La chasteté dans le couple


Jean-Christophe Tainturier
ancien animateur des CPM
en formation au CLER



Lorsqu’on m’a demandé de préparer une intervention sur le thème de la chasteté dans le couple, j’ai d’abord été un peu interloqué, me demandant sincèrement ce que nous pourrions vous dire à ce sujet, nous qui sommes plutôt des bons vivants, heureux de vivre à deux, homme et femme, et toujours prêts à nous évader pour un petit week-end en amoureux ici ou là... Bref, le mot sonnait comme un défi et je crois que c’est ce qui m’a donné envie de répondre présent aujourd’hui.
D’abord, égoïstement, faire la lumière sur un terme passablement démodé en apparence, et essayer de lui régler son compte. Ensuite, lire et approfondir sur le thème de la sexualité et du couple humain qui est au centre de la formation que j’ai entreprise depuis deux ans maintenant. Et peut-être aussi continuer à creuser le sillon fondamental du lien entre le psychologique et le spirituel. C’est là, à mes yeux, que l’homme prend sa dimension pleine et entière en reconnaissant la force et l’influence de son inconscient mais aussi la grâce d’être aimé inconditionnellement par Dieu. C’est là que notre vie trouve tout son sens, ce sens qui nous donne l’envie d’avancer même dans les moments les plus noirs. Je voudrais citer ici Herbert Alphonso dans un remarquable petit livre intitulé Tu m’as appelé par mon nom (1). Il y évoque l’ouvrage de Victor Frankl, L’homme à la recherche d’un sens, dans lequel l’auteur, prisonnier à Auschwitz, raconte comment il a aidé ses compagnons à survivre et à affronter les conditions terribles de leur captivité en les amenant à retrouver un sens à leur vie. Dieu, dit Herbert Alphonso « donne un sens absolument unique à chacune de nos vies. » Et là où Frankl aidait ses compagnons à trouver un sens en termes psychologiques, Dieu appelle chacun de nous à trouver le sens de sa vie, autrement dit sa « vocation personnelle ». Alphonso conclut en écrivant que « la spiritualité est le niveau le plus haut, ou le plus profond de la psychologie, selon la façon dont on la regarde. »
En lisant, en réfléchissant à ce thème de la chasteté, j’ai découvert un lieu de la vie humaine où psychologie et spiritualité se rejoignent pleinement. La chasteté n’est pas seulement une donnée de la vie du chrétien, quel que soit son état de vie, mais c’est le chemin même de toute relation humaine dans laquelle chacun pourra se développer tout en aidant l’autre à faire de même. Elle n’est pas refus de la relation mais recherche d’une relation authentique, au plein sens du terme. Notre société de consommation, qui nous encourage à la possession des choses et des êtres, n’est pas une société chaste. Mais d’autres modèles de sociétés qui pourraient sembler plus propices à la chasteté sont tout aussi critiquables. Le croisé partant délivrer Jérusalem et équipant - paraît-il - son épouse d’un dispositif l’assurant de sa fidélité sexuelle, n’était pas chaste dans la relation. Il possédait et ne faisait pas confiance. Et il n’est pas dit non plus que la continence forcée de l’épouse fut chaste !
Pour donner une cohérence à cet exposé, je commencerai par définir précisément le terme de chasteté grâce, en particulier, à Xavier Thévenot. Je reprendrai ensuite quelques données de base de la psychologie humaine concernant la sexualité. J’espère être alors en mesure de parler de la chasteté en lien avec l’amour dans les relations, avant de parler plus spécifiquement de la chasteté dans la vie de couple.

Définitions

Tous les bons auteurs nous invitent à bien distinguer chasteté et continence. Il me paraît essentiel de rappeler ici cette distinction.
La continence, dit Myriam Terlinden (2) est « une pratique ». Il s’agit de contenir - du latin continere - ses pulsions sexuelles. Il n’y a là ni jugement positif, ni condamnation mais simplement l’idée que la continence n’a pas de sens par elle-même, sinon le sens que lui donne éventuellement celui qui la pratique. Et donc, comme le dit Xavier Thévenot, la continence n’est pas nécessairement chaste. Il en va ainsi lorsqu’elle est vécue comme un enfermement, comme une épreuve que l’on s’impose pour dompter son corps et ses pulsions, comme le triste fruit de la nécessité.

La chasteté, dit encore Myriam Terlinden est « une spiritualité ». Là où « la continence consiste à ne pas avoir de pratique sexuelle, la chasteté n’exclut pas la pratique sexuelle mais la guide pour la vivre de façon droite et juste ». Il est bien sûr des formes de chasteté qui impliquent la continence, tel le célibat consacré, mais il faut redire que tout homme est appelé à la chasteté. Myriam Terlinden dit encore : « C’est une attitude du cœur, une façon d’être juste par rapport à soi-même et aux autres. »

Xavier Thévenot (3) va plus loin en utilisant l’étymologie latine qui oppose castus et incastus, en français « chaste » et « incestueux ». Cette opposition est riche de sens si l’on donne comme Xavier Thévenot au terme « incestueux » une valeur large, celle du refus de la différenciation. La première différenciation, c’est celle qui intervient peu à peu entre l’enfant et sa mère grâce à des tiers - la loi, le père... - mais notre vie consiste ensuite à accepter la différence, l’altérité, nos limites et notre finitude. Nous verrons plus loin combien une telle définition est riche sur le plan psychologique et dans l’ordre du spirituel.


Quelques données de base sur la sexualité

Sexualité et génitalité

Je souhaite d’abord insister sur la distinction entre sexualité et génitalité. C’est une distinction qui me tient à cœur et elle me semble d’autant plus essentielle quand je m’adresse à des personnes qui réfléchissent au célibat consacré.
Dans leur ouvrage intitulé La sexualité (4), Marie-Noëlle Fabre et Luc Crépy rappellent que la sexualité ne se réduit pas au sexe. « Elle est inscrite à tous les niveaux de l’être humain : depuis les chromosomes et les cellules qui le constituent jusque dans l’ensemble de la personnalité au niveau psychologique, professionnel, spirituel et social. » On sait maintenant que les enfants ont une sexualité, qui comporte bien sûr des aspects génitaux dès la petite enfance, mais qui surtout ordonne peu à peu leurs pulsions et structure leurs modes de relation.
Car notre sexualité, c’est l’ensemble de notre vie relationnelle, une vie que nous construisons avec ce que nos parents et notre entourage nous ont légué. Des peurs, des désirs, le besoin d’être aimé pour ce que nous sommes et pas pour ce que nous faisons, un besoin physique de contact mais parfois aussi la peur d’être en contact, notre capacité plus ou moins grande à l’intimité. Cette intimité n’est pas subordonnée au génital. Il y a des « relations intimes » qui ne sont pas des relations et n’ont strictement rien d’intime. On les appellera « actes sexuels ». Et nous sommes « intimes » avec des amis ou des accompagnateurs sans qu’il y ait avec eux de relations sexuelles ni même d’autre désir que celui d’ouvrir son cœur et de recevoir les richesses de l’autre. Cette distinction entre sexualité et génitalité est extrêmement importante pour celui qui souhaite construire une vie sociale équilibrée.
Pour l’homme ou la femme mariée, elle permettra de reconnaître joyeusement que l’on peut se nourrir d’autres relations que la relation avec son conjoint, y compris avec des personnes de sexe opposé, de donner sans crainte leur dimension affective à de telles relations, d’y intégrer des paroles ou des gestes qui disent la reconnaissance que l’on a l’un pour l’autre de la beauté de cette relation. La sexualité, c’est alors l’ensemble d’une vie relationnelle au cœur de laquelle une relation privilégiée appelle un don mutuel total et que d’autres relations viennent enrichir et aider, en apportant la diversité et l’équilibre qu’un seul être ne peut m’apporter. Vécue dans la lucidité, elle est alors gage de fidélité et de développement de la personne.
Le célibataire consacré ne peut pas faire l’économie de sa sexualité, car il est du monde et dans le monde et il choisit un célibat fécond. Il choisit une vie sans génitalité, il choisit donc aussi de ne pas donner la vie à des enfants. Il doit d’autant plus soigner la qualité de sa vie relationnelle parce qu’elle est le gage de la fécondité de son célibat. C’est par sa capacité à créer la relation juste qu’il parviendra d’abord à trouver son propre équilibre, et seulement ensuite à porter des fruits. Nous savons que celui qui se jette à corps perdu dans l’action en s’oubliant totalement finit toujours par s’écrouler. La déception engendrée par ce coup d’arrêt, quelle qu’en soit la manifestation - mariage d’un prêtre « si dynamique dans sa paroisse », déprime profonde d’une personne réputée pour son efficacité... - est à la hauteur des espérances suscitées par toute l’énergie déployée avant la crise. J’ai envie de dire ici que la première responsabilité du berger, c’est d’être en bonne santé physique et psychologique afin de pouvoir lucidement mener son troupeau. Pour le célibataire consacré, des relations solides, claires et nourrissantes sont essentielles à l’équilibre et à la réussite. Je me demande souvent d’ailleurs, en tant que chrétien, si nous sommes assez attentifs à « entourer » nos prêtres et si nos prêtres sont assez attentifs à cette dimension de leur existence. Avoir la simplicité de s’inviter dans une famille, accepter peut-être de regarder certains jours la difficulté à vivre le choix du célibat et le partager avec des amis, comprendre d’un autre point de vue que le célibataire peut apprécier de vivre un repas ou une soirée avec des enfants et le lui permettre librement, tout cela n’est pas nécessairement posé clairement dans nos communautés.

Sexualité et responsabilité

Je tiens beaucoup également à ce deuxième point, et ce depuis longtemps. Pourtant, je vais laisser la parole à Xavier Thévenot pour introduire cet aspect, car il a sur ce point des mots très justes : « ne pas confondre conscient et volontaire ». Lorsque j’évoque le sujet avec des jeunes, je dis toujours : « Nous ne sommes pas responsables de nos fantasmes, nous sommes responsables de ce que nous en faisons. »
Cette distinction peut paraître évidente et pourtant une comparaison historique permet d’en estimer l’importance. On peut dire que nos grands-parents ont grandi dans l’idée que rien n’était plus condamnable que les « mauvaises pensées ». On nous a d’ailleurs appris que « l’intention vaut l’action », maxime redoutable si on l’applique à la sexualité ! On se confessait alors d’avoir eu un rêve érotique ou un désir fugace pour la voisine du deuxième. Si l’intention valait l’action, on avait donc couché avec la voisine du deuxième ! La pénitence se devait d’être à la hauteur du forfait.
Nous rions aujourd’hui en prenant des airs supérieurs de ces ancêtres arriérés et l’on s’indigne souvent d’une morale catholique coincée qui a fait des ravages sur plusieurs générations. On peut utilement lire à ce sujet Jean Claude Guillebaud, auteur athée, qui relit l’histoire de la sexualité et du plaisir dans son ouvrage intitulé La tyrannie du plaisir, et qui montre qu’une partie des accusations aujourd’hui portées contre l’Eglise sont injustifiées, celle-ci ayant généralement reflété dans ses recommandations l’état des sociétés et s’étant même parfois montrée subversive dans ses préceptes - le concept de liberté dans l’engagement du mariage par exemple. Nous rions donc de nos ancêtres et nous nous réjouissons de vivre dans une société libérée, où ces tabous stupides sont enfin tombés. Pourtant, l’excès inverse conduit beaucoup d’individus à penser que le fantasme est fait pour être réalisé sur le mode contemporain du « Il faut se faire plaisir » ou encore « Il faut avoir tout essayé. » On en arrive à ce que racontait Coluche, histoire un peu triviale et assez triste mais très éclairante ; des garçons sommés de s’expliquer devant la justice à la suite d’un viol déclarent : « On l’a pas violée, Monique. Violer, c’est quand on veut pas. Nous, on voulait ! » Où l’on voit que la chute des tabous peut virer au totalitarisme du fantasme.
Nous ne sommes pas responsables de nos fantasmes. Myriam Terlinden dit : «  Les besoins sexuels que nous ressentons sont moralement neutres dans la mesure où ils font partie de la condition humaine. » Xavier Thévenot va plus loin en soulignant que, « dans le domaine de la sexualité, il arrive assez fréquemment qu’un acte soit objectivement très insatisfaisant et ne soit pas pour autant un péché, c’est-à-dire l’expression d’une volonté de se détourner de Dieu. » Certaines conduites dites « compulsives » relèvent du psychothérapeute puis de la guérison spirituelle, elles échappent à la volonté humaine et il ne sert à rien de les culpabiliser.
Cependant, nous devons nous reconnaître, dans notre humanité, avec nos limites et nos faiblesses, la capacité à être responsables de nos actes et à juger lucidement que certains comportements nous font grandir et font grandir autour de nous, alors que d’autres comportements rabaissent l’humain en nous et autour de nous.
Un des points d’appui de la chasteté - dont ne nous sommes pas éloignés même si le mot n’a pas été prononcé depuis un moment - c’est cette lucidité qui me permet d’accepter toute mon humanité sans en être humilié - oui, je suis traversé de désirs que je n’ai pas choisis et qui sont parfois en contradiction totale avec mes choix, parfois même je passe à l’acte contre ma propre décision, j’accepte éventuellement l’idée que je ne m’en sortirai pas seul et qu’il me sera utile de demander une aide éclairée pour faire un chemin - mais aussi en reconnaissant toutes mes capacités : je suis capable de vivre des relations saines et nourrissantes, je sais donner la vie autour de moi si je suis attentif à tel ou tel aspect de mon existence qui me permet de vivre debout.


Amour et chasteté

Je commencerai par citer le Catéchisme de l’Eglise, au n°2346 : « La maîtrise de soi est ordonnée au don de soi. » Je pourrais m’arrêter ici car, d’une certaine manière, tout est dit dans cette phrase du lien entre amour et chasteté. Je continue néanmoins pour tenter de bien comprendre les implications de ces quelques mots.

Chasteté et maîtrise de soi

Nous devons être attentifs au sens que nous donnons à cette notion. La maîtrise de soi peut être vécue comme une épreuve sportive, un « challenge » dirait-on aujourd’hui. Dans ce cas, elle perd son sens en devenant fin en soi, ou bien elle nous entraîne du côté des spiritualités orientales qui tendent à la maîtrise du corps puis de l’esprit et des passions dans un élan qui me paraît nier l’humanité en nous pour tenter de nous approcher d’une condition divine, maîtrise totale de soi, union parfaite avec les forces cosmiques, détachement accompli des passions et des tumultes intérieurs. Le mouvement New Age va dans le même sens : soyons « zen » et nous dominerons le monde. Les cadres californiens y voient un outil d’efficacité. Nous mesurons combien, dans cette approche, la dimension relationnelle est absente pour faire place à l’individu et son potentiel de domination. Pour Xavier Thévenot, la chasteté est aussi « renoncement à la toute-puissance », cette toute-puissance ressentie par bébé lorsqu’il fait tomber sa cuiller et que maman la ramasse immédiatement. Toute-puissance également recherchée par l’adolescente anorexique qui dompte son corps et ses besoins, au risque d’en mourir.

La maîtrise de soi est chaste lorsqu’elle m’humanise, qu’elle me permet d’être mieux et plus en relation avec l’autre ou avec les autres. C’est donc une maîtrise de soi comme moyen et pas comme fin, et c’est le sens que je lui donne qui en constitue la force et le prix : elle me fait grandir, elle fait grandir l’autre.

Chasteté et différence

L’approche étymologique de Xavier Thévenot m’a beaucoup fait réfléchir à l’importance de la différence et surtout de l’acceptation de la différence. De ce point de vue, les concepts psychanalytiques sont riches et ils viennent à l’appui des grandes intuitions de notre foi.
La différence nous permet de vivre pleinement. Nous sommes nés de la différence et, sur ce point, je voudrais simplement dire combien l’idée du clonage reproductif est perverse : il s’agit de fabriquer un être humain à partir d’un seul parent, c’est-à-dire un être humain qui pour la première fois ne serait pas le fruit de la rencontre de deux êtres différents, rencontre vécue sur le mode classique de la relation sexuelle ou rencontre médiatisée par la médecine, dans une éprouvette par exemple. Quand Xavier Thévenot écrit en 1982 qu’être chaste, « c’est renoncer à coïncider avec son origine », il souligne en visionnaire cette dimension « incestueuse » du clonage, et j’y ajouterai d’ailleurs le risque de dégénérescence lié à cette méthode, tant l’on sait que c’est la variété des origines qui permet le développement d’un enfant en bonne santé.
La différence est un risque, elle peut éveiller la crainte, mais c’est elle qui permet la découverte, le dialogue et crée plus de richesse d’humanité. La relation chaste prend en compte cette différence, l’accepte et la vit comme constructive. Elle ne cherche donc pas à l’annihiler ou à en nier les conséquences. La différence entre homme et femme est une donnée fondamentale de notre existence, et elle est l’un des lieux principaux où la chasteté va s’exercer. Dans le couple bien sûr, mais plus largement dans toutes les relations homme/femme dans lesquelles il importe de reconnaître l’ambiguïté et le trouble qu’elles peuvent susciter pour pouvoir les vivre dans toute leur richesse.

Chasteté et don de soi

Nous avons vu comment la maîtrise de soi peut être au service de la chasteté, nous avons souligné l’importance de la différence pour vivre la chasteté. Nous pouvons maintenant parler d’amour. Xavier Thévenot, encore lui, se réfère au magnifique texte de Paul, dans Philippiens 2, pour insister sur la dimension radicalement chaste de l’amour du Christ. Le Christ, fils de Dieu, vient sur terre en prenant notre condition humaine, c’est-à-dire en acceptant totalement notre humanité dans sa faiblesse et ses travers. Je suis frappé dans cet ordre d’idée par les paroles du Christ en croix et cette incroyable humanité lorsqu’il dit son sentiment d’abandon, ou encore un peu plus tôt lorsqu’il supplie que « cette coupe s’éloigne de moi ». Là, le Christ est loin de la toute-puissance, de la maîtrise totale de sa souffrance physique et de sa détresse psychologique. Il est homme, et Xavier Thévenot nous dit que « l’humanisation conduite dans l’humilité est le passage obligé de la rencontre de Dieu ».
L’amour par le don de soi est donc la forme la plus aboutie de la chasteté. J’accepte ma condition d’homme avec ses grandeurs et ses servitudes, je prends la mesure de mes limites et de mes capacités et je vais à la rencontre de l’autre en ayant pour objectif de le faire grandir en humanité. J’échappe à la tyrannie de mes instincts et j’entre en relation authentique, en ayant garde de ne pas surestimer ma capacité à maîtriser mes pulsions mais en ne me réfugiant pas non plus dans un univers asexué et désincarné. C’est tout mon être qui est appelé à la relation, dans le respect de mes engagements, des engagements de celui que je rencontre et aussi dans la conscience de ce que notre rencontre produit en nous et autour de nous.
Mère Térésa a dit : « La joie vient du don de toi. » Elle était experte en la matière ! Il est certain qu’elle vivait la chasteté dans sa relation aux pauvres de Calcutta. L’une des expressions principales de cette chasteté, paradoxalement, c’était sans doute sa capacité à les embrasser et à les prendre dans ses bras. Elle redonnait alors de l’humanité, une sensibilité, une personnalité à des individus indifférenciés en un seul bloc - les pauvres, les malades - par le regard des autres.

Chasteté et gradualité

Je souhaite aussi replacer cette notion de chasteté dans un cheminement grâce à la « loi de gradualité », un concept que j’ai découvert il y a peu mais que mes enfants m’avaient appris sans le savoir chaque fois qu’ils m’ont dit avec une totale sincérité : « C’est promis, je ne recommencerai plus ! »
Nous sommes nous aussi comme des enfants devant nos pulsions et nos limites, et donc face à cette chasteté dont nous percevons bien maintenant le sens et la richesse. Nous voulons avoir un regard chaste, nous voulons faire grandir l’autre et gagner en humanité mais les changements à faire en nous sont l’affaire d’une vie.
J’ai envie de dire ici : soyons chastes par rapport à la chasteté ! Pas de toute-puissance, pas de cris de victoire et de manifestation d’une maîtrise définitive. En psychologie, nous savons bien que nous retrouvons cycliquement le même type de comportement, sous des formes différentes et à des degrés divers. Saint Paul dit : « J’ai une épine dans ma chair. » Herbert Alphonso - cf. supra - nous rappelle que l’on ne peut « couper un problème et le jeter à la poubelle » mais que « ce qui a été un problème restera toujours une part de moi-même. » Par contre, je peux apprendre peu à peu à l’intégrer pour qu’il ne constitue plus une douleur ou une difficulté constante. Il en va de même pour la chasteté, cheminement qui m’appelle à intégrer peu à peu mes pulsions et mes tentations dans un tout plus vaste et bien plus dynamique, le don de soi dans l’amour pour l’autre et pour les autres. Cheminement qui me demandera sans cesse un réajustement du regard et du cœur au fil de mon évolution personnelle mais aussi au fil des changements qui interviennent autour de moi.
J’ajouterai ici une dernière remarque sur ce chemin. Comme beaucoup d’autres, il peut se parcourir plus simplement en acceptant de perdre plutôt qu’en voulant gagner. Perdre au sens de lâcher prise, un processus dont j’ai trouvé dans une conférence - auteur inconnu - une illustration magnifique : on demandait un jour à Michel-Ange comment il parvenait à faire de si belles statues. Il répondit : « Je ne fais rien du tout, je dégage de la pierre ce qui y est déjà. »


Couple et chasteté

Me voici enfin arrivé au cœur du sujet. Bref, voici le début de mon intervention... Le reste n’était qu’une introduction. Je ferai ici appel à mon expérience autant qu’à des lectures pour distinguer deux aspects incontournables du sujet : la chasteté dans le couple et la chasteté en dehors du couple.

Chasteté dans le couple

Je vais ici m’inspirer de la distinction faite par Myriam Terlinden entre quatre dimensions dans la personne humaine. Je me permets de les appliquer au couple humain.

La dimension du corps
Comment mari et femme vivent-ils cette dimension ? Mon conjoint est-il un objet ou une personne, a-t-il vraiment la liberté de me dire oui ou non lorsque je manifeste mon désir ? La question interroge chaque couple, lorsque les désirs ne coïncident pas ou plus, lorsque la fatigue ou le stress par exemple génèrent des réactions diamétralement opposées : pour l’un, désir sexuel comme un remède et pour l’autre absence de désir dans un tel contexte. Dans d’autres couples, le conjoint peut être instrumentalisé à travers le vêtement par exemple, et devenir objet de fierté affiché aux regards extérieurs pour mieux montrer sa propre puissance : « Regardez la belle femme que j’ai su séduire et conquérir ! »
Dans les moments les plus intimes, la relation peut être chaste si l’un et l’autre savent rester attentifs. Lorsque mon plaisir l’emporte et me fait oublier mon conjoint, j’ai perdu cette chasteté de la relation. J’aurais envie d’ajouter comme un clin d’œil ce que tous les bons romans d’amour nous ont enseigné : les moments les plus chastes sont toujours les meilleurs, ou pour le dire autrement, c’est l’amour donné et partagé qui donne le plus grand bonheur. Don Juan le sait bien, lui qui se détourne de celle qu’il a conquise dès lors qu’elle se donne. Imaginez le risque qu’il prendrait à se mettre au diapason de cet amour donné, lui qui ne connaît que l’amour qui capte. Il courrait le risque d’aimer vraiment, en perdant ainsi ce qu’il ressent comme son pouvoir sur l’autre. Mieux vaut séduire ailleurs !

La dimension affective
Définir la chasteté dans ce domaine paraît un peu plus subtil, puisque nous passons à nouveau ici à un sens plus vaste du mot. Il s’agit de vérifier quel est le degré de liberté laissé à mon conjoint et c’est donc aussi d’amour donné et de confiance accordée qu’il s’agit. Le jaloux n’est pas chaste ; puisqu’il échafaude et imagine en permanence des situations dans lesquelles son partenaire le trahit, il ne donne pas sa confiance. Son amour n’est plus don mais captation exclusive de l’autre, qui va se traduire paradoxalement par la perte progressive de l’amour de son conjoint. L’amour ne peut grandir que dans la confiance, et c’est la confiance elle-même qui permet de grandir. C’est vrai pour les enfants qu’il nous faut savoir laisser partir peu à peu, voire parfois encourager à partir. C’est aussi vrai dans le couple : sans confiance, l’amour est un enfer pour celui qui veut capter et pour celui qui se sent emprisonné. Dans le domaine de l’affectif, être chaste, c’est bien dire : « Je t’aime et donc je te fais confiance. » Celui qui reçoit cette parole, s’il possède un sens moral, souhaitera être à la hauteur du cadeau qui lui est fait.

La dimension intellectuelle
Cet aspect me parle beaucoup, à moi qui viens d’une famille où on aime avoir raison après avoir développé une argumentation plus puissante que celle de son vis-à-vis. Il y a peut-être aussi une chasteté de l’intelligence qui va me demander de vérifier quelle est la vraie cause de la jouissance que je ressens à élaborer ma pensée. Il y a une vraie jouissance de l’intellect, mais elle peut provenir d’un sentiment de toute-puissance qui n’est pas dans l’ordre de la chasteté. Ecraser mon interlocuteur, lui montrer ma capacité à raisonner, impressionner un auditoire et rechercher l’admiration par la séduction de l’esprit : voilà des motivations possibles, qui n’ont pas pour but de faire grandir celui à qui je m’adresse. Dans le couple, la tentation est grande lorsque l’un des deux conjoints possède une intelligence plus verbale, de l’utiliser pour écraser et avoir raison. Je pense à ces femmes éduquées, et dopées à la lecture de magazines psychologisants, qui vont faire en direct une ébauche d’analyse psychologique de leur mari. C’est une prise de pouvoir insupportable pour celui qui en est la victime. Une telle attitude n’est pas chaste au sens où elle viole en l’autre un espace très personnel, qu’il n’a pas forcément souhaité dévoiler – se dévoiler à lui-même ou dévoiler à l’autre. Le viol ne fait pas grandir, il dévalorise la personne et la relation. Dans le couple, il est essentiel de vérifier que mon conjoint est prêt à entendre ce que je souhaite lui dire.
Cette réflexion me permet de souligner que la chasteté consiste aussi à savoir choisir le moment qui convient : pour la relation intime, je ne contrains pas mon conjoint mais je suis attentif à son besoin. Il en va de même pour vivre l’intimité du cœur ou de l’esprit.
Ajoutons également une caractéristique inattendue de la chasteté qui se dévoile ici : elle est efficace puisqu’elle m’invite à partager avec mon conjoint au moment où il est prêt pour ce partage, quel qu’en soit la nature. Il en sera plus riche et plus fructueux.

La dimension spirituelle
Myriam Terlinden définit cette chasteté spirituelle en prenant le contre-exemple du Pharisien : « Merci, Seigneur, de ce que je ne suis pas comme le publicain derrière moi » (Lc 18, 9). La chasteté de l’intelligence m’invite à ne pas rabaisser l’autre en le dominant par l’esprit. Mais je suis aussi invité à ne pas juger mon conjoint sur sa pratique religieuse ou ce que je crois savoir de sa vie spirituelle. Cette remarque peut paraître étonnante : dans un couple chrétien, comment imaginer que l’un abaisse l’autre au moyen de la vie spirituelle ou sacramentelle ? Incroyable et scandaleux n’est ce pas ? Je suis certain pourtant que tous les couples ont fait un jour une telle expérience, l’un utilisant comme arme ou argument contre l’autre sa propre vie de prière – « ce n’est pas toi qui… » – sa pratique ou sa piété. Un jour ou l’autre, on a besoin de se sentir supérieur et tous les moyens sont alors bons pour le prouver.

Pour conclure, ces réflexions nous redisent combien la chasteté est une disposition du cœur qui touche à tous les domaines de notre existence. Dans le couple, elle est une dimension particulièrement créatrice parce que, comme nous l’avons dit tout à l’heure, elle est source d’une rencontre plus authentique entre les conjoints. Chacun des membres du couple est attentif au besoin de l’autre et la rencontre de deux capacités d’écoute, de deux désirs ou simplement l’envie partagée d’être ensemble sont créateurs de bonheur.

Chasteté en dehors du couple

Ce point me paraît essentiel pour conclure cet exposé parce qu’il me semble que la chasteté d’un homme ou d’une femme mariés en dehors de leur couple et celle que vit un célibataire consacré ne sont pas fondamentalement différentes.
Nous, couples mariés, nous avons en apparence l’avantage de pouvoir trouver auprès d’une personne que nous aimons un soutien, un partage profond et aussi la joie de relations sexuelles qui épanouissent le corps et le cœur.
Vous avez bien noté : « en apparence » ! Les choses ne sont peut-être pas aussi simples. Je vais dire quelques mots à ce sujet dans un premier temps.

Couple et satisfaction des besoins
Nous le redisons toujours aux jeunes fiancés, du moins ceux qui sont encore dans la phase d’idéalisation. Le couple ne peut satisfaire tous nos besoins. Grosso modo, tout le monde le sait et cela ne surprend pas. Pourtant, dans l’inconscient, et encore plus dans l’inconscient collectif actuel, la valeur couple a pris une telle importance que, paradoxalement, elle s’en trouve fragilisée. Redisons premièrement que, si je ne suis pas chaste, le couple risque d’être très frustrant pour moi : ma femme n’aura pas les mêmes envies que moi au plan sexuel, elle n’aura pas le même rythme ni les mêmes façons de vivre au quotidien et de partager ses joies ou ses soucis. « Ils ne feront plus qu’un » dit l’Ecriture. Si cela est un bel objectif au plan spirituel, si cela est parfois réussi au plan charnel, la vie se charge de nous séparer le plus souvent. Frustration, colère et conflits sont inévitables si la dimension de liberté radicale et de différence radicale de l’autre n’est pas profondément admise par chacun.
Allons même prudemment un peu plus loin… Quelle femme mariée, quel homme marié n’a pas un jour rêvé de prendre un studio, loin du vacarme des enfants et des exigences de son conjoint ? Il peut arriver que le couple pèse plus qu’il n’apporte à certains moments de l’existence.
Le couple est donc le lieu des ajustements permanents, de l’expérience des limites de l’autre et des siennes propres, c’est, comme nous l’avons vu, un des lieux où s’éduque la chasteté. Il ne protège en aucun cas de l’extérieur, de l’usure du temps et de la frustration ou encore des soucis du quotidien. Il y a donc bien une chasteté à vivre en dehors du couple, et celui-ci ne nous dispense en rien de cet apprentissage.

Couple, ouverture et chasteté
L’ouverture du couple à l’extérieur peut être vécue comme un danger. Il fut un temps où les maris ne souhaitaient pas que leurs femmes travaillent, pour des raisons pratiques ou sociologiques certes, mais aussi dans certains cas par peur des rencontres intéressantes qu’elles pourraient faire au travail. Quant aux femmes qui explorent les poches de veste de leur mari, on en a vu dans bon nombre de films ! Nous revenons ici à la confiance : confiance en moi-même et confiance en l’autre. Mon image de moi-même est-elle suffisamment solide pour que je ne ressente pas comme un risque l’éventuelle concurrence des collègues de travail s’ils se rendent compte que j’ai fait un bon choix ?

Ai-je suffisamment confiance en l’autre et dans notre relation ? C’est toute la problématique de la jalousie qui est posée là, et elle nous ramène à la chasteté comme non-possession de l’autre et confiance accordée dans l’amour. A ce stade de la relation, l’ouverture du couple à l’extérieur va devenir une chance. C’est l’occasion pour chacun de s’enrichir et de partager ensuite dans le couple en offrant à son conjoint cet enrichissement, mais aussi en l’additionnant de ce que celui-ci va y ajouter ; ici encore, la chasteté du cœur et de l’intelligence est primordiale, qui va permettre un échange profond, sans souci de dominer ou d’impressionner son partenaire mais avec l’envie d’écouter pour grandir et faire grandir. Les thérapeutes conseillent aux couples de parler de ce qu’ils ressentent, d’aller dans l’intimité des sentiments qui est le lieu de l’échange authentique. On peut parler politique ou même sport mécanique en évoquant des ressentis et pas seulement des idées. Un tel échange sera générateur de chasteté en dehors du couple parce que sa qualité nous donne envie de garder belle une telle relation.
Voilà qui nous amène à évoquer les stratégies pour vivre la chasteté en dehors du couple.

Couple et chasteté, quelques stratégies

Nous venons de voir combien l’ouverture du couple peut être génératrice de profondeur dans l’échange. Je rappelle également dès à présent que j’entends par chasteté une attitude qui va au-delà de la fidélité sexuelle. On peut être fidèle au plan sexuel mais infidèle à son couple par ailleurs, par exemple en n’investissant pas dans le lien affectif avec son conjoint ou dans la vie familiale.

Trouver un équilibre et accepter de le réviser constamment en fonction du « système »
La chasteté m’appelle à m’investir, à me donner totalement là où sont mes choix, en essayant de trouver la mesure la plus juste pour donner vraiment. Si je suis souvent absent et que cela crée un dommage à ma famille, je ne suis pas en accord avec cette valeur. Si je suis sans cesse à la maison et que je dis avoir réellement besoin d’une ouverture extérieure, je dois aussi m’interroger sur ce qui fait que je reste dans cette situation, et peut-être sur les bénéfices que j’en retire – prise de pouvoir matériel sur ma famille, sentiment d’être indispensable… Il s’agit donc bien de trouver un équilibre personnel et familial qui permet mon épanouissement dans le but de mieux donner autour de moi, équilibre qui sera certainement différent dans un ou deux ans selon la loi de l’analyse systémique : quelque chose aura bougé chez moi ou autour de moi, il faudra réajuster. Je pense aux affres des rentrées scolaires en famille et de la réorganisation annuelle des emplois du temps de chacun… Notre vie est bâtie sur ce modèle de réorganisation constante, et l’imprévu nous oblige parfois à des virages inattendus. Rester figé, refuser de bouger, c’est aussi risquer de maintenir tout notre environnement au « point mort », expression imagée.

Se connaître soi-même sans angélisme ni pessimisme
La chasteté m’appelle à la fidélité du cœur et du corps. Je dois connaître mes forces et mes faiblesses pour ne pas me placer dans des situations délicates. Xavier Thévenot parle dans son livre des amitiés féminines des prêtres et donne un certain nombre de pistes de réflexion. On pourrait les reprendre quasiment à l’identique pour ce qui est des couples mariés. L’amitié forte est une richesse, mais chacun doit savoir que l’inconscient galope malgré nous, que certaines de nos pulsions partielles restent bien présentes et aussi, aspect très important, que nos gestes et nos paroles n’ont pas chez l’autre le même sens que pour nous. Nous ne sommes pas responsables de ce qu’éveillent chez l’autre nos gestes et nos paroles mais nous pouvons néanmoins garder une réserve qui permet d’éviter une grande partie des ambiguïtés.
Certains pratiquent l’angélisme. Une forme courante de cet angélisme, c’est de penser que mon alliance me protège… Redoutable illusion ! Une autre forme d’angélisme est de croire que, parce qu’on est amis, il ne peut rien se passer… Tous ceux qui ont vu partir un conjoint avec le ou la meilleur(e) amie(e) pourront témoigner. Cette double trahison est particulièrement difficile à vivre, mieux vaut ne pas y exposer son couple.
D’autres pratiquent un pessimisme qui s’apparente au manque de confiance : tout le monde peut et va me trahir ou tenter de me séduire, donc méfiance absolue. Une telle attitude est évidemment stérilisante.
Se connaître, c’est savoir que je suis particulièrement sensible à tel ou tel caractère physique, psychologique ou intellectuel, et me poser à cette aune la question de la clarté de la relation que je choisis de commencer avec tel ou telle. Chasteté, donc pas de désir de posséder l’autre, souci de le faire grandir et de grandir moi-même.
Je voudrais d’ailleurs ici vous faire part d’une réflexion qui m’est venue au sujet de l’accompagnement. Vous serez sans doute amenés à accompagner des personnes et il me semble que la chasteté joue dans cette démarche un rôle essentiel : non seulement, bien sûr, être attentif à l’inévitable relation transférentielle qui s’installe entre l’accompagnateur et celui qu’il aide, à un moment ou à un autre, mais aussi se garder de la toute-puissance dans la relation d’aide. Le chemin est parcouru par la personne, pas par moi, et l’aide que j’apporte n’est importante que parce que la personne choisit de l’accepter et d’en tirer parti. Sur un plan spirituel, je suis le relais, le passeur. Sur un plan psychologique, je reste aussi un relais, et rien ne se fait grâce à moi. Je suis là, j’ai une compétence et une personnalité et celui qui veut grandir en tire parti. C’est bien. Je m’en réjouis. Mais cela ne va pas plus loin… Il y a du dépouillement dans cette chasteté !

Nourrir son couple
La chasteté ne va pas de soi. Vue sous l’angle de la fidélité dans le couple, elle est parfois une épreuve dans le choix et le renoncement. Il serait cependant malsain qu’elle soit vécue comme un mal nécessaire, et elle échouerait alors dans son objectif d’épanouissement de la personne humaine.
Un couple se doit de se nourrir, sous des formes qui lui appartiennent ou bien en utilisant les méthodes éprouvées que proposent certains mouvements.
Au plan pratique, la première nourriture du couple est le temps. Passer du temps ensemble, du temps aussi riche que possible en n’oubliant pas d’y ouvrir son cœur à son conjoint, c’est aussi donner du sens à ce couple, une consistance, un contenu. Un ami athée, marié et fidèle me disait un jour qu’il ne concevait pas de trahir son engagement parce « qu’avec les autres femmes, je m’ennuie très vite. » On peut juger l’argument un peu court. Je l’ai trouvé très beau parce qu’il m’a paru refléter ce que ce couple avait su construire, en dehors de toute superstructure spirituelle : un lieu unique où on échange, une relation unique et originale qui fait pâlir toutes les autres. Cela n’empêche pas au contraire de construire d’autres relations dans d’autres contextes, mais ce couple-là reste radicalement unique et très certainement solide sur ses bases.
Au plan spirituel, il n’est pas toujours facile pour un couple de partager cette dimension si profonde, si intime. Pourtant, passer du temps ensemble à prier, même en silence côte à côte, est aussi un facteur d’unité et de solidité. Partager jusqu’au spirituel crée des liens plus profonds encore. Il ne s’agit évidemment pas d’une assurance tous risques mais mettre Dieu au cœur de son couple lui donne une dimension nouvelle et invite d’autant plus chacun des conjoints à l’émerveillement.


Conclusion

Je voudrais simplement reprendre en quelques lignes les découvertes que j’ai faites en travaillant cet exposé, afin de bien souligner ce qui m’est apparu comme essentiel.
La chasteté, mot un peu vieillot en apparence et plutôt difficile à utiliser dans la conversation courante sans déclencher des sourires ironiques, s’avère être ni plus ni moins qu’une morale de la relation humaine. Elle présuppose chez moi une dynamique personnelle tendue vers le don par amour, le choix de faire grandir celui qui chemine avec moi, le désir de vivre une intimité riche mais dont les modalités sont pleinement et mutuellement consenties en fonction de mon état de vie, le respect de la différence et la conscience de sa richesse, l’humilité quant à mon importance et la lucidité sur mes capacités et mes faiblesses. Elle se nourrira de relations saines et d’une vie affective équilibrée mais elle viendra aussi les nourrir en m’aidant à trouver l’attitude ou la parole justes. Dans le couple, elle permet l’épanouissement de chacun et hors du couple, elle libère des énergies pour construire et porter du fruit.
La chasteté nous permet ainsi d’entrer pleinement en relation, et je citerai pour conclure un frère – anonyme – qui vit en ermite et goûte ainsi plus précieusement encore chacune des rencontres que la vie lui apporte. Ce qu’il dit nous rappelle l’importance parfois insoupçonnée d’un moment passé ensemble, d’une parole échangée ou d’un geste partagé : « Il y a une histoire d’éternité qui commence à chaque relation. »


Notes
(1) Herbert Alphonso, Tu m’as appelé par mon nom, Ed. Saint Paul, 1995.
(2) Myriam Terlinden, La chasteté, intervention disponible sur www.fiancailles.net
(3) Xavier Thévenot, Repères éthiques pour un monde nouveau, Salvator, 1989.
(4) Marie-Noëlle Fabre, Luc Crépy, La sexualité… tout simplement, Ed. de l’Atelier, 2002.