Seconde partie du document final


Le but fondamental de cette partie théologique est de permettre de saisir le sens de la vie humaine par rapport à Dieu, communion trinitaire. Le mystère du Père, du Fils et du Saint-Esprit fonde la pleine existence de l’homme, en tant qu’appel à l’amour dans le don de soi et dans la sainteté, et en tant que don dans l’Eglise pour le monde. Toute anthropologie détachée de Dieu est illusoire.

Théologie de la vocation

"Il y a diversité de charismes mais c’est le même esprit" (1 Co 12, 4)

Il s’agit maintenant de définir les éléments structurels de la vocation chrétienne, son architecture essentielle qui, évidemment, ne peut être que théologique. Cette réalité, qui a déjà fait l’objet de multiples analyses, notamment de la part du Magistère, est riche d’une tradition spirituelle, biblico-théologique, qui a formé non seulement des générations d’appelés, mais aussi une spiritualité de l’appel.

La demande de sens pour la vie

14. A l’école de la Parole de Dieu, la communauté chrétienne accueille la réponse la plus élevée à la demande de sens qui surgit, plus ou moins clairement, dans le coeur de l’homme. C’est une réponse qui ne vient pas de la raison humaine, bien que toujours provoquée, de manière dramatique, par le problème de l’existence et du destin, mais de Dieu. C’est lui qui remet à l’homme la clef de lecture servant à éclaircir et à résoudre les grandes interrogations qui font de l’homme un sujet qui interroge : " Pourquoi sommes-nous au monde ? Qu’est-ce que la vie ? Quelle est la destination finale au-delà du mystère de la mort ? ".

Il ne faut cependant pas oublier que dans la culture de la distraction dans laquelle sont surtout plongés les jeunes de notre temps, les questions fondamentales courent le risque d’être étouffées ou d’être refoulées. Plus que cherché, aujourd’hui le sens de la vie est imposé : soit par ce que l’on vit dans l’immédiat, soit par ce qui gratifie les besoins qui, une fois satisfaits, rend la conscience toujours plus obtuse, laissant les interrogations les plus vraies non élucidées.[ 1]

La théologie pastorale et l’accompagnement spirituel ont donc pour tâche d’aider les jeunes à interroger la vie, pour parvenir à formuler, dans un dialogue décisif avec Dieu, la question de Marie de Nazareth : " Comment est-ce possible ? " (cf. Lc 1, 34).

L’icône trinitaire

15. A l’écoute de la Parole, non sans stupeur, nous découvrons que la catégorie biblico-théologique la plus compréhensible et la plus à même d’exprimer le mystère de la vie, à la lumière du Christ, est celle de la " vocation " [ 2 ] , " Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation " [ 3 ].

Voilà pourquoi la figure biblique de la communauté de Corinthe présente les dons de l’Esprit, dans l’Eglise,comme subordonnés à la reconnaissance de Jésus comme le Seigneur.

La christologie constitue véritablement le fondement de toute anthropologie et ecclésiologie. Le Christ est le projet de l’homme. Ce n’est qu’après que le croyant a reconnu que Jésus est le Seigneur " sous l’action de l’Esprit Saint " (cf. 1 Co 12, 3) qu’il peut accueillir le statut de la nouvelle communauté des croyants : " Il y a, certes, diversité de dons spirituels, mais c’est le même Esprit ; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous " (1 Co 12, 4-6).

L’image paulinienne met clairement en évidence trois aspects fondamentaux des dons de vocation dans l’Eglise, étroitement liés à leur origine au sein de la communion trinitaire et en référence spécifique avec chacune des Personnes.

A la lumière de l’Esprit, les dons sont l’expression de son infinie gratuité. Il est lui-même charisme (Ac 2, 38), source de tout don et expression de la créativité divine incompressible.

A la lumière du Christ, les dons vocationnels sont " ministères " ; ils expriment la diversité multiforme du service que le Fils a vécu jusqu’au don de sa vie. En effet, il " n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie " (Mt 20, 28). Jésus est donc le modèle de tout ministère.

A la lumière du Père, les dons sont " opérations " car c’est à partir de lui, source de la vie, que tout être déploie son dynamisme de créature. L’Eglise reflète donc, en tant qu’icône, le mystère de Dieu Père, de Dieu Fils et de Dieu Esprit Saint. Et toute vocation porte en elle les traits caractéristiques des trois Personnes de la communion trinitaire. Les personnes divines sont source et modèle de tout appel. Bien plus, la Trinité, en elle-même, est un entrelacement mystérieux d’appels et de réponses. Ce n’est que là, à l’intérieur de ce dialogue ininterrompu, que chaque vivant retrouve non seulement ses racines, mais aussi son destin et son avenir, ce qu’il est appelé à être et à devenir, dans la vérité et la liberté, dans le concret de son histoire.

En effet, les dons, dans le statut ecclésiologique de la première épître aux Corinthiens, ont une destination historique et concrète : " A chacun la manifestation de l’Esprit est donnée en vue du bien commun " (1 Co 12, 7). Il existe un bien supérieur qui dépasse naturellement le don personnel : construire le Corps du Christ dans l’unité ; rendre épiphanique sa présence dans l’histoire " afin que le monde croie " (Jn 17, 21).

Par conséquent, la communauté ecclésiale est, d’une part, enveloppée par le mystère de Dieu, elle en est l’icône visible et, d’autre part, elle est totalement impliquée dans l’histoire de l’homme dans le monde, en état d’exode, vers les " cieux nouveaux ". L’Eglise et toute vocation en elle expriment un dynamisme identique : être appelé à une mission.

Le Père appelle à la vie

16. L’existence de chacun est le fruit de l’amour créateur du Père, de son désir efficace, de sa parole génératrice.

L’acte créateur du Père possède la dynamique d’un appel, d’un appel à la vie. L’homme vient à la vie parce qu’il est aimé, pensé et voulu par une Volonté bonne qui l’a préféré à la non-existence, qui l’a aimé avant même qu’il soit, connu avant même de le former dans le sein maternel, consacré avant qu’il vienne à la lumière cf. Jn 1, 5 ; Is 49, 1.5 ; Ga 1, 15).

a) " ... à son image "

Dans " l’appel créateur ", l’homme apparaît immédiatement dans toute la force de sa dignité en tant que sujet appelé à la relation avec Dieu, à être devant lui, avec les autres, dans le monde, avec un visage qui reflète les œuvres divines : " Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance " (Gn 1, 26). Cette triple relation appartient au dessein originel, car le Père " nous a élus en lui - le Christ - dès la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour " (Ep 1, 4).

Reconnaître le Père signifie que nous existons à sa manière, puisqu’il nous a créés à son image (Sg 2, 23). C’est donc en cela qu’est contenue la vocation fondamentale de l’homme : la vocation à la vie et à une vie immédiatement conçue à la ressemblance de la vie divine. Si le Père est l’éternelle source de vie, la gratuité totale, la source éternelle de l’existence et de l’amour, l’homme est appelé, à la mesure de son être, mesure petite et limitée, à être comme lui ; il est donc appelé à " donner la vie ", à prendre en charge la vie d’un autre.

Alors, l’acte créateur du Père est ce qui permet de prendre conscience que la vie est consignée à la liberté de l’homme appelé à donner une réponse tout-à-fait personnelle et originale, responsable et pleine de gratitude.

b) L’amour, sens plénier de la vie

Dans cette perspective de l’appel à la vie, il nous faut exclure quelque chose : que l’homme puisse considérer l’existence comme une chose évidente, due et casuelle. Il n’est peut-être pas facile, dans la culture contemporaine, de s’émerveiller devant le don de la vie [ 4 ].

Alors qu’il est plus facile de percevoir le sens d’une vie donnée, celle qui déborde vers les autres, il faut en revanche une conscience plus mûre, une certaine formation spirituelle, pour percevoir que la vie de chacun, dans tous les cas et avant tout autre choix, est amour reçu et qu’en conséquence un projet de vocation est déjà caché dans cet amour.

Le simple fait d’exister devrait avant tout nous émerveiller et nous remplir d’une immense gratitude envers Celui qui, d’une façon entièrement gratuite, nous a tirés du néant en prononçant notre nom.

Dès lors, la perception que la vie est un don ne devrait pas seulement susciter une attitude de reconnaissance mais elle devrait lentement suggérer la première grande réponse à la demande fondamentale de sens : la vie est le chef-d’oeuvre de l’amour créateur de Dieu. Elle est en soi un appel à aimer : don reçu qui tend par nature à devenir bien donné.

c) L’amour, vocation de tout homme

L’amour est le sens plénier de la vie. Dieu a tant aimé l’homme qu’il lui a donné sa propre vie et l’a rendu capable de vivre et d’aimer à la manière divine. C’est dans cet excès d’amour, l’amour du commencement, que l’homme trouve sa vocation radicale, qui est " vocation sainte " (2 Tm 1, 9), et découvre son identité unique qui le rend immédiatement semblable à Dieu, " à l’image du Saint " qui l’a aimé (1 P 1, 15). " En créant l’humanité de l’homme et de la femme à son image et en la conservant continuellement dans l’être - commente Jean Paul II - Dieu inscrit en elle la vocation, et donc la capacité et la responsabilité correspondantes, à l’amour et à la communion. L’amour est donc la vocation fondamentale et innée de tout être humain ". [ 5 ]

d) Le Père éducateur

Grâce à cet amour qui l’a créé, personne ne peut se sentir " superflu ", car chacun est appelé à répondre selon un projet de Dieu pensé expressément pour lui.

L’homme sera donc heureux et pleinement réalisé en étant à sa place, en accueillant la proposition éducative de Dieu, avec toute la crainte qu’une telle intention suscite dans un coeur de chair. Dieu créateur qui donne la vie est également le Père qui " éduque ", qui tire du néant ce qui n’est pas encore pour le faire être ; il tire du coeur de l’homme ce qu’il y a placé, afin qu’il soit pleinement lui-même, et ce qu’il l’a appelé à être, à sa manière.

D’où la nostalgie d’infini que Dieu a mis dans le monde intérieur de chacun, comme un sceau divin.

e) L’appel du Baptême

Cette vocation à la vie et à la vie divine est célébrée dans le Baptême. Dans ce sacrement, le Père se penche avec une tendresse attentionnée sur la créature, fils ou fille de l’amour d’un homme et d’une femme, pour bénir le fruit de cet amour et faire en sorte qu’il devienne pleinement son fils. A partir de ce moment-là, la créature est appelée à la sainteté des enfants de Dieu. Rien ni personne ne pourra jamais effacer cette vocation.

Avec la grâce du Baptême, Dieu le Père intervient pour manifester que lui, et lui seul, est l’auteur du plan du salut, à l’intérieur duquel chaque être humain joue un rôle personnel. Son acte est sans précédent, antérieur ; il n’attend pas l’initiative de l’homme, ne dépend pas de ses mérites, ni ne se modèle à partir de ses capacités ou dispositions. C’est le Père qui connaît, désigne, imprime une impulsion, met un sceau, appelle encore " dès la fondation du monde " (Ep 1, 4). Puis il donne la force, chemine près de nous, soutient les efforts, est Père et Mère pour toujours.

La vie chrétienne acquiert ainsi une signification d’expérience de réponse : elle devient réponse responsable pour faire grandir un rapport filial avec le Père et un rapport fraternel dans la grande famille des enfants de Dieu. Le chrétien est appelé à favoriser, à travers l’amour, ce processus de ressemblance au Père qui s’appelle vie théologale.

Aussi la fidélité au Baptême conduit-elle à poser à la vie, et à soi-même, des questions toujours plus précises ; surtout pour se disposer à vivre l’existence non seulement en vertu d’aptitudes humaines, qui sont autant de dons de Dieu, mais en vertu de sa volonté ; non pas selon des perspectives mondaines, trop souvent de petit cabotage, mais selon les désirs et les projets de Dieu. La fidélité au Baptême signifie dès lors regarder vers le haut, en tant que fils, pour discerner sa volonté sur notre vie et sur notre avenir.

Le Fils appelle à le suivre

17. " Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit " (Jn 14, 8)

C’est ce que demande Philippe à Jésus, la veille de la passion. C’est la nostalgie poignante de Dieu, présente dans le coeur de tout homme : connaître ses racines, connaître Dieu. L’homme n’est pas infini, il est immergé dans la finitude ; mais son désir gravite autour de l’infini.

La réponse de Jésus surprend les disciples : " Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui m’a vu a vu le Père " (Jn 14, 9).

a) Envoyé par le Père pour appeler l’homme

Le Père nous a créés dans le Fils, " resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance " (He 1, 3), nous destinant à être conformes à son image (cf. Rm 8, 29). Le Verbe est l’image parfaite du Père. Il est Celui dans lequel le Père s’est rendu visible, le Logos par lequel il " nous a parlé " (He 1, 2). Tout son être est d’" être envoyé ", pour rendre Dieu, en tant que Père, proche des hommes, pour dévoiler son visage et son nom aux hommes (Jn 17, 6).

Si l’homme est appelé à être fils de Dieu, en conséquence, personne mieux que le Verbe Incarné ne peut " parler " de Dieu à l’homme et représenter l’image réussie du fils. Voilà pourquoi le Fils de Dieu, en venant sur cette terre, a appelé à Le suivre, à être comme lui, à partager sa vie, sa parole, sa Pâque de mort et de résurrection, et même ses sentiments.

Le Fils, envoyé de Dieu s’est fait homme pour appeler l’homme : l’envoyé du Père est celui qui appelle les hommes.

Voilà pourquoi il n’existe aucun passage de l’Evangile ou une rencontre ou un dialogue qui n’ait une signification vocationnelle, qui n’exprime, directement ou indirectement, un appel de la part de Jésus. C’est comme si ses rendez-vous humains, provoqués par les circonstances les plus diverses, étaient d’une manière ou d’une autre une occasion pour lui de placer la personne face à la question stratégique : " Que dois-je faire de ma vie ? ", " Quel est mon chemin ? ".

b) Le plus grand amour : donner la vie

A quoi Jésus appelle-t-il ? A le suivre pour être et agir comme lui. Plus particulièrement, à vivre la même relation qu’il entretient avec le Père et avec les hommes : à accueillir la vie comme un don venant des mains du Père pour " perdre " et reverser ce don sur ceux que le Père lui a confiés.[ 6 ]

Il existe un trait unificateur dans l’identité de Jésus qui constitue le sens plénier de l’amour : la mission.

Celle-ci exprime l’abnégation, qui atteint son épiphanie suprême sur la croix. " Nul n’a plus grand amour que celui ci : donner sa vie pour ses amis " (Jn 15, 13). Aussi, chaque disciple est-il appelé à répéter et à revivre les sentiments du Fils, qui trouvent une synthèse dans l’amour, motivation décisive de tout appel. Mais surtout chaque disciple est appelé à rendre visible la mission de Jésus, il est appelé pour la mission : " Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie " (Jn 20, 21). La structure de toute vocation, et même sa maturité, consiste à continuer Jésus dans le monde, pour faire, comme lui, de la vie un don. L’envoi en mission est en effet la consigne du soir de Pâques (Jn 20, 21) et la dernière parole avant de monter vers le Père (Mt 28, 16-20).

c) Jésus, le formateur

Chaque appelé est signe de Jésus : en quelque sorte son coeur et ses mains continuent à embrasser les petits, à guérir les malades, à réconcilier les pécheurs et à se laisser clouer en croix par amour pour tous. Le fait d’être pour les autres, avec le coeur du Christ, est le visage mûr de toute vocation. Voilà pourquoi le Seigneur Jésus est le formateur de ceux qu’il appelle, le seul qui puisse modeler en eux ses sentiments.

Chaque disciple, en répondant à son appel et en se laissant former par lui, exprime les traits les plus vrais de son choix. C’est pourquoi " le fait de Le reconnaître ui, comme le Seigneur de la vie et de l’histoire, comporte aussi l’auto-reconnaissance du fait d’être disciple (...)L’acte de foi allie nécessairement la reconnaissance christologique et l’auto-reconnaissance anthropologique " [ 7 ]. D’où la pédagogie de l’expérience vocationnelle chrétienne évoquée par la Parole de Dieu : Jésus " en institua Douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher " (Mc 3, 14). Pour être vécue en plénitude, dans la dimension du don et de la mission, la vie chrétienne a besoin de motivations fortes et surtout de communion profonde avec le Seigneur : dans l’écoute, dans le dialogue, dans la prière, dans l’intériorisation des sentiments, en se laissant former par lui chaque jour et surtout dans le désir ardent de communiquer au monde la vie du Père.

d) L’Eucharistie : l’investiture pour la mission

Dans toutes les catéchèses de la communauté chrétienne primitive, la place centrale du mystère pascal est évidente. Le message central du mystère pascal : annoncer le Christ mort et ressuscité. Dans le mystère du pain partagé et du sang versé pour la vie du monde, la communauté croyante contemple l’épiphanie suprême de l’amour, la vie du Fils de Dieu offerte.

Voilà pourquoi dans la célébration de l’Eucharistie, " sommet et source "[ 8 ] de la vie chrétienne, est célébrée la révélation la plus haute de la mission de Jésus-Christ dans le monde ; mais l’Eucharistie célèbre aussi l’identité de la communauté ecclésiale convoquée pour être envoyée, appelée à la mission.

Dans la communauté qui célèbre le mystère pascal, chaque chrétien entre et prend part au style du don de Jésus, en devenant comme lui pain rompu pour l’offrande faite au Père et pour la vie du monde.

L’Eucharistie devient ainsi la source de toute vocation chrétienne ; en elle, tout croyant est appelé à se conformer au Christ Ressuscité totalement offert et donné. Il devient icône de toute réponse de vocation ; comme en Jésus, en toute vie et en toute vocation, il existe une fidélité difficile à vivre jusqu’à la mesure de la croix.

Celui qui y prend part accueille l’invitation-appel de Jésus à " faire mémoire " de lui, dans le sacrement et dans la vie, à vivre " en rappelant " dans la vérité et la liberté des choix quotidiens le mémorial de la croix, à remplir l’existence de gratitude et de gratuité, à briser son corps et à verser son sang. Comme le Fils.

L’Eucharistie engendre enfin le témoignage et prépare à la mission : " Allez dans la paix ". On passe de la rencontre avec le Christ sous le signe du Pain à la rencontre avec le Christ sous le signe de chaque homme. La réponse à l’appel rencontre l’histoire de la mission. La fidélité à sa vocation puise aux sources de l’Eucharistie et se mesure dans l’Eucharistie de la vie.

L’Esprit appelle au témoignage

18. Chaque croyant éclairé par l’intelligence de la foi est appelé à connaître et à reconnaître Jésus comme le Seigneur ; et, en lui, à se reconnaître soi-même. Mais cela n’est pas seulement le fruit d’un désir humain ou de la bonne volonté de l’homme. Même après avoir vécu l’expérience prolongée avec le Seigneur, les disciples ont toujours besoin de Dieu. Bien plus, la veille de la passion, ils sont un peu perturbés (Jn 14, 1), ils redoutent la solitude. Jésus les encourage en leur faisant une promesse inouïe : " Je ne vous laisserai pas orphelins " (Jn 14, 18). Les premiers appelés de l’Evangile ne resteront pas seuls : Jésus leur assure la compagnie diligente de l’Esprit.

a) Consolateur et ami, guide et mémoire

" Il est le "Consolateur ", I’Esprit de bonté, que le Père enverra au nom du Fils, don du Seigneur ressuscité " [ 9 ], " pour qu’il soit avec vous à jamais " (Jn 14, 16).

L’Esprit devient ainsi l’ami de chaque disciple, le guide au regard jaloux sur Jésus et sur les appelés, pour faire d’eux des témoins à contre-courant de l’événement le plus bouleversant du monde : le Christ est mort et ressuscité. Il est en effet la " mémoire " de Jésus et de sa Parole : " Lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit " (Jn 14, 26) ; et même " il vous introduira dans la vérité tout entière " (Jn 16, 13).

La nouveauté permanente de l’Esprit consiste à guider vers une intelligence progressive et profonde de la vérité, cette vérité qui n’est pas une notion abstraite, mais le projet de Dieu dans la vie de chaque disciple. C’est la transformation de la Parole en vie et de la vie selon la Parole.

b) Animateur et accompagnateur des vocations

De la sorte, l’Esprit devient le grand animateur de toute vocation, Celui qui accompagne le cheminement pour qu’il arrive au but, l’iconographe intérieur qui modèle avec imagination le visage de chacun selon Jésus.

Il est toujours présent à côté de chaque homme et de chaque femme, pour conduire tous les hommes au discernement de leur identité de croyants et d’appelés, pour modeler cette identité exactement selon le modèle de l’amour divin. Cette " empreinte divine ", l’Esprit sanctificateur cherche à la reproduire en chacun de nous, patient artisan de nos âmes et " consolateur parfait ".

Mais l’Esprit rend surtout les appelés capables de " témoigner " : " il me rendra témoignage. Mais vous aussi, vous témoignerez " (Jn 15, 26-27). Cette façon d’être de tout appelé constitue la parole convaincante, le contenu même de la mission. Le témoignage ne consiste pas seulement à suggérer les paroles de l’annonce comme dans l’Evangile de Matthieu (Mt 10, 20), mais plutôt à conserver Jésus dans son cœur et à l’annoncer, lui, comme la vie du monde.

c) La sainteté, vocation de tous

La question concernant le saut de qualité à imprimer à la pastorale des vocations aujourd’hui devient une interrogation qui engage sans aucun doute à écouter l’Esprit : car c’est lui l’annonciateur des " choses à venir " (Jn 16, 13) ; c’est lui qui donne une intelligence spirituelle nouvelle pour comprendre l’histoire et la vie à partir de la Pâque du Seigneur dont la victoire comporte l’avenir de tout homme.

Il devient donc légitime de nous demander : en quoi réside l’appel de l’Esprit Saint pour notre temps ? Quelles corrections devons-nous apporter aux chemins de la pastorale des vocations ?

La réponse ne viendra que si nous accueillons le grand appel à la conversion, adressé à la communauté ecclésiale et à chacun de nous en elle, comme un véritable itinéraire d’ascése et de renaissance intérieure, pour que chacun retrouve la fidélité à sa propre vocation.

Il existe une primauté de la vie dans l’Esprit qui est à la base de toute pastorale des vocations. Cela exige de dépasser un pragmatisme diffus et l’extériorisation qui conduit à oublier la vie théologale de la foi, de l’espérance et de la charité. L’écoute profonde de l’Esprit est le nouveau souffle de toute action pastorale de la communauté ecclésiale.

La primauté de la vie spirituelle est le premier pas pour répondre à cette nostalgie de sainteté qui, comme nous l’avons déjà rappelé, traverse aussi l’époque qu’est en train de vivre l’Eglise d’Europe. La sainteté est la vocation universelle de chaque homme [ 10 ], elle est la voie royale vers laquelle convergent les nombreux sentiers des vocations particulières. Par conséquent, le grand rendez-vous de l’Esprit pour ce tournant de l’histoire post-conciliaire est la sainteté des appelés.

d) Les vocations au service de la vocation de l’Eglise

Mais tendre efficacement vers cet objectif signifie adhérer à l’action mystérieuse de l’Esprit selon certaines directions précises, qui préparent et constituent le secret d’une vraie vitalité de l’Eglise de l’an 2000.

C’est à l’Esprit Saint que revient le rôle éternel de la communion qui se reflète dans l’icône de la communauté ecclésiale, visible à travers la pluralité des dons et des ministères [ 11 ]. Car c’est précisément dans l’Esprit que chaque chrétien découvre son originalité absolue, l’unicité de son appel et, en même temps, sa tendance naturelle et indélébile vers l’unité. C’est dans l’Esprit que les vocations dans l’Eglise sont nombreuses tout en n’étant qu’une seule et même vocation à l’unité de l’amour et du témoignage. C’est encore l’action de l’Esprit qui rend possible la pluralité des vocations dans l’unité de la structure ecclésiale : la variété des vocations dans l’Eglise est nécessaire pour réaliser la vocation de l’Eglise et, à son tour, la vocation de l’Eglise est de rendre possibles et praticables les vocations de et dans l’Eglise. Les diverses vocations sont donc tournées vers le témoignage de l’agapê, vers l’annonce du Christ, unique Sauveur du monde.

Telle est précisément l’originalité de la vocation chrétienne : faire coïncider la réalisation de la personne avec celle de la communauté. Ce qui veut dire - encore une fois - faire prévaloir la logique de l’amour sur celle des intérêts privés, la logique du partage sur celle de l’appropriation narcissique des talents (cf. 1 Co 12-14).

La sainteté devient donc la véritable épiphanie de l’Esprit Saint dans l’histoire. Si chaque Personne de la Communion Trinitaire a son visage, et s’il est vrai que les visages du Père et du Fils sont assez familiers - car Jésus en se faisant homme nous a révélé le visage du Père -, les saints deviennent l’icône la plus parlante de l’Esprit. De même, tout croyant fidèle à l’Evangile, selon sa vocation particulière et suivant l’appel universel à la sainteté, cache et révèle le visage de l’Esprit Saint.

 

e) Le " oui " à l’Esprit dans la Confirmation

Le sacrement de la Confirmation est le moment qui exprime de manière la plus évidente et consciente le don et la rencontre avec l’Esprit Saint.

Le confirmant face à Dieu et à son geste d’amour (" Reçois le sceau de l’Esprit Saint qui t’est donné en don " [ 12 ]) mais face aussi à sa conscience et à la communauté chrétienne, répond " amen ". Il est important de retrouver le sens fort de cet " amen " au niveau de la formation et de la catéchèse [ 13 ].

Il veut avant tout signifier le "oui" à l’Esprit Saint et, avec lui, à Jésus. Voilà pourquoi la célébration du sacrement de Confirmation prévoit le renouvellement des promesses baptismales et demande au confirmant de s’engager à renoncer au péché et aux oeuvres du malin, toujours aux aguets pour défigurer l’image chrétienne ; et surtout de s’engager à vivre l’Evangile de Jésus et, en particulier, le commandement de l’amour. Il s’agit de confirmer et de rénover la fidélité de sa vocation à son identité de fils de Dieu.

L’" amen " est également un " oui " à l’Eglise. Par la Confirmation, le jeune déclare prendre en charge la mission de Jésus que continue la communauté, en s’engageant dans deux directions pour rendre concret son " amen " : le témoignage et la mission. Celui qui reçoit la Confirmation sait que la foi est un talent qu’il faut faire fructifier ; c’est un message à transmettre aux autres par la vie, par le témoignage cohérent de tout son être et par la parole, avec le courage missionnaire de diffuser la bonne nouvelle.

Enfin, l’" amen " exprime la docilité à l’Esprit Saint pour penser et décider de son avenir selon le projet de Dieu. Non seulement selon ses aspirations et aptitudes ; non seulement dans les espaces mis à sa disposition par le monde ; mais surtout en harmonie avec le dessein, toujours inédit et imprévisible, que Dieu a sur chacun.

De la Trinité à l’Eglise dans le monde

19. Toute vocation chrétienne est " particulière " car elle interpelle la liberté de chaque homme et engendre une réponse tout à fait personnelle dans une histoire originale et unique. C’est pourquoi chacun, dans sa propre expérience de vocation, trouve une histoire qui ne peut être réduite à des schémas généraux. L’histoire de chaque homme est une petite histoire, mais fait toujours partie, d’une manière absolument unique, d’une grande histoire. Dans le rapport entre ces deux histoires, entre sa petitesse et la grandeur qui lui appartient et le dépasse, l’être humain joue sa liberté.

a) Dans l’Eglise et dans le monde, pour l’Eglise et le monde

Chaque vocation naît en un lieu précis, dans un contexte concret et limité, mais ne se referme pas sur elle-même, ni ne tend à une perfection privée ou à l’auto-réalisation psychologique ou spirituelle de l’appelé ; elle fleurit dans l’Eglise, dans cette Eglise qui chemine dans le monde vers le Royaume accompli, vers la réalisation d’une histoire qui est grande car c’est une histoire de salut.

La communauté ecclésiale elle-même possède une structure profondément vocationnelle : elle est appelée pour la mission ; elle est le signe du Christ missionnaire du Père. Comme le dit Lumen Gentium : " L’Eglise est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain " [ 14 ].

D’une part, l’Eglise est le signe qui reflète le mystère de Dieu ; elle est l’icône qui renvoie à la communion trinitaire sous le signe de la communauté visible et au mystère du Christ dans le dynamisme de la mission universelle. D’autre part, l’Eglise est immergée dans le temps des hommes, elle vit dans l’histoire dans une condition d’exode, elle est en mission au service du Royaume pour transformer l’humanité en la communauté des enfants de Dieu.

Aussi l’attention envers l’histoire demande-t-elle à la communauté ecclésiale de se mettre à l’écoute des attentes des hommes, de lire les signes des temps qui constituent le code et le langage de l’Esprit Saint, d’entrer en un dialogue critique et fécond avec le monde contemporain, en accueillant avec bienveillance les traditions et les cultures pour révéler en elle le dessein du Royaume et y jeter le levain de l’Evangile.

La petite grande histoire de chaque vocation se mêle à l’histoire de l’Eglise dans le monde. De même qu’il est né dans l’Eglise et dans le monde, chaque appel est au service de l’Eglise et du monde.

b) L’Eglise, communauté et communion de vocations

C’est dans l’Eglise, communauté de dons pour l’unique mission, que se réalise le passage de la condition où se trouve le croyant inséré dans le Christ par le Baptême à sa vocation " particulière " comme réponse au don spécifique de l’Esprit.Dans cette communauté, toute vocation est " particulière " et se spécifie à travers un projet de vie ; il n’existe pas de vocations générales.

Par ailleurs, dans sa particularité, chaque vocation est à la fois " nécessaire " et " relative ". " Nécessaire ", parce que le Christ vit et se rend visible dans son corps qu’est l’Eglise et dans le disciple qui en constitue une partie essentielle. " Relative ", parce qu’aucune vocation n’épuise à elle seule le signe de témoignage du mystère du Christ, mais n’en exprime qu’un aspect. Seul l’ensemble des dons manifeste l’ensemble du corps du Seigneur. Dans l’édifice, chaque pierre a besoin de l’autre (1 P 2, 5) ; dans le corps, chaque membre a besoin de l’autre pour faire grandir l’organisme tout entier et profiter à l’utilité commune (1 Co 12, 7).

Cela demande que la vie de chacun soit conçue à partir de Dieu qui en est la source unique et que tout pourvoit au bien de tous ; cela exige que l’on redécouvre que la vie n’est véritablement significative que si elle accepte de se mettre sur les traces de Jésus.

Mais il est important aussi qu’il y ait une communauté ecclésiale qui aide de fait tout appelé à découvrir sa vocation. Le climat de foi, de prière, de communion dans l’amour, de maturité spirituelle, de courage de l’annonce, d’intensité de la vie sacramentelle fait de la communauté croyante un terrain adapté non seulement à l’éclosion de vocations particulières, mais à la création d’une culture des vocations et d’une disponibilité des individus à recevoir leur appel personnel. Lorsqu’un jeune perçoit l’appel et décide en son coeur d’accomplir le saint voyage conduisant à sa réalisation, normalement il existe là une communauté qui a créé les prémisses de cette disponibilité à l’obéissance [ 15 ].

Ou si l’on veut : la fidélité d’une communauté croyante à sa vocation est la condition primordiale et fondamentale de l’éclosion de la vocation individuelle des croyants, en particulier des plus jeunes.

c) Signe, ministère, mission

Aussi chaque vocation, en tant que choix de vie stable et définitif, s’ouvre sur une triple dimension : par rapport au Christ, tout appel est " signe " ; par rapport à l’Eglise, elle est " ministère " ; par rapport au monde, elle est " mission " et témoignage du Royaume.

Si l’Eglise est " dans le Christ, en quelque sorte sacrement ", toute vocation révèle la dynamique profonde de la communion trinitaire, l’action du Père, du Fils et de l’Esprit, comme événement qui fait être dans le Christ des créatures nouvelles modelées sur lui.

Chaque vocation est dès lors un signe, une façon particulière de révéler le visage du Seigneur Jésus. " L’amour du Christ nous presse " (2 Co 5, 14). Jésus devient ainsi le mobile et le modèle décisifs de toute réponse aux appels de Dieu.

Par rapport à l’Eglise, toute vocation est ministère, enraciné dans la pure gratuité du don. L’appel de Dieu est un don pour la communauté, pour l’utilité commune, dans le dynamisme des nombreux services ministériels. Cela est possible dans la docilité à l’Esprit qui fait de l’Eglise la " communauté des visages " [ 16 ] et engendre dans le coeur du chrétien l’agapê, non seulement comme éthique de l’amour, mais aussi comme structure profonde de la personne, appelée et habilitée à vivre en relation aux autres, dans une attitude de service, selon la liberté de l’Esprit.

Enfin, toute vocation, par rapport au monde, est mission. Elle est vécue en plénitude parce qu’elle est vécue pour les autres, comme celle de Jésus ; elle est donc génératrice de vie : " la vie engendre la vie " [ 17 ]. D’où la participation intrinsèque de toute vocation à l’apostolat et à la mission de l’Eglise, germe du Royaume. Vocation et mission constituent deux faces du même prisme. Elles définissent le don et la contribution de chacun au projet de Dieu, à l’image et à la ressemblance de Jésus.

d) L’Eglise, mère de vocations

L’Eglise est mère de vocations car elle les fait naître en son sein, avec la puissance de l’Esprit, elle les protège, les nourrit et les soutient. En particulier, elle est mère car elle exerce une précieuse fonction médiatrice et pédagogique.

" L’Eglise, appelée par Dieu, constituée dans le monde comme communauté d’appelés, est à son tour instrument de l’appel de Dieu. L’Eglise est un appel vivant, par la volonté du Père, par les mérites du Seigneur Jésus, par la force de l’Esprit Saint (...). La communauté, qui prend conscience d’être appelée, prend en même temps conscience qu’elle doit continuellement appeler " [ 18 ]. C’est à travers et au long de cet appel, sous ses diverses formes, que passe aussi l’appel qui vient de Dieu.

Elle l’exerce encore lorsqu’elle se fait l’interprète autorisé de l’appel vocationnel explicite et qu’elle appelle elle-même, présentant les nécessités liées à sa mission et aux exigences du peuple de Dieu, et en invitant à répondre généreusement.

Elle l’exerce également lorsqu’elle demande au Père le don de l’Esprit qui suscite la réponse dans le coeur des appelés et lorsqu’elle les accueille et reconnaît en eux l’appel lui-même, en leur donnant explicitement et en leur confiant avec ferveur une mission concrète et toujours difficile parmi les hommes.

Nous pourrions enfin ajouter que l’Eglise manifeste sa maternité lorsque, au-delà de l’appel et de la reconnaissance de l’aptitude des appelés, elle pourvoit à leur formation adéquate, initiale et permanente, et à leur accompagnement tout au long de la voie d’une réponse toujours plus fidèle et radicale. La maternité ecclésiale ne peut certes pas s’épuiser lors de l’appel initial.

De même qu’une communauté de croyants qui ne ferait qu’" attendre ", ne faisant reposer la responsabilité de l’appel que sur l’action divine, craignant presque d’adresser des appels, ne saurait se dire mère. Tout comme si elle donnait pour acquis le fait que des jeunes gens et des jeunes filles, en particulier, sachent recevoir immédiatement l’appel à une vocation ; ou si elle n’offrait pas des cheminements visant à une proposition et à un accueil de cette proposition.

La crise des vocations des appelés est également, aujourd’hui, la crise de ceux qui appellent, désertant parfois ou n’osant pas le faire. Si personne n’appelle, comment quelqu’un pourrait-il répondre ?

La dimension œcuménique

20. L’Europe d’aujourd’hui a besoin de nouveaux saints et de nouvelles vocations, de croyants capables de " jeter des ponts " pour unir toujours davantage les Eglises. C’est un aspect typique de nouveauté, un signe des temps de la pastorale des vocations de cette fin de millénaire. Sur un continent marqué par une profonde aspiration unitaire, les Eglises doivent être les premières à donner l’exemple d’une fraternité plus forte que toutes les divisions et tout à construire et à reconstruire. " La pastorale des vocations aujourd’hui en Europe doit revêtir une dimension œcuménique. Toutes les vocations, présentes dans chaque Eglise d’Europe, doivent s’efforcer ensemble de relever le grand défi de l’évangélisation au seuil du troisième millénaire, en donnant un témoignage de communion et de foi en Jésus-Christ, unique sauveur du monde " [ 19 ].

Dans cet esprit d’unité ecclésiale, il faut encourager le partage des biens que l’Esprit de Dieu a semés un peu partout, ainsi que l’aide réciproque entre les Eglises.

Les Eglises catholiques d’Orient

21. Les Eglises d’Europe occidentale doivent accorder une plus grande attention aux cheminements spirituels et de formation des Eglises catholiques orientales. Cela ne peut qu’exercer une influence bénéfique sur la pastorale des vocations de toutes les Eglises.

La sainte liturgie revêt une importance particulière à l’égard de la formation des vocations pour les Eglises d’Orient. Elle est le lieu où se réalisent la proclamation et l’adoration du Mystère du salut, où naît la communion et où se construit la fraternité entre les croyants, jusqu’à devenir la véritable formatrice de la vie chrétienne, la synthèse la plus complète de ses différents aspects. Dans la liturgie, la confession joyeuse d’appartenir à la tradition des Eglises d’Orient est unie à la pleine communion avec l’Eglise de Rome.

C’est pourquoi les évêques, les supérieurs religieux et les agents pastoraux des Eglises catholiques orientales d’Europe sont sollicités à ressentir cette urgence pour toutes leurs Eglises, en retrouvant et en conservant intégralement leur patrimoine liturgique respectif, patrimoine qui contribue de façon unique à la naissance et au développement de la théologie et de la catéchèse. Cela, à l’exemple de la méthode mystagogique des Pères, ouvre à l’expérience de l’appel et de la vie spirituelle et fait mûrir un esprit œcuménique fort et sûr. [ 20 ]

Dans les expériences ecclésiales diversifiées, et à travers des études qui présentent le patrimoine historique, théologique, juridique et spirituel de leurs Eglises d’appartenance, les jeunes orientaux peuvent opportunément trouver des milieux éducatifs capables de faire mûrir le sens universel de leur dévouement au Christ et à l’Eglise.

Les évêques ont pour tâche de promouvoir, d’approcher avec sympathie et d’accompagner avec un soin paternel les jeunes qui, individuellement ou en groupe, demandent à se consacrer à la vie monastique en mettant en valeur le charisme des communautés monastiques, riches de formateurs et de guides spirituels.

Le ministère ordonné et les vocations dans la réciprocité de la communion

22. " Dans beaucoup d’Eglises particulières, la pastorale des vocations a encore besoin de faire la clarté sur les rapports entre ministère ordonné, vocation de consécration spéciale et toutes les autres vocations. Une pastorale des vocations unitaire se fonde sur la nature vocationnelle de l’Eglise et de toute vie humaine comme appel et réponse. Ceci est à la base des efforts unitaires de toute l’Eglise pour toutes les vocations et, en particulier, pour les vocations de consécration spéciale" [ 21 ].

a) Le ministère ordonné

A l’intérieur de cette sensibilité générale, une attention pastorale particulière semble devoir être accordée aujourd’hui au ministère ordonné, qui représente la première modalité spécifique d’annonce de l’Evangile. Il représente " la garantie permanente de la présence sacramentelle, dans la diversité des temps et des lieux, du Christ Rédempteur " [ 22 ], et exprime précisément la dépendance directe de l’Eglise par rapport au Christ qui continue à envoyer son Esprit afin qu’elle ne reste pas fermée sur elle-même, dans son cénacle, mais qu’elle chemine sur les routes du monde pour annoncer la bonne nouvelle.

Cette modalité vocationnelle peut s’exprimer selon trois niveaux : épiscopal (auquel est liée la garantie de la succession apostolique), presbytéral (qui " représente sacramentellement le Christ Tête et Pasteur " [ 23 ]) et diaconal (signe sacramentel du Christ serviteur [ 24 ]). Le ministère de l’appel à l’égard de ceux qui aspirent aux Ordres sacrés, pour devenir leurs coopérateurs dans la charge apostolique, est confié aux évêques.

Le ministère ordonné fait être l’Eglise, surtout à travers la célébration de l’Eucharistie, " culmen et fons " [ 25 ] de la vie chrétienne et de la communauté appelée à faire mémoire du Ressuscité. Toute autre vocation naît dans l’Eglise et fait partie de sa vie. Par conséquent, le ministère ordonné exerce un service de communion dans la communauté et, en vertu de cela, possède la tâche inéluctable de promouvoir toute vocation.

D’où la traduction pastorale : le ministère ordonné pour toutes les vocations et toutes les vocations pour le ministère ordonné dans la réciprocité de la communion. L’évêque, avec son presbytérium, est donc appelé à discerner et à cultiver tous les dons de l’Esprit. Mais en particulier l’attention accordée au séminaire doit devenir la préoccupation de toute l’Eglise diocésaine pour garantir la formation des futurs prêtres et la constitution de communautés eucharistiques comme pleine expression de l’expérience chrétienne.

b) L’attention accordée à toutes les vocations

Le discernement et l’attention de la communauté chrétienne doivent s’appliquer à toutes les vocations, aussi bien à celles qui font désormais partie de la tradition de l’Eglise qu’aux nouveaux dons de l’Esprit : la consécration religieuse dans la vie monastique et dans la vie apostolique, la vocation laïque, le charisme des instituts séculiers, les sociétés de vie apostolique, la vocation au mariage, les diverses formes laïques d’agrégation-association liées aux instituts religieux, les vocations missionnaires, les nouvelles formes de vie consacrée.

Ces différents dons de l’Esprit sont présents de diverse façon dans les Eglises d’Europe ; mais toutes ces Eglises, en tout cas, sont appelées à donner un témoignage d’accueil et d’attention à toute vocation. Une Eglise est d’autant plus vivante que l’expression des diverses vocations en elle est riche et variée.

Par ailleurs, à une époque comme la nôtre, qui a besoin de prophétie, il est sage de favoriser ces vocations qui sont un signe particulier de " ce que nous serons et qui n’a pas encore été manifesté " (1 Jn 3, 2), comme les vocations de consécration spéciale ; mais il est sage également et indispensable de favoriser l’aspect prophétique typique de chaque vocation chrétienne, y compris laïque, afin que l’Eglise soit toujours plus, face au monde, signe des choses futures, de ce Royaume qui est " déjà maintenant et pas encore ".

Marie, mère et modèle de toute vocation

23. Il existe une créature en qui le dialogue entre la liberté de Dieu et la liberté de l’homme se réalise d’une manière parfaite, de sorte que les deux libertés puissent agir entre elles en réalisant pleinement le projet de vocation ; une créature qui nous est donnée afin qu’en elle nous puissions contempler un dessein parfait de vocation, celui qui devrait s’accomplir en chacun de nous.

C’est Marie, l’image réussie du rêve de Dieu sur la créature ! Elle est, en effet, créature, comme nous, petit fragment où Dieu a pu reverser son amour divin ; espérance qui nous est donnée, pour qu’en la voyant nous puissions nous aussi accueillir la Parole, afin qu’elle s’accomplisse en nous.

Marie est la femme où la Très Sainte Trinité peut manifester pleinement sa liberté élective. Comme le dit Saint Bernard, commentant le message de l’ange Gabriel, lors de l’Annonciation : " Ce n’est pas une Vierge trouvée au dernier moment, ni par hasard, mais elle fut choisie avant les siècles ; le Très-Haut l’a prédestinée et se l’est préparée " [ 26 ] Saint Augustin lui fait écho : " Avant que le Verbe naisse de la Vierge, il l’avait déjà prédestinée pour être sa mère " [ 27 ].

Marie est l’image du choix divin de toute créature, choix fait depuis toute éternité et souverainement libre, mystérieux et aimant. Choix qui va bien au-delà de ce que la créature peut penser d’elle : qui lui demande l’impossible et qui lui demande simplement une chose, le courage de faire confiance.

Mais la Vierge Marie est aussi le modèle de la liberté humaine dans la réponse à ce choix. Elle est le signe de ce que Dieu peut faire lorsqu’il trouve une créature libre d’accueillir sa proposition. Libre de dire son " oui ", libre de se mettre en chemin au long du pèlerinage de la foi, qui sera aussi le pèlerinage de sa vocation de femme appelée à être Mère du Sauveur et Mère de l’Eglise. Ce long voyage s’accomplira au pied de la croix, à travers un " oui " encore plus mystérieux et douloureux qui la rendra pleinement mère ; puis une nouvelle fois au cénacle, où elle engendre et continue aujourd’hui encore à engendrer, avec l’Esprit, l’Eglise et chaque vocation. Enfin, Marie est l’image parfaitement réalisée de la femme, synthèse parfaite du génie féminin et de l’imagination de l’Esprit, qui trouve et choisit en elle l’épouse, Vierge Mère de Dieu et de l’homme, fille du Très-Haut et mère de tous les vivants. En elle, chaque femme retrouve sa vocation, de vierge, d’épouse et de mère !

Pour suivre l’ensemble du texte du Congrès de Rome :

  • Retour à l’Introduction du Congrès de Rome (Jeunes et Vocations N° 88)
  • Retour à la Ière partiedu Congrès de Rome (Jeunes et Vocations N° 89)
  • Retour à la IIIème partiedu Congrès de Rome (Jeunes et Vocations N° 91)

Notes

1)Propositions, 3 [ Retour au texte ]

2) Paul VI, Populorum progressio, 15 [ Retour au texte ]

3) Gaudium et spes, 22 [ Retour au texte ]

4) A ce propos, une thèse finale du Congrès affirmait : "dans le contexte européen, il est important de faire ressortir le premier moment vocationnel, celui de la naissance. L’accueil de la vie montre que l’on croit en ce Dieu qui ‘voit’ et qui ‘appelle’ dès le sein maternel" (Propositions, 34) [ Retour au texte ]

5) Jean Paul II, Familiaris consortio, 11 [ Retour au texte ]

6) C’est pourquoi, comme l’affirme une thèse du Congrès, "ce n’est qu’au contact vivant de Jésus-Christ Sauveur que les jeunes peuvent développer la capacité de communion, faire mûrir leur personnalité et décider de Le suivre" (Propositions, 13).[ Retour au texte ]

7) IL, 55, Document de travail du Congrès [ Retour au texte ]

8) Sacrosanctum Concilium, 10 [ Retour au texte ]

9) Cf. Veritatis splendor, 23-24 [ Retour au texte ]

10) Cf. Lumen gentium, chap.V [ Retour au texte ]

11) Cf. Propositions, 16 [ Retour au texte ]

12) Rite de la Confirmation [ Retour au texte ]

13) Cf. propositions, 35 [ Retour au texte ]

14)Lumen gentium, 1 [ Retour au texte ]

15) Cf. Propositions, 21 [ Retour au texte ]

16) II Epiclèse [ Retour au texte ]

17) DF, 18 (Doc. Final du Congrès) [ Retour au texte ]

18) DF, 13 (ibidum) [ Retour au texte ]

19) Cf. Propositions, 28 [ Retour au texte ]

20) Ceci fait partie de l’enseignement dispensé avec insistance par Jean Paul II dans les Lettres Encycliques "Slavorum Apostoli" (1985) et "Ut unum sint" (1995), ainsi que dans l’Exhortation Apostolique "Orientale lumen" (1995).[ Retour au texte ]

21) IL, 58 [ Retour au texte ]

22) Jean Paul II, Christifideles laici, 55 [ Retour au texte ]

23) Jean Paul II, Pastores dabo vobis, 15 [ Retour au texte ]

24) "Dans la pastorale spécifique des vocations, une place doit être faite à la vocation au diaconat permanent. Les diacres permanents constituent déjà une présence précieuse dans diverses paroisses et il serait réducteur de ne pas les inclure au nombre des nouvelles vocations de la nouvelle Europe" (Propositions, 18).[ Retour au texte ]

25) Sacrosanctum Concilium, 10 [ Retour au texte ]

26) "In laudibus Virginus Matris", Homilia II, 4 : Sancti Bernardi opera, IV, Romæ, Editiones Cistercenses, 1996, p.23 [ Retour au texte ]

27)"In Iohannis Evangelium Tractatus" VIII, 9 : CCL36, p.87 [ Retour au texte ]