- accueil
- > Eglise et Vocations
- > 1997
- > n°085
- > Dossier
- > Le célibat confisqué
Le célibat confisqué
Le célibat est-il vivable sans un minimum de solitude ? Etre un peu seul est de plus en plus difficile pour les prêtres. N’est-ce pas là, pourtant, que se joue une part irremplaçable de l’intimité avec le Christ ?
C’est le point de vue de Guillaume, séminariste français.
Séminariste
Le célibat confisqué
La baisse sensible du nombre des prêtres dans nos diocèses respectifs commence à se faire durement ressentir pour tout le monde, notamment pour ceux qui demeurent en exercice.
Chez ces derniers, il y a des signes extérieurs de pauvreté qui ne trompent pas : surmenage, fatigue, stress, inquiétude... Nous le savons, cette situation nous oriente, à court terme, vers une recomposition de nos structures ecclésiales et une redéfinition du rôle du prêtre au coeur de la communauté chrétienne.
Ici ou là, on ne se contente pas de régler le départ d’un prêtre de tel ou tel secteur. Des groupes de réflexion et de proposition, conseils presbytéraux et autres, s’efforcent de répondre sur le fond au défi du changement.
Ces orientations ne doivent cependant pas occulter une autre question essentielle, qui se situe moins sur le plan de "l’agir", mais davantage sur celui de "l’être". Dans les circonstances actuelles, il convient de réévaluer certaines exigences, sous-jacentes à l’être même du prêtre, comme celle du célibat.
Le climat d’occupation, de sollicitation et de tension qui conditionne l’exercice du ministère presbytéral aujourd’hui semble bousculer l’engagement dans le célibat. Des coups de téléphone aux réunions du soir, de l’administration des sacrements à la préparation d’une animation, il n’y aurait plus désormais que quelques centimètres carrés de blanc sur l’agenda noirci, laissant juste entrevoir la détente ou le repos hebdomadaire, pourtant si nécessaires à la saveur et l’authenticité des autres occupations. Ne plus prendre du temps pour soi, c’est risquer de gaspiller celui des autres.
Mais, surtout, le résultat de cette surcharge d’activités chez le prêtre semble être une disparition totale de la solitude. Elle devient inexistante, comme absorbée. Si le prêtre demeure bien célibataire, il n’est plus un homme seul mais toujours accompagné, accaparé, acculé. Le célibat est confisqué. Or, peut-on prétendre vivre l’essence même du célibat consacré sans un minimum de solitude - qui ne se vit pas uniquement dans une prière personnelle, mais aussi dans un repas, une lecture ou un service ? Dans la mesure où elle est volontaire, la solitude est le terreau nourricier où les valeurs du célibat consacré, que peuvent être la chasteté ou la disponibilité, portent leurs fruits à maturité. La solitude sera garante d’une certaine véracité de cette forme d’engagement.
Le résultat de cet état de vie dans le ministère imposé par les événements, est de constater que le célibat tend à être désincarné. La chair, parce qu’elle est corps et âme, est comme régentée, étouffée par le flux et le reflux incessants des conseils et des recommandations à recevoir, des avis et de idées à donner. A trop vouloir accueillir ou donner, cette chair semble se fatiguer, s’engourdir et perdre ses sens.
Le sommeil et la prière ne sont pas les seules alternatives pour trouver l’équilibre nécessaire à la vie de tout pasteur. Il y a aussi cette multitude de petits comportements anodins, très personnels, jalonnant la journée et par lesquels transparaît le poids de sa propre existence, la valeur de son action. Ils sont divers mais se vérifient tous dans une unique sphère, celle de la solitude. Et il n’existe pas mille manières d’être seul.
La solitude, c’est un instant sans regard, une minute sans parole, une heure sans écoute. La vie trouve en elle une prise sur la chair, lui offrant toute sa noblesse et ses déchirures. Un temps de solitude est toujours cet espace profond de libertés où la conscience de la joie prend la mesure de ce qui est triste en nous, où la conscience du pardon prend la mesure de ce qui est rancune en nous, où la conscience de la charité prend la mesure de ce qui est égoïsme en nous.
Il importe donc que dans le quotidien, le prêtre maintienne ce temps de solitude, simple dans ses variétés et vrai dans ses expressions, pour que, dans sa propre chair et au coeur de son ministère, il rejoigne le mystère même de l’Incarnation.
Sur ce dernier point, nous percevons le centre du problème. Par le célibat consacré, il s’agit de vivre l’intimité d’une communion avec le Christ, de ces intimités qui ne font fi d’aucune attitude, les plus publiques comme les plus solitaires. "Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin..." (Lc 4, 30).