La France et les Vocations


Le second Congrès continental sur les vocations au sacerdoce et à la vie consacrée a eu lieu à Rome, du 5 au 10 mai 1997. Deux cent cinquante-trois délégués, en provenance de trente-sept nations d’Europe et représentants de toutes les vocations, avec la participation de certains membres des Eglises soeurs (Protestants, Orthodoxes et Anglicans). Voici le texte de l’intervention du Père Jean-Marie Launay au sujet de la situation des vocations en France.

Jean-Marie LAUNAY
Service national des vocations, France

Invité à présenter le Service National des Vocations en France, j’évoquerai d’abord rapidement la situation des vocations en soulignant quelques caractéristiques françaises. Dans un second temps, je parlerai de la mission et de l’organisation des structures nationale et diocésaines au service de la pastorale des vocations avant de conclure sur quelques priorités à mettre en oeuvre pour "construire l’avenir ".

La situation des vocations chrétiennes en France

1.1. Une situation difficile

Après avoir connu une chute brutale de 1950 à 1975, le chiffre des entrées dans les maisons de formation au ministère presbytéral et à la vie consacrée connaissent une relative stabilité depuis vingt-cinq ans. Les statistiques les plus récentes révèlent cependant une légère tendance à la baisse. Les chiffres sont donc très faibles : les ordinations presbytérales diocésaines dépassent de peu la centaine par an, les professions temporaires ou perpétuelles sont peu nombreuses. La situation est grave car elle affecte le présent et l’avenir de la mission de l’Eglise. Les causes sont multiples, nous le savons, et dépassent le cadre français. Le document de travail pour ce congrès relève des constantes dans nos pays d’Europe. Je soulignerai simplement ici quatre éléments qui ont marqué la vie chrétienne en France ces trente dernières années :

  • un contexte particulier de laïcité qui a beaucoup marqué les relations entre la société civile et l’Eglise Catholique.
  • le départ de nombreux prêtres et religieux qui a provoqué des blessures toujours vives chez ceux qui les ont vécues.
  • les querelles théologiques et pastorales qui ont opposé les courants de la "Tradition" et de la "Mission".
  • les affaires "Lefebvre" et "Gaillot" qui ont divisé les communautés chrétiennes et donné une image négative de l’Eglise Catholique de France.

Pourtant, au cours de ces mêmes années, en dépit des statistiques et du vieillissement, les diocèses et communautés chrétiennes de France ont témoigné d’une réelle vitalité spirituelle et missionnaire. Conseils pastoraux et lieux de participation ecclésiale ont permis une répartition nouvelle des responsabilités. Un grand effort de formation en direction des laïcs s’est déployé dans tous les secteurs de la vie chrétienne. La vie liturgique et sacramentelle a connu un nouvel essor.

Aujourd’hui, pour rejoindre les mentalités contemporaines et proposer l’Evangile, l’Eglise de France a toujours le souci d’être au plus près des préoccupations et des espoirs des personnes. La récente "Lettre aux catholiques de France" des évêques de France témoigne de ce dynamisme.

On ne peut faire l’impasse sur ces réalités de l’Eglise qui est en France pour construire l’avenir. Pour le vivre avec espérance, des obstacles doivent être franchis.

1.2. Des comportements et des mentalités à convertir

Les acteurs de la pastorale des vocations rencontrent trois obstacles majeurs pour une annonce renouvelée des vocations spécifiques :

- Une certaine conception de la liberté avait conduit à ne plus appeler sous peine de soupçon de recrutement ou d’embrigadement.

- La diminution du nombre de prêtres et l’accroissement de la prise de responsabilité des laïcs a conduit souvent à une confusion sur la place de chaque vocation.

- Depuis plusieurs années, de nombreux diocèses de France ont entrepris avec bonheur des démarches synodales conduisant le plus souvent à des réorganisations et des restructurations territoriales liées aux conditions nouvelles d’évangélisation. C’est une chance. Mais il y a un risque : ces nouvelles répartitions des tâches laissent souvent penser qu’on peut se passer de prêtres et de consacrés.

1.3. Des temps favorables

Après des années d’incertitudes et de blessures qui ont entraîné un certain mutisme au sujet des vocations spécifiques, les temps deviennent plus favorables pour une pastorale vocationnelle renouvelée. Certes, un certain nombre de conditions favorables à l’éveil d’une vocation n’ont pas varié : ainsi, une récente enquête auprès de 800 jeunes en formation vers le ministère de prêtre ou la vie consacrée révèle que la conjonction d’une famille chrétienne, d’une paroisse dynamique et d’une responsabilité en Eglise ou dans la société favorise, comme hier, la naissance et la croissance d’une vocation spécifique.

Mais, depuis dix ans, la pastorale des vocations ne peut ignorer (ni exagérer) le développement de nouvelles communautés issues du Renouveau Charismatique, l’appel renouvelé au diaconat, la naissance de nombreux lieux diocésains avec des jeunes, la croissance du nombre de catéchumènes, les rassemblements festifs lors de pèlerinages, de la récente visite du Pape, et surtout des Journées Mondiales de la Jeunesse qui sont autant de rendez-vous qui "entraînent à l’espérance". La Journée Mondiale de prière pour les Vocations est aussi un temps fort dans de nombreux diocèses.

Ces événements de la vie de l’Eglise sont offerts aux jeunes catholiques de France pour découvrir et répondre à l’appel de leur baptême. En les aidant à revenir à la source de la foi et donc de leur vocation, ils découvrent avec estime les différentes vocations.

Les temps sont favorables et l’Esprit de Dieu est toujours à l’oeuvre. Telle est la foi de ceux qui ont mission de servir les vocations.

Dans la Mission de l’Eglise, des Services de Vocations

2.1. Le Service National des Vocations

Au service de la Conférence des évêques de France et rattaché à la Commission épiscopale des ministères ordonnés, le Service national des vocations fut fondé en 1959.

Il reçoit pour mission de susciter dans tout le pays une pastorale d’ensemble en faveur des vocations aux ministères ordonnés (plus particulièrement au ministère de prêtre), à la vie consacrée (religieuse et laïque) et à la vie missionnaire. Pour manifester la diversité et la complémentarité de ces diverses vocations dites "spécifiques", l’équipe nationale est actuellement formée d’un prêtre diocésain, coordonnateur de l’équipe, d’un religieux prêtre envoyé par la Conférence des Supérieurs Majeurs de France (CSMF), d’une religieuse apostolique envoyée par la Conférence des Supérieures Majeures (CSM) et d’un laïc, marié et père de quatre enfants. Un conseil national réunit trois fois dans l’année l’équipe nationale avec les délégués régionaux, nommés par les évêques au sein de chacune des neuf régions apostoliques. Des ateliers réunissent l’équipe du SNV avec les délégués des instituts de vie consacrée, des instituts missionnaires et des instituts séculiers.

Au service des appels du Seigneur aux vocations spécifiques, la mission du SNV se déploie selon trois axes principaux :

1. Un ministère d’encouragement auprès du travail souvent difficile de l’ensemble des Services des Vocations des quatre-vingt dix sept diocèses de France métropolitaine et d’Outre-Mer.

2. La formation des équipes diocésaines pour une pastorale des vocations mieux située au coeur de la mission de l’Eglise.

3. Le lien avec les forces vives de l’Eglise qui est en France, particulièrement au niveau de la pastorale des jeunes pour que celle-ci soit appelante.

Pour servir cette triple mission, le SNV met à la disposition de tous :

  • des outils d’animation, notamment pour la Journée Mondiale de Prière pour les vocations, pour aider à la sensibilisation et à l’éveil de la vocation dès le plus jeune âge.
  • des outils de formation, pour une meilleure connaissance de la vocation chrétienne et des diverses vocations spécifiques.
  • des rassemblements pour stimuler la vie spirituelle de chacun des partenaires de la pastorale des vocations. Ainsi, en 1996, constatant la fatigue de nombreux responsables, l’équipe nationale a invité les trois cents responsables des vocations à une "RécoSession" à Lourdes avec le cardinal Danneels, pour un temps spirituel et fraternel afin de "choisir l’avenir".

2.2. Les Services Diocésains des Vocations

Au sein d’une Eglise diocésaine, ce service, sous la responsabilité directe de l’évêque, reçoit pour mission :

- de stimuler tous les acteurs de la vie de l’Eglise dans leur responsabilité d’éveil aux vocations, plus particulièrement auprès des jeunes générations

- d’accompagner des jeunes gens et des jeunes filles en recherche en leur proposant des groupes spécifiques de réflexion.

Généralement, le responsable du SDV est un prêtre diocésain, plutôt jeune et souvent impliqué dans la pastorale des jeunes. Pour l’aider dans sa mission, l’évêque nomme une équipe diocésaine de cinq à dix personnes d’états de vie différents. Depuis 1987, ces équipes diocésaines ont cherché à démultiplier leur action en mettant en place des "antennes-relais" sur le terrain des secteurs pastoraux, des aumôneries et des mouvements de jeunesse. Dans les équipes diocésaines et les antennes-relais, les laïcs ont pris une place importante.

Par ailleurs, pour servir les vocations à la vie consacrée, se sont mis en place des ateliers "appel à la vie consacrée" qui rassemblent des délégués des communautés religieuses et des laïcs consacrés présents sur le diocèse.

Pour construire l’avenir

3.1. Des tentations à éviter

3.1.1. Tentations liées aux peurs et aux angoisses qui sont mauvaises conseillères. Devant une inquiétude légitime, il est nécessaire de garder raison. Il n’y a pas de recettes miracles. Ce n’est pas de recettes dont nous avons besoin aujourd’hui. Il nous faut vivre l’épreuve "les yeux fixés sur Jésus " (Hébreux 12, 1-2).

3.1.2. Tentation du découragement, dû à la fatigue, à l’absence apparente de fruits après des années de labeur.

3.1.3. Tentation de la culpabilisation. Quand les résultats ne sont pas ceux que l’on attend, il y a forcément des coupables. D’où le doute sur soi-même et les soupçons sur la hiérarchie de l’Eglise, les Services de vocations, les séminaires ou noviciats, les jeunes...

3.1.4. Tentation de recrutement sans discernement. Devant la raréfaction des candidats, le risque existe d’appeler sans discernement. Or, un certain nombre d’aptitudes sont requises pour devenir diacre, prêtre ou consacré. C’est pourquoi les évêques, les prêtres et les communautés doivent veiller à ne pas lancer l’invitation à donner sa vie sans un minimum de pédagogie. De plus, on risquerait de donner l’impression que le petit troupeau de jeunes chrétiens représente le vivier dans lequel on puisera les vocations de demain.

3.2. Des priorités pastorales

Avant même de parler de priorités pastorales, il faut rappeler que les Services des vocations ne sont pas les spécialistes de l’appel. Ils rappellent à toute l’Eglise que la pastorale des vocations fait partie intégrante de sa mission. Non pas pour qu’un presbyterium ou des instituts de vie consacrée survivent mais bien parce que ces vocations sont nécessaires chacune à leur manière - à la vie, à la sainteté et à la mission de l’Eglise.

L’équipe nationale relève six priorités pastorales pour construire l’avenir des vocations chrétiennes en France.

3.2.1. Choisir l’espérance, maître mot de toute pastorale des vocations. S’entraîner, s’exercer à cette espérance, "être des samaritains de l’espérance" (document de travail, p. 52).

3.2.2. Laisser la première place à Dieu et à Sa liberté en réorientant sans cesse tout notre ministère sur Lui. A Lui seul l’initiative de l’appel. Toute pastorale des vocations doit se greffer sur l’écoute de Sa parole et sur la prière qui est première car Lui-même le demande.

Dans un contexte de pauvreté, nous sommes conduits - et c’est une chance - à puiser aux sources du mystère de la foi, dans l’accueil de la Parole, dans la prière personnelle, dans la liturgie, dans la nourriture des sacrements et dans le partage fraternel. A la source de toute vocation, se situe la rencontre personnelle du Seigneur qui invite à suivre son Fils.

Des lieux de plus en plus nombreux proposent de vivre cette expérience personnelle de Dieu. Ils ont pour nom Lourdes, Taizé, Paray-le-Monial mais aussi ces innombrables paroisses, mouvements et services ou, plus récemment, ces écoles de la foi ou autres lieux de vie chrétienne communautaire qui se développent dans les diocèses.

3.2.3. Réconcilier chaque chrétien avec sa vocation et celle des autres

  • Inviter chaque chrétien à découvrir ou redécouvrir son appel personnel reçu au baptême : "réveiller son baptême" en développant sa rencontre personnelle avec le Seigneur, son amour de l’Eglise et son amour du prochain et de lui-même. Chacun est invité à vivre en confiance la sainteté à la manière de Dieu.
  • Inviter les communautés chrétiennes à repenser leur vie à la suite du Christ en terme de vocation. Le document de travail insiste de manière heureuse sur ce point.
  • Réconcilier les catholiques de France et d’Europe occidentale - particulièrement les parents et les 40-60 ans touchés par les mutations de la société et de l’Eglise - avec les vocations à la vie consacrée et au sacerdoce, pour que les peurs et les souffrances soient apaisées. Les restructurations paroissiales actuelles pourraient permettre une réflexion sérieuse sur les ministères ordonnés et la vie consacrée au service de la vocation personnelle de chacun.
  • Faire prendre conscience à tous les baptisés, et particulièrement à tous les catholiques engagés en Eglise, de leur responsabilité dans l’appel du Seigneur et dans la capacité de réponse de celui et celle qui pourrait accueillir cet appel. Se taire, c’est tuer la Parole de Dieu en l’enfouissant dans la terre, à l’image du talent. Des communautés et des chrétiens seront appelants s’ils croient davantage en leur capacité de témoigner jusqu’au bout de l’appel entendu et vécu.
  • Inviter les consacrés et les ministres ordonnés, évêque, prêtres, diacres à témoigner de la joie de leur réponse au Seigneur et à donner le goût du radicalisme évangélique.

3.2.4. "Préfigurer une autre image de l’Eglise". Les chrétiens sont invités à donner une image renouvelée de l’Eglise Catholique, fière de sa diversité, perçue comme richesse et non comme concurrence. Une Eglise qui reçoit et rend visible toutes les vocations spécifiques comme des cadeaux que le Seigneur offre pour que le monde ait la vie en abondance (Jean 10, 10).

3.2.5.En direction des jeunes, chercher et favoriser ce qui peut aider à faire une rencontre personnelle du Seigneur et à vivre une expérience d’Eglise dans l’exercice d’une réelle responsabilité. L’accompagnement personnel sera particulièrement encouragé.

3.2.6. Enfin, s’ouvrir à l’Europe et à l’universel pour relativiser beaucoup de nos angoisses hexagonales. L’Eglise Catholique de France, avec les autres Eglises chrétiennes doit prendre sa place dans la construction de l’Europe spirituelle (les Réformés montrent l’exemple avec Taizé). Ce congrès européen manifeste, pour sa part, la catholicité de l’Eglise.

Puisse ce congrès - et c’est déjà le cas - dans la prière et dans l’échange de nos dons, nous entraîner à l’espérance.