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Proposer les vocations par la beauté et l’art
Bien poser une question, peut-être est-ce déjà répondre ?... Aussi, je vais d’abord préciser comment j’entends les termes de cette proposition de départ...
Carme
Former une Eglise…
" formateurs ", " formation ", " former "... Même compte tenu d’un contexte pastoral, je souhaiterais entendre ces propos dans le sens obstétrique. Former une Eglise comme se forme un corps, oui ! Ainsi l’accent donné me paraît plus évangélique et plus fou ! Oui, je désire être fou en Christ car " un feu est dans mes os " et " malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile ", c’est-à-dire, si je ne transmets pas à mon tour ce que j’ai reçu. L’Eglise n’est pas quelque chose, elle est Quelqu’Un ! Elle est le Mystère même d’une Personne. Elle est Dieu et le prochain, le Corps mystique du Christ, le Peuple que Dieu s’est choisi... Il s’agit donc sans doute moins de " former " l’Eglise (au sens de formation professionnelle, par exemple) que de vivre un mystère d’enfantement. L’Eglise est une naissance ! Il s’agit moins de " former une Eglise " que d’accueillir l’Esprit qui lui donne vie. Ecoutons ce que l’Esprit dit aux Eglises. L’Eglise est un Mystère auquel nous ne comprenons rien, ou si peu. Et c’est ce Mystère qui nous fait vivre... Il nous faut plonger dedans comme des enfants dans les vagues et nous laisser enfanter par l’Esprit Saint à la Vie éternelle, c’est-à-dire à la sainteté à laquelle chacun de nous est appelé...
… qui propose les vocations…
L’Eglise non seulement " propose " mais crie aux coins des rues l’appel incessant de l’Amour ! Comment ne témoignerait-elle pas du Christ qui s’est livré pour elle ? C’est dans l’Esprit que l’Eglise cherche son Bien-Aimé et elle veut entraîner après elle le monde entier. L’Eglise est missionnaire dans sa nature même. Elle invite tous les hommes au banquet et d’abord ceux qui sont les plus éloignés, les plus perdus, les plus hostiles... C’est vrai qu’il existe de nombreuses vocations dans l’Eglise, mais après avoir montré la hiérarchie des charismes, Saint Paul (Cor 13) nous appelle à désirer une voie qui les dépasse toutes : la Charité. Voilà la seule " proposition " et la seule " vocation " de l’Eglise ! Voilà la seule prière de l’Eglise : la Charité ! Voilà sa liturgie et son service ! Voilà sa diversité et son unité : la Charité ! Voilà sa vie et sa raison d’être !... Voilà, en fin, sa beauté !...
… par la beauté et l’art
Dans cet appel pressant, à temps et à contre-temps, de la Charité (la charité me presse ! chante Thérèse de Lisieux), oui, nous pouvons alors parler de beauté et d’art. Comme des fruits de Charité... Les fruits n’ont de sens que par le don qu’ils sont en eux-mêmes et donc par l’invitation à se donner qu’ils proposent. La beauté et l’art sont les gestes de l’Amour, sa séduction et son talent. On sait que le Beau ne fut pas classé parmi les transcendantaux (Unum, Verum, Bonum) par les Anciens. Car si Dieu est beau (et Il ne saurait être que beauté !), le Mal possède, de son côté, un charme certain, cette fameuse " beauté du Diable " que nous trouvons d’ailleurs souvent bien plus piquante...
La beauté ne serait-elle donc que subjective ? Certes non ! Mais nous en revenons au discernement dans et par l’Esprit. N’est réellement beau et art que ce qui spirituellement élève l’homme, le tourne vers Dieu pour le louer et le glorifier... Bien sûr, cette beauté est inculturée et prendra à chaque étape de l’humanité le visage concret d’une époque, d’une langue, d’un lieu.
Ainsi rendu à ce point de notre réflexion, on peut donc essayer de parler de la beauté et de l’art dans notre temps... Et pour ce faire, je dégagerai les trois points qui me paraissent essentiels. Ces trois points ne feront que reprendre " l’autoportrait " de Celui qui est la Beauté même, le Christ ! (le plus beau des enfants des hommes) : Chemin, Vérité et Vie...
La beauté est chemin...
Nous retrouvons ici le mystère de l’Histoire et du Temps... La beauté est une route et l’homme a besoin de temps pour la parcourir... Le Temps est, d’après le cardinal Lustiger, " la patience de Dieu dans l’Histoire "... Et notre propre histoire est une histoire sainte. La beauté chemine donc ! Elle n’est pas un acquis mais un avenir. La beauté est sans cesse à découvrir. Elle n’est pas statique et, à travers siècles et cultures, elle vit dans un dynamisme dont l’origine peut nous dérouter... En effet, en Jésus, se mêlent mystérieusement les deux aspects, pour nous contradictoires, de la Gloire et de la Croix. Nous sommes d’abord instinctivement attirés par la Gloire. Nos frères orientaux mettent davantage que nous l’accent sur cette lumière de la Gloire. Et il est bon de retrouver ce sens " prioritaire " de la beauté. La beauté est d’abord le visage glorieux du Christ, icône parfaite du Père. Ce chemin de lumière attire et éleve l’homme... Mais la beauté est également un chemin de ténèbres. Un chemin de nuit, si l’on préfère. St Jean de la Croix est probablement un des meilleurs chantres de ce chemin nocturne, et on connaît la fascination qu’exerçait la beauté " voilée " de la Sainte Face sur sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus...
On peut donc, en quelque sorte, emprunter deux chemins pour aller vers la beauté et l’Eglise a pris les deux au cours de son histoire... Le premier va de la Gloire à la Croix et le second va de la Croix à la Gloire !... Les deux chemins inévitablement se mêleront car l’Esprit Saint ne cesse de nous renvoyer de l’un à l’autre... Pourtant, il est légitime et on doit, je pense, commencer par la beauté glorieuse du visage du Fils. Elle est, en effet, le point de départ car chacun d’entre nous la porte en lui-même, image et ressemblance de Dieu. Pourtant, dans le concret de la vie et très particulièrement à notre époque, il arrive souvent de commencer par le mystère de la Croix.
Ainsi du Bon Larron qui découvre la beauté du Christ au travers de son visage douloureux et à qui St Augustin prête cette réponse : " Il m’a regardé et dans ses yeux, j’ai tout compris ! ". La rencontre avec la souffrance peut donc être un chemin de beauté qui s’exprimera d’abord par un cri déroutant de douleur, comme chez Münch.
Cette rencontre appellera alors une conversion, un dépassement et, sans doute, un retour pédagogique... Redécouverte du chemin de beauté du Fils de l’Homme depuis Noël jusqu’à Pâques et dont l’art roman est un témoin exemplaire...
La beauté est vérité…
En notre temps soupçonneux, on pourrait penser que la beauté et l’art sont " par-delà le bien et le mal "... La beauté peut-elle avoir à faire avec la vérité ? Jamais peut-être autant qu’aujourd’hui l’homme n’a été tenté de reprendre l’interrogation de Pilate : " Qu’est-ce que la vérité ? ". Alors, il faut le dire et le redire, à temps et à contre-temps : la beauté est vérité ! La beauté est essentiellement morale car elle ne saurait conduire qu’à Dieu ! Et on peut dire que la moralité de l’art est un critère de discernement capital. Encore faut-il bien comprendre...
Nous venons de constater que la beauté pouvait cheminer en commençant par un cri de douleur. Ce cri de douleur peut-être choquant et provoquant. Il peut, dans une culture subjective comme la nôtre s’inscrire en opposition à la norme culturelle en vigueur. Il sera alors " prophétique " comme l’observe P. Berger dans sa thèse de doctorat : " Bâtir sur le rock ". L’auteur cite l’exemple du guitariste Jimmy Hendrix malmenant l’hymne américain au festival de Woodstock en imitant les grondements de bombardiers américains au Vietnam. L’intention manifeste, même si elle n’est pas confessionnelle, est de dénoncer la barbarie humaine.
On voit que ce critère de vérité concernant la beauté est un critère de discernement essentiel et qui ne peut s’opérer pleinement que dans l’Esprit Saint. C’est ce que ne cesse de proclamer Jean Paul II qui déclare avoir toujours eu une prédilection pour cette déclaration du Christ : " La vérité vous rendra libres ".
Dans la vérité, la beauté et l’art sont des chemins de libération. Comment alors ne seraient-ils pas enfin des appels à suivre le Christ qui, seul, peut libérer l’homme et le sauver ? C’est de cette façon que l’Eglise peut provoquer des vocations. En rappelant sans cesse, par des actes de beauté sous toutes ses formes (éminemment dans la liturgie mais pas seulement ! ) combien la beauté est indissociable de la vérité. Jésus nous dit que l’on doit juger l’arbre à ses fruits. Seuls demeurent art et beauté qui portent des fruits de vérité...
La beauté est vie…
C’est pour moi le trait le plus mystérieux... La beauté a le pouvoir de donner la vie ! Cet " éveil " n’est pas seulement " thérapeutique " ni " pédagogique " comme l’ont déjà constaté de nombreux enseignants et artistes à travers les âges. La beauté est féconde en elle-même... Nous retrouvons le critère de discernement que Jésus nous enseigne : cette vigne qui porte du fruit... Mais à l’exclusive condition d’être greffée sur l’Amour. La beauté donne la vie car Jésus donne la vie. Cette vie a sa source dans le Père et là encore, je renverrai à St Jean de la Croix qui chante cet inépuisable mystère dans Cantar de la alma que se huelga de conoscer a Dios por fe (chant de l’âme qui se réjouit de connaître Dieu par la foi). La beauté et l’art ne prennent finalement sens que pour cela : donner la vie ! On comprend alors comment l’Eglise ne saurait s’en passer, non seulement pour provoquer des vocations, mais pour répondre à sa raison d’être qui est d’enfanter l’homme à une vie nouvelle !...
En ces temps de préparation au grand jubilé de l’an 2000, tous les chrétiens sont invités par le pape à redécouvrir la Trinité... La Trinité est la beauté absolue dont l’image est inscrite en chacun de nous. Tout acte de beauté, toute forme d’art que pose l’Eglise ne peuvent avoir de sens que dans le mystère du Verbe incarné. Peinture, musique, danse, littérature, toutes les formes artistiques sont portées par ce mystère dont la seule inspiration est l’inspiration même de la Trinité : l’Esprit Saint... Et je pense que le mystère du Verbe nous offre le lieu " privilégié " d’expression de la beauté.
Lieu de beauté, de foi et de vie, l’Eucharistie est, par excellence, le lieu vers lequel convergent toute la beauté et l’art dont l’homme est capable... Afin d’illustrer ces propos et aussi pour conclure, voici le chant de St Jean de la Croix déjà évoqué : chant de l’âme qui se réjouit de connaître Dieu par la foi.
Je sais bien moi la source qui jaillit cette source éternelle est cachée je ne sais son origine car elle n’en a point je sais qu’il n’est nulle chose si belle je sais qu’on n’en peut trouver le fond sa clarté n’est jamais obscurcie |
je sais que ses cours deviennent des fleuves et de cette source nait un courant le courant qui de ces deux procède cette source éternelle est enfouie et là elle appelle toutes les créatures cette source vive que je désire |