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Réactions de dix participants
Pour conclure la journée de retraite prêchée par le cardinal Danneels, le S.N.V. a demandé à quelques participants d’exprimer en quelques mots ce qu’ils avaient retiré de ces 24 heures de silence et de méditation.
Premiers fruits d’un temps de récollection
(SDV Martinique)
Avion, autobus, train, voiture particulière, et me voilà enfin arrivé à la Cité Saint Pierre. Et comme il fait très beau, vingt-quatre degrés, j’ai même la prétention d’avoir amené le soleil ou plutôt j’avais la prétention, car le soir même le cardinal nous rappelait la nécessité de l’humilité !"Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?". Le cardinal, je le connaissais de réputation mais pas encore en chair et en os. Ce que j’ai reçu de lui à cette réco est bien à la hauteur de ce que j’ai déjà lu ou entendu dire de lui. Pour parler de la forme plus que du fond, vous m’avez donné l’impression d’un médecin ou d’une infirmière qui, sans rien cacher au malade, s’efforce de le soigner avec délicatesse et lui faire le moins de mal possible. J’espère simplement qu’avec nous vous avez pris moins de temps pour déblayer le terrain et un peu plus pour construire le mur.
Permettez-moi de vous livrer deux clins d’œil - c’est ainsi que j’appelle mes relations avec le Seigneur. Le premier, qu’il me pardonne de parler de rentabilité mais c’est le Seigneur qui m’y pousse : perdre le temps et dépenser de l’argent pour franchir l’océan, autant que ce soit le plus rentable possible et la Providence m’y aide sérieusement cette fois-ci. Je suis bien obligé de lui laisser faire la plus grande part de mon travail ; les différents points de mon programme de séjour dans l’hexagone se succèdent et s’enchaînent de façon telle que je n’aurais certainement pas mieux fait par moi-même. Pour la première fois, ma date de retour n’est pas fixée, mon billet est ouvert, allez donc savoir pourquoi... il me dira ça à l’arrivée !
Le deuxième clin d’œil. J’ai coutume de dire que, dans mon diocèse, j’ai deux paroisses, la pastorale des vocations et la pastorale de la jeunesse. Au titre de la pastorale de la jeunesse, je suis délégué de mon diocèse pour la préparation des prochaines JMJ. D’une part, nous essayons de prendre un train en marche ; d’autre part, notre diocèse d’Outre-Mer devra être accueilli quelque part dans l’hexagone, mais où, et comment ? Alors vous comprendrez ma joie quand j’ai appris que le Père Destable serait des nôtres.
Enfin je confie à votre prière une expérience, je ne sais pas d’ailleurs si c’est comme ça qu’il faudrait l’appeler : nous avons trois séminaristes qui sont entrés le 1er octobre en 3ème cycle de formation à la Martinique. Pour nous, c’est quelque chose de tout à fait inédit car les Martiniquais sont formés au séminaire d’Avignon et ce projet n’a pas été simple à monter. Sans vouloir faire tout le travail, comme dirait quelqu’un, je vous demande de prier pour que nous puissions, chacun à son niveau, collaborer au mieux à l’œuvre de Dieu, correspondre donc à sa volonté. Merci.
mère de famille (équipe SDV d’Autun)
Dans notre SDV, nous nous sommes sentis rejoints par la parole du P. Danneels, concernant l’exil. Cela nous a aidés à relire l’histoire de notre SDV ces derniers mois. C’est vrai, nous traversons une période difficile de changement, de remise en question, nous sommes menés au désert. Moment d’épreuve après un temps où nous avions l’impression de mener notre barque pas trop mal, en organisant "des tas de choses". C’est le temps du dépouillement, de la purification pour aller à l’essentiel et nous laisser mieux conduire par Dieu, lui, le Maître. Retrouver notre petite place, notre humble place de serviteur inutile et faire confiance. Quelque part, cela libère. Dieu nous conduit par ses propres chemins et, avec lui, nous avons bien la conviction de vouloir nous risquer et ne pas nous décourager. C’est le parti que nous avons pris. Nous risquer avec lui, c’est choisir la vie, c’est prendre le temps de regarder ce que Dieu nous donne à voir, notamment chez les jeunes. S’émerveiller et, comme un enfant met ses pas dans ceux de son père, joyeusement s’abandonner à Lui. C’est aussi avec Marie, lui redire "qu’il me soit fait selon ta volonté".
(SDV Pontoise)
C’est la troisième fois que je suis, cette année, à Lourdes et ce qui a été vécu depuis mercredi soir a fait écho à d’autres choses vécues cette année ici. La première, fois, c’était avec le FRAT, le pèlerinage des 15-18 ans des diocèses de l’Ile-de-France. En quittant Lourdes, après le FRAT, je me disais : ce qui s’est passé ici portera du fruit, j’en suis sûr mais je ne sais pas comment. L’intensité de la prière, la joie du sacrement de réconciliation, la beauté de la liturgie du dimanche des vocations célébrée ici... des jeunes, des animateurs répondent à ton appel, merci Seigneur.
La deuxième fois, ce fut avec un pèlerinage diocésain, occasion de porter ce diocèse dans la prière. Je pense, ce soir, à tant et tant de prêtres de 65 ans et plus qui répondent joyeusement à l’appel initialement reçu. Pour tant de serviteurs bons et fidèles, merci Seigneur.
La troisième fois, c’est maintenant. Nous savons depuis longtemps mais nous l’avons appris à nouveaux frais ici, que la souffrance et les fatigues ne manqueront pas mais aussi que, Seigneur, tu nous donnes la paix, la sérénité et l’humour au-delà du nécessaire, merci.
(SDV La Rochelle)
Au terme de cette journée, retentissent en moi quatre appels.
Aujourd’hui, dans nos différents groupes SDV, ou groupes vocationnels de congrégations, nous vivons une forme d’exil après des périodes de faste que nous avons connues, périodes qui nous ont peut-être fait oublier d’où nous venons et vers où nous allons, d’où un appel à approfondir le sens de l’exil, cette période où le peuple d’Israël a redécouvert ses sources, ses racines.
Appel à croire à la toute puissance de la semence évangélique, sûrs que l’Evangile porte en lui-même les grâces pour faire naître et croître la semence. D’où l’importance de continuer à semer sur tous les terrains y compris sur ceux qui nous semblent pleins de ronces, rocailleux, car même là, un petit coin de bonne terre peut exister.
Appel à aimer le monde d’aujourd’hui qui nous est donné, avec toutes ses "composantes climatologiques". Recevoir, accueillir ces conditions, non comme une agression mais avec un besoin de guérison, un appel à la guérison. Pour cela, nourrir notre espérance dans la prière, s’exposer à l’Evangile pour se laisser contaminer par la passion du Christ, à savoir son amour passionné pour les hommes et les femmes de son temps, mais aussi amour passionné pour Dieu, son Père. Se laisser aussi modeler par l’attitude de Marie, pleine d’humilité, d’abandon à la volonté de Dieu.
Appel dans l’accompagnement des jeunes. C’est toujours une personne qui est appelée et chaque personne est unique. Important donc de la rejoindre dans son histoire pour marcher, cheminer avec. Ceci rappelle la nécessité de la rencontre interpersonnelle pour qu’une parole soit dite. Dans ces rencontres, oser dire notre joie et notre bonheur d’être ce que nous sommes, oser parler aux jeunes des vocations mais aussi accueillir et assumer le "non" qu’ils peuvent nous renvoyer, c’est une manière de leur permettre de dire "oui" ailleurs, et de soutenir l’exercice de leur liberté.
Merci Seigneur pour la semence de ta parole déposée en nos cœurs aujourd’hui, par les textes de la liturgie mais aussi par la parole partagée et communiquée entre nous. Pardon pour tous nos manques de foi et d’espérance. Et ce soir, Seigneur, nous voulons redire oui au monde dans lequel nous vivons, oui à l’appel qu’un jour tu nous as lancé, oui à la mission que tu nous confies, oui aux jeunes que nous rencontrons et oui à ton Eglise avec ses richesses et ses limites. S’il te plaît, Seigneur, prend pitié de nous, regarde-nous avec amour, donne-nous la force de ton Esprit et demeure avec nous pour aujourd’hui et pour demain.
(SDV Digne)
Au terme de cette journée de récollection, j’ai envie de faire quelques bribes de profession de foi. Dieu est beau, la beauté sauvera le monde. La contemplation de la beauté du Christ est source de paix ; la paix libère la beauté enfouie dans notre cœur, dans le cœur de chacun, dans le cœur du monde. Pie XII disait : "Le beau doit nous élever. La fonction de tout art, et donc de tout artiste, consiste à briser l’espace étroit et angoissant dans lequel l’homme, tant qu’il vit ici bas, est plongé pour ouvrir une fenêtre vers l’infini." Je crois que nous avons beaucoup à gagner si nous vivons notre mission comme le travail de l’artiste. Dieu est l’artiste par excellence, nous sommes son regard, ses mains.
Dieu est Dieu, le Tout-puissant. Il faut toute la vie pour apprendre à lui laisser toute sa place. Si la disproportion entre la mission et ce que nous sommes et pouvons, pouvait vraiment, et sans cesse, nous pousser dans les bras du Tout-puissant ! Son abîme nous fait souvent peur, notre cœur s’accroche et résiste, mais lui seul peut nous établir dans cette paix qui est source de fécondité et d’autorité. Nous ne pouvons être appelants au nom du Christ que dans la mesure où nous sommes des témoins apaisés du Tout-puissant.
La souffrance s’écrasera contre la beauté. Dans la souffrance qui écrase, en face de la lourdeur qui décourage, des déceptions qui minent, de l’impuissance qui paralyse, nous sommes appelés à lever les yeux pour contempler le visage serein d’un homme qui souffre, de notre Dieu qui souffre et qui clame : "Tout est accompli". Là se trouve notre espérance qui est sûre et à laquelle nous avons à nous convertir toujours et toujours. Servir l’appel de Dieu n’est possible qu’en rayonnant cette espérance-là. Marie, Notre Dame de la sainte espérance, convertissez-nous.
(Orléans)
Je suis tentée de dire ce soir : heureux sommes-nous d’être malades et de ce monde. Malades, conscients d’être malades car dans cette journée nous avons été personnellement et ensemble, provoqués à l’humilité, à la rencontre avec la tendresse de Dieu, provoqués aussi à l’espérance dans la lucidité. Croire en la grâce de Dieu, croire en la force de la semence dans nos vies, dans les missions qui nous sont confiées. Aimer ce monde où nous vivons, avec ses symptômes, aimer ceux qui les portent, nous-mêmes. J’entends trois mots ce soir, comme des appels, des interrogations.
Le mot disponibilité, écoute. Cette écoute, cette disponibilité qu’est- elle dans ma vie aujourd’hui, dans le service que j’accomplis avec d’autres ? Pourtant cette disponibilité c’est l’engagement, le oui que j’ai prononcé au baptême, le oui que j’ai re-prononcé dans la vie religieuse. Quels moyens je prends, quels moyens nous donnons-nous en équipe de SDV pour être disponibles, à l’écoute ? Comment, avec d’autres, développer cette disponibilité auprès des jeunes notamment ?
Le deuxième mot qui résonne ce soir, qui a résonné une bonne partie de la journée, c’est ce mot de beau. Ce chemin du beau, ce chemin qui m’a conduit à Dieu dans l’harmonie des sons. Ce chemin où Dieu se dit à l’homme, où l’homme se dit à Dieu, où les hommes se rencontrent. Comment peut-il être, aujourd’hui encore, chemin de Dieu pour des jeunes ? Comment entendons-nous ce chemin comme possible chemin d’appel ?
Le troisième mot : oser, oser dire, oser faire signe. Pour cela, laissons éclater la joie profonde qui naît d’avoir fait quelque chose gratuitement ; laissons éclater la joie profonde du don, de la rencontre avec le Seigneur ; laissons éclater cette joie, elle sera signe authentique pour d’autres.
(SDV Chalons en Champagne)
J’ai beaucoup aimé l’évocation des expérience spirituelles vocationnelles évoquées cet après-midi : soif de prière, connivence avec Jésus, défense d’une Eglise incomprise et qui, parfois, ne comprend pas elle-même, absence de calcul, radicalité. Je me suis rappelé que, quand j’avais douze ans, je rêvais de mourir dévoré par un lion, missionnaire en Afrique ; ça m’a passé depuis, c’est peut-être dommage ! J’ai aimé cette évocation parce que, oui, au fond, toutes ces expériences spirituelles nous les avons, les uns et les autres, en commun, et elles ont été miennes. Leur litanie me les fait retrouver intactes en moi, aujourd’hui. Toujours capables d’irriguer ma vie avec toi, Seigneur
D’autre part, j’ai constaté cet été, au Point-Vocations, que ce sont bien des lieux où nous pouvons vraiment rejoindre les jeunes. J’ai expérimenté alors que leur compagnonnage est grâce. J’ai été ré-interpellé dans mon rôle d’accompagnateur spirituel : la qualité de mon émerveillement ne s’est-elle pas éteinte par une pseudo connaissance ? J’ai été interpellé sur la façon de porter intérieurement ceux-là qui se confient au-delà du temps du rendez-vous ou de la messe qui suit, sur le sérieux du rôle d’une mémoire, au sens quasi liturgique. Cela m’a aussi ré-interpellé dans mon rôle de responsable appelé à mettre en place des formations.
Et puis, plus profondément, plus personnellement, je repars ce soir décidé à sortir du ronron de ma propre relation avec mon accompagnateur spirituel personnel. Je crois qu’il nous faut en effet le courage d’une lecture accrue de la Parole de Dieu, au-delà du métier parfois nécessaire. Prendre le risque d’une parole peut-être moins pastoralement correcte pour une lecture plus vécue et plus personnelle. Parfois je dis "Seigneur, quelle bonne nouvelle ai-je à leur dire ?" Sans doute est-ce que j’ai aimé souvent laisser parler le Seigneur, davantage que moi, mais est-ce possible de le laisser toujours parler à travers nous ? Sans projet sur ceux qui nous sont confiés, comment révéler le mystère pascal que nous n’aimons pas tellement peut-être sous son côté résurrection ? Comment le révéler comme une bonne nouvelle sans passer soi-même dedans ?
J’ai bien aimé être relancé sur la contemplation de la virginité comme méditation de la résurrection. Je ne sais pas trop ce que je vais en faire mais sans doute est-ce important que j’y songe. Reprendre cela, ne pas vivre ce célibat comme une chose acquise mais comme une nouveauté.
Je n’ai pas envie de quitter le chemin d’une présence au monde qui s’est voulue compagnonnage dans l’après concile, mais l’appel à savoir aussi marquer la différence m’est apparue aujourd’hui dynamisante au cœur même de ce type de présence. Pour cela aussi, merci à vous et au Seigneur.
(équipe SDV Carcassonne)
Seigneur, je voudrais tout simplement dire merci pour ce jour que tu nous as donné en famille, en Eglise, dans le calme et la paix de ce lieu, au cœur de l’Eglise, avec Marie. Merci pour la parole forte qui fait s’arrêter, qui invite à une remise en cause tout simplement, avec un cœur d’enfant. Parole qui libère et fait tomber nos chaînes, les boulets qui rivaient nos pieds. Parole qui nous redresse, pleine d’espérance. Passer de l’exode à l’exil, lâcher notre auto-suffisance. Etonnement de nous retrouver nous aussi en réco et pas d’abord en session, libres pour toi et pour la prière et le silence, réapprenant à nous désapproprier, à revenir à l’essentiel de notre vie chrétienne, dans l’humilité joyeuse. Osant regarder et parler de la souffrance, du célibat, de l’absence de Dieu. De nouveau conviés à jeter le grain sur ta parole, sans regarder s’il pousse gratuitement et en apprivoisant le temps seul et ensemble. Brusquement en vacances sous ton regard, avec Marie, avec un cœur marial qui enfante et non qui engendre. Dans l’amour de l’Eglise, ma mère, parfois handicapée mais ma mère. Savoir souffrir par elle et pour elle, être envoyé par toi comme Catherine et Thérèse à la table des pécheurs. Avoir envie de dire : prends pitié, pardon, merci. Etre envoyé pour libérer la parole et dire avec les jeunes de la JMJ "Maître où demeures-tu ? Venez et voyez".
(SDV Besançon)
C’est drôlement sympa de se reposer pendant 48 heures ! et de laisser la moisson pousser toute seule. Je me demandais depuis quand j’avais pris du temps, gratuitement, comme ça sans téléphone, sans rendez-vous, uniquement pour me mettre à l’écoute et laisser les choses se faire.
La deuxième chose, c’est le rapport au monde. Moi j’ai enfilé mon imperméable. Il n’a pas du tout la même taille que celui des jeunes, il est sans doute beaucoup plus usé parce qu’il y a eu quelques bourrasques supplémentaires, il est rapiécé quelque part, mais c’était intéressant pour moi de réentendre le cardinal me dire : oui, cette faiblesse, chez les jeunes, elle est présente chez moi. Cet individualisme est présent chez moi, donc je suis bien de cette époque. Je suis comme un croyant, un frère aîné croyant qui chemine avec un autre croyant, d’égale dignité. Ensemble, on essaie au cœur de ce monde, de poursuivre le chemin et de grandir.
L’exil est peut-être vis-à-vis du monde mais il est aussi à l’intérieur même de l’Eglise et pas forcément de la manière dont on l’imagine. Depuis que je suis en compagnonnage avec les jeunes, en aumônerie publique et maintenant au SDV, j’ai à vivre une certaine ascèse, une grande chasteté pour me laisser conduire par eux vers des terres assez déconcertantes, dans leur style de prière, dans leur expression de foi, dans leurs demandes multiples de la vie chrétienne. Le changement de mentalité sur le plan religieux est rapide et pour moi, comme prêtre, il y a une grande chasteté à accepter que de plus en plus de jeunes choisissent d’autres chemins spirituels ou d’autres voies pour vivre en Eglise et rencontrer leur Seigneur. Cela demande de vivre cet exil au plan spirituel tout en ne reniant pas notre histoire.
J’ai apprécié, entre autre, que l’on ait beaucoup parlé de l’Eglise. Ce n’est pas une Eglise jeune fille sui generis, - elle a une histoire - et j’ai beaucoup aimé que, pendant cet enseignement, on fasse référence aux grandes figures de l’Eglise, non seulement des figures spirituelles mais aussi des références théologiques ou historiques. J’ai aimé entendre que la prière, ma prière, ma contemplation de l’Eglise s’enracine dans une histoire, une tradition de belles figures qui m’aident à aimer cette Eglise. D’où l’importance de nous former et de ne pas négliger cette dimension de notre accompagnement spirituel.
L’autre point c’était : "reposez- vous". Réentendre ces paroles sur la miséricorde et être appelé soi-même avec d’autres à se laisser réconcilier par Dieu et à s’accueillir pour ce que l’on est, c’est pour nous un grand chemin de liberté et de libération. Je m’interrogeais aussi sur la manière dont nous proposons aux jeunes que nous accompagnons cette expérience de la réconciliation qui est vraiment fondatrice, pour moi.
Je me reconnais bien, dans ce qui vient d’être dit. Moi aussi, j’ai eu ce rêve à douze ans d’être mangé par un lion mais le Seigneur a résolu la question, non pas en évitant que je me fasse missionnaire mais en rassemblant les lions dans des parcs naturels et en réduisant très fort leur nombre. Quelqu’un vient de me dire : "M. le cardinal vous avez oublié un des critères" - j’en ai oublié au moins une dizaine ! - "Vous avez oublié la joie comme critère de la bonne santé d’une vocation." Elle a parfaitement raison. En général, lorsque je parle, les choses les plus évidentes je les oublie ! La joie est contagieuse et plus nous sommes moroses, plus nous décourageons, moins il y aura un service des vocations. La joie n’est pas un optimisme naturel ou un bon tempérament, la joie est toujours conquise sur le désespoir. Il n’existe de joie que sur fond de désespoir, sinon c’est de l’optimisme. Avoir un heureux tempérament ensoleillé ne dépend pas de vous mais du soleil. Vous n’avez aucun mérite. Mais la joie, la véritable joie, est toujours conquise sur le désespoir, sur un fond de souffrance. Elle est d’ailleurs ce que Ste Thérèse de Lisieux a vécu en pleine souffrance, sur son lit de mort. C’est le thème par excellence de Bernanos. Or, on ne peut pas dire que Bernanos était un tempérament ensoleillé !
Que le Seigneur nous donne cette joie qui n’est pas un tempérament optimiste mais qui est la joie de la résurrection. La joie de la résurrection garde les plaies de la croix. Cela m’a toujours étonné que Jésus ait voulu garder cette plaie. Les exégètes disent c’était pour l’identifier : c’est le même et pas un autre. Sans doute, mais il aurait pu faire ça autrement. Par exemple en montrant sa carte d’identité ! S’il a retenu ses plaies, c’est que la joie était conquise sur la souffrance et qu’elle garde toujours en elle-même les suites, les stigmates de la souffrance. Il n’ y a pas de joie non stigmatisée. Essayons de l’obtenir par la prière, par la vigilance de la prière. Par une immense confiance dans la parole de Dieu.
Une deuxième chose c’est que, en général, en plein milieu des ténèbres, des horreurs et du péché, il y a toujours quelque part une fleur qui s’ouvre. Pour prendre l’exemple de ce que nous venons de vivre il y a quelque temps en Belgique : l’horreur innommable des ténèbres, la perversité... En plein milieu des horreurs, il y a eu la fleur de la marche blanche qui n’aurait jamais été pensable autrement. Les petites filles meurtries, violées, assassinées, ont pratiquement éveillé la conscience collective qui était entièrement tombée dans le coma. Nous étions tellement ensommeillés, tombés dans un profond sommeil éthique, que tout était possible, puisque tout se faisait. Jusqu’au moment où des enfants nous ont éveillés.
Ce ne sont pas les parlementaires qui nous ont éveillés, ni les magistrats, ni même l’Eglise ou les évêques. Ce sont des enfants qui nous ont sauvés d’un coma mortifère, d’une léthargie lente. Car le soubresaut, l’éveil éthique qui s’est manifesté en pleine horreur, les plus belles fleurs... tout cela pousse sur des plantes venimeuses.
Jamais une situation n’est si mauvaise et si noire qu’il n’y ait pas quelque part, par une sorte de réflexe éthique, moral et spirituel, un retour de flamme. Cela se manifestera toujours parce que l’homme, créature de Dieu, est fort. Il peut tomber très bas mais il reste créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et il n’y peut rien ; quelque part l’image de Dieu ressort, après beaucoup de difficultés et de problèmes et même de malheurs et d’horreurs.
Ces deux choses-là il faut les retenir : que la joie est conquise sur la souffrance, qu’il n’y a pas de joie non stigmatisée et qu’en plein milieu du désespoir, il y a toujours la fleur de l’espérance qui renaît. Toutes les grandes choses sont nées à minuit : le Christ à Béthléem, le Christ ressuscité à Pâques, les juifs sauvés d’Egypte à la Mer Rouge... toutes les naissances se font à minuit. Retenons cela, simplement et continuons.
Et surtout la seule chose que le Seigneur nous demande c’est de monter la garde pendant 20, 30, 40 ans... d’être fidèles par tous les temps. Il peut faire beau, c’est agréable. Il peut faire mauvais, c’est désagréable. Mais n’oublions pas qu’avant nous, des centaines de saints et de saintes, de pauvres gens croyants, chrétiens, ont monté la garde. Et qu’après nous, des milliers d’autres viendront et monteront la garde.
La seule chose que le Seigneur te demande : sois fidèle pour ce petit laps de temps que je te donne et surtout ne te sens pas responsable de toute l’histoire de l’Eglise, mais de la tienne.
C’est un excellent tranquillisant et somnifère que je prends tous les soirs en disant au Seigneur, le soir à la chapelle : "Seigneur, c’est fini aujourd’hui, j’ai tout fait ce que j’ai pu faire. Le diocèse c’est le tien ou c’est le mien ?" Le Seigneur dit : "Qu’est-ce que tu penses ? - Seigneur, à ce que je sache en théologie, c’est le tien. Alors, Seigneur, à toi de t’en occuper, moi je vais dormir. Et demain matin, je me lèverai, je prendrai la relève et alors toi, tu pourras dormir !"