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Humaniser le visage de l’Eglise
Les questions des jeunes sont souvent piégées par l’environnement médiatique. Mgr Michel Coloni, évêque de Dijon, achève ce parcours en exprimant comment il tente d’établir avec eux un véritable dialogue, au-delà des inévitables clichés sur l’Eglise et sur la foi.
évêque de Dijon
Le sacrement de confirmation dans mon diocèse : cinq à six cents confirmés chaque année, dont les 4/5 par moi-même, essentiellement des jeunes de 15 à 20 ans. Chaque célébration est précédée d’une rencontre de une à deux heures, avec celui qui donnera le sacrement, l’évêque ou un vicaire général. Habituellement, la "lettre à l’évêque" m’est parvenue auparavant. Dans la moitié rurale du diocèse, la célébration rassemble les confirmands de tout un doyenné. En ville, c’est plus divers, encore qu’on tende à des regroupements analogues. Derrière cette organisation, je discerne une évolution importante : ce sacrement est de moins en moins une démarche individuelle ou seulement familiale, un peu "tribale". De plus en plus, c’est une prise de conscience d’une réalité ecclésiale large où les modifications de la carte des paroisses se vivent selon une dimension sacramentelle et non pas par la soumission contrainte aux décisions d’une bureaucratie diocésaine.
Les réunions préparatoires me fournissent les principales occasions de rencontres avec les jeunes, de les découvrir dans leurs très grandes diversités, ce qui est le meilleur antidote aux raideurs des systématisations pastorales.
Je suis frappé de l’épreuve que représente pour beaucoup de jeunes la rédaction de la lettre à l’évêque. On les invite à exprimer leur expérience chrétienne : la demande est peut-être excessive. Cela explique le recours aux stéréotypes. Mais le lecteur attentif perçoit souvent à une phrase, à quelques mots, une confidence vraiment personnelle. Pour cette raison, je continue à demander l’envoi de ces lettres. L’effort demandé peut être fructueux pour le jeune et me permet d’entrevoir la tonalité de la communauté chrétienne au milieu de laquelle je confirmerai.
Lors de la rencontre préalable avec les jeunes, je note d’abord la maîtrise bien inégale de cet instrument par les adultes qui accompagnent la préparation à la confirmation. Tout le monde ne sait pas libérer la parole de jeunes toujours intimidés par ce face à face. Mais, même dans le meilleur des cas, je perçois que le "modèle" dont s’inspirent adultes et jeunes est l’interview télévisée. Il n’est pas question que l’évêque vérifie l’authenticité de la foi des confirmands, il s’agit pour ceux-ci de tester l’authenticité de l’évêque, éventuellement de voir comment on peut faire face aux objections entendues autour d’eux et qu’ils m’opposent.
La problématique spontanée est ce que l’on entend à la télévision et, au gré des années et de l’actualité, les questions "des jeunes" reproduisent fidèlement celles "des journalistes". Tout mon effort consiste à accepter le jeu, à déplacer les questions, à essayer de retrouver leurs véritables interrogations sur la vie et la mort, l’amour et le mal, la foi et l’Eglise qu’ils ne savaient ou ne voulaient pas formuler directement. C’est en prenant au sérieux leur première interrogation que je leur rends possible de prendre au sérieux mes réponses.
A quoi cela peut-il aboutir ? D’abord à humaniser le visage de l’Eglise dont un responsable a dialogué un moment avec eux en vérité et, quand on se retrouvera pour le sacrement, le sérieux des jeunes manifeste qu’ils entrevoient une vision plus large de la réalité chrétienne, au-delà de la convivialité de leur équipe.
Ensuite - peut-être ! - sur quelques points qui leur faisaient difficulté, ils pressentent qu’il y a des éléments de réponse, que l’Eglise porte une expérience, une sagesse qui peut aider à vivre. Enfin - certainement - cela prépare d’autres occasions de rencontres, temps forts, pèlerinages, assemblées synodales, où la conversation avec ceux qui représentent l’Eglise se poursuivra. Cela justifie à mes yeux l’investissement lourd auquel je consens auprès des confirmés. J’en ai vérifié le bien-fondé aussi bien lors des deux assemblées synodales tenues dans mon diocèse en 1991 et en 1996 que dans bien des témoignages de foi de jeunes recueillis en vue de l’Assemblée des Evêques d’avril 1996.
Ces paragraphes évoquent peu le contenu des propos tenus par les jeunes et par leur évêque. J’en ai conscience mais je ne le regrette pas. J’ai trop le sentiment que le mieux que nous puissions faire est de construire une relation ecclésiale qui, dans la durée, permettra l’appropriation de la foi, et non pas de prendre au sérieux une réaction qui, dans sa spontanéité, n’est trop souvent que la récitation du "discours unique" dans lequel nous baignons tous. Par contre, nouer ce lien modestement mais solidement me semble ouvrir une voie d’avenir aussi bien aux jeunes qu’au diocèse dans son ensemble.