Si l’Eglise vous appelle...


Père Marcel BEGUIN
Prêtre du diocèse de Versailles

Une question est souvent posée aux prêtres ou aux religieuses, en particulier par des jeunes : " Votre vocation, ça vous est venu comment ? " Bonne question. Vocation veut dire appel, cela revient à dire : " Qui vous a appelé ? ". Tout le monde connaît la bonne réponse : l’appel vient de Dieu. Mais rares sont ceux et celles qui peuvent, sans sourciller, déclarer qu’ils ont eu avec lui une communication directe. C’est par des voies - et des voix humaines - que passe le message divin qui dit " Veux-tu ? ".

Les chemins de la vocation sont infiniment variés. Pour l’un, c’est la découverte du monde, avec ses souffrances, ses misères, ses solitudes, qui ui a fait dire : " Il faut que j’y aille ! ". Pour tel ou telle autre, c’est la parole d’un chrétien, d’un prêtre ou d’un évêque - le fameux " J’embauche ! " du cardinal Marty - qui a été déterminante, en faisant découvrir les services dont l’Eglise a besoin pour vivre et accomplir sa mission. Pour d’autres, c’est tout simplement l’éducation chrétienne qu’il a reçue : elle a fait mûrir un appel profond et une réponse quasi évidente, comme naturelle. Dans ce domaine, beaucoup citent l’ambiance familiale, l’école, un mouvement de jeunesse, la paroisse.

La paroisse

En terme d’appels, la communauté paroissiale s’y connaît : il n’y a qu’à écouter les "annonces" à la fin de toute messe du dimanche. C’est un véritable catalogue d’offres d’emploi. On demande des catéchistes, des animateurs d’aumônerie, des permanents pour l’accueil, des volontaires pour le service des malades ou des familles en deuil, des voix d’hommes et de femmes pour la chorale, des bonnes volontés pour le Secours Catholique et les associations de toute sorte à but social ou humanitaire, des gros bras et des astucieux pour préparer et animer la kermesse, des chefs et cheftaines pour les mouvements scouts, des participants aux différents services liturgiques : lecteurs, animateurs de chant, décoration florale, servants d’autel, coordinations diverses, intendance, rédaction de publications d’information paroissiale, secrétariat … Sans compter les diverses formes "d’élections" pour constituer le conseil pastoral, l’équipe d’animation pastorale ou le conseil pour les affaires économiques...

Comme, habituellement, les "annonces" ne suffisent pas, l’appel sera répercuté par les autres moyens ordinaires de communication : les rencontres, les conversations, le téléphone...

Ainsi, dans la communauté paroissiale, tous se retrouvent responsables de formuler des appels et tous sont appelés aussi à répondre, puisque toutes les "vocations" y sont complémentaires et que tous ont besoin les uns des autres. Interrogez ceux qui ont répondu à l’un de ces appels : ils vous diront sans doute que, même s’ils l’ont fait en traînant les pieds, même s’il leur a fallu surmonter un bon nombre de difficutés, cet appel était une grâce.

Toute l’Eglise, appel de Dieu

C’est que la communauté paroissiale est la cellule d’une entreprise mystérieuse : de a façon la plus élémentaire, mais aussi la plus concrète, elle est cette petite portion d’humanité appelée par le Seigneur pour être ferment, sel et lumière. Quand les apôtres, Paul, Pierre, Jacques ou Jean écrivaient aux premières communautés chrétiennes, ils les appelaient " Eglises " et leurs membres : " les saints "...

Ceux qui étaient rassemblés là n’étaient pourtant que des hommes et des femmes comme les autres, ni meilleurs ni pires que les autres humains. Mais le regard de foi découvrait dans ce rassemblement le résultat d’une initiative de Dieu, un Dieu qui a toujours besoin d’un peuple pour être son témoin et révéler son amour au monde, un Dieu qui appelle sans cesse des volontaires à s’unir pour accomplir cette mission.

Paul écrit à la petite communauté chrétienne de la ville de Colosses : " Vous êtes élus, sanctifiés, aimés de Dieu " . Pierre dit à ses correspondants : " Vous êtes la race élue, la communauté sacerdotale du Roi, la nation sainte, le peuple que Dieu s’est acquis pour proclamer les hauts faits de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui jadis n’étiez pas un peuple, mais qui maintenant êtes le peuple de Dieu ".

Les sacrements, événements d’appel

C’est bien ce que révèle la vie d’une paroisse : quand on passe en revue tous les actes de la vie chrétienne célébrés par la communauté paroissiale, on découvre que chacun d’eux est proclamation d’un appel de Dieu et réponse solennelle à la "vocation" fondamentale des chrétiens à travers les événements et les âges de leur vie.

" La Messe du dimanche, disait un chrétien, c’est la réunion de chantier hebdomadaire de l’Eglise ". Au bout d’une semaine de travail à la construction d’un monde qu’ils veulent fraternel, les chrétiens convergent vers l’église paroissiale pour se replonger ensemble dans le grand projet de Celui qui les a embauchés. Chacun, porteur de ses efforts et de ses infidélités, de ses espoirs et de ses lassitudes, vient dire au Maître : " Me voici ! Voilà ce que j’ai fait des talents que tu m’as confiés " . Mais surtout, le Maître accueille tous ses ouvriers à sa table, il les instruit de sa Parole et les nourrit de son Corps, de son Sang et les renouvelle dans leur vocation, " chacun selon la grâce qui lui est donnée ".

Voici le Baptême. Il est toujours profondément émouvant d’accueillir l’enfant et d’écouter la présentation exprimée, parfois maladroitement mais toujours sincèrement, par les parents : " Notre enfant, le voici " . Réponse à un appel souvent plus pressenti qu’entendu à travers les médiations les plus diverses, dans le bouleversement du mystère profond de la naissance. En écho, la réponse divine se fera entendre au terme de la célébration : " Désormais tu es membre du Corps du Christ et tu participes à sa dignité de prêtre, de prophète et de roi " . Et les cloches de l’église vont sonner joyeusement l’événement : la communauté des chrétiens vient de célébrer une ordination, un sacre et un envoi en mission !

Il en est de même du Mariage qui consacre deux êtres saisis par l’appel à réaliser dès ici-bas le projet primordial de Dieu " Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa, et il leur dit : "soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la" " (Gn 1, 27) .

Il faut lire dans cette même lumière les démarches de Réconciliation et le sacrement du même nom : " C’est Dieu lui-même qui vous adresse un appel. Au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu " (2 Co 5, 21). Enfin, au bout du chemin, les funérailles célébrées dans la foi sont comme l’ultime appel que Dieu adresse à celui que la communauté chrétienne accompagne : " Eveille-toi, toi qui dors, lève-toi d’entre les morts, et sur toi le Christ resplendira " ( Ep 5, 14).

La paroisse, cadre de tous ces événements, est donc bien lieu de "vocation". C’est là que, chaque dimanche, la Parole de Dieu est entendue qui dit : " venez " et " allez ". Car cette communauté chrétienne qui se rassemble n’a pas d’autre raison d’être que sa mission au coeur du monde : " C’est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous produisiez du fruit et que votre fruit demeure " , dit Jésus (Jn 15, 16), et encore, dans son ultime prière : " Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les envoie dans le monde... afin que le monde croie que tu m’as envoyé " (Jn 17, 18 à 21).

" Qu’ils soient un, pour que le monde croie ! "

L’Eglise n’a en effet qu’un objectif : " Que le monde croie " . C’est un défi formidable ! En confiant à ses disciples la charge de le relever, le Christ leur donne en même temps le secret de la réussite : " Qu’ils soient Un " , c’est-à-dire, que tous, sans exception participent à l’aventure, dans la diversité de ce que chacun apporte. En d’autres termes : chacun de nous est une chance pour l’ensemble. Il faut nous y mettre tous ensemble. Aucun ne doit manquer.

L’apôtre Paul, s’adressant aux communautés naissantes, leur donnait une leçon, à la fois fondamentale et très concrète sur la complémentarité des dons et des fonctions dans le Corps du Christ : " Au nom de la grâce qui m’a été donnée, je dis à chacun d’entre vous : n’ayez pas de prétentions au-delà de ce qui est raisonnable, soyez assez raisonnables pour n’être pas prétentieux, chacun selon la mesure de foi que Dieu lui a donnée en partage. En effet, comme nous avons plusieurs membres en un seul corps et que ces membres n’ont pas tous la même fonction, ainsi, à plusieurs nous sommes un seul corps en Christ, et tous membres les uns des autres, chacun pour sa part. Et nous avons des dons différents selon la grâce qui nous a été accordée. " (Rm 12, 3-6)... " L’oeil ne peut pas dire à la main : "Je n’ai pas besoin de toi", ni la tête dire aux pieds : "Je n’ai pas besoin de vous" " (1 Co 12, 21).

Voici encore le même Paul, écrivant aux chrétiens de la communauté d’Ephèse pour leur apprendre qu’ils sont appelés à bâtir le Corps du Christ dans l’unité. Il leur dit tout de go qu’ils sont, les uns pour les autres, les "cadeaux" du Seigneur à son Eglise qu’il aime : " C’est lui qui a donné certains comme apôtres, d’autres encore comme évangélistes, d’autres enfin comme pas teurs et chargés de l’enseignement, afin de mettre les saints en état d’accomplir le ministère pour bâtir le corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’adultes, à la taille du Christ dans sa plénitude " (Ep 4, 11-13). Il avait commencé son exhortation en disant : " Accordez votre vie à l’appel que vous avez reçu ; en toute humilité et douceur, avec patience, supportez-vous les uns les autres dans l’amour ; appliquez-vous à garder l’unité par le lien de la paix. "

Il nous faut donc accueillir avec beaucoup de reconnaissance, comme des cadeaux du Seigneur, les frères et soeurs qu’il a appelés à servir sur le même terrain que nous, avec, bien sûr, des sensibilités et des points de vue différents des nôtres. La conscience de ces différences, l’épreuve que constitue l’exigence du travail en commun, nous fait faire une découverte salutaire : la fidélité à notre vocation personnelle s’inscrit nécessairement dans une fidélité plus large, la vocation commune de toute l’Eglise à témoigner que Dieu aime tous les hommes.

La Paroisse, lieu de l’appel

Si une telle complémentarité, une telle synergie, doivent exister entre tous les serviteurs de l’Eglise, il est indispensable qu’il y ait dans chaque communauté chrétienne quelqu’un qui accepte de veiller au bien de l’ensemble : pour que chacun puisse bien tenir sa place dans l’oeuvre commune, que l’accueil de tous les ouvriers soit bien assuré, que tous soient encouragés, que les divergences ou conflits puissent être surmontés de façon positive. Surtout, il faut que soit rappelé en toutes circonstances le lien vital de la communauté avec le Seigneur.

Le Corps ne peut vivre que relié à sa Tête. Les ministres ordonnés, prêtres ou diacres sont les signes indispensables de ce lien avec le Christ Jésus, consacrés par toute leur existence à veiller sur cette vie de l’Eglise, à la nourrir de la Parole et des sacrements, à l’entraîner sur les chemins de l’union à Dieu et de l’amour fraternel.

Dans l’ombre, mais combien précieuse, la présence des religieux, religieuses et de tous les consacrés est signe et exemple de disponibilité, de gratuité et de prière pour nos communautés. Ces serviteurs, comme tous les autres, c’est Dieu qui les donne. Mais le vivier qui leur donne le plus naturellement naissance, c’est bien l’humble paroisse où ils ont reçu le baptême et où ils peuvent faire leur première expérience d’une vie d’Eglise. Ce sont les chrétiens des paroisses, conscients - et qui ne l’est pas ? - que " La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux " , qui sont les mieux placés, non seulement pour " Prier le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson " , mais aussi pour faire résonner l’appel et se dire entre eux : " Qui de nous acceptera de donner sa vie en partage pour réchauffer la foi et le courage de tous, afin que nous ne laissions pas le monde mourir de faim et de froid ? " . Car l’Eglise n’attend qu’un peu plus de foi, d’espérance et d’amour pour être vraiment féconde au service du monde.

Il est donc certain que les communautés paroissiales ont un rôle important à jouer dans l’éveil des vocations. Nous avons vu que, généralement, elles savent fort bien appeler leurs membres à se mettre au service les uns des autres. Ont-elles suffisamment conscience que c’est d’elles aussi que peuvent surgir les ministres qui, de plus en plus leur manquent cruellement ?

Réciproquement, les communautés paroissiales sont aussi, pour ceux qui sont engagés à leur service, le grand soutien de leur vie et de leur ministère. Je peux en témoigner : prêtre depuis plus de cinquante ans, ce sont toujours les communautés chrétiennes, et plus particulièrement les communautés paroissiales que j’ai servies, qui m’ont fait découvrir ce que je suis et la mission que j’ai reçue. Ma vocation ne m’apparaît pas comme un événement qui a surgi à un moment de ma vie et auquel je n’ai eu qu’à répondre une fois pour toutes. Je la découvre au contraire comme une succession d’appels, chaque jour et à chaque instant, appels qui traduisent dans une formidable variété l’appel fondamental : " Viens, suis-moi !... Lève-toi et marche ! "

Dans la diversité d’une vie paroissiale se fait entendre au jour le jour, et souvent de façon inattendue, la multiplicité des appels qu’expriment l’Eglise et le monde. Pour les serviteurs que nous sommes, c’est une aventure merveilleuse : autant d’occasions qui nous sont offertes pour répondre : " Me voici " .