Initier une culture de l’appel


Jean-Paul RUSSEIL
prêtre du diocèse de Poitiers

SITUER QUELQUES ENJEUX

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais introduire trois préalables : un présupposé, une distinction et un constat.

1 - Un présupposé

" Initier une culture de l’appel " fait partie du champ pastoral. C’est pourquoi je présuppose connus quatre éléments :

Le premier élément : vivre une théologie de la vocation qui soit enracinée dans l’Ecriture. Nous avons souvent tendance, par exemple, à utiliser le texte de l’appel de Samuel, texte qui ne permet pas de rendre compte de la théologie de l’appel présente dans le premier Testament. Nous sommes toujours tentés d’interpréter l’Ecriture à partir de nos présupposés actuels. C’est pourquoi, me semble-t-il, un travail préliminaire d’étude scripturaire me paraît nécessaire. On le sait, l’Ecriture est " l’âme de la théologie ".

Deuxième élément : il nous faut être éclairés par l’histoire et par la Tradition, de telle sorte que nous nous rendions compte que nous n’avons pas toujours vécu avec le modèle sur lequel nous sommes depuis trois siècles. La période des Pères n’est pas la période médiévale, la période médiévale n’est pas l’époque moderne. J’ai tendance à croire que nous sommes aujourd’hui, dans notre contexte, à un tournant. J’esquisserai cela en introduisant plus loin un constat.

Troisième élément : cette théologie de la vocation à un ministère doit être cohérente avec la liturgie d’ordination. Toute la Tradition nous apprend, et le rituel encore aujourd’hui, que c’est l’Eglise qui demande que untel soit ordonné ; en fait, nous pensons souvent que la personne demande, alors que la liturgie atteste du fait que c’est l’Eglise qui demande avec le consentement responsable de la personne. Je prends cet exemple pour la liturgie, mais il me paraît significatif et lourd de conséquences quant à la manière d’engager une " culture de l’appel ".

Quatrième élément : il me paraît nécessaire que cette " culture de l’appel " soit fécondée par l’ecclésiologie développée au concile Vatican II : il nous faut partir d’une vision organique de l’Eglise, au titre même de la mission reçue. Je suis frappé des questions, voire des freins de la part de parents et de familles chrétiennes, lorsqu’un jeune se pose de sérieuses questions.

Pour beaucoup, ce n’est plus envisagé, ni envisageable. Dès lors, il y a une requalification de l’Eglise à opérer, sans doute auprès des jeunes, mais plus encore, parfois, auprès de la génération des parents.

2 - Trois distinctions

Je voudrais faire maintenant une distinction entre vocation à un ministère et vocation à la vie consacrée. Ce qui est commun, bien sûr, c’est qu’il s’agit toujours d’un appel de Dieu qui engage une liberté humaine, qui s’enracine toujours dans la vocation baptismale et qui est donné pour le bien du Corps ecclésial. Cependant, concernant une " culture de l’appel ", je voudrais aborder trois distinctions qui me paraissent significatives.

La première : la vocation à un ministère appartient à la structure de l’Eglise. Cette structure ministérielle (ou hiérarchique), de l’Eglise engage du même coup un rapport à l’évêque, aux prêtres, aux diacres. La vocation à la vie consacrée n’appartient pas à la structure de l’Eglise, elle s’organise dans l’Eglise. Je cite Lumen Gentium n° 44 : " La vocation à la vie religieuse ou à la vie consacrée, si elle ne concerne pas la structure hiérarchique de l’Eglise, appartient cependant inséparablement à sa vie et à sa sainteté ". Voilà une distinction assez éclairante.

La deuxième distinction manifeste que l’Eglise est sujet de l’appel quand il s’agit de la vocation à un ministère. J’y ai fait référence tout à l’heure à propos de la liturgie d’ordination :
" L’Eglise demande que vous ordonniez untel... "
Question de l’évêque : " Savez-vous s’il a les aptitudes requises ? "...

Il s’agit de passer d’un projet personnel à la mission de l’Eglise. L’envoi en mission est donc fondé sur le sacrement de l’ordre.

Par contre, pour la vocation à la vie consacrée, c’est la personne qui est sujet de la demande.

Troisième distinction : la vocation à un ministère nous inscrit dans une Eglise locale-diocésaine, à partir de l’évêque, c’est-à-dire à partir de l’apostolicité de l’Eglise, pour une tâche qui est au service d’hommes et de femmes situés dans une culture, une histoire, une géographie. Une vocation à un ministère se situe dans une Eglise particulière et pour un peuple.

La vocation à la vie consacrée ouvre souvent à la dimension internationale d’une congrégation. La vie consacrée naît d’un charisme - d’un don de l’Esprit -, donné à un moment de l’histoire pour toute l’Eglise.

Au total, j’ai voulu souligner ces trois points : structure de l’Eglise / structure dans l’Eglise ; l’Eglise demande / la personne demande ; un ministère situé localement (qui implique, bien sûr, une solidarité des Eglises) / un charisme donné pour toute l’Eglise. Il me semble que ces points induisent déjà des éléments sur la manière d’envisager les modes d’appel.

3 - Un constat

Mon troisième préalable part d’un constat : nous ne pouvons plus aujourd’hui, pour l’appel aux ministères, en rester à une " logique de candidature ". Cette logique apparaît en France au XVIIe siècle. A la fin du Moyen Age et au début de l’époque moderne, de nombreux témoignages attestent un clergé pléthorique et ignorant. Il convient donc d’élaborer un chemin de formation et de discernement des " vocations " pour que soient appelés ceux qui sont vraiment appelés de Dieu. C’est ainsi que vont se mettre en place les séminaires. Selon la formule de Monsieur Olier : " Il faut entrer par la porte de la vocation ". Par conséquent, les séminaires constituent des lieux ordonnés à la formation et au discernement des futurs ministres de l’Eglise.

Mais, aujourd’hui, la priorité n’est pas tant le problème du discernement de ceux qui sont au séminaire, c’est le problème de l’appel qui se pose à nouveaux frais. En effet, le petit nombre de " candidats " nous oblige à nous interroger sur le changement de contexte qui est le nôtre. A cela s’ajoute le fait que la logique de candidature entraîne souvent une conception privatisée de la vocation. Ainsi, le vocabulaire fréquemment entendu laisse entendre la vocation comme propriété personnelle : "J’ai la vocation " ou " Il a la vocation " ou encore " ... ma vocation ".

Dès lors, sans nier la valeur des " candidatures " (cf 1 Tm 3, 1), comment valoriser une " logique de l’interpellation " qui engage la responsabilité de tous, selon les dons de chacun, et qui ne fasse pas dépendre - pour partie - l’avenir de l’Eglise de la générosité de quelques-uns ? Dans le vocabulaire populaire, on fait volontiers correspondre " vocation " et " générosité ". C’est une chose d’être appelé, c’est autre chose d’être généreux, (même si les deux peuvent très bien aller ensemble ! ).

On en vient parfois à penser que l’on est appelé parce qu’on est capable alors que, fondamentalement, c’est parce que l’on est appelé que l’on devient capable. Qui d’entre nous n’a vu surgir, dans l’exercice de son ministère ou de ses engagements d’Eglise, des possibilités ignorées, alors qu’au départ la personne se percevait incapable ? Quelques aptitudes potentielles sont bien sûr nécessaires. Mais devenir capable parce que l’on est appelé introduit la dynamique de la foi. La dynamique de la foi comme dynamique d’appel me paraît ici l’élément premier.

Cette logique de l’interpellation n’est possible qu’en promouvant " une culture de l’appel " : cette structure dialogique appel / réponse est justement ce qui constitue l’Eglise en son fondement même. Partir de l’étymologie du mot Ecclesia - ek kaleô - c’est reconnaître que l’Eglise est bien ce peuple rassemblé en réponse à une con-vocation. Il n’existe pas en dehors d’un appel de Dieu, manifesté dans le Christ Jésus. Parce que nous sommes appelés par le Dieu de l’Alliance, nous pouvons devenir - comme Ecclesia - appelants pour d’autres.

PREPARER L’AVENIR PAR DES APPRENTISSAGES

Parce que les discours et les bonnes intentions sont largement insuffisants, il me semble nécessaire que nous développions des apprentissages (1) pour " une culture de l’appel ". L’heure est sans doute moins aux grandes réalisations, car il est difficile aujourd’hui de discerner où passe la route de l’avenir. Par contre, c’est le temps des micro-réalisations qui font appel à la fidélité vraie : celle-ci est créatrice. Sans doute, sommes-nous appelés à construire le visage d’une Eglise " précaire ", c’est-à-dire non installée et disponible aux appels de l’Esprit.

Ma question de départ est donc celle-ci : comment le Peuple de Dieu - peuple appelé : Ecclesia - doit-il s’organiser aujourd’hui pour annoncer l’Evangile et construire l’Eglise, dans un contexte humain, culturel et social en profonde mutation ? Comment doit-on s’organiser pour annoncer l’Evangile et manifester l’Eglise comme sacrement du salut ? S’interroger ainsi, c’est accepter de s’engager sur la voie de changements. Pour aborder cette question, je voudrais privilégier deux moyens : tout d’abord, il me semble qu’il convient de mettre l’accent sur la revalorisation des Eglises locales-diocésaines et la vie synodale ; ensuite il nous revient de prendre aujourd’hui l’initiative de l’appel.

1 - Revalorisation des Eglise locales-diocésaines et vie synodale

Je présuppose évidemment connue l’ecclésiologie que le concile Vatican II a mise en œuvre, en ouvrant la voie à une revalorisation des Eglises locales-diocésaines et en induisant un renouveau de la synodalité. Il s’agit de bâtir des Eglises sujets de droits, de devoirs et d’initiatives. Le décret conciliaire sur la charge pastorale des évêques Christus Dominus n° II propose une définition opératoire de ce qu’est un diocèse.

1-1 La Synodalité, réalisation dans l’Eglise locale-diocésaine d’une vision organique de l’Eglise

Le Code de Droit Canonique donne forme institutionnelle aux intuitions du concile (cf canons 460-468). D’emblée, le canon 460 apporte une définition du synode : " Le synode diocésain est la réunion des prêtres et des autres fidèles de l’Eglise particulière choisis pour apporter leur concours à l’évêque diocésain pour le bien de la communauté diocésaine toute entière ".

Il s’agit donc d’une assemblée qui apporte sa contribution à l’évêque, " unique législateur " (canon 466), en vue du " bien de la communauté diocésaine ". D’autres fidèles de l’Eglise particulière sont invités, par exemple les " fidèles laïcs " (canon 463). Toutes les composantes du Peuple de Dieu peuvent être représentées dans le cadre de l’assemblée synodale.

Dès lors, le synode manifeste la participation de tous sous la présidence de l’évêque, pour le service de la mission. De ce point de vue, le synode devient une figure institutionnelle phare, pour articuler correctement la collaboration différenciée de tous avec la responsabilité du pasteur du diocèse.

Ajoutons encore que " toutes les questions proposées seront soumises à la libre discussion des membres " (canon 465). La " discussion " qui a lieu lors de l’assemblée de Jérusalem (Ac 15, 7) éclaire le sens de l’échange synodal où tout le monde est invité à s’exprimer. Dans le récit des Actes des Apôtres, les grandes voix apostoliques s’expriment pour une décision unanime (Ac 15, 1-35).

Le Code de Droit Canonique permet ainsi d’affirmer que la dichotomie clercs / laïcs est institutionnellement dépassée. L’Eglise peut se comprendre comme le " nous " des chrétiens, selon la formule du Père Congar. Le synode manifeste le rassemblement par l’évêque des forces vives du diocèse qui agissent au nom de cette Eglise pour annoncer l’Evangile.

Il me semble que la synodalité manifeste l’identité, l’essence même de l’Eglise en ceci qu’elle est bien une " assemblée convoquée " selon l’étymologie de l’Ecclesia. La synodalité permet l’expression de tous, en même temps qu’elle garantit le statut du ministère apostolique ; elle inscrit cette Eglise locale dans son espace humain et culturel ; elle la rend capable d’initiatives, initiatives nécessaires à l’annonce de la foi, à l’offre de grâce dans les sacrements et au rassemblement de tous au titre de la mission reçue.

Dans cette perspective, trois questions seraient à travailler pour notre sujet :

  • Quelle figure d’Eglise sommes-nous appelés à construire et en vue de quoi ?
  • Dans cette Eglise et pour cette mission, de quels ministres avons-nous besoin ? Quelle présence de la vie consacrée serait signifiante ?
  • De manière particulière, pourquoi désirons-nous des prêtres ? (à cet égard, il est sans doute requis aujourd’hui de se redire ce qui est constitutif du ministère du prêtre). Ces trois questions, à mon sens, relèvent d’une démarche de type synodal, au titre même du " sacerdoce commun des baptisés ". Réfléchir à l’appel au ministère ordonné passe par un approfondissement du sacerdoce commun des baptisés (cf. Lumen gentium n° 10- 11).

1-2 Quelques changements induits par une vie synodale

Il s’agit ici d’indiquer comment la vie synodale contribue à une pastorale des vocations aux ministères en particulier, tout en contribuant à la valorisation de la vie consacrée.

La mise en place des conseils diocésains (et paroissiaux) constitue un changement important dans la vie des diocèses, en particulier le Conseil pastoral diocésain (ou paroissial). Ce Conseil pastoral diocésain permet de dépasser le risque toujours latent d’une dichotomie clercs / laïcs déjà signalée. Ilpermet ensuite de dépasser la vision d’un rapport Eglise / Monde, vu sous la catégorie du ad intra / ad extra. Cet organisme nouveau permet la réunion de tous les représentants du Peuple de Dieu dans la diversité des ministères, services et charismes. Il inscrit nécessairement l’Eglise locale-diocésaine dans son espace humain. Ainsi, la vie synodale et l’expression institutionnelle des conseils contribuent à établir la communication entre les hommes.

Il nous faut revenir aux sources de la foi et aux sacrements fondateurs sans omettre le fait que l’Eglise est missionnaire par nature : cette double référence constitue un aiguillon pour avancer.

Pour que s’opère correctement la synergie dans l’Eglise locale-diocésaine, le principe de subsidiarité peut jouer un rôle fécond. La subsidiarité veut qu’on laisse le maximum de jeu aux dons personnels et communautaires, là où les nécessités du bien commun ne demandent pas l’intervention de l’autorité supérieure au nom de sa compétence propre. De cette manière, les décisions se prennent au plus près des personnes et des communautés concernées. De telles pratiques engagent des rapports de confiance mutuelle.

Le principe de subsidiarité appelle la responsabilité de chacun, selon la part qui lui revient. La prise de décision au niveau de responsabilité des personnes concernées est plus motivante et plus appelante que lorsque le niveau de décision est trop loin des personnes. Elle invite à mettre en œuvre le couple " liberté / responsabilité ". En effet, la liberté d’initiative selon les dons de chacun se conjoint avec la responsabilité ecclésiale, c’est-à-dire la solidarité avec tous. La recherche du bien commun devient l’affaire de tous puisque chacun est sollicité selon ses capacités et à son niveau de responsabilité.

Un deuxième couple est nécessaire : c’est le couple " formation/mission ". Confier des responsabilités nécessite une formation, c’est-à-dire l’acquisition de compétences au nom même de la tâche confiée. D’un côté, la mission appelle la nécessité d’une formation qualifiée et de l’autre côté, la formation active le sens de la mission.

La revalorisation des Eglises locales-diocésaines par la synodalité constitue une voie royale qui provoque " un appel d’air ". La synodalité apprend à vivre sur un registre évangélique d’interpellation mutuelle. Personne n’agit solitairement. Au contraire, tous sont invités à vivre solidairement pour le service de la mission, dans une saine articulation - sans confusion, ni séparation - des ministères, tâches et fonctions.

2 - Prendre aujourd’hui l’initiative de l’appel

Il y va de notre responsabilité de prendre aujourd’hui l’initiative de l’appel. Mais, sans un travail de fond, d’un point de vue pastoral dans un cadre diocésain, une " culture de l’appel " ne pourra pas se développer. Il me paraît nécessaire que cela devienne l’affaire du diocèse. Le S. D. V. ne peut pas se borner à être un service " spécialisé " : la spécialisation risque toujours d’apparaître comme " l’affaire de quelques-uns " et " oubliée par les autres ". Le ministère d’appel concerne toute l’Eglise, parce que l’Eglise est constituée en son fondement même comme " l’appelée ".

La " logique de candidature " paraît, objectivement, tout à la fois incapable de stimuler la responsabilité de tous mais aussi incapable de répondre aujourd’hui aux besoins de la mission. Plus fondamentalement, ses fondements théologiques paraissent trop fragiles pour élaborer un projet pastoral cohérent et porteur d’avenir.

Il nous faut donc porter notre recherche, non pas du côté de la réponse à discerner, mais avant tout du côté de l’appel à promouvoir. Comme l’affirme Jean Paul II, lors de son homélie à Reims : " L’Eglise est toujours une Eglise du temps présent. Elle ne regarde pas son héritage comme le trésor d’un passé révolu, mais comme une puissante inspiration pour avancer dans le pèlerinage de la foi sur des chemins toujours nouveaux ". Cette phrase nous stimule pour aller de l’avant.

S’il est vrai que la logique de candidature est insuffisante aujourd’hui, il nous faut travailler à la responsabilisation des communautés ecclésiales. Pour ce faire, je voudrais indiquer quelques pistes de travail possible... Il en est d’autres, bien sûr !

2-1 La dynamique de la foi, comme dynamique d’appel

C’est dans la dynamique de la foi que prend sens l’appel entendu. En effet, la foi est réponse à un appel.

Plusieurs signes vérifient aujourd’hui l’actualité de cet appel. Il nous faut prendre acte de ce qui se vit parmi les catéchumènes aujourd’hui dans l’Eglise en France. De 890 en 1976, ils sont 8 430 en 1993. En dix-sept ans, le nombre s’est presque multiplié par dix. 80 % ont moins de quarante ans ; presque tous viennent des villes ; 42 % sont célibataires ; 18 % sont étudiants et 80 % n’ont pas de religion antérieure. Il est intéressant de noter que la courbe des ordinations de diacres permanents est parallèle à la courbe des catéchumènes. Sans doute, les " recommençants " sont-ils un autre signe de la redécouverte de la foi et de la prise au sérieux des sacrements de l’initiation chrétienne. Comment ne pas reconnaître la dynamique de la foi dans ces chrétiens qui, de manière croissante, participent à la vie ecclésiale ?

Comment ne pas relever également le fait que de plus en plus de chrétiens et chrétiennes travaillent en équipe de tâches ? Il y a une redécouverte de la dimension communautaire de la foi qui est vécue comme service et service en équipe. Dans cette même dynamique, des équipes sont envoyées dans des " mondes " comme celui des jeunes et jeunes adultes ou encore celui des gitans, des prisons, de la rue, etc. Il y a donc une diversification des lieux de présence et d’engagements des chrétiens. C’est l’occasion de chercher comment rendre témoignage, par un langage approprié, là où nous sommes envoyés. De cette manière, le dynamisme de la foi appelle une inculturation de la foi. Reconnaître qu’à la source de tout appel, il y va du dynamisme de la foi, c’est s’engager sur une voie longue, toujours nécessaire, jamais achevée.

Il me semble que dans cette dynamique de la foi vécue comme dynamique d’appel, deux conditions sont remises en valeur. Apparaît tout d’abord la nécessité d’une véritable initiation chrétienne ; ensuite il nous faut donner à voir et à vivre la vie chrétienne dans sa dimension communautaire. Nous ne pouvons disjoindre l’appel ministériel des communautés chrétiennes qui constituent le lieu d’appel par excellence. Je cite, à ce propos, une phrase de Mgr Frétellière, ancien évêque de Créteil, " Autant et plus que nos déclarations sur le prêtre, ce sont nos projets sur les communautés chrétiennes qui diront quels types de prêtres nous voulons pour demain ". Quels projets avons-nous dans nos communautés ecclésiales ?

2-2 Trois images des vocations aux ministères à revisiter

  • Le régime d’appel aux ministères, en particulier au ministère presbytéral, repose en grande partie sur le régime du volontariat. Pour le diaconat, le concept d’interpellation a été développé, ce qui me paraît extrêmement heureux, parce que le mode de l’interpellation est traditionnel et qu’il stimule l’initiative des communautés ecclésiales. Une catéchèse de la vocation avec une pédagogie appropriée s’impose aujourd’hui dans l’Eglise. Certes, un gros travail est à faire parce qu’il est difficile de faire évoluer les représentations mentales.
  • Un des freins à l’appel, aujourd’hui, vient, sans aucun doute, de l’image que l’on se fait des prêtres. Les conditions de vie de certains prêtres et les surcharges semblent produire parfois l’inverse de l’appel. Il arrive également que des prêtres se considèrent comme " les derniers des mohicans ". La conséquence est claire : un certain nombre de situations ne sont pas appelantes. Elles peuvent jouer l’effet contraire. Il nous faut donc regarder la réalité en face. Or, un certain nombre d’enquêtes, faites auprès de ceux qui sont en formation, montrent que la première personne " appelante " est le prêtre lui-même...

Je crois aussi que les prêtres doivent pouvoir se réapproprier une théologie du ministère ordonné, pour permettre à chacun de se situer au mieux dans le ministère pastoral qui lui est confié. Ceci me paraît d’autant plus important que nous sommes engagés dans une profonde évolution avec les réorganisations pastorales qui s’opèrent actuellement en nombre de diocèses.

  • Il arrive qu’au nom du respect des personnes et de leur liberté, la fonction de l’appel dans l’Eglise soit tenue en veilleuse. Une nouvelle représentation mentale se fait jour ici, laissant entendre que la vocation à un ministère adviendrait par génération spontanée. Or, elle vient au monde par un ensemble de médiations. On sait bien que si personne n’appelle l’enfant par son nom, il ne découvrira jamais sa vraie identité et ne s’inscrira pas dans le champ social. Nous connaissons tous le bref dialogue dans l’Evangile de Matthieu : " Pourquoi êtes-vous restés là tout le jour, sans rien faire ? " Réponse : " Personne ne nous a appelés ". La structure appel / réponse, constitutive de toute vocation, fait apparaître la Parole comme étant " au commencement ". La parole est constitutive de l’être humain, elle est structurante de toute existence humaine.

En ce sens, la parole est appelante puisqu’elle fait advenir l’autre à lui-même. Conséquemment, la réponse à la parole entendue est l’expression d’une liberté personnelle. Il n’y a de liberté possible que dans la possibilité de réponse. L’appel constitue le moyen privilégié pour susciter des êtres libres et responsables, c’est-à-dire " capables de réponse ". A contrario, celui qui n’est pas appelé ne pourra pas advenir à sa liberté responsable. Son " oui " ou son " me voici " n’a pas été appelé. Dès lors, loin d’être une atteinte à la liberté, l’appel en constitue bien plutôt une condition. Bien sûr, engager une démarche demande quelque discernement. Mais cette prise en compte du rôle structurant de la parole met en valeur le ministère d’appel qui qualifie l’Eglise. Appeler, c’est susciter la liberté chrétienne. Appeler, c’est témoigner du fait que Dieu nous ouvre un avenir à construire.

2-3 Susciter des " lieux vocationnels "

Le décret de création des séminaires, lors du concile de Trente (canon 18, de la session XXIII, 15 Juillet 1563), demandait que soit créée, en chaque diocèse, une sorte de perpétuelle pépinière (seminarium) de ministres de Dieu. La baisse du nombre de " candidats " entraîne le regroupement des séminaires, ce qui paraît logique mais présente deux inconvénients :

  • Le regroupement des séminaires dans les régions apostoliques entraîne souvent la déresponsabilisation des chrétiens. Ils ne savent plus ou peu qu’il y a des séminaristes. Selon le principe de subsidiarité évoqué plus haut, les chrétiens n’accèdent plus à l’information nécessaire. La part de responsabilité qu’il leur revient d’exercer pour l’appel de ministres de l’Eglise leur échappe, en partie. L’information et la communication passent par la rencontre et la proximité. En effet, le témoignage de la foi suscite la dynamique de l’appel.
  • Dès lors, dans un certain nombre de nos diocèses, nous n’avons plus de lieux d’appel, c’est-à-dire de lieux vocationnels. Ceci n’est pas sans conséquence pour l’avenir. Or, il est vital que des jeunes puissent prendre au sérieux leur questionnement dans un contexte communautaire qui les soutient. Cela leur permet de vivre une première étape tout en continuant leurs études ou leur vie professionnelle. De plus, ils sont situés dans un champ ecclésial et s’ouvrent sur un diocèse. Ils peuvent rencontrer les acteurs de l’annonce de l’Evangile, mais aussi découvrir les orientations du diocèse. Il y a possibilité d’un " vivre ensemble " stimulant entre eux, au contact d’un prêtre, par exemple.

De tels lieux de visibilité sont, de fait, appelants pour de jeunes adultes, à l’heure des grands choix. Situés au sein d’une communauté ecclésiale, c’est-à-dire dans la vie de foi de baptisés dans la diversité des personnes et des propositions, de tels lieux vocationnels stimulent la recherche et l’orientation de chacun. La " crise " des vocations interroge en premier lieu la vitalité des communautés ecclésiales. En effet, comment donner sa vie pour une cause qui paraît perdue aux yeux de beaucoup de jeunes ? Aussi, les projets que nous avons sur les communautés ecclésiales sont-ils déterminants pour savoir quels ministres appeler pour servir l’annonce de la foi et le service des hommes et des femmes de ce temps.

Avec un tel lieu vocationnel, inscrit dans le cadre d’une vie synodale et articulé sur une catéchèse de la vocation à un ministère proposée dans les communautés ecclésiales, nous disposons de trois leviers pour prendre l’initiative de l’appel par interpellation et proposition, comme Eglise locale-diocésaine.

2-4 Promouvoir l’interpellation

Le rétablissement du diaconat permanent et le mode d’appel à ce ministère valorisent la responsabilité de l’Eglise locale et sa fonction d’interpellation. Ainsi, avec le diaconat permanent, est rétabli un processus d’appel traditionnel qui valorise le rôle de l’Eglise locale : la consultation des chrétiens et des pasteurs, l’analyse des besoins du secteur ou de la zone pastorale pour l’annonce de l’Evangile, dans un contexte humain spécifique éveillent la responsabilité de tous pour l’interpellation de quelques-uns.

Rien n’empêche que le processus d’appel valorisé par le diaconat ou pour l’appel de laïcs au service de la mission de l’Eglise, puisse être vécu, en certains cas, pour l’appel au ministère presbytéral (c’est le cas actuellement en tel diocèse du Canada). Cela remet en valeur le rôle des communautés ecclésiales et la responsabilité des prêtres.

2-5 Des " possibles ignorés "

Il est des " possibles ignorés ". A ce titre, une revalorisation de l’appel dans l’Eglise n’est pas seulement bénéfique pour l’annonce de la foi et pour l’avenir des communautés ecclésiales. Il participe aussi des requêtes de sens qui traversent la société actuelle. Prendre l’initiative de l’appel, conjointement à une vie synodale, constitue un témoignage dans un contexte économique et social où les interrogations sont multiples, celui d’un avenir possible pour tous.

Ouvrir cet enjeu, c’est situer l’Eglise dans l’espace humain et culturel qui est le sien en France. Parce qu’elle est envoyée pour tous - au titre de la mission reçue - l’Eglise est tenue d’appeler et de s’organiser pour porter témoignage. Dans une société qui s’interroge sur son avenir, l’Eglise est appelée à rendre compte de son espérance (1 P 3, 15), en développant ses projets ainsi qu’en stimulant ses capacités d’initiatives et de propositions.

DE NOUVEAUX HORIZONS POUR LA REFLEXION

 

S’ouvre ici un nouveau champ de réflexion : prendre le temps d’écouter et d’entendre les requêtes de sens et le questionnement de nombre de jeunes et de jeunes adultes aujourd’hui. C’est avec eux que nous apprendrons à élaborer - par le dialogue et une pédagogie appropriée et cohérente - des chemins porteurs d’à-venir... Sommes-nous à hauteur des requêtes actuelles ? Ce n’est possible qu’en acceptant des " déplacements " d’ordre personnel et institutionnel... En effet, comme l’indique la récente Lettre des évêques aux catholiques de France : Proposer la foi dans la société actuelle : " Nous sommes en train de changer de monde et de société. Un monde s’efface et un autre est en train d’émerger, sans qu’existe aucun modèle préétabli pour sa construction ".

Notre responsabilité - c’est-à-dire notre capacité de répondre - en allant aux sources de la foi, est appelée...