l’engagement pour toute la vie - doit décourager de laisser des jeunes prendre un tel risque. Le second tient aux difficultés du ministère sacerdotal à notre époque : elles seraient si grandes que seuls des hommes d’âge mûr seraient capables de les affronter sans courir le risque de s’effondrer. S’en tenir là reviendrait à désespérer des jeunes de notre temps et peut-être bien aussi de la grâce de Dieu. L’extrême prudence, oui ! Le doute systématique sur la vocation de prêtre comme folie d’un jeune qui aime son Seigneur au point de vouloir lui donner toute sa vie, et de le faire sans tarder, non !

Je ne vois pas non plus l’Eglise s’engager dans la pratique de l’appel d’hommes d’âge mûr au ministère presbytéral dans l’unique but de pallier l’insuffisance des vocations d’hommes plus jeunes. Ce serait entrer dans une sorte de stratégie vocationnelle du genre : puisque les jeunes n’en veulent plus, ayons recours aux moins jeunes. C’est ainsi que, parfois, l’on a entendu aborder la question de l’ordination d’hommes mariés : puisque les hommes décidés au célibat font défaut, prenons des hommes mariés. Le même genre de propos a été tenu au sujet de l’ordination des femmes, par certains de ceux qui la croyaient envisageable : puisque les hommes se dérobent, demandons aux femmes ! Voilà qui ne respecte ni les femmes, ni les hommes mariés… ni les hommes "d’âge mûr".

Appeler des hommes d’âge mûr au presbytérat est parfaitement possible tout simplement parce qu’il n’y a aucune raison de ne pas le faire ! Il suffit pour s’en persuader de se poser la question que voici : " Quel âge pouvaient donc bien avoir ces hommes dont Jésus a fait ses apôtres ? "

En d’autres époques de l’histoire de l’Eglise, les hommes qui sont devenus prêtres alors qu’ils étaient dans ce créneau d’âge pris en considération ici, furent évidemment très nombreux, et bien d’autres ont pris ce même chemin étant beaucoup plus âgés. Les origines latine et grecque du mot "prêtre" (vieux, respectable, vénérable) autorisent toutes les audaces ! Le tout, évidemment, est que l’âge auquel on peut prévoir l’ordination et la condition physique des ces candidats "d’âge mûr" laissent augurer d’une durée raisonnable d’exercice du ministère.

Le pape Jean Paul II d’ailleurs, dans l’exhortation apostolique par laquelle il a conclu le Synode des évêques de 1990 sur " La formation des prêtres dans les circonstances actuelles " , n’a pas omis d’aborder la question des vocations d’hommes d’âge mûr. Le texte, qui est bref, dit plusieurs choses qu’il importe de bien remarquer.

" Comme cela s’est toujours produit au cours de l’histoire de l’Eglise, on observe actuellement, avec une nouveauté et une fréquence réconfortantes, le phénomène de vocation sacerdotale naissant à l’âge adulte, après une plus ou moins longue expérience de vie laïque et d’engagement professionnel.

Il n’est pas toujours possible, ni même opportun bien souvent, d’inviter ces adultes à suivre l’itinéraire éducatif du grand séminaire. On doit plutôt, après un soigneux discernement de l’authenticité de ces vocations, présenter quelque forme spécifique d’accompagnement et de formation, de manière à assurer, moyennant les adaptations voulues, l’indispensable formation spirituelle et intellectuelle.

Un bon dosage de relations avec les autres candidats au sacerdoce et de périodes de présence dans la communauté du grand séminaire pourra garantir la pleine insertion de ces vocations dans l’unique presbytérium et leur communion intime et cordiale avec lui " (Pastores dabo vobis n° 64).

Prenant appui sur ce texte, la Ratio institutionis des évêques de France pour la formation des futurs prêtres (1998), sous le titre " Les vocations d’adultes ", donne les précisions que voici.

" Il s’agit ici d’hommes ayant entendu l’appel au ministère après une durée notable de vie laïque et d’engagement professionnel. Parfois, restant sauve la responsabilité de l’évêque et du supérieur, il peut être opportun qu’ils ne suivent pas intégralement l’itinéraire habituel des séminaristes.

"On doit plutôt, après un soigneux discernement de l’authenticité de ces vocations, présenter quelque forme spécifique d’accompagnement et de formation, de manière à assurer, moyennant les adaptations voulues, l’indispensable formation spirituelle et intellectuelle." (Pastores dabo vobis, n° 64).

Il est indispensable d’aider ces hommes souvent animés d’une grande générosité à se désapproprier de leur projet personnel pour que, se laissant configurer au Christ, ils entrent progressivement dans une véritable attitude de pasteur. On prévoira des relations avec les autres candidats ainsi que des périodes de présence dans l’institution de formation, de manière à préparer leur pleine insertion dans le presbytérium et leur communion cordiale avec lui. " (p. 57 ss)

Je ne pense pas qu’il se trouve aujourd’hui beaucoup d’évêques portés à se priver de la possibilité ainsi offerte. Cependant l’idonéïté de ces hommes d’âge mûr, leur formation et le discernement préliminaire à leur appel pose quelques questions particulières auxquelles il importe d’être attentif.

L’expérience dans ce domaine n’est pas négligeable. Que peut-on en déduire ? Les quelques indications qui suivent résultent de conversations avec un certain nombre de ces hommes d’âge mûr, présentement en cours de formation ou déjà ordonnés, avec aussi quelques-uns des formateurs qui les encadrent. Elles s’appuient également sur une expérience ancienne de formation des prêtres, dans plusieurs séminaires.

Il faut certainement considérer que les exigences fondamentales de la formation telles que les présentent les Ratios publiées en 1998 valent aussi pour des hommes d’âge mûr. Par contre, des adaptations importantes sont tout à fait envisageables quant aux moyens d’acquérir les compétences visées, en fonction de l’âge de ceux qui répondraient ainsi à l’appel, de leurs capacités et de leurs dispositions. Il est d’ailleurs recommandé par l’autorité ecclésiale de les prévoir.

Au sujet de la décision d’entrer en formation… et de poursuivre, passée une première période significative

Tous les formateurs en conviennent, on ne devra prendre la décision de débuter une première étape de la formation proprement dite que si l’on a des raisons très sérieuses de la tenter ; et le bilan de la première année devra être tout à fait probant pour que le candidat soit invité à poursuivre.

La vérification devra porter plus particulièrement en raison de ses activités antérieures, sur la capacité du candidat d’acquérir un comportement de pasteur. Plus un adulte a exercé des responsabilités de décideur ou des fonctions d’influence, particulièrement du genre "militant", plus il importe de s’assurer qu’il sera capable de transiter vers des attitudes d’écoute délicate et très respectueuse du travail de l’Esprit dans les personnes. Ce point est important parce qu’un certain type de comportement directif et d’influence dépourvu d’ambiguïté de la part d’un laïc chrétien peut en comporter chez un prêtre en raison du seul titre auquel il exerce l’autorité : le service des fidèles pour leur croissance dans la foi, l’espérance et la charité.

Un ingénieur qui, par deux fois, a créé une entreprise et qui a aussi fondé une importante structure de formation professionnelle d’adultes, aujourd’hui dans un séminaire, m’a confié ceci : " La principale difficulté avec moi a été de faire de l’homme d’action que j’étais, et que je suis encore, un homme d’écoute. "

Cette "conversion" du comportement concerne plus que les activités pastorales mais la manière de se situer par rapport à l’acquisition des connaissances et à la croissance dans la vie spirituelle.

Au sujet du cadre de la formation

Ici se pose notamment la question de la vie en communauté de séminaire.

Les documents cités plus haut ouvrent largement la possibilité de n’exiger que des "périodes de présence dans l’institution de formation".

Il semble que, parmi ces candidats "d’âge mûr" que nous connaissons aujourd’hui, y compris ceux qui sont ordonnés, un très petit nombre seulement n’ait pas du tout fréquenté le séminaire. La plupart ont été pris en charge par un séminaire dont le supérieur et son équipe ont procédé à des aménagements adaptés à chaque cas, notamment en ce qui concerne le lieu de vie et les modalités de certaines séquences de la formation intellectuelle. Ont été assurés par le séminaire, presque toujours, le suivi général de la formation, la direction spirituelle, des éléments importants de la formation intellectuelle, d’autres ayant pu être acquis antérieurement ou l’étant sous d’autres formes (cours particuliers par exemple).

Les formateurs consultés estiment que des périodes de vie en communauté restent bien précieuses pour des raisons d’ordre pratique, mais aussi du point de vue de la formation humaine (l’apprentissage d’un type particulier de service mutuel), et pour garantir, comme dit Pastores Dabo Vobis n° 64, " la pleine insertion dans l’unique presbytérium ".

D’ailleurs, contrairement à ce que l’on pourrait penser, des adultes de tous âges se sont accommodés sans trop de mal, durant ces dernières années, d’une formation en séminaire. Ce sont surtout des hommes ayant fait préalablement des études importantes qui se trouvaient motivés en ce sens parce qu’ils estimaient devoir acquérir des compétences proportionnées à leur culture profane (médecins, pharmaciens, enseignants par exemple), et même quelques autres (employés de banque, agriculteur), pour qui l’épreuve est tout de même plus rude. Quelques-uns cependant n’auraient pas tenu dans un régime comportant d’importantes périodes de sédentarité (un chauffeur routier par exemple).

Au sujet des études

La question que l’on peut se poser est celle du niveau de formation intellectuelle désirable de la part de candidats n’ayant pas déjà un certain bagage ou que leur culture ne prédispose pas à satisfaire à tout ce que réclame la Ratio studiorum.

Pour savoir quel programme il convient de mettre au point, et avec quelle méthode il conviendrait de travailler, s’impose une sorte de bilan des capacités intellectuelles et des acquis du candidat. Celui-ci nécessite une grande attention : de réelles capacités d’acquérir le savoir nécessaire peuvent se cacher derrière une certaine répugnance à ce que comporte un travail de type scolaire. Mais on évitera de conclure qu’il en est ainsi sans l’avoir vérifié et trouvé les voies pédagogiques qui conviennent.

L’expérience de plusieurs formateurs est ici plutôt encourageante. Avec les méthodes et les instruments de travail dont on dispose aujourd’hui, notamment dans le cadre de la formation permanente des personnes qui tiennent des responsabilités dans l’Eglise, des diacres et des prêtres eux-mêmes, on obtient de bons résultats. En témoignent les formateurs d’un garagiste, d’un boulanger et d’un charcutier (curieusement, un certain nombre de ces candidats plus âgés au presbytérat ont exercé des professions alimentaires).

Au sujet de l’acquisition des aptitudes à l’apostolat

La formation a pour objectif de " former des hommes apostoliques, pasteurs de leur peuple " dit la Ratio institutionis sacerdotalis (p. 47). Parmi les aptitudes requises, sont mentionnées " l’habileté pratique ", " l’ouverture ", comme aussi, de manière équivalente, le dynamisme et la capacité à jouer de ses limites, la capacité de collaborer avec des gens fort divers et de s’adapter à des paysages humains avec lesquels on n’est pas spontanément accordé, etc.

Ce que l’on entend dire le plus souvent à ce sujet est contrasté, mais globalement positif. Au chapitre des difficultés, on mentionne qu’étant généralement moins souples que les jeunes - au physique et au mental - les hommes d’âge mûr auront du mal à se plier à certaines exigences du ministère, comme la disponibilité à une population chrétienne (et autre), ou l’adaptabilité face à des attentes évolutives ou quand il faut changer de poste.

Au chapitre des avantages de l’âge plus avancé, on retient - à juste titre sans aucun doute - que l’expérience humaine acquise (familiale, professionnelle, civique) peut donner un plus à la prédication et à l’accompagnement des personnes, des familles, des équipes de vie.

De toute façon, la venue au presbytérat d’hommes d’âge mûr, tout autant que celle des jeunes, obéit à la double condition de la volonté de Dieu qui appelle et de l’engagement persévérant de l’Eglise à convaincre de la nécessité de ce ministère et à ne pas cacher les joies qu’il procure. L’injonction est toujours la même, celle de prier le maître de la moisson pour qu’il envoie des ouvriers à sa moisson.