La Jeunesse indépendante féminine


Nathalie Renard
Equipe nationale JICF

Il y a soixante deux ans, Marie-Louise MONNET fondait la Jeunesse Indépendante Chrétienne Féminine (J.I.C.F.) rassemblant des jeunes de milieu indépendant, chrétiennes et femmes. Ce mouvement propose de prendre le temps de s’arrêter avec d’autres pour regarder sa vie, voir à quoi on tient dans cette vie, ce qu’on veut en faire, comment elle nous renvoie vers les autres et quelle place y trouve notre foi.

Quelle est la signification de ce sigle JICF ?

- J comme jeunesse : il y a un réel intérêt à se retrouver entre jeunes pour parler de ce qui nous touche : relations avec nos amis et nos familles, études et avenir professionnel, place dans l’Eglise et dans le monde. Les enfants et les adultes n’ont pas forcément ces préoccupations-là où n’en parlent pas de la même manière. Notre mouvement regroupe donc des filles de 14 à 28 ans.

- I comme "milieu indépendant" (1) : nous sommes marqués dans notre mentalité, entre autres par une éducation reçue, par des projets d’avenir ou encore par des liens ou des moyens dont nous disposons grâce à notre famille, notre formation, nos relations, nos loisirs... Nous découvrons peu à peu que nous avons des préoccupations communes avec d’autres, différentes de celles du milieu ouvrier ou du monde rural. Le fait de nous retrouver entre jeunes d’un même milieu nous permet d’aborder plus librement tous les sujets ; même ceux que l’on serait gêné d’aborder avec les jeunes des autres milieux (ex. : nos loisirs, notre rapport à l’argent, notre façon d’envisager l’avenir professionnel, familial...). Et puis ces points communs permettent une véritable recherche, une interpellation plus approfondie.

- C comme chrétienne : en JICF les filles ont des histoires très différentes dans leur Foi avec des doutes plus ou moins grands ! C’est un lieu où chacune peut partager ses questions et être éclairée ou interpellée par les réactions des unes et des autres. Echanger sur un texte d’Evangile peut être aussi l’occasion d’avancer dans notre recherche personnelle. C’est en partie grâce à tout cela que nous sommes vraiment un mouvement d’Eglise.

- F comme féminine : nous vivons la mixité partout : collège, lycée, fac, travail, famille, amis..., mais il est beaucoup plus rare de nous rencontrer entre filles. Et pourtant nous vivons une réalité féminine qu’il serait dommage de ne pas prendre en compte. Si nous croyons au partage avec d’autres (garçons, adultes) se retrouver entre filles nous permet de tenir compte de notre vie dans toutes ses dimensions. Il y a une complicité, une compréhension possible : on se dit plus facilement certaines choses, on hésite moins à se poser des questions, à creuser ensemble vraiment ce qui fait nos vies.

En équipe de trois, quatre ou cinq filles, sous forme de dialogue, nous échangeons sur ce que nous vivons au quotidien, ce qui nous tient à coeur dans notre façon de vivre et comment cela transforme nos liens avec les autres.

Par exemple plutôt que de nous lancer dans de grandes théories sur la vie, l’actualité, les études, nous préférons regarder notre vie sur une durée plus ou moins courte et nous demander : qu’est-ce qui s’est passé ? avec qui j’ai vécu tout ça ? qu’est-ce que j’y vois ? quelles ont été les réactions de ceux qui m’entourent ? comment m’ont-ils fait avancer ou remise en question ? qu’est-ce qui a changé pour moi ? comment mon regard sur les autres a été changé ?

Dans un climat de confiance, de respect, sans jugement, nous nous écoutons, nous interpellons et cherchons ce qui nous anime profondément. Une forte complicité se crée entre nous parce qu’ensemble nous cheminons à la découverte de tout ce qui fait la saveur de notre vie. Il ne s’agit pas d’une théorie, mais bien d’une vie qui se vit pleinement.

Par ce cheminement nous voyons l’Autre avec un nouveau regard, nous découvrons que chacun, chacune a de vraies richesses en lui, même en nous !

Lors d’une réunion entre plusieurs équipes, sur Dijon, les filles disaient ce que leur permet la JICF :

Marie : "On parle de petites choses qui, à première vue, n’ont pas beaucoup d’importance... et on arrive à des choses qui ont une force !"
Sophie : "Là, chacune prend une valeur importante à mes yeux. C’est ce respect de l’autre que j’aimerais pouvoir avoir dans la vie de tous les jours."
Delphine : "Il y a une forme d’authenticité que je découvre chez toutes."
Estelle : "Cela donne une unité à la vie de l’autre. En équipe, je découvre Anne avec son unité, une cohérence que je ne vois pas forcément quand on se voit à la fac, parce qu’il y a trop de problèmes pratiques, que ça va trop vite."
Claire : "En JICF on récupère un peu l’essentiel ; j’ai l’impression que ça redonne de l’énergie pour toute la vie. Mais on devrait vivre dans cette optique : dans ce qu’on vit de si fort en JICF, on pourrait chercher les chemins pour le vivre aussi en dehors de l’équipe avec nos collègues, notre famille, nos amis."
Anne : "Grâce à la recherche en équipe, je pose un nouveau regard sur ma vie, sur la vie de ceux qui m’entourent et du coup je ne suis pas tout à fait la même dans ma vie de tous les jours. C’est marrant parce que ça interpelle ceux que je côtoie et eux non plus ne sont plus tout à fait pareils. Ça fait boule de neige. Ensemble nous entreprenons des choses nouvelles."

Vous imaginez bien que posant ce regard d’Amour sur l’Autre, sur la Vie on se sent tout proche de Dieu, même si nous ne le nommons pas tout de suite.
Caroline nous disait : "L’avantage de relire sa vie en JICF c’est de voir les choix faits, les appels reçus. En ce sens-là, je vois un lien entre relire sa vie et croire en Dieu."
Elisabeth, lors d’un témoignage, disait : "Avec mes amis, on discute beaucoup de sujets communs qui nous concernent. Mais en JICF il y a en plus cette volonté d’aller au fond des choses, même les plus banales. Il y a une recherche commune, un désir commun de chercher profondément où on en est dans notre vie, ce qu’on veut en faire. Petit à petit ça m’a fait découvrir que Dieu est intimement lié à ma vie, dans les joies, dans les difficultés, et même dans les petites choses du quotidien. Dieu, ce n’est pas seulement le dimanche à la messe et quelquefois le soir quand je prie, mais c’est en permanence. Même si je ne pense pas à Lui à tout bout de champ je sais qu’il accompagne ma vie. Je ne peux plus dissocier ma Foi de ma vie."
Conscientes de ce lien Vie/Foi, certaines ont demandé à préparer leur confirmation en équipe JICF.

Prendre pleinement conscience que non seulement notre vie a de la valeur mais aussi que nous en sommes, avec d’autres, les acteurs, réveille un désir d’engagement. Souvent il s’agit d’engagements dans l’Eglise : pastorale des jeunes, accompagnement d’équipe ACE ou d’équipes JICF plus jeunes, responsabilités au sein de la JICF, conseil d’animation paroissial jeune, CCFD, guidisme, animation de messe, etc. Souvent aussi les filles de la JICF s’engagent dans des associations (soutien scolaire, ADT-Quart Monde, resto du cœur, visite des malades, etc...). Il n’est pas rare non plus que la JICF ait suscité l’envie à des filles d’être déléguée de classe, déléguée d’amphi, responsable d’un groupe de théâtre, animatrice de centre aéré ou de colo.

En tout cas, toutes les filles en JICF se sentent responsables de leur vie, s’investissent dans une attention à ce que l’ambiance familiale, amicale, professionnelle soit harmonieuse. Elles deviennent de plus en plus ouvertes, de plus en plus accueillantes non seulement à ceux qui les entourent mais aussi aux aléas de la vie. C’est un envoi vers les autres, vers la vie.

Lors d’une rencontre régionale à Poitiers, Camille disait : "En JICF on apprend à s’écouter sans juger, on se respecte et il y a une grande confiance qui naît, et voir que d’autres dans l’équipe vivent un peu la même chose que moi, ça m’invite à aller au-delà de l’équipe à la rencontre d’autres parce que je me dis que eux aussi vivent peut-être la même chose que moi et peuvent avoir envie d’en parler." Et Marion d’ajouter : "En JICF, en apprenant à mieux se connaître soi-même, on connaît mieux ses faiblesses et, du coup, ça donne envie d’aller vers les autres. C’est une sacrée force."

Pour chacune des équipes, il y a un accompagnement. L’accompagnateur peut être une religieuse, un prêtre, une laïque. Nous tenons à ce terme "d’accompagnateur" et non "d’animateur" ou de "formateur". En effet, il ne s’agit pas de former des filles mais d’être témoin d’un partage de vie entre filles. L’accompagnateur est en retrait par rapport à l’échange qu’il y a dans l’équipe, c’est-à-dire que lui ne parle pas de ce qu’il vit, mais il écoute, il favorise une interpellation entre elles, son écoute attentive permet de prendre du recul par rapport à ce qui se dit et donc de trouver les questions "justes" pour que les filles avancent plus profondément dans leur recherche. L’accompagnateur n’apporte pas de réponses aux questions que les filles peuvent avoir par rapport au sens de leur vie, mais il les aide à trouver la réponse qui est en elles. Une religieuse, parlant de son accompagnement, disait : "Je découvre un accueil qui se laisse étonner, pénétrer, impressionner par ce qui apparaît de l’autre, de sa manière de prendre la vie. Et puis il y a ce respect de la vie, en prenant le temps du mûrissement, sans brusquer."

Quelquefois les filles ont du mal à se lancer, à parler d’elles, alors que l’accompagnateur souvent propose un texte (ce peut être un texte profane ou un texte de la Parole de Dieu). A partir de ce texte, les filles disent comment celui-ci les surprend ou les rejoint. L’accompagnateur, selon qu’il soit prêtre, laïc ou religieuse, a une façon bien spécifique d’être présent. Voici quelques témoignages :

Un prêtre : "Le rôle du prêtre est davantage de l’ordre sacramentel. Dans cette relation entre la vie et la Parole de Dieu, s’il y a quelque chose de libérant, s’il y a une fécondité, on a à signifier que c’est parce qu’il s’agit de Dieu qui donne du prix à nos vies, de l’Esprit à l’oeuvre. Notre présence dans le circuit, c’est pour signifier que derrière tout ça, il existe quelque chose de plus profond : il existe Dieu qui appelle et invite à la vie."

Une laïque : "J’ai envie que d’autres connaissent la joie, la, richesse d’accompagner, d’écouter, de comprendre les jeunes qui nous apportent beaucoup et ont quelque chose à nous dire, à nous transmettre."

Une religieuse : "Je me suis sentie relancée vers la vie, la vie des filles en JICF, cette vie qui attend pour se dire, pour être accueillie, pour se libérer, pour devenir. Et c’est avec l’équipe que j’accompagne que j’ai envie de permettre une histoire entre filles. C’est aussi avec ma communauté que je désire partager cette vie, dans la prière."

Les accompagnateurs ont à coeur que les filles se responsabilisent dans leur vie et soient attentives aux projets qui les habitent, à entendre des appels. Et les filles sont prêtres à cela et même à s’engager dans la mesure où elles se sentent pleinement accueillies, reconnues et respectées. Si on croit en elles, qu’on leur fait confiance, elles sont capables de déplacer des montagnes. A l’heure où l’Eglise a besoin de l’investissement des laïcs, vous pouvez compter sur nous !

(1) Dans la terminologie des mouvements d’action catholique, il s’agit de la catégorie socioprofessionnelle des classes moyennes et professions libérales, cadres, commerçants... par différenciation du "monde ouvrier" et du "monde rural" dont sont proches d’autres mouvements. NDLR. [ Retour au Texte ]