L’école catholique à la rencontre des jeunes

Sur le terrain, l’enseignement catholique est aux premières loges pour accompagner des jeunes, croyants ou non, vers l’âge adulte des décisions. Portrait de l’école catholique dans le diocèse de Cambrai

Le diocèse de Cambrai a une population d’un million d’habitants répartis dans les quatre arrondissements d’Avesnes, Cambrai, Douai et Valenciennes - quatre des treize arrondissements du département du Nord. Son histoire, comme celle de sa population, est marquée par les mutations économiques en textile, charbonnage et métallurgie notamment et par la diminution de l’habitat en zone rurale au profit des zones urbaines. L’Ecole catholique scolarise dix-huit pour cent de la population scolaire dans soixante huit écoles de deux à dix-sept classes, trente deux institutions secondaires et deux établissements agricoles ; elle se caractérise par un nombre important de jeunes en lycée professionnel et technologique. Pour la formation de ses maîtres, un Centre de Formation relation d’un jeune avec Dieu et ses frères, il y a lieu d’accorder place au temps de Dieu, de le goûter avec notre raison, mais renouvelée par son Esprit.

Quelle est la signification du mot " personne " ? La mentalité actuelle considère souvent la personne en tant que sujet de droits - droits de l’homme, droits civiques...-, dans une perspective individualiste, autonome c’est-à-dire qui ne s’appartient qu’à elle même. Cependant nuançons aussitôt le caractère abrupt de cette observation grâce à l’importance du sourire et du langage (Martin Buber), grâce au personnalisme communautaire (Emmanuel Mounier), grâce à la visée d’une vie bonne avec et pour les autres dans des institutions justes (Paul Ricoeur)... Dans l’Ancien Testament, la personne est reçue (elle reçoit le souffle de vie), dans une perspective d’histoire de salut, avec vocation de répondre à l’Alliance en référence au Dieu unique. Dans le Nouveau Testament, la personne est appelée à naître de nouveau et à devenir un être nouveau, elle est assumée par le Christ qui révèle l’humanité intégrale, elle est animée par l’Esprit, elle est vocation à l’amour envers Dieu et envers tous les hommes. Ou encore, la personne est un être avec Dieu, à partir de Dieu, pour Dieu. D’autres remarques nous permettent de nous approcher de l’idée chrétienne de personne. La personne n’est pas un individu isolé, mais un " être avec ", un être accompagné. A la distinction bi-partite corps-esprit, nous préférons la trilogie corps, âme, esprit : vie biologique, vie intellectuelle et morale, vie enracinée dans la vie trinitaire. (Cf. 1 Thessaloniciens 5, 23 - Cf. l’étude d’Henri de Lubac, Cambrésien de naissance, sur l’anthropologie tripartite dans Théologie dans l’histoire La Lumière du Christ, Desclée de Brouwer, Paris 1990, pp. 13-199).

Ces préliminaires posés, nos réflexions s’inspirent, pour répondre à la demande du Service National des Vocations, de divers lieux de réflexions et d’échanges de l’enseignement catholique : Conseil Diocésain de Pastorale de l’Enseignement Catholique, réunions trimestrielles d’animateurs en pastorale scolaire, réunions trimestrielles de chefs d’établissements, rencontre de professeurs, de catéchistes... notamment d’une rencontre récente entre l’Evêque et les équipes d’animation pastorale des établissements de second degré d’un arrondissement : impulsion et reconnaissance ; sans oublier le " Cepage ", lieu diocésain de rencontres de mouvements et services en responsabilité de jeunes. Ces réflexions sont organisées en trois parties : les joies, les difficultés- lieu de travail de l’Esprit Saint -, des convictions.

Les joies

Il est important de commencer par les joies et de nous efforcer à un regard constructif, enraciné dans le baptême, source d’espérance. C’est la joie du Christ partagée : " Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite " (Jn l5, 11). La joie n’est-elle pas une approche de la sainteté de Dieu ? Les joies sont diverses comme les dons de l’Esprit : " Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous. A celui-ci est donné, grâce à l’Esprit, le langage de la Sagesse de Dieu ; à un autre toujours par l’Esprit, le don de la foi ; un autre encore des pouvoirs de guérison dans l’unique Esprit, un autre peut faire des miracles ; un autre est prophète... Mais celui qui agit en tout cela, c’est le même et unique Esprit : il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté ". (1Co 12, 7-11). Ces dons sont reçus en nous-mêmes comme en des vases d’argile, car ce n’est pas en nous-mêmes qu’ils ont leur source. N’est-ce pas ce qu’expriment, souvent dans leurs mots à eux, un homme, une femme au moment de leur mariage : étonnement, émerveillement devant l’autre, sentiment de leur fragilité, recherche de la fidélité de Dieu ? N’est-ce pas ce qu’expriment, mais plus rattachés à la personne de Jésus-Christ, parfois la maman qui accepte d’être catéchiste, souvent la personne qui accepte de répondre à une interpellation en vue de devenir animateur en pastorale, chef d’établissement, diacre, prêtre, ou qui, à trente ans, ayant exercé son métier demande à être religieuse. L’espérance ne jaillit pas de la force du jarret de nos chevaux, comme dit le psalmiste, du stress de nos activités, selon le langage de notre époque, mais du projet de Dieu, de sa fidélité à sa promesse, dans cette confiance de Jésus Christ envers son Père.

Les joies de la pastorale et donc les joies de la pastorale vocationnelle sont multiples

Jeunes et activités

" Joie de voir des jeunes répondre avec enthousiasme et générosité à diverses propositions : colis de Noël, course CCFD, animation d’un repas fraternel organisé par une association caritative locale". (Les expressions entre guillemets sans référence sont extraites de lettres d’équipes d’animation pastorale à notre Père Evêque ou d’échanges entre Animateurs en Pastorale, entre Chefs d’Etablissements...). Rares sont les jeunes qui ne répondent pas à l’appel d’une personne, connue et reconnue par eux, pour une action : " j’ai besoin de toi " ; à condition que l’action soit proportionnée à leurs compétences et à leurs possibilités de réussir.

Jeunes et rencontres

Lors d’une rencontre de cinquante jeunes du diocèse de 12-l5 ans (paroisses, aumônerie de l’enseignement public, enseignement catholique) à Vermand (communauté de Clarisses) un jeune s’exprime : " François, il a tout redonné à Dieu ". Joie des messes de jeunes. Joie d’un Centre de documentation et d’information qui, à Noël, à Pâques, est espace habité par une exposition et où la beauté résonne en ceux qui regardent, illumine leurs yeux : moment d’accès à une transcendance. Joie de pèlerinages - Lourdes, Taizé..., de temps forts en abbaye... - A condition que ceci soit source pour la vie quotidienne, creuset de rencontre de Jésus-Christ et des autres. Aller au coeur, aller au large. Ainsi, un moine de Taizé, disait-il à la fin d’une rencontre avec des étudiants du Centre de Formation Pédagogique : Taizé, n’en parlez pas ; de Taizé, taisez-vous ; comme Jésus, à l’égard de telle personne guérie. Le renvoi vers autrui évite la fusion, éduque à la liberté.

Jeunes et responsabilités

Des jeunes qui acceptent des responsabilités auprès d’autres. Des délégués de classe qui viennent attraper leur Chef d’Etablissement : " Vous ne faites rien pour un tel qui se drogue ". Tels jeunes qui interpellent la Personne-Ecoute de leur Lycée : " Intervenez auprès de tel de nos camarades ; il a l’intention de se suicider et nous sommes impuissants ". Ou encore, dans le cadre d’une semaine de prévention contre le sida, après une journée dans un hôpital, ces jeunes de première discutent avec leur Animatrice en Pastorale : " Si j’avais le sida, qu’est-ce que je ferais ? je ne le dirais pas ... Si, à mes parents ... " et différentes actions de respect de l’autre sont avancées par ces jeunes. Et l’un de dire : " je le dirai au directeur ?? Oui, en effet, si je suis blessé et évanoui, au moins quelqu’un sera averti des précautions à prendre ". Ou encore des jeunes qui acceptent de prendre des responsabilités auprès de plus jeunes pour un temps donné, avec l’accompagnement d’adultes : MEJ, Scoutisme, Groupe d’échanges chrétiens, catéchèse..., qui se mettent au service du Secours Catholique, centres de loisirs. Joie d’un jeune ancien, titulaire d’un B.T.S., qui devient visiteur de prison ; il y avait eu dans ses jeunes années de lycéen, une rencontre avec un aumônier de prison. A condition qu’il y ait bien accompagnement et relecture chrétienne de ces prises de responsabilité.

Jeunes collégiens et échanges. " Joie de l’échange, des partages entre les jeunes (collégiens) et nous. Ils nous apportent peut-être beaucoup plus que ce que nous leur apportons. Joie de voir la vitalité, la gaieté, l’enthousiasme, la sincérité et la franchise des jeunes. Joie d’accompagner une équipe d’enfants qui n’ont rien reçu mais s’ouvrent à Jésus-Christ. Joie de constater que des jeunes demandent à prier et que d’autres s’investissent à tour de rôle dans la préparation de la prière. Joie d’avoir un oratoire à proximité de la salle de pastorale. Joie procurée par quelques adolescents qui demandent le baptême ou qui s’interrogent sur une vie toute donnée à la suite de Jésus-Christ ".

Des adultes s’engagent

De nouveaux parents s’engagent : " Joie de voir chaque année de nouveaux parents s’investir dans les équipes K.T., de voir les terminales et les premières, toujours aussi nombreux, dans l’encadrement des sixièmes en K.T. ". " Joie, dit une catéchiste enseignante, de faire K.T. dans une équipe de cinquième avec deux mamans : cela permet d’avoir un groupe moins nombreux, ce qui facilite les échanges. Il n’est pas négligeable d’être témoins de la Bonne Nouvelle en équipe ". Ou encore des parents qui disent au Responsable d’un collège : " Notre fils demande à faire sa profession de foi, nous n’avions pas prévu cette démarche car nous sommes peu croyants voulez-vous nous aider à soutenir notre fils ? " Ou encore la mère d’une enfant en sixième et son dialogue avec la catéchiste : " Ma fille a bien de la chance, elle va être baptisée... - Pourquoi dites-vous cela ?... - C’est que je ne suis pas baptisée, mais pour moi, c’est trop tard... - Vous pouvez recevoir le baptême si vous le désirez, il n’y a pas d’âge ". Et la maman devient catéchumène. Ce qui suppose attention de la catéchiste et démarche de proposition, de proximité de sa part à l’égard d’un parent. L’école catholique aurait-elle charge de l’évangélisation des parents ?

Des enseignants s’engagent

Telle future étudiante au C.F.P. indique sa motivation pour ce métier : " Lorsque j’ai appris à lire en cours préparatoire, j’ai eu une telle joie devant ce monde qui s’ouvrait à moi que je désire partager cette joie avec d’autres ". Des expressions différentes sont employées : partager le savoir, éveiller, éduquer à une liberté ; elles rejoignent ce qui nous semble être une caractéristique humaine : le désir de partager. A condition que l’enseignant accepte aussi les échecs de son métier, condition pour ne pas enfermer un jeune dans le moule trop vite posé quand il s’agit d’un jeune " élève paresseux, inattentif... ". Ou encore c’est la réflexion d’un gamin de CPPN à son professeur de mathématiques : " Avec vous, je vois mieux ce que c’est d’être artisan de paix. Oui, car vous respectez la pensée de vos élèves, leurs cheminements différents ". Ou encore cette mère de trois enfants, candidate à l’entrée au C.F.P., sur les mots et les attitudes de la Foi : " Apprendre à mes enfants le français, leur langue maternelle, est important ; il est aussi important que je leur apprenne la langue maternelle qu’est la prière ".

Travail en réseau

" Joie de travailler en un réel partenariat avec la paroisse ou le secteur ". Pastorale familiale, enseignement catholique, pastorale scolaire. " La joie aussi lorsqu’on reçoit des échos positifs au sujet de nos élèves en stage où les professionnels applaudissent la formation humaine aussi bien que technique. Dans ce domaine, pas de grands discours : les professeurs marquent par leur façon d’être, notamment dans tout le temps passé à lancer ou soutenir des actions scolaires ou péri-scolaires, d’où l’intérêt de maintenir ce que les Filles de la Sagesse appellent " l’esprit Sagesse " et que nous tentons de perpétuer grâce à une convention d’établissement associé à la mission éducative des Filles de la Sagesse ". Joie de la présence des tutelles congréganistes ainsi que de la recherche d’une convention d’établissement associé à la mission éducative des congrégations qui ont dévolu la tutelle au diocèse. Richesses que ces différents visages d’Eglise, nécessaires pour les choix d’une vie chrétienne.

Proposition

" Toutefois, ces joies ne peuvent être vécues que si nous proposons quelque chose aux jeunes, que si nous les écoutons et si nous tenons compte d’une particularité : ils s’engagent en fonction de ce qui les touche et souvent pour une courte durée ".

C’est la lettre des Evêques -Lourdes 96 - adressée aux catholiques. Cette proposition de la foi se fait dans la confiance à coeur ouvert : " Joie de se sentir accueilli, intégré dans une équipe, de voir la cohésion de l’équipe pastorale où la confiance à coeur ouvert, la chaleur et l’amitié d’une communauté, permettent de travailler au nom d’une même foi ".

D’autres joies peuvent encore être exprimées. Il est bon de commencer par regarder les joies de la situation actuelle concernant " maturation des personnes et choix de vie chrétienne ". Dans ce regard, l’Esprit Saint nous transforme comme il travaille aussi dans les difficultés.

Les difficultés, lieu privilégié de l’action de l’Esprit Saint

Les difficultés sont multiples

Public hétérogène

" Difficulté de s’adresser à un public hétérogène : certains 6èmes ne sont pas baptisés, d’autres non catéchisés, d’autres à leur cinquième année de K.T. ". Ça cahote. La catéchèse est difficile car souvent la première évangélisation n’a pas eu lieu dans la prime enfance et les enfants ne sont pas attachés à la personne de Jésus-Christ. Le milieu familial n’a pas été ou n’est pas porteur. Aussi " perdons-nous " souvent les enfants après la Profession de Foi parce qu’ils n’ont pas rencontré vraiment Jésus-Christ. Ils ont d’autres centres d’intérêt et sont attirés par l’irrationnel, le mystérieux, tout ce qui a trait à l’occulte et à l’étrange et qui est orchestré par les médias".

" La diversité des jeunes quant à leur cheminement dans la foi : les uns relèvent de la catéchèse ; d’autres d’une structure néo-catéchuménale, voire d’une pré-évangélisation. Encore faut-il que ces jeunes ne cherchent pas à esquiver une formation religieuse, voire à la rejeter ".

Or ces collégiens sont les futurs lycéens, les futurs adultes. Cette situation résulte de l’évolution de la société pour une part et de la volonté de l’école catholique de s’ouvrir à tous les élèves par choix pastoral d’autre part. L’école catholique est terre d’évangélisation.

Société éclatée

Les difficultés viennent de l’appartenance des jeunes à une société éclatée, aux propositions multiples : " Mon père trahit ma mère... Jamais, je n’aurais du sortir du ventre de ma mère... Mon beau-père me bat... Mon père est en prison... Le monde de l’enfant n’est plus respecté, nombreux sont otages de leurs parents, de la violence, de la peur, de la société ".

" D’abord les difficultés qu’ont les jeunes à se concentrer, à durer dans l’action, par manque de maturité ; ce qui rend difficile la construction d’un projet à long terme. Difficulté que nous avons à les motiver : ce que nous leur proposons ne doit pas les déranger. Difficulté dans la gestion du temps : il y a tant à faire. Difficulté de l’engagement spontané par timidité ou par pudeur : professeurs et élèves attendent qu’on vienne les chercher ".

" Ils sont environ 60 % de l’établissement à vivre des difficultés familiales, sociales, affectives ".

Ce qui concerne les enfants concerne aussi les adultes.

Pluralisme religieux

" La montée du satanisme ". D’autres religions (l’Islam, le Boudhisme). L’indifférence. " Méconnaissance de l’Eglise ou mauvaise connaissance ; Dieu comme hypothèse inutile aujourd’hui ; distance par rapport aux sacrements et notamment l’eucharistie ".

" Les enfants ont bien souvent entendu parler de Dieu, mais c’est souvent d’un dieu magicien et non ressuscité dont il s’agit. La profession de Foi est souvent devenue une fête de famille à laquelle Dieu est " admis ".

La spiritualité

" Comment prendre en charge la spiritualité de nos élèves ? Cette interrogation est double. La première est d’ordre matériel : où, comment trouver des animateurs bénévoles et capables de transmettre la Foi ? L’autre est d’ordre moral : comment faire prendre conscience aux professeurs que nous sommes collectivement responsables de la foi de nos élèves ? " Aussi sommes-nous invités à inventer la proposition de la foi dans cette mentalité zapping : la foi, colonne vertébrale. C’est cette proposition qui aide à lutter contre la lassitude.

Du neuf

Nous sommes invités à aimer les jeunes comme Dieu les aime, donc à des propositions nouvelles, avec un coeur nouveau. Le neuf est de nécessité vitale pour l’annonce de la foi. Or notre vie personnelle connaît le cahot - et non le chaos ; c’est là le chemin pascal de Jésus. Ne nous trompons pas de logique. A la logique stoïcienne, si l’on peut dire : je suis parfait, donc je peux être chrétien, le Christ préfère la logique suivante : je crois en Dieu Père qui m’appelle à la perfection. " Il est difficile de recevoir les critiques, les moqueries, - a fortiori pour un jeune - de répondre aux attaques contre l’Eglise, de ressentir une certaine indifférence des adultes face aux animations chrétiennes. Pourquoi si peu de mobilisation ? " Ces difficultés sont pour nous appel à renouveler notre propre motivation afin de progresser dans une pastorale plus résolue. Dans un contexte différent, avec des moyens divisés par dix lorsque les établissements étaient animés par des prêtres religieux et religieuses, l’engagement institutionnel demande l’engagement personnel car nous sommes participants de l’Eglise et de sa mission. Nous sommes de fait en situation d’évangélisation. Face aux questions radicales posées par les jeunes, il s’agit de regarder le Christ : comment a-t-il vécu ? : Nazareth et vie publique.

Regarder le Christ Jésus

Jésus vit trente ans à Nazareth. Il s’agit d’humaniser clubs, groupes d’échanges de vie, cours : services comme le service assuré par le charpentier. Nazareth n’est pas une parenthèse, mais une dimension de la mission vécue par Jésus-Christ. La vie publique est liée à la prière et à la relecture. A la passion, tout capote, il ne reste plus rien. Aujourd’hui, l’Eglise traverse une période d’exil dans un monde en exil. Or l’écoute est chemin pascal : mourir à soi-même pour un chemin de vie nouvelle. La dimension de la passion est nécessaire pour que l’amour franchisse les frontières.Le dépassement des difficultés met sur le chemin de Jésus-Christ. Nous devenons efficaces au prix du don de notre vie.

Le projet éducatif

Un outil pour tenir la barre au milieu des difficultés, c’est le projet éducatif. " Il transmet une vision de la personne et de la société puisée aux sources du mystère pascal du Christ... ", selon le Statut de l’Enseignement Catholique, au titre IV du préambule. Le projet éducatif et le conseil d’établissement sont liés. Et ce projet se traduit par exemple dans un échange sur la vie " grâce à un adulte qui se tient à peu près debout ". C’est ce projet traduit en projet d’établissement qui donne des repères pour transformer le savoir en partage. Cette option pour le partage du savoir est terreau pour l’annonce de l’Evangile et pour la réponse à Jésus-Christ. Pour situer dans la mission ce que l’on fait sur la vie, Paul nous dit qu’il ne s’agit pas de venir comme quelqu’un propriétaire d’un savoir mais comme une mère. Il n’y a pas de prosélytisme dans la vie chrétienne car l’annonce de l’Evangile est don de notre vie à la suite de Jésus. " Comme une mère nourrit ses enfants et prend soin d’eux, telle était notre tendresse pour vous alors que nous aurions voulu vous livrer, en même temps que l’Evangile de Dieu, notre propre vie, tant vous nous étiez devenus chers " . (Thessaloniciens 1, 7-8).

Aller à la source, aller au large. Il n’y a pas d’accus déchargés dans la vie chrétienne, mais un va et vient : la rencontre et le partage de la foi, la relecture et la prière.

Convictions

Essayons d’exprimer nos convictions sous deux thèmes : le projet, les moyens.

Le projet

Le projet, c’est d’abord le projet de Dieu qui se manifeste Dieu Père, Fils et Esprit. C’est le projet de vie personnelle. C’est le projet d’une communauté d’amour adulte.

Pour être bref. Dans un peuple dont Dieu s’est fait proche, Jésus par sa vie, sa mort et sa résurrection nous introduit près de Celui qui est pour lui système de références, repère, nourriture, qu’il appelle son Père et nous donne comme notre Père : c’est là, pour le chrétien, l’oeuvre de l’Esprit. Jésus-Christ (Ac 2, 38) : par ce nom, Dieu s’inscrit dans l’histoire des hommes et chaque chrétien se reçoit comme frère de chaque homme et, aux yeux de la foi, le genre humain est appelé à vivre en Dieu.

Comment permettre à une personne d’inscrire Dieu dans sa vie et de le reconnaître présent ? Jésus, en effet, est le premier qui répond : Me voici. Dieu est Celui qui accompagne : Celui qui vit avec l’homme, se fait nourriture, sur le chemin qui conduit vers Lui . Comment Lui répondre ? Par le projet de vie. Construire ce projet de vie par un va et vient : aller au coeur, aller au large ; entrer en solitude et considérer autrui. Construire ce projet de vie en attisant en chacun de nous ce feu brûlant : " être homme aussi pleinement que possible, c’est avoir de plus en plus faim de l’homme. Le métier d’homme est d’aiguiser cette faim et d’abord en celui qui l’aiguise... L’homme est un immense appel d’air qui attire en son centre le feu " - (Pierre Emmanuel, Pour une politique de la culture, Seuil, Paris, 1971- p. 110-111). Et pour le chrétien, ce feu est celui de la Pentecôte, celui des disciples d’Emmaüs, ce buisson ardent qui intrigue Moïse, cette colonne de feu qui guide le peuple lors de la sortie d’Egypte. Construire ce projet de vie grâce à l’attitude : " voir et éprouver, juger, agir ". Cette attitude est développée dans les mouvements, elle peut l’être par la relation éducative. Cette attitude est du ressort de chaque baptisé, de chaque communauté de baptisés.

Comment permettre à une communauté adulte d’amour d’inscrire Dieu dans sa vie ? Les mots équipe, universel, mémoire-expérience seront nos guides. Face au danger de se pervertir en maître spirituel qui serait maître de par lui-même, grâce à sa propre initiative, l’équipe d’animation pastorale semble être un bon paravent. Seul, Jésus-Christ est Pasteur et il s’agit donc de nous efforcer de développer toutes les facettes de la vie à la suite de Jésus-Christ. Or nous sommes limités ; reconnaissons ces limites et faisons appel à un conseil, à une équipe en sorte que ses membres présentent les reflets de Jésus qui nous manquent.

Chaque homme est invité de par son humanité à construire une civilisation universelle d’amour ; cette civilisation s’enracine en Dieu, pour le chrétien, et va vers Lui. C’est une construction de proximité et d’horizon lointain. Construction de proximité, ainsi au moment d’une nouvelle année et de l’échange de voeux, un directeur s’en va rencontrer chaque classe de son collège et il appelle les élèves à se mettre au service des frères, dans la sainteté de la vie quotidienne (aller embrasser ses grands parents, porter les devoirs à un camarade absent...), là où je suis, humblement, avec ce que je sais faire. Reconnaître ses capacités. La sainteté, c’est agir selon ses capacités comme dons de Dieu. C’est aussi pour un adulte -enseignant, ... - demander pardon à un jeune - élève...-, si nécessaire. C’est pour un enseignant regarder l’élève comme un frère - non pas démagogie, mais autorité à la suite du Christ -. C’est pour un chef d’établissement qui commence un conseil d’orientation, dire à la suggestion de jeunes professeurs : " nous allons essayer de regarder chaque élève comme un enfant aimé par Dieu ". Il s’agit là de faits rapportés que nous transmettons. La construction d’une civilisation adulte d’amour est aussi d’horizon lointain, si l’on peut ainsi parler alors que l’on nous présente la planète terre comme un village. Et si un pays de trois cent mille habitants, sur une surface de une fois et demie la superficie de la France, n’a qu’un seul appareil médical de radiologie, cherchons à l’aider sur ce point et cherchons à développer notre regard en sorte de voir les richesses d’un " vivre ensemble " différent ; c’est là une orientation donnée, cette année, aux enseignants par la Commission éducation à l’universel de notre CODIEC (Conseil Diocésain de l’Enseignement Catholique).

Equipe pastorale, éducation à l’universel, expérience et mémoire. " Faîtes ceci en mémoire de moi ". C’est cette expérience de mémoire-mémorial qui caractérise la communauté chrétienne : nous appuyer sur les actions de Dieu - ses hauts faits- manifestés en la foi et en la personne de Jésus Christ, pour discerner le présent et accueillir dans l’espérance de l’Esprit Celui qui vient à notre rencontre. La mémoire est tournée vers le présent et l’avenir. Elle porte l’espérance. Elle s’enracine dans l’expérience. " Pour beaucoup de ma génération, aller à la messe, c’est comme rendre un devoir à un professeur, alors... ", disait récemment un jeune professeur qui va quitter l’enseignement pour faire un autre choix de vie chrétienne. Les critères de l’expérience concernent une réalité ou une situation vécue, vécue avec intensité et concernant toute la personne (intellectuelle, affective, active...), réfléchie et interprétée, exprimée et objectivée, qui opère une mutation. L’expérience religieuse concerne toute la vie, la vie dans sa radicalité, sa totalité et comme ouverture au niveau religieux du "mystère", elle s’exprime et se traduit en actes. L’expérience de foi chrétienne s’enracine en Jésus-Christ, dans la ligne d’Israël et se vit en Eglise. Alors les catéchètes sont pour les enseignants comme "un poil à gratter" : que l’école soit bien lieu et temps d’expérience et que le savoir permette de goûter la vie.

Le projet est d’abord celui de Dieu. Le projet de vie est pour une personne réponse à l’invitation reçue de Dieu, invitation confiante et exigeante à l’image de celle des parents à l’égard de leurs enfants. Cet accueil et cette réponse se font grâce à l’Eglise, communauté vivante d’amour, constituée de pécheurs, mais recevant la vie de Dieu et recevant cette vie pour la partager. Ajoutons que la dimension religieuse : Dieu et moi, Dieu et ma foi, Dieu et mon projet de vie, cette dimension est à évangéliser pour devenir un trinôme : Dieu, moi et nous, les autres. C’est là, le rôle de l’Eglise manifestée à la Pentecôte : la fusion recherchée lors de la tour de Babel fait place à la reconnaissance de l’autre dans sa différence et en l’engagement à son égard, engagement qui n’est pas vague tolérance molle, mais engagement existentiel.

Voici pour le thème du projet, abordons le thème des moyens.

Mais envisageons ces moyens dans l’état la situation actuelle, ce qui est notre propos. Nous présentons ces moyens en un diptyque : le sens de l’enseignement - sens renouvelé par le Christ - et les petits - les enfants de deux ans, les vulnérables - .

L’enseignement et son sens, sens renouvelé par Jésus-Christ. A quelles raisons de vivre et d’espérer, éduquons-nous ? " Donner du sens à l ‘école " est le titre des orientations pour une politique éducative dans l’enseignement catholique français - Comité national de l’enseignement catholique, Paris, 1994. " Donner du sens à sa discipline ", c’est le titre d’un des derniers numéros de la revue Projecture, n° 39 Janvier 1998, publiée par l’UNAPEC (Union Nationale pour la Promotion pédagogique et professionnelle dans l’Enseignement Catholique - Paris). Et, dans la foi chrétienne, ce sens est renouvelé par Jésus-Christ. Brièvement, évoquons les objectifs donnés par le Ministre de l’Education Nationale : développer la sensibilité, l’expression et la communication, la lecture des images, l’esprit critique, l’argumentation, l’abstraction, la connaissance du monde de ce temps pour y être acteur... Or notre trilogie corps, âme, esprit distingue mais ne sépare pas. En effet, la vie d’union avec Jésus-Christ est réponse de tout notre être et donc de la vie morale et intellectuelle et aussi de notre vie corporelle qui permet la rencontre de l’autre. Il n’est donc pas indifférent qu’un établissement catholique d’enseignement prenne son identité du projet éducatif enraciné dans l’Evangile et agréé par l’Evêque du diocèse ou le Supérieur Majeur dans le cas d’une tutelle congréganiste. Alors, s’il n’y a pas d’E.P.S. ou de mathématiques chrétiennes, il y a des enseignants et des élèves qui sont invités par le Christ et peuvent alors transformer l’activité de l’E.P.S. et des mathématiques en activité eucharistique. Ainsi toute vie civile, politique, économique... exercée par un chrétien, suite à cette invitation du Christ est, pour les chrétiens, réalisation aujourd’hui en " messe sur le monde " de la prédication de Jésus à la synagogue de Nazareth (Lc 4,16-19).

Réalisation aujourd’hui dans la vie quotidienne qui est " transfigurée ". Vivre la situation de l’école le fait d’enseigner, d’être élève, d’être en relations avec le savoir - peut ainsi être accès à la foi adulte et déploiement de la vie baptismale. Après ce premier volet, abordons le second volet de notre diptyque : les petits.

Les petits : les enfants de deux ans, les vulnérables. Nos maîtres, les petits. Cette maxime éducative est renouvelée par Jésus-Christ. C’est une prière d’action de grâces de Jésus (Lc 10, 21). C’est l’amour du Père prodigue (Lc 15, 21). C’est l’exemple des enfants (Lc 18, 15)... Ainsi, le " coin prière ", en chaque local de classe est-il le signe que cette vie, reçue des parents et qui va croître en société... est vie avec Dieu, avec Jésus, dans la joie de l’Esprit ; à condition que ce " coin-prière " soit bien l’expression d’une attitude éducative. Se reconnaître différent - garçon, fille, par exemple souhaiter l’anniversaire à ses camarades, distinguer peu à peu hier, aujourd’hui et demain ; pratiquer les mots et les attitudes de la Foi - la prière, l’accueil, l’offrande, l’adoration, le pardon avec Jésus Christ -. Toutes ces choses permettent au bébé de deux ans, à l’enfant de maternelle et de primaire ensuite, de recevoir la proposition de la Foi, les récits de la Foi et ainsi de pouvoir grandir peu à peu en sagesse. En ce sens, l’école - matemelle, primaire - est bien un moyen pour permettre aux petits enfants la croissance dans la vie chrétienne.

Les petits, ce sont aussi les vulnérables. S’accepter vulnérable devant autrui et devant Dieu : condition de la foi chrétienne, condition d’accès à la maturité. Le grand, celui qui sait, celui qui ne pleure pas ? N’est-ce pas là une conception plus stoïcienne, plus païenne que chrétienne ? Jésus ne sait pas tout et ainsi des chrétiens voient dans cette ignorance le signe de la place des religions non chrétiennes dans le projet de Dieu ( Cf. A. Gesché). Jésus pleure devant la mort de son ami Lazare. Le chrétien n’est pas un homme parfait, donc chrétien - or, c’est, jugeons-nous, l’une des raisons de l’abandon de la pratique : je ne suis pas parfait, je n’y arrive pas, donc je laisse -. Le chrétien est celui qui se reconnaît appelé par Dieu le Père, donc appelé à la sainteté. La démarche chrétienne est complètement inverse de celle qui fait de Dieu le résultat de nos efforts. Et nous rejoignons encore le projet éducatif d’un établissement catholique d’enseignement, projet transcrit dans des projets de motivation. Réussir la vie, ce n’est pas réussir sa vie, ce n’est pas être gagnant (sur qui ?). Apprendre à accepter les échecs : le verbe " essayer " nous semble être un mot clef en éducation, " essaie aujourd’hui ", expression de la confiance de l’adulte, expression de la foi adulte pascale, appel aux capacités de l’enfant, appel aux capacités du baptisé.

Le chrétien n’est pas un homme parfait de lui-même. Le chrétien ne sait pas tout. C’est une leçon d’humilité et de sagesse que peuvent donner aux chrétiens la pluralité des religions, la pluralité des jugements moraux particuliers et singuliers. Les méthodes pédagogiques employées influent sur la fommation de la personnalité. Ainsi, la pédagogie du questionnement pemmet selon l’âge de l’enfant, de l’adolescent, du jeune et de l’adulte le recul, la décision. Qu’en penses-tu ? Le chrétien ne sait pas tout, il est de plus vulnérable car l’amour est vulnérable. Aimer quelqu’un c’est vouloir sa joie, reconnâître que je peux être blessé par lui et lui pardonner. Etre aimé, c’est reconnaître que je peux être joie et blessure pour celui qui m’aime. Jésus sur la Croix manifeste aux chrétiens la vulnérabilité de Dieu ; et il les invite à se conduire comme Dieu. En ce sens, les motivations employées, les méthodes pédagogiques utilisées participent à la maturation de la personne et de la foi lorsqu’elles acceptent de laisser place à ce qui est vulnérable : condition de réalisation des béatitudes.

Résumons cette troisième partie

Deux convictions conduisent notre réflexion ; la première porte sur le projet et la seconde sur le choix des moyens. Le projet de Dieu initie le projet de vie personnelle, projet de vie personnelle qui est aussi projet d’une communauté adulte d’amour, communauté au moins en construction - équipe, éducation à l’universel, mémoire-expérience. Au service de la réalisation de ce projet, deux moyens entr’autres permettent d’accéder à la maturité : un sens renouvelé de l’enseignement et la place donné aux petits. Dans l’enseignement, le trinôme " enseignant, enseigné et savoir " est pour le chrétien apte à être transfiguré par l’eucharistie. L’attention aux petits est une attitude demandée par Jésus ; les chrétiens sont invités à accepter la vulnérabilité de l’amour à la suite de Jésus.

En conclusion

Nous voulons soumettre trois suggestions au jugement du lecteur, parmi bien d’autres possibles. Etre témoins de la Bonne Nouvelle en équipe, en communauté. C’est le rôle de l’Eglise. Un individu, isolé de l’Eglise, n’est pas témoin du Dieu de Jésus-Christ. La communauté n’existe pas pour être repliée sur elle-même mais parce qu’elle est envoyée et pour reprendre une formule qui a nourri notre jeunesse, il s’agit de " ressembler au Christ pour rassembler autour de lui ". L’établissement catholique d’enseignement a besoin d’une équipe d’animation pastorale qui aide la Communauté chrétienne dans son service de la communauté éducative ; et ce service est assuré au nom de Jésus-Christ. Comment développer des équipes de jeunes chrétiens - accompagnement par des plus grands, par des adultes - ?

L’évangélisation s’adresse non seulement aux enfants, adolescents et jeunes mais aussi aux adultes (enseignants, parents...). L’indécision chronique vis-à-vis de notre propos, maturation des personnes et choix de vie chrétienne, est motivation pour évangéliser les adultes. Que chaque école suscite des temps entre adultes afin d’échanger et de réfléchir sur la foi chrétienne. C’est ce qui se fait déjà lors des premières communions, professions de foi, confirmation, baptêmes.

Aller au coeur de la Foi chrétienne. Et l’éveil à la foi, la catéchèse des enfants favorisent la mémorisation des récits bibliques, l’intériorisation des mots et des attitudes du Christ, de ses apôtres. Veillons à ce que les adolescents et les jeunes " accrochent " le fait d’être chrétiens à la personne de Jésus-Christ. Les choix de vie chrétienne prennent appui sur des paroles et des attitudes de l’Evangile : ce qui suppose nouvelle intériorisation de l’adolescent et du jeune. Aller au large, notamment par le travail scolaire qui peut permettre de découvrir l’histoire de l’humanité et par les relations avec les camarades.