Suivre le Christ c’est choisir l’avenir


Mgr André Dupleix a été professeur au séminaire de Bayonne avant d’enseigner la christologie à l’Université Catholique de Toulouse dont il est maintenant le recteur. Auteur de plusieurs ouvrages, il est invité par le SNV pour introduire la journée de réflexion du vendredi 25 octobre.

André Dupleix

Introduction : une voie ouverte

Lorsque j’ai accepté d’intervenir dans le cadre de votre rencontre, de votre réco-session, je savais déjà, avant tout autre plan, que je voulais faire passer les trois messages que voici :

- Réussir l’avenir est à notre portée

- Renouveler notre vision n’est pas nous éloigner du Christ

- Nous avons l’audace créatrice du Dieu vivant et cela détermine une espérance indéfectible.

Ces messages ne seront pas repris tels quels, mais sous-tendront l’ensemble de mon intervention que j’ai voulu intituler : "Suivre le Christ c’est choisir l’avenir".
Car le Christ et l’avenir sont indissociables. En ce sens, je rejoins le titre qui m’a été proposé : "nouvelles mentalités des jeunes, nouveaux choix de vie." Le mot "nouveau" revient souvent dans vos intitulés et c’est normal. Précisons avant tout que ce mot, loin de signifier une fuite en avant, correspond à une attitude fondamentale et constante de la foi chrétienne. Le croyant ne recherche pas la nouveauté pour elle-même mais il est paradoxalement le signe de la permanence de l’acte créateur de Dieu à travers toutes les mutations du monde.

Le Christ ressuscité indique aujourd’hui, comme à chaque seuil de l’histoire, une voie de renouvellement dont la source est l’Evangile, l’Evangile par le Christ vivant, bien évidemment. Un Evangile vécu comme adhésion à Jésus, réponse à son appel et engagement concret dans le monde. Suivre le Christ, ce n’est pas se figer dans une attitude religieuse détachée du réel, ce n’est pas gérer une nostalgie spirituelle ou culturelle, ce n’est pas soupçonner les transformations et les progrès de ce temps. Suivre le Christ, c’est entrer dans une vision de résurrection, renouveler notre regard et, en conséquence, renouveler nos choix de vie. Et cela au creux des bouleversements, des incertitudes, des inconnues de l’histoire présente dont nous sommes et nous serons, quoiqu’il arrive, les acteurs.

Tel est le défi auquel sont et seront confrontés des dizaines, des centaines, des millions de jeunes, des milliards de jeunes pour lesquels le christianisme contemporain ouvre une voie de paix, de créativité, de réalisation de soi et de solidarité humaine. Une voie aussi d’intériorité et d’accomplissement personnel et social. Mais alors, comment, dans la responsabilité qui est la vôtre, permettre que soit entendue et prise en compte l’appel à une vocation spécifique à suivre Jésus dans le ministère apostolique et la vie consacrée ? Comment le faire, dans la fidélité à la tradition vivante de l’Eglise et sans se contenter de répéter le passé, sans susciter des fins de non-recevoir, sans créer des blocages ou des obstacles qui augmentent l’écart entre l’attente des jeunes et les paroles qui leur viennent par l’institution de l’Eglise ?

J’ai relu, dans l’évangile de Jean, l’entretien avec Nicodème et l’apparition au Cénacle. Ce dernier récit va me servir d’axe théologique pour évoquer le passage que nous devons faire, de la peur au franchissement du nouveau seuil. L’appel du Christ est lancé en pleine mutation culturelle, économique et religieuse. Nous n’avons aucune raison sérieuse de penser qu’il sera moins entendu.

Nous devons, certes, assumer une grande part des difficultés présentes, mais nous avons aussi des éléments essentiels de réponse et de solution par notre conviction intacte de croyant et par nos capacités à traverser le seuil et à éclairer les événements et les institutions présents de la lumière même de la résurrection : est-ce que oui ou non nous y croyons ? C’est ça la question. C’est ce que disait le cardinal Danneels hier, d’une autre manière. Il faut parler, il ne faut plus se taire. On ne s’est pas tu, mais il faut parler davantage.

L’avenir est entre nos mains parce que le Christ est là, dans notre cœur et dans nos vies. Ce sera mon plan : avenir pour notre société, avenir pour notre vie d’hommes et de femmes, avenir pour l’Eglise, avenir pour nos structures humaines. Ces aspects seront appuyés sur quatre expériences décrites par le récit de l’apparition au cénacle : la peur, la présence, l’envoi et l’audace du nouveau seuil.

1 - Avenir pour notre société

"Je suis venu dans le monde pour une remise en question" (Jn 9, 39) Cette phrase se trouve dans l’Evangile de l’aveugle-né. Il y a des phrases qu’on ne connaît pas ou pas assez. Cette phrase n’est peut-être pas très théologique mais elle est très sociale : "Je suis venu dans le monde pour une remise en question" (Jean 9, 39).

Dans le récit de l’aveugle-né, Jésus campe bien la singularité de sa mission dans le monde. Mais cette caractéristique de l’œuvre de Jésus inquiète d’autant plus les disciples et chacun de nous. Le récit de l’apparition au cénacle commence par la peur. Ils sont bouclés, pourtant nous sommes le premier jour de la résurrection, ils le savent. Ils sont verrouillés. C’est face à cette peur, relayée par bien des aspects de notre société présente qu’il nous faut garder confiance.

Les jeunes relèvent souvent les mutations paradoxales de notre temps qui propose des possibilités encore jamais atteintes de développement technologique - je sais ce que c’est à Toulouse, le top-niveau de la mutation technologique et scientifique - ou de nouvelles prises de conscience morale, tout en creusant des écarts dramatiques, sinon des affaissements aux plans social et culturel. Quelle est la parole et le message des chrétiens dans ce champ de plus en plus éclaté et qui reste cependant un terrain de fertilité exceptionnel ?

Le ministère des apôtres, la fondation des Eglises locales se sont inscrits dans l’ambiguïté des grands seuils que furent les premiers siècles. Et jamais cependant la peur ne l’a emporté en raison du fond même du message mystérieusement adapté aux temps de crise, par sa nature même. Je dis souvent la crise, on connaît. On connaît tellement que, quand il n’y en a pas, on en fabrique. Car par le fait même de l’Incarnation, la foi chrétienne est une tension créatrice, elle s’adapte aux mutations les plus fortes, quand elle ne les crée pas. Ne doit-on pas aujourd’hui rappeler cette caractéristique dont le ministère et la vie consacrée sont, à leur mesure, le signe ?

La permanence de l’appel du Christ demeure pour permettre aux hommes et aux femmes de ce temps de discerner, dans l’émiettement des évolutions et des changements de repères, une vision unifiée de l’homme. Nous n’avons pas à craindre ce qui se transforme si nous sommes convaincus de ce qui mûrit dans les profondeurs de la création. Arnaud, 26 ans, écrit ceci :" Il y a tant de choses qui ne vont pas en nous, près ou loin de nous, mais on a à dire l’espérance même là où il faut le dire dans le silence. Il est avec nous jusqu’à la fin du monde."

C’est en pleine mutation que s’exprime plus que jamais une authentique attente spirituelle. La vocation du baptisé est déjà une indication de la source unique au moment où se déploient tant d’autres messages qui prétendent eux aussi, et certains à juste titre, contribuer à l’équilibre du monde et à la révélation de la dimension spirituelle et transcendante de l’homme.

Cette attente est incontestable, et se traduit dans une multitude de formes sur lesquelles se penchent avec un nouvel intérêt les observateurs de tous bords : sociologues, philosophes, théologiens. Tous semblent converger au moins sur un point : face à la multiplication des ruptures et des interrogations il ne peut plus y avoir un seul type de réponse. Mais beaucoup d’études actuelles pour aussi pertinentes qu’elles soient, se contentent d’analyser la soif sans oser proposer une réponse cohérente.

Dans le récent ouvrage d’Emile Poulat, "Où va le christianisme ?", on ramasse quelques gifles , il faut les assumer. En prologue se trouve cet extrait significatif d’un interview d’André Fontaine, ancien directeur du Monde. Je le cite : "Nous vivons une époque où il y a très peu de vision. Nous arrivons à la fin de ce siècle sans que quiconque ait écrit quelque chose sur le siècle prochain qui ressemble à la vision d’un Tocqueville, d’un Napoléon, d’un Thiers. L’esprit de synthèse se perd un peu partout" - "Et les religions ?" lui demande-t-on - "La religion qui s’est le plus réveillé, c’est incontestablement l’Islam. Quant à l’Eglise catholique, beaucoup de chrétiens semblent attendre un nouveau message" ... - "Et vous-même ?", lui demande-t-on - "J’attends le nouveau message".

Mais le nouveau message est là, répercuté, fut-ce maladroitement, au cœur des communautés : "Je suis le chemin, la vérité, la vie" (Jn 14, 6).
Philippe, 21 ans, écrit : "Le Christ aujourd’hui ne décrit aucun modèle mais ouvre toutes nos perspectives en nous apprenant à aimer. Le rencontrer c’est vivre et faire vivre. Les apôtres de ce temps ont une mission formidable . L’avenir n’a jamais été aussi lumineux."

Mais la crainte sous-jacente à cette attente, c’est que la religion ne soit point un lieu de liberté. Il y a, au fond de nous, un désir complexe à la fois de dépendance et d’autonomie. Ce Jésus ressuscité, que nous annonçons, est-il un gourou comme tant d’autres, un maître qui s’empare des existences pour les conduire malgré elles vers une réalisation imposée de l’extérieur ? "Quand je lis l’Evangile je respire, me disait un jeune en préparation de mariage. Quand je vous entends parler du sacrement, j’ai l’impression d’avoir devant moi un autre Dieu..."

Nous devons tenir compte du fait que bien des messages aujourd’hui sont marqués d’ambiguïté et ne font qu’accentuer la dérive de nos sociétés. Nous ne sommes pas nécessairement les meilleurs humainement ni toujours les plus crédibles, mais notre responsabilité est immense, face à certaines spiritualités pouvant conduire à la tragédie intérieure ou à la mort, y compris physique. Même à l’intérieur du christianisme, même à l’intérieur du catholicisme romain, dès l’instant où nous perdons l’équilibre trinitaire. Lorsque l’Esprit Saint n’est plus présent pour fortifier notre liberté personnelle dans la relation à Dieu, c’est grave. L’Esprit fonde la relation entre le Père et le Fils, qui n’est ni fusion ni confusion, mais Amour pouvant aller jusqu’à la plus grande distance de la croix sans que l’union profonde ne soit jamais brisée ; voilà l’équilibre trinitaire.

La foi chrétienne conduit à la maturité. La notion de paternité ou de maternité dans le christianisme ne doit pas faire peur, la notion de pouvoir ou de responsabilité non plus. Elle signifie, non pas l’aliénation ou la soumission, mais la possibilité sans cesse renouvelée d’être soi-même, de devenir image du Dieu vivant et libre, du Dieu lumière. Ce message-là est-il suffisamment entendu et compris ? L’Eglise, dans sa symbolique sacramentelle permet-elle suffisamment de relier librement attachement et autonomie, adhésion et liberté ? C’est important pour l’appel. Je crois que nombre de nos contemporains, malgré les violences dont ils sont les acteurs, rêvent, au fond d’eux-mêmes, d’harmonie et de solidarité.

J’ai toujours beaucoup respecté les rêves. N’ayez pas peur des rêves, il faut savoir rêver, il faut respecter les rêves. Regardez dans la Bible la place que prennent les rêves. Les rêves sont paradoxalement le signe d’une liberté éveillée "...Je ne conçois pas la foi en Jésus, dit Xavier, 20 ans, sans qu’elle me reconstruise, comme elle a reconstruit Zachée ou la femme adultère..." Et si je pouvais ajouter un témoignage plus personnel, je rappellerais cette parole un peu vive d’un membre de ma famille éloigné de l’Eglise, et disant, lors d’une hospitalisation, à un jeune aumônier venu la réconforter : "Si vous me prouvez que votre Eglise fait ce qu’a fait Jésus, je suis prête à recevoir la communion tous les jours".

Reconstruire, renaître, revivre, être mieux dans sa peau, être mieux avec les autres. Certes, voilà un programme bien horizontal. Mais horizontal vient d’horizon. Et si l’horizon, c’était la résurrection ! Si l’horizon, pour nos sociétés, c’était le Dieu qui réconcilie, qui rend la paix intérieure, qui permet de reprendre confiance en soi, de rebâtir chaque jour quelque chose et de le faire ensemble. Si l’horizon, contrairement à notre langage euclidien ou aristotélicien, c’était la montée, l’ascension et en même temps la plongée au plus profond ? Comme le dit Paul aux Ephésiens, un peu différemment, dans Ep. 3, 9-10. Le Christ nous garde les deux pieds bien plantés en terre. Le Christ est réaliste. Mais, dans le même mouvement, il fait de nous des hommes et des femmes dressés et des explorateurs de l’intérieur et de la source.

Notre vocation est bien là. Au cœur de notre société à venir. N’aie pas peur.

2 - Avenir pour notre vie d’hommes et de femmes

"Il vous faut naître d’en haut" (Jn 3, 7). Ces paroles de Jésus et de Nicodème sont un des piliers du message chrétien. Aujourd’hui plus que jamais. La rencontre avec le Christ transforme la vie et lui donne ou lui redonne un sens. C’est le second temps de l’apparition au cénacle. Après la peur, la présence. Et cette présence renoue tout. Estelle, 19 ans, écrit : "Dieu m’a sauvée de cet espèce d’abîme dans lequel j’avais l’impression de tomber. Il s’est révélé comme celui qui était la vie et qui donnait la vie. Il m’a donné envie de vivre. Je dis souvent : Dieu m’a sauvé la vie".

Cette rencontre réaliste, existentielle, est indissociable d’une communauté, que celle-ci précède, permette ou suive la rencontre. L’adhésion est vécue dans une Communion. Les jeunes, tellement sensibles par ailleurs à leur autonomie ou à leur individualité vivent mal l’isolement et sont sensibles au partage et à la réalisation commune des projets, pas comme nous le faisons souvent, mais ils le font. La tension est toujours vive entre l’individu et le groupe. Elle est inévitable mais doit sous-tendre une complémentarité. L’Evangile, en ce sens, est un modèle : Jésus rencontre des personnes, il les réarticule au groupe, il les rend conscientes de leur responsabilité sociale. Jésus révèle une unité qui n’est autre que celle vécue avec le Père et l’Esprit.

Au cénacle, comme à Emmaüs, le groupe se reconstitue par la présence et la confiance. "Ce qui est important, dit Axelle, 21 ans, c’est de rencontrer d’autres chrétiens, de se rassembler. Je souhaite à l’Eglise d’être accueillante aux autres, je souhaite qu’elle soit vivante, qu’elle soit unie, que les gens aient envie d’en faire partie".

Au départ, il y a l’initiative de Dieu. C’est lui qui appelle au cœur de l’Eglise et qui appelle à l’unité en chacun et dans la communauté. La mission des Apôtres ne peut être différente. La diversité des tâches et des fonctions, la diversité des ministères s’inscrit dans cette perspective de communion. Je ne m’envoie pas, c’est le Christ qui m’envoie comme le Père l’a envoyé.

Que peut-on dire de la solidarité, de l’unité, si nous ne vivons pas la communion d’abord entre nous comme un élément fondamental de réalisation de nos personnes individuelles faites pour aimer à l’image du Dieu Amour ? Aucune responsabilité, aucune mission spirituelle et pastorale, ne peuvent être crédibles sans s’exercer au sein d’une communauté fut-elle invisible ou réduite à quelques signes.

Cette présence du Christ aux siens, tout en renouant leurs liens, en donnant corps à une Eglise, donne accès à la Source tout en fortifiant la Conviction. Source et conviction, deux réalités clés, deux mots très fréquents à nouveau dans les expériences multiples de la recherche de Dieu ou de sa rencontre. Deux mots qui appartiennent pourtant à la grande tradition mystique : "Je la connais la source mais c’est de nuit", dit St Jean de la Croix. Et nous pourrions dire souvent : "je la connais la nuit, mais où est la source ?" Les hommes et les femmes de ce temps, comme de tous les temps, cherchent, souvent maladroitement, mais même dans l’erreur ils cherchent. Même dans les plus grandes dérives, ils n’arrêtent pas de chercher. Nous n’arrêtons pas de chercher.

L’Eglise est-elle invitation à chercher, même lorsqu’elle donne accès à la source ? L’Eglise est-elle ouverte à celui qui scrute ou qui se perd hors des routes balisées, tandis que les autres se retrouvent au bord de la source ? A condition que ce ne soit pas le cocooning. Le Cénacle compris comme cocooning est une aberration totale puisqu’au Cénacle les portes s’ouvrent pour qu’ils sortent. La mission apostolique, la nôtre, est une étrange alliance entre la conviction abreuvée par la source et le souci de veiller, de scruter, soi-même d’abord car nous ne possédons jamais Dieu. Attention à ne pas scruter pour les autres : "Qu’est-ce que vous faites ? - Je veille. - Pour qui ? - Pour les autres. - Ah, vous ne veillez pas pour vous ? - Si il faut que je veille aussi pour moi, je scrute moi aussi à l’intérieur du message." Nous ne possédons pas Dieu et nous scrutons nous aussi avec les autres car nous conduirons seulement si nous sommes capables d’accompagner dans l’interrogation et dans l’attente.

La source coule toujours vers l’en-avant et chaque goutte nous dit en même temps l’origine et la fin, l’avenir et le présent. La rencontre avec le Christ ouvre en chacun une perspective infinie.

Christian, 21 ans, dit : "... Les paroles de Jésus et sa vie correspondent à ce que je veux vivre en profondeur et à ce que je suis déjà."
Mais comment vivre et entretenir cette relation à Dieu ? Comment la rendre significative autour de nous et dans un monde dont les références sont de moins en moins précises ? La Prière commune aux grandes traditions religieuses est-elle une indication du mystère de Dieu, mais aussi un temps de réalisation profonde de soi, cohérence, dynamisme, intériorisation et surgissement ? Dans l’Evangile, la prière de Jésus précède les déplacements, précède les grandes traversées. La relation confiante à Dieu n’immobilise pas, ne fige pas mais augmente la conscience missionnaire. Elle responsabilise. Relisons le chapitre 1er de St Marc, qui a valeur de catéchèse : Jésus prie, de nuit. On le cherche. On le trouve. On veut le garder et il dit : "Allons ailleurs" (Mc 1, 38).

Les jeunes se méfient de ce qui fixe, enferme, jugule leur spontanéité, y compris lorsqu’il s’agit de leur vie spirituelle, fut-elle hors structures habituelles. La relation au Christ se vit-elle comme une aventure constante à ses côtés, avec lui, à son appel, comme ont vécu les apôtres, toujours en route ? L’aventure spirituelle peut-elle se contenter de structures rituelles ou d’un bien-être passif ?

Pierre, 23 ans, dit : "Ce qui me paraît prioritaire dans ma foi c’est de ne pas la considérer comme un fait acquis mais plutôt d’essayer d’entretenir une relation permanente avec le Seigneur, qui se renouvelle. Vivre de Dieu dans tout ce que je fais."

L’engagement à la suite du Christ dans le ministère ou la vie consacrée est totalement dépendant de la relation permanente à lui, comme source de la mission. Sans la prière comme relation d’amour et de confiance, les initiatives les plus performantes peuvent devenir vides de sens, sèches, soumises aux logiques mondaines. Sans la prière, l’initiative performante sur le plan pastoral peut devenir un contre-témoignage. Nous ne sommes pas gestionnaires du sacré mais des serviteurs humbles et lucides, manifestant dans leurs décisions ou les mille aspects de leur charge, l’unique volonté d’Amour et de salut de Dieu.

Et c’est ainsi que l’on doit concevoir la réponse à l’appel du Christ comme un Engagement constant et sans réserve dans tous les champs - sans exception - de notre société. Engagement d’autant plus libre et définitif que l’adhésion est grande et sans réserve. La présence de Dieu est envoi immédiat. Nous sommes disciples ou apôtres du Christ pour le monde. Léon Dufour aimait bien rappeler cela "Mon corps livré pour vous". Nous rejoignons bien là les questions que se posent les jeunes, qu’ils nous posent et qui sont de fait, sans qu’ils le sachent, une remise en cause théologique :"Faites-vous ce que vous dites ? Pratiquez-vous ce que vous croyez ? Quels sont vos actes ?"

Nos vies d’hommes et de femmes, de jeunes ou d’adultes ne se réaliseront que si la foi et les actes sont liés. Relisons le grand chapitre 13 de St Jean, le lavement des pieds : "Ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi..." Et comment oublier le rappel de la lettre de St Jacques :"De même que, sans le souffle, le corps est mort, de même, sans les œuvres, la foi est morte" (Jacques 2, 26).

Renaud, 21 ans, écrit : "Ce qui me semble prioritaire pour construire ma vie aujourd’hui c’est de lier ma vie à ma foi, afin d’être de plus en plus libre et debout face aux événements de la vie". L’appel du Christ à le suivre est un appel à accorder le plus possible nos paroles et nos actes. Malgré notre fragilité, nos faiblesses, malgré nos contradictions. Les contradictions n’ont jamais altéré le sens, jamais. Elles peuvent en altérer sa réception, mais le sens, elles ne le touchent pas parce que le sens est déjà une contradiction, par rapport à la logique du monde. Le ministère apostolique reste garant aujourd’hui de la pertinence évangélique, de la parole et des actes libres de Jésus. Le théologien Jean-Baptiste Metz, qui est le véritable fondateur de la théologie de la libération, avec Rahner, disait ceci : "Le souvenir dangereux du crucifié demeure dans tous les systèmes de mépris, de haine et de mort".

3 - Avenir pour l’Eglise

"Allons ailleurs pour que j’y proclame aussi l’Evangile, car c’est pour cela que je suis venu." (Mc 1, 38). L’Eglise, que nous aimons, que nous devons aimer de toutes nos forces, traverse l’histoire, guidée par l’Esprit, souvent inattendu, du Dieu vivant. L’Eglise vit totalement cette décision de Jésus d’aller en permanence ailleurs. L’Eglise, en sa multitude de visages est tournée vers l’avenir. C’est le troisième temps de l’apparition au Cénacle : l’envoi ."Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie."

Les premiers appelés ont vite compris l’enjeu. Il s’agissait bien de partir, de jouer sa vie, toute sa vie, sans revenir en arrière. Disponibilité et don. "Où demeures-tu ? venez et vous verrez" (Jn 1, 38-39). Ils ont vu. Ah ça, ils ont vu et ils ont compris que la maison, c’était la route, l’avenir. Dieu est devant et l’Eglise que nous aimons va nous faire subir à notre tour la première épreuve : celle de l’arrachement pour aller vers les autres, tous les autres, sans exception. Surtout ceux auxquels on ne pense pas.

Suivre le Christ, comme l’ont fait disciples et apôtres, c’est envisager que le monde soit notre horizon et le lieu où, comme le Verbe a planté sa tente parmi nous (la belle traduction de Jean 20, 14), nous plantions aussi notre tente. Le monde des frères mais aussi des étrangers ; celui de l’abondance et celui de la misère ; celui de la joie, celui de l’épreuve, le monde de l’assurance et celui du risque ; celui de la réussite et celui de l’échec ; le monde de la vie et des provocations de la mort.

Le disciple aujourd’hui suit Jésus comme celui qui parle et qui guide : serait-ce ça l’obéissance ? Le disciple suit Jésus comme celui qui illumine l’être tout entier et l’envahit d’amour. Serait-ce ça la chasteté ou la pureté, comme un baiser donné à la lumière ? Le disciple suit Jésus comme celui qui nous aide à ne vivre que de l’essentiel : serait-ce ça la pauvreté ? Entrer dans la mission de l’Eglise, c’est découvrir que l’Amour peut arracher à l’hésitation et aux univers clos pour nous déployer vers l’en-avant, ce qui est à créer, toujours à créer.

Sybille, 21 ans, dit : "Si moi aussi il m’arrive de broyer du noir, de voir l’avenir en sombre, je crois qu’il n’y a rien de plus important que de garder la foi, de s’accrocher et de se battre, de se donner pour les autres. C’est formidable de pouvoir grandir, accepter des responsabilités et construire la chaîne de l’amitié."

Les Sacrements dans l’Eglise ne seraient-ils pas là pour cela ? La vie sacramentelle, les sacrements ou le jaillissement de la vie de Dieu dans les principaux moments de l’existence humaine, pour nous permettre d’avancer, d’être des hommes et des femmes d’avenir. Les sacrements qui sont au cœur de la responsabilité apostolique et de la vie consacrée, sont le signe de l’amour donné sans limite pour nous permettre de persévérer dans la mission, mais aussi d’affronter la brutalité des changements, les situations de désespoir ou de violence. La peur concrète de demain qu’un discours éthéré sur l’avenir ne supprimera pas. Attention à ne pas tomber dans les discours éthérés sur l’avenir, ça ne fait qu’accentuer la peur.

"Aujourd’hui, écrit Nicolas, 19 ans, je perçois un appel à être ministre de l’Amour, ministre de l’Amour donné dans la Parole, l’Eucharistie, la Réconciliation". Les différents sacrements de l’Eglise, elle-même "signe du salut, sacrement au milieu des hommes" sont autant de moyens pour faire de l’Amour de Dieu une source permanente de transformation et de liberté dans la vie individuelle et sociale. Que disent les sacrements de l’Eglise à nos jeunes ? Est-ce qu’ils sont le signe d’un Dieu qui aime et qui sauve ?

Le baptême ou l’Amour qui éclot ; la confirmation ou l’Amour qui ose ; L’Eucharistie ou l’Amour qui s’approche ; la réconciliation ou l’Amour qui surprend ; l’onction des malades ou l’Amour qui veille ; l’ordination ou l’amour qui appelle ; le mariage ou l’amour qui culmine. Chacun de ces signes a son histoire, son évolution. Ils pourraient être douze, ils pourraient être trois, ils sont sept. Quels qu’ils soient, ils ouvrent la route, ils brisent le cercle de l’égoïsme. Ils sont vraiment symboles, ils relient l’origine, l’attente et l’accomplissement.

L’avenir de l’Eglise est plutôt une préoccupation d’adultes. Mais les jeunes sont sensibles à la force du Témoignage. Demain sera ce que nous aurons planté. Dis-moi comment tu es aujourd’hui un homme ou une femme de paix, d’accueil, d’attention, de pardon, de résistance, je te dirai ce que sera demain.

Pour ceux et celles qui engagent leur vie à la suite du Christ, aucune ambiguïté possible, même s’il y a hésitation. Il s’agit d’imiter le Maître. Est-ce que vous vous rendez compte de la parole folle que dit St Paul aux Ephésiens : "Imitez Dieu !" est-ce que vous avez déjà, sans trembler, lu ce texte ? "Imitez Dieu", ose dire St Paul. Heureusement qu’il ajoute aussitôt "...puisque vous êtes des enfants qu’il aime". C’est parce que nous sommes aimés et que le don de soi est un acte d’amour que l’on peut prétendre imiter Dieu en quoi que ce soit, si peu que ce soit.

Céline, 22 ans, nous dit : "A travers mon engagement dans l’Eglise, je souhaite être au maximum auprès des personnes en difficultés. Mais je crois que sans l’Amour de Dieu je ne pourrais pas donner le meilleur de moi-même." La crédibilité de l’Eglise à venir, repose sur la qualité et la force du témoignage présent. Nous devrions connaître par cœur et surtout essayer de pratiquer le plus possible, les conseils donnés par St Paul dans ses lettres. C’est dans les lettres où il y a les plus grands textes christologiques , Philippiens, Ephésiens, Colossiens, Romains qu’il y a les directives pour suivre le Christ.

Dans la lettre aux Philippiens, c’est le texte très impressionnant de la kénose. Quand je demande aux étudiants : "Le texte de la kénose, ça vous dit quelque chose ?" Ils me disent : "C’est Philippiens 2, 6-11" - "Ah, bon, 6-11. Quel est le verset 6 ?" Alors ils commencent : "... Lui de condition divine, ne retint pas jalousement le rang..." Je leur dis "Non ! ça ne commence pas là, ça commence au verset 5 : Comportez vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus-Christ" .

S’il y a donc un appel en Christ, un encouragement dans l’Amour, une communion dans l’Esprit, un élan d’affection et de compassion, alors "Comblez ma joie en vivant en plein accord. Ayez un même amour, un même cœur, recherchez l’unité, ne faites rien par rivalité, rien par gloriole.. Mais, avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous. Que chacun ne regarde pas à soi seulement, mais aussi aux autres. Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus-Christ qui de condition divine ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu." (Ph 2, 1-5).

Cet amour vécu donne un sens, une direction. La question du sens n’est pas une question de mode comme on l’entend dire. On parle du sens partout. Ce serait une erreur grave de penser que c’est une mode. Toute la tradition de l’Eglise, même si elle utilise le terme un peu compliqué "d’eschatologie" (parole sur la fin), ne cesse de rappeler que l’histoire est orientée vers Dieu, Alpha et Omega, commencement et fin.

Le drame de beaucoup - et de beaucoup de jeunes - n’est-il pas d’être déboussolés, désorientés et de risquer alors, au sens fort du terme, de devenir "insensés", de perdre le sens ? Jean Paul II, dans sa première Encyclique le disait : "Le Christ est le centre du cosmos et de l’histoire" et il parle de "la route de l’avenir", route du Christ vers l’homme, de l’homme vers le Christ et du monde vers son accomplissement. Il écrit : "Je veux continuer à marcher vers l’avenir, me laissant guider par l’Esprit". Il l’a fait.

L’avenir de l’Eglise, c’est le "Christ avenir", pour reprendre une belle parole du jésuite et philosophe Pierre-Jean Labarrière. Le Christ, comme sur les routes de Galilée, redonne un sens à ceux et celles qui avaient perdu jusqu’à leur propre identité. Ainsi notre ministère et le ministère de l’Eglise, ainsi les ministères dans l’Eglise, ainsi la vie de prière, ainsi la contemplation.

Un témoin dira au procès de canonisation de Jean-Marie Vianney, le saint curé d’Ars : " Cet homme même sans parler, par sa seule prière, orientait les regards vers l’absolu de Dieu." Il ramena les plus éloignés vers la foi, même sans parler. C’est à Ars que j’ai entendu Sébastien, 34 ans, me dire : "j’ai retrouvé ici, dans le silence, le sens qu’avait perdu ma vie à force de m’enivrer de paroles". Je crois qu’il y a un grand champ à moissonner pour l’Eglise.

4 - Avenir pour nos structures humaines

"Quiconque met la main à la charrue puis regarde en arrière n’est pas fait pour le Royaume de Dieu" (Lc 9, 62).
L’appel du Christ engage les disciples, les apôtres et l’Eglise tout entière d’une manière décisive et irréversible. Faut-il dire que l’on brûle les barques qui nous ont conduits sur la rive d’où tout repart ? Brûler les barques, vous connaissez l’expression. Mais alors tout est à faire, avec nos mains et notre cœur, nos structures humaines, nos projets. C’est le quatrième temps de l’Evangile, de l’apparition au Cénacle. Après la peur et la présence, après l’envoi, c’est l’audace du nouveau seuil. Il faut croire sans voir. Il faut larguer les amarres. Il faut partir.... Est-ce que c’est cela la Vérité ? La vérité de l’Evangile, de l’Eglise et de tout engagement, la vérité, c’est à dire le Véritable, comme le rappelle la première lettre de Jean en finale, la vérité n’est pas une abstraction, la vérité c’est le Véritable, c’est Quelqu’un. On ne donne pas sa vie à une abstraction. Et tout ce que nous allons mettre en place, tous les relais, les moyens, les outils, les tables, les micros, les dépliants, toutes les institutions du monde n’auront de valeur que par leur finalité et leur ajustement à l’appel et à la suite du Christ.

Les jeunes ne sont pas des nostalgiques des structures, ou du moins de leur pérennité. Ils ont, plus que nous, l’intuition que les problèmes internes ou les contradictions institutionnelles n’empêchent pas le sens profond d’être exprimé, si, du moins, nous avons l’audace des conversions et des changements nécessaires.

Marie, 21 ans, écrit : "Je crois en l’Eglise malgré toutes ses divergences. Elle a une chance formidable pour se relever et tenir debout dans la vie. Je veux être de ceux et celles qui participent à ce formidable ouvrage."

Nos structures présentes de formation, de réflexion, nos méthodes, nos projets, n’ont pas d’avenir en eux-mêmes mais en nous et par nous. Par nous pour le Christ, par le Christ pour l’avenir et le salut du monde. Ses projets, ses méthodes, ses outils sont soumis au vent de l’Esprit qui décape, qui secoue l’arbre pour le réduire à l’essentiel comme en ces journées d’automne précédant le long mûrissement de l’hiver. L’automne est une belle saison, tout tombe comme dit Lamartine chanté par Brassens. "C’est la saison où tout tombe aux coups redoublés des vents, un vent qui vient de l’automne de la tombe moissonne aussi les vivants. Ils tombent alors par pelles comme les plumes que l’aigle abandonne aux aires lorsque des plumes nouvelles viendront réchauffer ses ailes à l’approche de l’hiver."

C’est cela la vérité." L’Esprit aide la vérité" dira encore la première lettre de Jean (1 Jn 5, 6). Or, l’Esprit pousse constamment l’Eglise sur les nouvelles voies et nous avec.

Saurons-nous en conséquence opérer les Discernements nécessaires ? Et d’abord les discernements de vocations. Les vocations sont tellement nombreuses : vocations de jeunes, vocations d’adultes. Elles l’ont toujours été. Depuis la vocation baptismale de chacun qu’il faudrait vraiment réhabiliter car elle nous conforme, dès l’origine, au Christ, prêtre, prophète et roi. La vocation au ministère apostolique dans le presbytérat ou le diaconat ou l’épiscopat. La vocation de consacré(e), dans la vie active ou contemplative. Comprenons-nous que si de nouvelles formes surgissent, si des besoins se font jour, avant de calculer s’ils correspondent à ce que nous avons toujours fait, il faut nous demander si Dieu n’intervient pas dans nos structures humaines établies comme celui qui crée et qui recrée ?

Une bonne connaissance de l’histoire de l’Eglise nous montre que les principaux seuils ont été indissociables de grands renouveaux spirituels, d’arrachements, de détachements et de traversées qui ont, à chaque nouvelle phase, davantage inscrit l’évangile dans les civilisations et les cultures, davantage révélé le Christ ressuscité et le Dieu infini dans les recherches et les projets humains.

Les routes seront aussi diverses que dans le passé et nous n’avons pas à craindre cette diversité, dans la mesure où nous découvrons et où nous maintenons, dans le corps en construction, la sève brûlante de la résurrection dont parle Paul aux Ephésiens : "Confessant la vérité dans l’Amour, nous grandirons à tous égards vers celui qui est la tête, Christ. C’est de lui que le corps tout entier, coordonné et bien uni, grâce à toutes les articulations qui le desservent, selon une activité répartie à la mesure de chacun, réalise sa propre croissance pour se construire lui-même dans l’Amour." (Eph. 4, 15-16).

"Je crois, dit Anne-Sophie, 21 ans, que le Dieu de Jésus-Christ est un Dieu d’amour qui veut le bonheur de tous les hommes quelle que soit la route qu’ils se sont tracée... Je ne sais pas encore très bien de quoi demain sera fait pour moi et quelle place je prendrai dans l’Eglise... mais je sais que la question est ouverte et posée."

Parler d’une question ouverte, comme le fait Anne-Sophie, c’est presque un pléonasme. Ça le devient, en tout cas, si l’on parle du Christianisme ou du catholicisme comme d’une question ouverte. Je reviens encore une fois au récit de Nicodème pour évoquer le Renouvellement auquel sont appelées toutes nos institutions, surtout si elles sont d’Eglise, une Eglise, corps du Christ en perpétuelle construction et constamment renouvelée par le souffle de l’Esprit qui fait renaître. La conversion ne concerne pas que les personnes. Elle doit s’appliquer aussi aux institutions dont la pire chose qui puisse leur arriver serait de faire obstacle d’une façon ou d’une autre aux exigences évangéliques et aux intuitions prophétiques de l’Eglise.

Renouvellement et ouverture. Ouverture plus grande, par exemple, à ce qui se cherche, se réfléchit et se vit au niveau européen et mondial. La pastorale des vocations est certes, et par nature, adaptée au contexte d’un pays, d’une région, d’une culture, mais nous devons éviter le risque de ne la mesurer qu’à ces seuls critères. Nous avons beaucoup à apprendre de l’expérience d’autres Eglises, tout autant guidées par l’Esprit que nous. C’est aussi cette solidarité planétaire, visage extérieur de la communion ecclésiale et de la communion des saints, qui nous aidera aujourd’hui à supporter tous les chocs et toutes les remises en cause nécessaires, sans faiblir et sans perdre pied.

"Ma foi, dit Nicolas, 19 ans, me fait continuellement changer ma manière d’être. Il n’est pas facile de laisser tous les jours le Christ agir en moi et par moi..."
L’exigence ultime de notre réflexion ne serait-elle pas de nous rappeler que les structures mises en place doivent être, pour demeurer signifiantes, des lieux d’Adaptation et de Créativité. C’est bien ce que dit Elsa, 19 ans : "Ce que je souhaite à l’Eglise, c’est qu’elle reste toujours ouverte, qu’elle continue à s’adapter aux changements de société et de mentalité selon ce que Jésus souhaite de meilleur pour l’homme."

S’adapter ne veut pas dire perdre son identité ou renoncer à l’originalité de sa mission. Si un prêtre est celui qui donne sa vie entière au Christ pour être le témoin dans ses paroles et dans ses actes du message intégral de l’Evangile, selon la participation à la charge de l’évêque telle que l’Eglise la définit aujourd’hui, il peut y avoir de multiples façons de le vivre et de s’y préparer. Même constat pour la vie consacrée. Ne renversons pas l’ordre des valeurs. N’abordons pas la question de l’extérieur mais de l’intérieur.

La peur devant le changement ou les nouvelles propositions peut indiquer, et c’est grave, notre désaccord sur le fond. Or, je suis sûr que, sur le fond, il n’y a pas de désaccord. La difficulté d’échanger vraiment sur les diversités effectives ou souhaitables des structures d’appel et de formation vient de blocages qui doivent être levés et qui, n’en doutons pas, le seront. L’enjeu est trop grand. Les appels et les cris du monde sont trop forts. La perspective du nouveau seuil est trop proche pour que nous augmentions le décalage entre l’outil et la conviction.

Des milliers de jeunes seront appelés et le sont déjà. A nous de faire comprendre à Thomas l’incrédule, celui qui est en nous et celui qui est devant nous, qu’il faut faire le pas de la confiance.

Conclusion : le vent de l’espérance

En conclusion, je rappellerai cette autre affirmation de Jésus à Nicodème : "Il vous faut naître d’en haut. Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit." (Jn 3, 8)
Nous devons recevoir ces paroles comme une exigence existentielle et institutionnelle, exigence de conversion et de changement, mais aussi comme un vigoureux appel à l’Espérance. L’Esprit de Dieu qui renouvelle tout, souffle plus que jamais sur notre monde et dans l’Eglise et nous devons accepter d’être conduits sur des voies que nous n’avons ni prévues ni balisées.

Notre travail suppose cependant des investissements, des projets, des engagements précis et il serait actuellement préjudiciable de nous laisser seulement conduire par les événements dans une sorte d’abandon passif ou naïf. Ce qu’il nous faut : demander comme une grâce constante, c’est de ne jamais perdre confiance dans notre capacité avec le Christ et à sa suite, d’ouvrir de nouvelles perspectives, de multiplier et de diversifier les signes, d’intensifier le témoignage évangélique, de croire en demain.

Nous sommes attendus et entendus. Les jeunes générations ne comprendront pas que, face à l’évolution rapide de nos sociétés, nous ayons pu céder au pessimisme, à la tristesse, à l’amertume ou au découragement. La résurrection nous redresse en éclairant notre horizon. Dieu est là. Totalement et fidèlement là. Il est devant. Il appelle et rien ne nous empêchera de réaliser la mission qui nous est aujourd’hui confiée avec autant sinon davantage d’autorité et de force qu’à l’origine.
Oserai-je vous dire que depuis vingt-huit ans que je suis prêtre, je n’ai jamais un seul instant regretté d’avoir mis mes pas dans ceux du Christ et cela, même au creux des heures les plus difficiles.

Comment à Lourdes ne pas tourner notre regard vers celle dont la vie, comme celle du Fils, ne fut qu’un immense OUI. Un OUI sans réserve et définitif. Marie, Marie de Nazareth à Jérusalem, de Bethléem au Golgotha. Marie de l’avenir. Notre avenir. Notre Dame de tous les défis. Mère de ceux et celles qui franchissent le seuil pour que d’autres, jusqu’à l’ultime rencontre, découvrent le visage du Dieu vivant, du Dieu Amour, du Dieu liberté. Sainte Marie qui nous dit comme à Cana : "Tout ce qu’il vous dira, faites-le" (Jn 2, 5). Il m’arrive souvent, en finale, de citer cet homme de courage et d’avenir que fut le jésuite Pierre Teilhard de Chardin. Je sacrifierai donc à cette quasi habitude en vous laissant ce message d’optimisme et de foi :

"Le Christ répond exactement aux doutes et aux aspirations d’un âge brusquement éveillé à la conscience de son Avenir. Lui seul, autant que nous pouvons en juger, se révèle capable de justifier et d’entretenir au monde le goût fondamental de la vie... Le chemin se fera sous nos pas. Ce qui nous suffit, c’est de savoir que devant nous la Voie est libre... J’irai vers l’avenir plus fort de ma foi d’homme et de chrétien, car je l’ai entrevue du haut de la montagne, la Terre promise."