Les JMJ ou la fierté d’être chrétien


Le Père Paul Destable, secrétaire général adjoint de l’épiscopat, nous livre dans cet entretien ses réflexions sur les Journées Mondiales. Au premier plan dans l’organisation des JMJ, le P. Destable en constate les effets : l’Eglise s’est découverte heureuse d’être elle-même.

Propos recueillis par Eric JULIEN

Jeunes et Vocations : Quelques mois après, pouvez-vous dire en quoi les JMJ ont créé une surprise dans l’Eglise et en France ?

P. Paul Destable : La grosse surprise des JMJ, ce sont les JMJ elles-mêmes. Ce sont les XIIème, il y en a eu avant et il y en aura d’autres après. Paris a été une ville-étape pour accueillir cet élan qui vient de plus loin que nous, de Quelqu’un d’autre. Cela se vérifie concrètement : "la structure porteuse" des JMJ à Rome est composée de trois ou quatre personnes, si elles étaient le résultat d’une décision volontariste, cela nécessiterait au moins cinq cents permanents.

Les JMJ sont le fruit de la rencontre entre l’intention du pape de faire confiance aux jeunes pour recevoir et annoncer l’Evangile comme bonne nouvelle pour tous et le désir des jeunes de se retrouver au plan international. Oui, cet événement du mois d’août 1997 est un passage du Seigneur dans notre histoire. Bien plus encore qu’une surprise ce fut une rencontre personnelle et bouleversante avec le Christ et son Eglise

Le fait de se rencontrer entre personnes de différents pays, mouvement, cultures, est un chemin d’humanisation et de croissance spirituelle. La rencontre, pour être vraie demande à chacun de se dépasser, de sortir de lui-même, autrement dit, de vivre un exode hors de lui-même pour aller à la rencontre de celui qui est différent.

Le rabat-joie dira : "Tous ces jeunes étaient sur la montagne. Maintenant il faut redescendre dans la plaine et là, ce sera autre chose." J’ai envie de répondre que les JMJ ont ranimé une capacité d’émerveillement et celle-ci est indispensable à tout moment dans la pastorale des jeunes comme à tout moment de la vie chrétienne.

J et V : Peut-on détailler les diverses surprises dont les JMJ ont été à l’origine ?

P. Destable : En premier lieu, la capacité d’accueil. Nous avions fait le pari que dans un pays industrialisé comme le nôtre, la capacité d’accueil n’était pas morte, mais seulement endormie et qu’il était possible de la réveiller, y compris en plein mois d’août. Non seulement les jeunes étrangers ont été accueillis, mais ils l’ont été deux fois, en province et à Paris. De nombreux diocèses avaient mobilisé suffisamment de personnes pour accueillir trois ou quatre fois plus de jeunes venant d’autres pays. L’enjeu n’était pas seulement de rendre service mais, dans un pays qui se replie sur lui-même, de réveiller le sens de l’hospitalité et d’accueillir l’étranger presque dans sa propre famille.

J et V : Est-ce une question d’hébergement uniquement ?

P. Destable : L’enjeu essentiel, c’est le partage des raisons et des façons de vivre, de prier, d’espérer. Le pape invite les jeunes aux JMJ pour un témoignage réciproque de foi, nous avons voulu multiplier les occasions qui favorisent un tel partage, en particulier par l’accueil dans les diocèses avant de se retrouver très nombreux à Paris.

L’autre grande source de surprise fut le succès des catéchèses. Alors qu’il y avait de nombreuses sollicitations dans Paris, ils sont venus très nombreux à ces catéchèses et ils ont tenu à y participer, même quand l’accès était difficile à cause du nombre.

Ce "succès" met en évidence le besoin de formation, mais là n’est pas la nouveauté. La leçon à tirer, à mon avis, c’est que les catéchèses soient proposées au plus grand nombre. Or, souvent, nos schémas pastoraux s’appuient sur des petits groupes de gens qui ont été apprivoisés, accompagnés, formés "bichonnés" depuis très longtemps. En fait, malgré, ou à cause de l’indifférence religieuse ambiante, de nombreux jeunes sont en attente d’un discours organisé sur la foi. Comment créer des occasions plus fréquentes où cette attente pourra être comblée ?

L’expression que j’ai le plus souvent entendue après les JMJ est : Je me suis senti fier d’être chrétien". Là, on pouvait le célébrer, le partager l’exprimer devant tout le monde. Les jeunes volontaires ne quittaient pas leur tee-shirt vert lorsqu’ils circulaient en ville. Tout le monde pouvait les identifier comme étant de jeunes chrétiens volontaires. Cette fierté d’être chrétien et le désir de partager sa foi font naître le besoin de mieux la comprendre et de la nourrir.

Je pense que les JMJ sont le point d’orgue d’un tournant dans l’histoire de la mission, telle qu’elle est vécue en France. Nous sommes franchement sortis d’un enfouissement qui conduisait au risque de devenir insignifiants, pour devenir des "proposants de la foi". De ce point de vue, les JMJ sont de vastes travaux pratiques de la Lettre aux catholiques de France. Tout au long de la préparation et du déroulement de ces journées, les jeunes ont su trouver le ton juste entre une excessive discrétion et l’arrogance. Leur comportement se conjuguait bien avec le verbe proposer.

Enfin, ces catéchèses n’ont pas été seulement un temps d’enseignement. Elles ont été vécues dans un jeu de relations entre jeunes et avec les évêques. Ce qui a souvent été le plus apprécié, c’est le moment où l’évêque répondait aux questions posées par les groupes de partage. Le besoin essentiel qui s’est exprimé durant ces catéchèses concernait tout autant la confiance que le savoir. J’aime assez cette remarque : "Dans la rencontre du pape et des évêques, les jeunes sont à la recherche de repères et de pères." Oui, il y a une paternité spirituelle à déployer à la façon de Saint Paul : "Par l’Evangile, je vous ai engendrés" (Première lettre aux Corinthiens). Une des priorités pastorales qui m’apparaît c’est d’appeler, former et soutenir des accompagnatrices et des accompagnateurs spirituels. Avez-vous remarqué les tee-shirts bleus ? Cent personnes (laïcs, religieux, religieuses, prêtres) ont accompagné les jeunes volontaires. Ils ont expérimenté l’accompagnement tout terrain.

J et V : Quelle fut la place des mouvements d’Eglise ?

P. Destable : La troisième surprise, ou plutôt une autre joie, c’est que l’ensemble des mouvements, communautés, congrégations ont bien joué le jeu . Pour bien vivre les JMJ. il y a deux sortes de frontières à franchir. La première est repérable, c’est celle des pays.

A ce propos, les jeunes français ont été bousculés quand des jeunes venus d’ailleurs leur ont dit : "Vous êtes dans un pays de liberté, où tout peut se dire et s’écrire. Alors pourquoi êtes-vous si paralysés pour parler de votre foi ?"

La seconde frontière, plus difficile à repérer, est celle des différentes traditions spirituelles, des différents mouvements, des diverses façons de prier ou de célébrer. C’est ce double passage de frontières qui permet d’expérimenter la catholicité de l’Eglise. Ce sont essentiellement les rencontres intermédiaires qui ont permis ces rencontres et échanges de personne à personne dans des groupes à taille humaine : l’accueil en diocèse et sur les sites d’hébergement en Ile-de-France.

C’est surtout au cours du Festival de la jeunesse et des veillées du jeudi soir que tous les partenaires de la pastorale des jeunes ont pu partager le meilleur d’eux-mêmes. Ce n’était pas une série de stands statiques où l’on s’efforce d’attirer le client par un tract. Il s’agissait de rencontres permettant expérience et découverte. L’animation de ces seuls temps du Festival a nécessité cinq mille six cents personnes. Certaines s’étaient mises en route plus d’un an à l’avance pour préparer ce qui allait être proposé.

J et V : Et Longchamp ?

P. Destable : Cette magnifique célébration a été vécue intensément par ceux qui étaient présents, elle a été également très parlante pour ceux qui étaient devant leur poste TV. Une anecdote significative : un jeune retenu à Lille toute la semaine par son travail s’installe le samedi soir pour suivre la veillée baptismale. Dès qu’il voit ce peuple rassemblé, il se dit : "Je ne peux pas rester là, j’en suis, il faut que j’y aille ! " Il a pris sa voiture et a rejoint la veillée.

La célébration du baptême et de la confirmation pour ces dix jeunes adultes aura été le cœur de cette année préparatoire au Jubilé consacré au Christ. Nous avons réalisé ce soir-là qu’il n’y a pas d’expérience plus forte pour parler de la vie chrétienne que la célébration du baptême. Avec l’Eucharistie du lendemain, les trois sacrements de l’initiation chrétienne ont permis d’expérimenter l’Eglise comme peuple de Dieu et comme corps du Christ. La parole du Christ "Venez et voyez" a eu, à ce moment-là, une intense actualité. J’ai été marqué par l’image de ces parapluies bleus accompagnant ceux qui donnaient la communion. C’était comme des artères partant de l’autel pour irriguer cette foule.

J et V : Peut-on parler d’un succès ?

P. Destable : Nous avons voulu que ce soit beau mais, finalement, nous n’avons rien présenté d’autre que la Parole de Dieu. Dans les diocèses, durant les catéchèses, les différents temps de prière, le Festival de la jeunesse, etc... nous n’avons rien fait d’autre que de présenter la Parole de Dieu annoncée, célébrée et vécue. Il ne faut pas parler de succès, la proposition de la foi s’adresse à la liberté de chacun et le chemin du témoignage passe toujours par la croix, par un amour "qui se met en peine". Mais on peut réellement dire que la Parole de Dieu n’a pas laissé ces jeunes indifférents.

J et V : Le cœur des jeunes a été touché...

P. Destable : Le cœur de ces jeunes a pu trouver un chemin. Où cela les conduira-t-il ? je n’en sais rien et personne ne le sait. La semence a été jetée en terre, il nous appartient d’être une bonne terre pour que le grain donne un bel épi. Cet événement est une source de confiance pour ceux qui entendent un appel à devenir serviteur de l’Evangile : ça vaut le coup, aujourd’hui, d’être serviteur de la Parole de Dieu, c’est possible, tu ne seras pas tout seul, tu ne laisseras pas indifférent.

J et V : En sait-on un peu plus sur le "public" des JMJ ?

P. Destable : Une grande partie du public des jeunes français venu au dernier moment fait partie de la sphère des sympathisants qu’il y a autour de nos activités pastorales. Nous évaluons la plupart du temps l’impact de nos mouvements et services d’Eglise à partir de ceux qui sont présents, inscrits. Cela ne tient pas compte du fait qu’il y a un renouvellement de 30 % chaque année.

L’évaluation pourrait se faire en terme de formation. Par exemple, l’Ecole de l’Evangile de Lourdes a seize jeunes inscrits cette année. Mais, depuis sept ans, elle a formé cent quarante jeunes !

Il y a un public de jeunes qui a vécu soit directement, soit indirectement par des amis, une expérience heureuse en Eglise. Ils ont pris du recul pour différentes raisons, parfois pour de simples questions de déplacement, mais ils restent "mobilisables" pour le jour où ils recevront une invitation renouvelée et forte de la part d’une communauté chrétienne.

Le déclic est venu aussi par la participation des jeunes étrangers. "Si tant de jeunes viennent de si loin, c’est donc qu’il se passe quelque chose d’important chez nous". De fait, l’accueil des étrangers est devenu événement mobilisateur dans tous les diocèses.

Les JMJ ont également touché un public de jeunes chercheurs de sens. Parmi eux, certains sont disponibles pour une démarche catéchuménale. Je ne peux pas dire combien ils étaient mais nous savons tous que de tels jeunes à la recherche d’une initiation chrétienne existent : la plus grande partie de ceux qui demandent le baptême des adultes ont entre 18 et 35 ans.

Il y a eu, bien sûr, le public des curieux, la foule attire la foule. Il est bien difficile de qualifier leur recherche mais ce qui était proposé ne relevait pas du show business et n’était pas très confortable. Il n’est donc pas exagéré de dire qu’ils sont venus au moins pour certaines valeurs : fraternité universelle, fête entre jeunes, esprit de service, etc...

J et V : Ce public majoritaire des sympathisants, doit-on se résigner à ne plus le revoir avant les prochaines JMJ en France ?

P. Destable : Regardons ce qui peut se passe déjà. Dans la tranche d’âge concernée (18-35 ans) une grande partie d’entre eux vont se présenter pour préparer leur mariage ou le baptême d’un enfant. Quelle qualité d’accueil allons-nous vivre avec eux ? Quel parcours dans la foi, allons-nous leur proposer ? Comment cela pourra-t-il devenir l’occasion de retrouvailles avec la communauté ecclésiale ?

Il y a aussi des moments comme les pèlerinages ou les temps forts organisés par les diocèses, mouvements ou communautés. Depuis le mois d’août, de nombreux diocèses ont organisé des rencontres pour ceux et celles qui étaient aux JMJ, mais avec le souci d’inviter d’autres jeunes qui, pour une raison ou pour une autre, n’avaient pas pu y participer.

Il y a quelques jours, à Tarbes, les trois jeunes avec lesquels j’ai le plus discuté n’avaient pas participé aux JMJ et, pourtant, ils sont venus à la rencontre diocésaine où on en reparlait. Tous les jeunes ayant participé aux JMJ ne vont pas chercher à rejoindre un groupe ecclésial institué, mais certains pourraient en avoir le goût si l’occasion leur en était donnée.

J et V : Quelle porte d’entrée peut-on leur proposer pour découvrir l’Eglise ?

P. Destable : Par leur comportement et leurs attentes, les jeunes nous ont rappelé que le christianisme est avant tout une mystique, une rencontre personnelle et bouleversante avec le Christ.

Comme pasteurs et éducateurs chrétiens nous n’avons pas seulement à être des aiguilleurs qui informent et orientent vers différents mouvements de services d’Eglise, mais à faire exister et rencontrer des communautés qui soient des lieux-sources permettant de goûter ce cœur à cœur avec Dieu.

Cette génération, plus que la précédente, est sensible à la beauté et à la qualité des relations. Les portes d’entrée devront tenir compte de ces exigences.

J et V : Cette attente des jeunes n’est-elle pas une découverte ?

P. Destable : Découverte n’est pas le mot exact. Par contre, par les JMJ nous sommes invités à sortir de la morosité. Entretenir un climat de morosité représente une double erreur : la première c’est d’étouffer le cri des pauvres et de ne plus entendre ceux qui souffrent réellement d’un mal personnel et social ; la seconde c’est de ne pas être témoin du message de confiance et d’espérance qui est tant attendu par des jeunes et des moins jeunes.

J et V : Les JMJ ont-elles étés des lieux d’appel ?

P. Destable : Une de mes grandes joies c’est que des jeunes se sont appelés entre eux. Je voudrais tout d’abord établir un lien entre les petits noyaux de jeunes qui se sont créés dans chaque diocèse pour inviter aux JMJ et le grand nombre de ceux qui se sont inscrits au dernier moment. Il y a un lien de cause à effet.

Cette dynamique d’appel s’est vérifiée également pour "les petits hommes verts". Ce sont les quatre cents volontaires relais qui ont constitué chacun une équipe de vingt personnes. Or, pour arriver à un tel nombre de volontaires (disponibles durant quinze jours, pour un travail parfois peu gratifiant, pouvant participer à toutes les rencontres, etc...) il a fallu en appeler beaucoup plus. Nous avons eu là une formidable occasion de conjuguer le verbe appeler. Des jeunes ont été appelés et se sont appelés entre eux.

Il n’y a pas de plus grande responsabilité pour un chrétien que d’appeler quelqu’un à devenir disciple du Christ. C’est d’ailleurs cet Evangile (Jean 1) qui était proposé comme thème de ces
JMJ : André qui va chercher Simon, Philippe, Nathanaël.

J et V : En ce sens, les JMJ ont-elles pu favoriser l’attachement des jeunes à leur terroir diocésain ?

P. Destable : L’Eglise diocésaine, comme le souhaite le pape, a été mise en valeur. Chaque diocèse a été acteur pour inviter largement, pour aller à la rencontre des 18-35 ans - la tranche d’âge la moins rejointe habituellement -, pour inviter et accueillir des jeunes venant d’autres Eglises ; les équipes diocésaines ont été composées la plupart du temps par des jeunes venant de différents mouvements et services. Pour préparer les JMJ, des instances de coordination ont démarré au niveau des secteurs, doyennés, paroisses. Il serait intéressant que tout cela puisse durer et rendre ainsi plus facile l’accès aux responsabilités ecclésiales pour les jeunes.

Je crois que, pour servir les vocations, un des éléments essentiels ce sont des communautés stables et repérables. J’accorde évidemment une grande importance aux mouvements, fraternités, communautés. Il est important que des jeunes puissent participer et mûrir la foi dans de tels lieux. Mais, lorsqu’il s’agit de prendre un engagement définitif, il y a nécessité de faire référence à une communauté stable et repérable comme la paroisse.

Naturellement il y a toute une recherche et des mises en œuvre pour définir de nouvelles paroisses. En soulignant cette nécessité d’un enracinement humain et ecclésial dans une paroisse, je ne pense pas seulement aux vocations de prêtres diocésains mais à l’ensemble des vocations et, en particulier, à celle des missionnaires qui vont dans d’autres Eglises.

J et V : Finalement, ce qui a été frappant - et donc "appelant" dans les JMJ, n’est-ce pas cette Eglise heureuse d’être elle-même ?

P. Destable : Le meilleur service à rendre aux vocations, c’est d’être une Eglise qui se porte bien non pas en se regardant elle-même, mais pour être sel et lumière dans ce monde que Dieu aime. Par cette rencontre du mois d’août, les jeunes ont pu expérimenter la catholicité de l’Eglise, pour eux ce n’est pas quelque chose de virtuel. Ce qui revient le plus dans la bouche des jeunes ayant vécu ce moment-là c’est la fierté d’être chrétien et de pouvoir partager leur foi. N’est-ce pas le plus bel encouragement pour toute vocation à la suite du Christ !