Première partie du document final


Cette première partie du document final du Congrès de Rome constitue un regard sapientiel sur l’Europe, en étant conscient de sa complexité culturelle où semble prédominer un modèle anthropologique d’" homme sans vocation ". La nouvelle évangélisation doit réaffirmer le sens fort de la vie comme " vocation ", avec son appel fondamental à la sainteté, en recréant une culture favorable aux différentes vocations et capable de provoquer un véritable sursaut de qualité dans la pastorale des vocations

La situation des vocations aujourd’hui en Europe

" La moisson est abondante mais les ouvriers sont peu nombreux " (Mt 9, 37)

" Nouvelles vocations pour une nouvelle Europe "

Le thème du Congrès (" Nouvelles vocations pour une nouvelle Europe ") va droit au cœur du problème : aujourd’hui, dans une Europe nouvelle par rapport au passé, il y a besoin de vocations toutes aussi " neuves ". Il est nécessaire de justifier cette affirmation pour comprendre le sens de cette nouveauté et saisir son rapport avec la pastorale " traditionnelle " des vocations au sacerdoce et à la vie consacrée. Dès lors, nous ne nous contenterons pas de photographier la situation et d’énumérer des données, mais nous tenterons de comprendre dans quelle direction doivent aller la nouveauté et le besoin de vocations qui en découle.

En même temps, nous lirons la situation à laquelle nous avons à faire face actuellement, à partir de l’expression de Jésus face à la mission qui l’attendait : " La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux " (Mt 9, 37). Ces paroles continuent d’être vraies et constituent une précieuse clef de lecture de l’actualité. D’une certaine manière, nous retrouvons en elles la juste mesure de notre action et la juste proportion (ou disproportion) entre une moisson qui semble être en excédent et nos pauvres forces. En nous gardant bien de toute interprétation pessimiste du présent et de toute prétention d’auto-suffisance pour demain.

Une nouvelle Europe

Le Document de travail avait déjà fourni un cadre de la situation européenne concernant la problématique des vocations, fortement marqué par des éléments de nouveauté. Nous les résumons ici à grands traits, selon l’analyse qu’en a fait le Congrès, en cherchant à saisir les plus significatifs qui sont destinés à conditionner à long terme la mentalité et la sensibilité des jeunes et donc également les pratiques pastorales et les stratégies en matière de vocations.

a) Une Europe diversifiée et complexe

Avant tout, une donnée ressort avec évidence : il est pratiquement impossible de définir la situation européenne d’une manière statique et univoque sur le plan de la condition des jeunes et de ses inévitables conséquences sur les vocations. Nous nous trouvons devant une Europe diversifiée, rendue telle par les événements socio-politiques (voir la différence entre l’Est et l’Ouest), mais aussi par la pluralité de ses traditions et de ses cultures (gréco-latine, anglo-saxonne et slave).

En même temps, celles-ci constituent sa richesse et rendent significatives, dans ces contextes différents, ses expériences et ses choix. Ainsi, si la manière de gérer la liberté retrouvée constitue un problème sur le versant oriental, le versant occidental s’interroge quant à lui sur la façon de vivre la liberté authentique.

Cette hétérogénéité est également confirmée par la courbe des vocations au sacerdoce et à la vie consacrée, non seulement en raison de la différence très forte entre la floraison des vocations de l’Europe de l’Est et la crise générale dont souffre l’Occident, mais parce que, à l’intérieur même de cette crise, on relève aussi des signes de reprise des vocations, particulièrement dans les Eglises où un travail post-conciliaire assidu et constant a tracé un sillon profond et efficace.[ 1 ]

Donc, si à l’Est il est nécessaire d’engager une véritable pastorale organique au service de la promotion des vocations, de l’animation à la formation des vocations surtout, à l’Ouest une attention différente est indispensable. Nous devons nous interroger sur la consistance théologique réelle et sur la linéarité d’application de certains projets de vocation, sur le concept de vocation sur lequel ils reposent et sur le type de vocations qui en découlent. Une demande est revenue avec insistance lors du Congrès : " Pourquoi certaines théologies ou pratiques pastorales ne produisent pas de vocations, tandis que d’autres en produisent ? " [ 2 ]

Un autre aspect caractérise l’actualité socio-culturelle européenne : l’excédent des possibilités, des occasions, des sollicitations, face au manque de concentration, de propositions et de projets. Nous avons affaire ici à un autre contraste qui augmente le degré de complexité de cette période de l’histoire, avec des retombées négatives sur le plan des vocations. Comme la Rome antique, l’Europe moderne ressemble à un panthéon, à un grand " temple " où toutes les "divinités" sont présentes ou dans lequel chaque "valeur" a sa place et sa niche. Des " valeurs " différentes et contrastantes se mêlent et coexistent, sans une hiérarchie précise ; des codes de lecture et d’évaluation, d’orientation et de comportement, tout-à-fait dissemblables entre eux.

Dans ce contexte, il apparaît difficile d’avoir une conception ou une vision unitaire du monde et la capacité de faire des projets de vie devient faible elle aussi. En effet, quand une culture ne définit plus ses possibilités suprêmes de sens ou ne parvient pas à créer une convergence autour de certaines valeurs particulièrement capables de donner un sens à la vie, mais place tout sur le même plan, toute possibilité de choix de projet tombe en désuétude et tout devient indifférent et plat.

b) Les jeunes et l’Europe

Les jeunes Européens vivent dans cette culture pluraliste et ambivalente, " polythéiste " et neutre. D’un côté, ils cherchent passionnément l’authenticité, l’affection, les rapports personnels, la grandeur d’horizons, mais, de l’autre, ils sont profondément seuls, " blessés " par le bien-être, déçus par les idéologies, perdus par la désorientation éthique.

Et encore : " Dans plusieurs secteurs du monde des jeunes, on relève une sympathie très claire pour la vie conçue comme valeur absolue, sacrée... " [ 3 ], mais souvent, et dans de nombreuses parties de l’Europe, cette ouverture à l’égard de l’existence est démentie par des politiques qui ne respectent pas le droit à la vie, surtout celle des plus faibles. Des politiques qui risquent de rendre le " vieux continent " toujours plus vieux. Donc, si d’un côté ces jeunes représentent un capital remarquable pour l’Europe d’aujourd’hui - qui investit beaucoup sur eux pour construire son avenir - de l’autre côté les attentes des jeunes ne sont pas toujours accueillies d’une manière cohérente par le monde des adultes ou des responsables de la société civile.

Quoi qu’il en soit, deux aspects nous semblent capitaux pour comprendre l’attitude des jeunes d’aujourd’hui : la revendication de la subjectivité et le désir de liberté. Ce sont deux requêtes dignes d’attention et typiquement humaines. Souvent, cependant, dans une culture faible et complexe comme la nôtre, elles donnent lieu - en se rencontrant - à des combinaisons qui déforment leur sens : la subjectivité devient alors subjectivisme, tandis que la liberté dégénère en arbitraire.

Dans ce contexte, le rapport que les jeunes Européens établissent avec l’Eglise mérite une grande attention. Dans une de ses Propositions finales, le Congrès relève avec courage et réalisme que : " Souvent les jeunes ne considèrent pas l’Eglise comme l’objet de leur recherche et le lieu de leur demande et attente. On remarque que ce n’est pas Dieu qui pose problème, mais l’Eglise. L’Eglise a conscience de la difficulté de communiquer avec les jeunes, du manque de véritables projets pastoraux... de la faiblesse théologico-anthropologique de certaines catéchèses. De nombreux jeunes ont encore peur qu’une expérience dans l’Eglise limite leur liberté " [ 4 ], tandis que pour beaucoup d’autres l’Eglise est ou devient le point de repère le plus qualifié.

c)" Homme sans vocation "

Ce jeu de contrastes se reflète inévitablement sur le plan de la conception du futur, qui est considéré - par les jeunes - dans une optique limitée à leurs propres vues, en fonction d’intérêts strictement personnels (la réalisation de soi).

C’est une logique qui réduit l’avenir au choix d’une profession, au bien-être économique ou à la satisfaction sentimentale et émotive, à l’intérieur d’horizons qui, de fait, réduisent le désir de liberté et les possibilités du sujet à des projets limités, avec l’illusion d’être libre.

Ces choix ne présentent aucune ouverture au mystère et à la transcendance ni même, peut-être, par rapport à la responsabilité face à la vie, la leur et celle d’autrui, à la vie reçue en don et à engendrer chez les autres. En d’autres termes, il s’agit d’une sensibilité et d’une mentalité qui risquent de donner naissance à une sorte de culture anti-vocationnelle. Ce qui revient à dire que dans une Europe complexe du point de vue culturel et privée de points de repère précis, semblable à un grand panthéon, le modèle anthropologique dominant semble être celui de " l’homme sans vocation ".

En voici une description possible : " Une culture pluraliste et complexe tend à engendrer des jeunes caractérisés par une identité inachevée et faible entraînant une indécision chronique face à un choix de vocation. De nombreux jeunes ne possèdent même pas la "grammaire" élémentaire " de l’existence ; ce sont des nomades : ils circulent sans s’arrêter au niveau géographique, affectif, culturel et religieux ; ils " tentent " ! Au milieu de la grande quantité et diversité d’informations, mais avec une pauvreté de formation, ils semblent dispersés, avec peu de références et de points de repère. Voilà pourquoi ils ont peur de leur avenir, les choix définitifs les angoissent et ils s’interrogent sur leur être. Si, d’une part, ils cherchent l’autonomie et l’indépendance à tout prix, de l’autre, ils tendent à être très dépendants du milieu socio-culturel, comme un refuge, et à chercher la gratification immédiate des sens : de ce qui " me va " de ce qui" me fait sentir bien" dans un monde affectif fait sur mesure ". [ 5 ]

Il est très triste de rencontrer des jeunes, intelligents et doués, chez qui le désir de vivre, de croire en quelque chose, de tendre vers de grands objectifs, d’espérer dans un monde qui peut devenir meilleur, notamment grâce à leurs efforts, semble éteint. Ces jeunes semblent se sentir superflus dans le jeu ou le drame de la vie, démissionnant pratiquement face à elle, perdus le long des sentiers interrompus et adoptant le profil le plus bas de la tension vitale. Sans vocation, mais aussi sans avenir, ou avec un avenir qui, tout au plus, sera une photocopie du présent.

d) La vocation de l’Europe

Et pourtant, cette Europe aux nombreuses âmes et à la culture si faible (mais qui toutefois s’impose souvent avec force) qui manifeste des énergies insoupçonnées, est on ne peut plus vivante et appelée à jouer un rôle important sur la scène internationale.

Jamais autant qu’à notre époque le vieux continent, malgré ses blessures dues aux récents conflits et aux heurts parfois violents en son sein, n’a ressenti aussi fortement l’appel à l’unité. Une unité qu’il faut encore construire, bien que certains murs soient tombés, et qui devra s’étendre à toute l’Europe, ainsi qu’à ceux qui lui demandent accueil et hospitalité. Une unité qui ne pourra pas être seulement politique ou économique, mais aussi et avant tout spirituelle et morale. Une unité, encore, qui devra dépasser les vieilles rancœurs et les anciennes méfiances et à laquelle ses racines chrétiennes primitives pourraient précisément fournir un motif de convergence et une garantie d’entente. Une unité, en particulier, qu’il reviendra aux jeunes de la génération actuelle de réaliser et de rendre complète et solide, de l’Ouest en Est, du Nord au Sud, en la défendant contre toute tentation d’isolement et de repli sur ses propres intérêts en la proposant au monde entier comme exemple de coexistence sereine dans la diversité. Les jeunes seront-ils capables d’assumer cette responsabilité ? En dernière analyse, les recherches les plus récentes décrivent les jeunes Européens comme égarés, mais non pas désespérés ; imprégnés de relativisme éthique, tout en étant désireux de vivre une " bonne vie " ; conscients de leur besoin de salut, bien que ne sachant pas où le trouver.

Leur plus grave problème est probablement la société neutre sur le plan éthique et dans laquelle il leur est échu de vivre. Mais les ressources qui sont en eux ne sont pas épuisées. Spécialement en un temps de transition vers de nouveaux objectifs comme le nôtre. On en veut pour preuve les nombreux jeunes animés d’une recherche sincère de spiritualité et courageusement engagés dans le social, confiants en eux-mêmes et dans les autres et dispensateurs d’espérance et d’optimisme.

Nous croyons que ces jeunes, malgré les contradictions et le " poids " d’un certain milieu culturel, peuvent bâtir cette nouvelle Europe. Dans la vocation de leur terre maternelle se profile aussi leur vocation personnelle.

Une nouvelle évangélisation

Tout ceci ouvre de nouvelles voies et requiert de nouvelles impulsions au processus d’évangélisation de la vieille et de la nouvelle Europe. Depuis longtemps l’Eglise et le pape actuel invitent à un profond renouveau des contenus et de la méthode de l’annonce de l’Evangile, pour "rendre l’Eglise du XXème siècle encore plus apte à annoncer l’Evangile à l’humanité du XXème siècle " [ 7 ]. Et comme nous l’a rappelé le Congrès, " il ne faut pas avoir peur d’être dans une période de passage d’une rive à l’autre" [ 8 ].

a) Le " semper " et le " novum "

Il s’agit donc de conjuguer le " semper " et le " novum " de l’Evangile pour l’offrir aux nouvelles demandes et conditions de l’homme et de la femme d’aujourd’hui. Il est donc urgent de proposer à nouveau le cœur ou le centre du kérigme comme " nouvelle éternellement bonne ", riche de vie et de sens pour le jeune qui vit en Europe, comme annonce capable de répondre à ses attentes et d’éclairer sa recherche.

C’est particulièrement autour des points qui suivent que se concentrent la tension et le défi. L’image de l’homme que l’on veut réaliser et les grandes décisions de la vie, de l’avenir de la personne et de l’humanité dépendent de cela : de la signification de la liberté, du rapport entre subjectivité et objectivité, du mystère de la vie et de la mort, de l’amour et de la souffrance, du travail et de la fête.

Il faut clarifier la relation entre pratique et vérité, entre instant historique personnel et futur définitif universel ou entre bien reçu et bien donné, entre conscience du don et choix de vie. Nous savons que c’est précisément autour de ces éléments que se concentre aussi une certaine crise de signification dont découlent ensuite une culture antivocationnelle et une image d’homme sans vocation.

Le cheminement de la nouvelle évangélisation doit donc partir de là et c’est là qu’il doit aboutir pour évangéliser la vie et le sens de la vie, l’exigence de liberté et de subjectivité, le sens de l’être dans le monde et de la relation aux autres.

C’est de là que pourra émerger une culture des vocations et un modèle d’homme ouvert à l’appel. La bonne nouvelle de la Pâque du Seigneur ne doit pas faire défaut à une Europe qui doit profondément remodeler son visage, car c’est dans son sang que les peuples dispersés se sont réunis et que les lointains sont devenus proches, " en détruisant la barrière qui les séparait, c’est-à-dire la haine " (cf. Ep. 2, 14). Nous pouvons aller jusqu’à dire que la vocation est le cœur même de la nouvelle évangélisation au seuil du troisième millénaire ; elle est l’appel que Dieu adresse à l’homme pour un nouveau printemps de vérité et de liberté et pour une refondation éthique de la culture et de la société européennes.

b) Une nouvelle sainteté

Dans ce processus d’inculturation de la bonne nouvelle, la Parole de Dieu devient compagne de voyage de l’homme et le croise au long des routes pour lui révéler le projet du Père comme condition de son bonheur. C’est exactement la parole tirée de la lettre de Paul aux chrétiens de l’Eglise d’Ephèse qui nous conduit aujourd’hui, nous, peuple de Dieu en Europe, à découvrir ce qui peut-être n’est pas immédiatement visible à l’œil nu, mais qui n’en est pas moins événement, don et vie nouvelle : " Ainsi donc , vous n’êtes plus des étrangers ni des hôtes ; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu " (Ep. 2, 19).

Ce n’est évidemment pas une parole nouvelle, mais c’est une parole qui nous fait regarder d’une nouvelle façon la réalité de l’Eglise du vieux continent qui est bien autre chose qu’une " vieille Eglise ". Elle est une communauté de croyants appelés à la " jeunesse de la sainteté ", à la vocation universelle à la sainteté, soulignée avec force par le Concile [ 9 ] et rappelée en diverses circonstances par le magistère.

Il est temps désormais que cet appel retrouve sa vigueur et parvienne à tout croyant, afin que chacun soit en mesure " de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur " (Ep. 3, 18) du mystère de grâce confié à sa vie.

Il est temps désormais que cet appel suscite de nouveaux desseins de sainteté, car l’Europe a surtout besoin de cette sainteté particulière que requiert le moment présent, donc originale et, d’une certaine façon, sans précédents.

Il faut des personnes capables de " jeter des ponts " pour unir toujours davantage les Eglises et le peuples d’Europe et pour réconcilier les âmes.

Il faut des " pères " et des " mères " ouverts à la vie et au don de la vie ; des époux et des épouses qui célèbrent et témoignent de la beauté de amour humain béni par Dieu ; des personnes capables de dialogue et de " charité culturelle " pour transmettre le message chrétien à travers les langages de notre société ; des professionnels et des personnes simples capables d’imprimer à l’engagement dans la vie civile et aux rapports de travail et d’amitié la transparence de la vérité et l’intensité de la charité chrétienne ; des femmes qui re-découvrent dans la foi chrétienne la possibilité de vivre pleinement leur génie féminin ; des prêtres au grand cœur, comme celui du Bon Pasteur ; des diacres permanents qui annoncent la Parole et la liberté de service pour les plus pauvres ; des apôtres consacrés capables de s’immerger dans le monde et dans l’histoire avec un cœur de contemplatif et des mystiques si familiers du mystère de Dieu qu’ils sachent célébrer l’expérience du divin et indiquer la présence de Dieu dans le vif de l’action.

L’Europe a besoin de nouveaux confesseurs de la foi et de la beauté de croire, de témoins qui soient des croyants crédibles, courageux jusqu’au sang, de vierges qui ne le soient pas que pour elles-mêmes, mais qui sachent indiquer à tous cette virginité qui est au cœur de chacun et qui renvoie immédiatement à l’Eternel, source de tout amour.

Notre terre a soif non seulement de saints, mais de communautés saintes, aimant tellement l’Eglise et le monde qu’elles sachent présenter au monde une Eglise libre, ouverte, dynamique, présente dans l’histoire contemporaine de l’Europe, proche des souffrances des gens, accueillante envers tous, fer de lance de la justice, attentive aux pauvres, ne se souciant pas de sa minorité numérique ni de mettre des limites à son action, ne s’effrayant ni du climat de déchristianisation sociale (réelle, mais sans doute pas aussi radicale et générale) ni du manque (souvent seulement en apparence) de résultats.

Telle sera la nouvelle sainteté, capable de ré-évangéliser l’Europe et d’édifier la nouvelle Europe !

De nouvelles vocations

Un nouveau discours sur la vocation et sur les vocations, sur la culture et sur la pastorale des vocations s’impose donc. Le Congrès a voulu accueillir une certaine sensibilité, désormais largement diffuse sur ces thèmes, proposant toutefois en même temps un " sursaut idéal pour ouvrir de nouveaux printemps dans nos Eglises " [ 10 ].

a) Vocation et vocations

Tout comme la sainteté s’adresse à tous les baptisés en Jésus-Christ, de même il existe une vocation spécifique pour tout vivant. Et, de même que la première est enracinée dans le Baptême, la seconde est liée au simple fait d’exister. La vocation est la pensée providentielle du Créateur sur chaque créature, elle est son idée-projet, comme un rêve qui tient à cœur à Dieu parce que la créature lui tient à cœur. Dieu le Père veut qu’elle soit différente et spécifique pour chaque être vivant.

L’être humain, en effet, est " appelé " à la vie et, quand il vient à la vie, il porte et retrouve en lui l’image de Celui qui l’a appelé.

La vocation est la proposition divine pour se réaliser selon cette image ; elle est unique et singulière précisément parce que cette image est inépuisable. Chaque créature dit et est appelée à exprimer un aspect particulier de la pensée de Dieu. C’est là qu’elle trouve son nom et son identité, qu’elle affirme et qu’elle met en sécurité sa liberté et son originalité.

Donc, si chaque être humain possède sa propre vocation dès le moment de sa naissance, il existe dans l’Eglise et dans le monde différentes vocations qui, sur le plan théologique, expriment la ressemblance divine imprimée dans l’homme et, au niveau pastoral et ecclésial, répondent aux diverses exigences de la nouvelle évangélisation, en enrichissant la dynamique et la communion ecclésiales : " L’Eglise particulière est comme un jardin fleuri, possédant une grande variété de dons et de charismes, de mouvements et de ministères. D’où l’importance du témoignage de la communion entre eux, en laissant de côté tout esprit de "concurrence" " [ 11 ].

Bien plus, le Congrès a explicitement affirmé qu’" il faut s’ouvrir à de nouveaux charismes et ministères, peut-être différents des charismes et ministères habituels. La place du laïcat et sa mise en valeur sont un signe des temps qu’il nous faut encore découvrir. Il se révèle toujours plus fructueux. " [ 12 ]

b) Une culture de la vocation

Ces éléments pénètrent peu à peu dans la conscience des croyants mais pas encore assez pour créer une véritable culture des vocations [ 13 ], capable de franchir les limites de la communauté des croyants. Voilà pourquoi le Saint-Père, dans son discours aux participants au Congrès, souhaite que l’attention patiente et constante de la communauté chrétienne au mystère de l’appel divin entraîne une " nouvelle culture des vocations chez les jeunes et dans les familles " [ 14 ]. Celle-ci est un élément de la nouvelle évangélisation. Elle est culture de la vie et de l’ouverture à la vie, du sens de la vie, mais aussi de la mort.

Elle se réfère en particulier à des valeurs, peut-être un peu oubliées, d’une certaine mentalité émergente (" culture de mort " selon certains), comme la gratitude, l’accueil du mystère, le sens de l’inachevé chez l’homme et en même temps de son ouverture à la transcendance, sa disponibilité à se laisser appeler par un autre (ou par un Autre) et interpeller par la vie, sa confiance en soi et dans le prochain, sa liberté de s’émouvoir face au don reçu, face à l’affection, à la compréhension, au pardon, en découvrant que ce que l’on a reçu est toujours immérité, excède toujours sa propre mesure et est source de responsabilité à l’égard de la vie.

Font encore partie de cette culture des vocations la capacité à rêver et à désirer en grand, la stupeur qui permet d’apprécier la beauté et de la choisir pour sa valeur intrinsèque, parce qu’elle rend la vie belle et vraie, l’altruisme qui n’est pas seulement solidarité dans l’urgence, mais qui naît de la découverte de la dignité de chaque frère.

A la culture de la distraction, qui risque de perdre de vue et d’annuler les interrogations sérieuses dans la surabondance des mots, il faut opposer une culture capable de retrouver le courage et le goût des grandes questions, celles qui ont trait à l’avenir : ce sont les grandes questions, en effet, qui rendent grandes aussi les petites réponses. Mais ce sont ensuite les petites réponses au quotidien qui provoquent les grandes décisions, comme celle de la foi, ou qui créent une culture comme celle des vocations.

Quoi qu’il en soit la culture des vocations, en tant qu’ensemble de valeurs, doit passer toujours plus d’une conscience ecclésiale à une conscience civile, de la conscience du croyant ou de la communauté croyante à la conviction universelle de ne pouvoir construire aucun futur pour l’Europe de l’an 2000 sur un modèle d’homme sans vocation. De fait, le pape ajoute : " Le malaise qui traverse le monde des jeunes révèle, notamment chez les nouvelles générations, des questions pressantes sur le sens de l’existence, confirmant ainsi que rien ni personne ne peut étouffer la question du sens et le désir de vérité. Pour beaucoup, c’est le terrain sur lequel se joue la recherche de vocation " [ 15 ].

Ce sont précisément cette demande et ce désir qui font naître une authentique culture de la vocation. Et, si demande et désir sont au cœur de chaque homme, même de ceux qui les nient, alors cette culture pourrait devenir une sorte de terrain commun où la conscience croyante rencontre la conscience laïque et se confronte à elle. Elle lui donnera, avec générosité et transparence, cette sagesse qu’elle a reçue d’en haut cette nouvelle culture deviendra ainsi un véritable terrain de nouvelle évangélisation où pourrait naître un nouveau modèle d’homme et où pourraient fleurir aussi une nouvelle sainteté et de nouvelles vocations pour l’Europe de l’an 2000. En effet, la pénurie des vocations spécifiques - les vocations au pluriel - est surtout absence de conscience vocationnelle de la vie - la vocation au singulier -, c’est-à-dire absence de culture de la vocation.

 

Cette culture devient probablement aujourd’hui le premier objectif de la pastorale des vocations [ 16 ] ou, peut-être de la pastorale en général. Que serait, en effet, une pastorale qui ne cultiverait pas la liberté de se sentir appelé par Dieu et qui ne ferait pas naître une nouveauté de vie ?

c) Pastorale des vocations : le " saut de qualité "

Un autre élément lie entre elles la réflexion devant le congrès et l’analyse faite au cours de ce dernier. C’est la conscience que la pastorale des vocations se trouve face à l’exigence d’un changement radical, d’un "sursaut idéal", selon le document préparatoire [ 17 ], ou d’un " saut de qualité ", comme l’a recommandé le pape dans son Message à la fin du Congrès [ 18 ]. Encore une fois, nous nous trouvons devant une convergence évidente devant être comprise dans sa signification authentique, dans cette analyse de la situation que nous proposons.

Il ne s’agit pas seulement d’une invitation à réagir à une sensation de fatigue ou de méfiance au vu des faibles résultats. Ces mots n’entendent pas non plus provoquer un simple renouvellement de certaines méthodes ou encourager à retrouver l’énergie et l’enthousiasme, mais ils veulent indiquer, en substance, que la pastorale des vocations en Europe est arrivée à un tournant historique, à un passage décisif. Il y a eu une histoire, avec une pré-histoire, puis des phases qui se sont lentement succédées, au long de ces dernières années, comme des saisons naturelles, et qui doivent désormais nécessairement évoluer vers l’état " adulte " et mûr de la pastorale des vocations.

Il ne s’agit donc ni de sous-évaluer le sens de ce passage, ni d’accuser quiconque pour ce qu’il n’aurait pas fait par le passé. Au contraire ! Notre sentiment, qui est le sentiment de toute l’Eglise, est un sentiment de reconnaissance sincère envers nos frères et nos sœurs qui, dans des conditions passablement difficiles, ont généreusement aidé tant de jeunes gens et de jeunes filles à chercher et à trouver leur vocation. Mais il s’agit, en tout cas, de comprendre encore une fois la direction que Dieu, le Seigneur de l’histoire, imprime à notre histoire et notamment à la riche histoire des vocations en Europe qui se trouve à un carrefour difficile.

  • Si la pastorale des vocations est née comme une urgence liée à une situation de crise et d’indigence vocationnelle, il est impossible aujourd’hui de la penser avec la même précarité, motivée par une conjoncture négative, mais - au contraire - elle apparaît comme l’expression stable et cohérente de la maternité de l’Eglise, ouverte au plan de Dieu, que nul ne peut arrêter et qui engendre toujours la vie en elle.
  • Si autrefois, la promotion des vocations se référait seulement ou surtout à certaines vocations, aujourd’hui elle devrait tendre toujours plus à la promotion de toutes les vocations, car dans l’Eglise du Seigneur tous grandissent ensemble ou personne ne grandit.
  • Si à ses débuts, la pastorale des vocations pourvoyait à circonscrire son domaine d’intervention à certaines catégories de personnes " les nôtres ", ceux qui étaient les plus proches des milieux d’Eglise ou ceux qui semblaient manifester tout de suite un certain intérêt, les meilleurs et les plus méritoires, ceux qui avaient déjà fait une option de foi, et ainsi de suite..., aujourd’hui la nécessité se fait sentir d’étendre courageusement et à tous, au moins en théorie, l’annonce et la proposition d’une vocation, au nom de ce Dieu qui ne fait pas de préférence, qui choisit les pécheurs dans un peuple de pécheurs, qui fait d’Amos - qui n’était pas fils de prophètes mais simple cueilleur de sycomores - un prophète, qui appelle Lévi, qui va chez Zachée et qui est même capable de faire surgir des pierres des fils à Abraham (cf. Mt 3, 9).
  • Si, autrefois, l’activité vocationnelle naissait pour une bonne part de la peur (de l’extinction ou de moins compter) et du désir de maintenir les présences et les œuvres à des niveaux déterminés, désormais la peur, qui est toujours mauvaise conseillère, cède la place à l’espérance chrétienne, qui naît de la foi et qui est projetée vers la nouveauté et le futur de Dieu.
  • Si une certaine animation des vocations est, ou était, éternellement incertaine et timide, jusqu’à sembler pratiquement en condition d’infériorité par rapport à une culture anti-vocationnelle, aujourd’hui seul celui qui est animé de la certitude qu’il existe en chaque personne - sans exclusion - un don original de Dieu qui attend d’être découvert peut faire une bonne pastorale des vocations.
  • Si l’objectif semblait autrefois être le recrutement, et la méthode la propagande, souvent en forçant un peu la liberté de l’individu et avec des épisodes de " concurrence ", il doit toujours être clair à présent que notre but est le service à rendre à la personne, afin qu’elle sache discerner le projet de Dieu sur la vie pour l’édification de l’Eglise et qu’elle se reconnaisse en lui et réalise sa propre vérité [ 19 ].
  • Si à une époque pas très lointaine, certains s’imaginaient pouvoir résoudre la crise des vocations par des choix discutables, par exemple en " important des vocations " d’ailleurs (souvent en les déracinant de leur contexte), aujourd’hui personne ne devrait s’imaginer pouvoir résoudre la crise des vocations en la contournant, car le Seigneur continue à appeler dans chaque Eglise et en tout lieu.
  • Ainsi, dans la même ligne, le " cyrénéen vocationnel ", improvisateur volontaire et souvent solitaire, devrait passer toujours davantage d’une animation faite d’initiatives et d’expériences épisodiques à une éducation à la vocation s’inspirant de la sagesse d’une méthode éprouvée d’accompagnement, pour pouvoir apporter une aide appropriée à ceux qui sont en recherche.
  • Par conséquent, l’animateur des vocations devrait devenir toujours plus un éducateur de foi et formateur de vocations, et l’animation sacerdotale devenir toujours plus une action collective [ 20 ] de toute la communauté, religieuse ou paroissiale, de tout l’institut ou de tout le diocèse, de tout prêtre ou de toute personne consacrée ou croyante, et pour toutes les vocations dans chaque phase de la vie.
  • Enfin, il est temps que l’on passe clairement de la " pathologie de la fatigue " [ 21 ] et de la résignation, que l’on justifie en attribuant à l’actuelle génération de jeunes la cause unique de la crise des vocations, au courage de se poser les questions justes, pour comprendre les erreurs éventuelles et les défaillances, pour parvenir à un nouvel élan créatif fervent de témoignage.

d) Petit troupeau et grande mission

C’est la cohérence avec laquelle on agira dans cette voie qui aidera toujours plus à redécouvrir la dignité de la pastorale des vocations et sa position centrale et de synthèse naturelle dans le domaine pastoral.

Ici encore, nous venons d’expériences et de conceptions qui ont risqué de marginaliser, d’une façon ou d’une autre, par le passé, cette même pastorale des vocations, en la considérant comme moins importante. Elle présente parfois un visage peu triomphant de l’Eglise actuelle ou est jugée comme un secteur de la pastorale moins fondés, sur le plan théologique, par rapport à d’autres, comme un produit récent d’une situation critique et contingente.

La pastorale des vocations vit peut-être encore dans une situation d’infériorité qui, d’un côté, peut nuire à son image et indirectement à l’efficacité de son action mais, de l’autre, peut aussi devenir un contexte favorable pour définir et expérimenter avec créativité et liberté - liberté aussi de se tromper - de nouveaux chemins pastoraux.

Surtout, cette situation peut rappeler cette autre " infériorité " ou pauvreté dont parlait Jésus en regardant les foules qui le suivaient : " La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux " (Mt 9, 37). Face à la moisson du Royaume de Dieu, face à la moisson de la nouvelle Europe et de la nouvelle évangélisation, les "ouvriers" sont et seront peu nombreux, "petit troupeau et grande mission", pour faire mieux ressortir que la vocation est initiative de Dieu, don du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Introduction du Congrès de Rome(Jeunes et Vocations N° 88)

IIème partie du Congrès de Rome (Jeunes et Vocations N° 90)

Notes

1 - IL, 18 [ Retour au texte ]

2 - Cf. Propositions finales du Congrès européen sur les vocations au sacerdoce et à la vie consacrée, 8. A partir de maintenant, nous citerons ce texte en le désignant par le terme Propositions. [ Retour au texte ]

3 - IL, 32 [ Retour au texte ]

4 - Propositions , 7 [ Retour au texte ]

5 - Propositions, 3 [ Retour au texte ]

6 - Propositions, 4 [ Retour au texte ]

7 - Paul VI, Evangelii Nuntiandi, 2. Voir aussi à ce sujet, de Jean Paul II, Christifideles laici, 33-34 et Redemptoris missio, 33-34 [ Retour au texte ]

8 - Propositions, 19 [ Retour au texte ]

9 - Lumen Gentium, 32 ; 39-42 (chap. V) [ Retour au texte ]

10 - IL, 6 [ Retour au texte ]

11 - Propositions, 16 [ Retour au texte ]

12 - Propositions, 19 [ Retour au texte ]

13 - La " culture des vocations " fut le thème du Message pontifical pour la 30ème Journée Mondiale de prière pour les Vocations, célébrée le 2 mai 1993 (cf. " l’Osservatore Romano ", 18-12-92 ; cf. aussi Congrégation pour l’Education Catholique, O.P.V.E., Messages pontificaux pour la Journée Mondiale de prière pour les Vocations, Rome 1994, pp.241-245 [ Retour au texte ]

14 - Jean Paul II, Discours aux participants au Congrès sur les vocations en Europe, in " L’Osservatore Ro-mano ", 11 mai 1997, 4. [ Retour au texte ]

15 - Ibidem [ Retour au texte ]

16 - Cf. Propositions, 12 [ Retour au texte ]

17 - IL, 6 [ Retour au texte ]

18 - Discours du Saint-Père, in " L’Osservatore Romano ", 11 mai 1997, n.107 [ Retour au texte ]

19 - Cf. Propositions, 20 [ Retour au texte ]

20 - Cf. Jean Paul II, Vita consecrata, 64 [ Retour au texte ]

21 - Une expression analogue a déjà été utilisée dans le Document final du IIème Congrès International des évêques et autres responsables des vocations ecclésiastiques, cf. Sviluppi, 3. [ Retour au texte ]