Comprenne qui pourra


une jeune Auxiliatrice


Après quelques années de préparation à un engagement définitif, une jeune auxiliatrice, sans prétendre tout expliquer, dit où s’enracine son assurance de pouvoir poursuivre sa route dans le célibat.

Je poursuivrai donc ma route avec vous, dans le célibat chaste et continent.
Je ne connaîtrai pas ce transport émerveillé du corps et du cœur quand ils se donnent à un compagnon et accueillent le don qu’il fait de lui-même, dans la fulgurance de l’instant.
Je ne connaîtrai pas cette lente germination, à l’intime du corps, du fruit vivant de la vie partagée, ni cette exultation de la tendresse devant la chair née de sa propre chair.

Il y aura bien en moi un NON, un interdit, dont je n’ai pas envie de gommer trop vite l’abrupt par le rapide recours à la notion de « sublimation » possible du sexuel ; ou par la remarque qu’existe bien en tout état de vie, en toute relation, pourvu qu’elle soit humaine, une forme de distance, de solitude, de retrait, bref, de « chasteté ». Je voudrais plutôt regarder nettement, franchement la réalité à quoi je m’engage.
C’est bien tout un pays de l’expérience humaine que je ne visiterai pas, un possible en moi que je n’explorerai pas, mais qui n’en continuera pas moins de poser sa question, de jouer en moi par sa béance même, comme le coin enfoncé qui travaille dans le bois pendant les mois d’hiver.

Rigueur de l’interdit, mais non point inhumanité. La vie religieuse n’est pas choix héroïque ou désespéré, mais la manière particulière dont le Créateur s’y prend avec moi, mon cœur, ma chair, mon affectivité, pour les créer, les modeler, pour leur donner, me donner, cette forme pleinement humaine à laquelle j’aspire et qu’Il espère pour moi.

Comment s’y prend-il et que crée-t-Il en moi, Celui par qui j’essaie de me laisser rejoindre, en ces heures de plénitude où tout semble s’éveiller, se pacifier, s’unifier, dans l’éblouissement, la douceur, la joie de se savoir aimée et de pouvoir aimer ?
Comment s’y prend-il et que crée-t-Il en moi, Celui que j’essaie d’écouter, en ces heures de vertige où le sel de la solitude, l’angoisse de la stérilité viennent ronger un cœur qui a soif de tendresse, un corps qui a faim de se donner ?

« Comprenne qui pourra… », nous dit l’Ami.
Je ne comprends pas, mais je sais.

Je sais la morsure de la solitude et je sais, née de cette solitude, l’amitié avec Lui qui grandit, l’habitude de la Présence, le discret compagnonnage qui devient pain quotidien.
Je sais l’angoisse de la stérilité, et je sais cette douceur nouvelle du cœur qui s’ouvre peu à peu sans crainte, qui ose se rendre vulnérable ; je sais l’autre qui devient frère, et l’appel de plus en plus impérieux, exigeant, de l’amitié, de la compassion, de la gratitude, de la miséricorde.
Je sais la panique de la chair et je sais cette tendresse nouvelle des choses offertes au regard, à la caresse. Je sais en moi le souffle qui s’apaise, le corps qui consent au temps, qui s’accorde à la lumière qui lui est donnée jour après jour, à la douceur d’une parole, à la force d’une promesse.