Réactions, questions


Questions au Père Dupleix

Q- Votre exposé nous semble coloré par la climatisation de Toulouse. Nous ne remettons pas en cause l’espérance qui s’en dégage mais comment réduire le fossé entre ce dynamisme et le terrain ?

P. André Dupleix : Je vous dirai que Toulouse est sous tension. Un airbus est constamment sous tension quand vous volez, n’oublions pas cela. Il y a, quand je survole Toulouse, la tension entre l’Airbus technologique et St Sernin que je vois d’en haut ; je suis au centre, entre les fondations, le message des Pères et la plus haute technologie. Je suis sur le terrain, lorsque je parle d’espérance : Toulouse c’est 110 000 étudiants sur 600 000 habitants, des jeunes qui parlent, qui crient. Il n’y a pas de fossé entre mon dynamisme et le terrain. L’Esprit Saint est sur ce terrain , le feu est sous la cendre.

Petite parenthèse amusante : il m’est arrivé une aventure sur le feu et la cendre. Un jour j’assistais à la messe à St Séverin, je m’occupais de musique liturgique. Je répétais un chant qui a eu quelques succès pendant un temps : "Le feu n’est pas éteint, regardez sous la cendre, la braise va reprendre au souffle où Dieu revient." J’arrive à la paroisse le dimanche suivant. Duchesnau m’avait passé les partitions, je l’apprends aux gens, on répète et, au premier rang, un monsieur très grand, distingué, chante à pleine voix. Sa femme lui donnait des coups de coude dans les reins, les garçons le regardaient. Lui, chantait "Le feu n’est pas éteint..." Il arrive à la sacristie et me dit : "Mon Père, vous avez été pour moi une épreuve considérable car je suis le commandant des pompiers ! " Et moi, je faisais hurler à mon homme, "le feu n’est pas éteint." ! Oui, mon espérance, je vous assure, est inscrite sur le terrain.

Q.- Vous avez dit que le message est mystérieusement adapté aux temps de crise. Pouvez-vous le préciser ?

P. André Dupleix : Parce que la croix, c’est la première crise. C’est ça qui est important. La chute de l’Empire romain et tout ce qu’a vécu l’Eglise depuis furent des temps de crise, ne l’oublions pas. Nous avons vécu le christianisme dans la crise comme un poisson dans l’eau, si on peut dire. Je réponds brièvement mais lorsqu’on lit les textes fondateurs, on se rend compte qu’on affronte en permanence des remises en cause extérieures avec la permanence de l’évangile.

Q - Les propositions de nouveaux choix de vie qui rencontrent un certain succès semblent aller dans le sens d’un repli par rapport au monde, voire d’un réflexe identitaire. Comment accompagner les personnes ?

P. André Dupleix : En faisant comprendre que l’Esprit Saint déplace et qu’il envoie, souvent avec un minimum institutionnel, rappelez-vous les paroles de Jésus : "Ne prenez que peu de choses sur la route". Il faut le minimum, bien sûr. Mais nous ne devons pas oublier que l’identité que nous devons manifester c’est celle du Christ, pas celle d’une institution qui ne serait que structures. L’Eglise catholique romaine, c’est Jésus, et le pape nous le rappelle. Mais nous avons quelques difficultés avec les relais. Je crois que si nous parlons de l’Esprit Saint, si nous présentons la réalité trinitaire comme une réalité existentielle qui nous permet de ne fusionner ni avec le monde, ni avec les autres, nous pourrons à l’intérieur même d’une institution et d’un lieu important pour nous, être des signes de l’envoi et de la mission.

Q - Quels sont aujourd’hui, à votre avis, les péchés dont l’Eglise a à se convertir ?

P. André Dupleix : Oublier son cœur pour ne s’occuper que de la santé de ses membres. Oublier son cœur et sa tête. Attention, je ne dis pas que c’est un péché constant, mais c’est un risque. Privilégier les débats de politique intérieure aux dépens d’une visée missionnaire plus large. Repeindre des murs qui se fissurent alors que d’autres maisons sont construites devant nous - par nous-mêmes souvent, par d’autres communautés, et par d’autres Eglises. Voilà, j’ai repéré trois risques dans lesquels je peux tomber. J’ai pris ces trois-là parce qu’ils me semblent peut-être les péchés les plus fréquents. Oublier le cœur , la tête et s’occuper uniquement de l’esthétique des membres. L’esthétique est importante mais la beauté c’est Dieu, ne l’oublions pas.

Repères et discernement

Q.- "Laissez-vous renouveler en fidélité au Christ vivant dans le monde" Mais avec quels points de repères ?

P. André Dupleix : Je vais être très banal mais je vais redire ce que je lis dans Paul et ce que la tradition de l’Eglise nous rappelle : l’amour des frères, la réconciliation. Actuellement, réconciliation et pardon, la paix, intérieure et extérieure, c’est capital dans notre société. On sait ce que c’est que d’être des hommes violents. Demandons la grâce de la paix : la maintenir quand nous sommes paisibles et l’acquérir quand nous sommes des violents. Car on peut être violent et entrer dans la vie apostolique. Mais il faut demander la grâce de la paix, la confiance dans la création en actes, le discernement et l’opposition face aux forces de mort. Voilà les repères essentiels qui se traduisent après par l’éthique individuelle, l’éthique sociale. Il faut que nous puissions nous redire ces repères éminemment évangéliques. Tout ce qui est nouveau n’est pas forcément bon.

Q.- Quels sont les critères de discernement qui vont nous permettre d’aborder et d’accompagner les nouvelles mentalités, les nouvelles expressions de la vie de l’Eglise et du monde qui évoluent nécessairement plus vite que nos mentalités ?

P. André Dupleix : Là, je suis moins sûr. J’ai envie de répliquer ce que Vaillant-Couturier, député communiste répondit à l’Assemblée nationale, lorsque quelqu’un lui dit : "L’histoire vous jugera, Monsieur le député". Vaillant-Couturier répliqua immédiatement : "Mais, cher Monsieur, l’histoire c’est nous qui la ferons". Et c’est vrai : attention à ne pas trop dissocier nos mentalités et le monde. Nous faisons le monde, nous sommes partie prenante des nouvelles mentalités, nous contribuons, à notre mesure, au développement de ces mentalités. Que faut-il donc faire ? Choisir la voie de la paix et de l’amour. Nous transformerons le monde. Ne considérons pas que ces choix sont passés. Nous ferons le monde avec les autres, mais nous le ferons.

Q. - "Si nous perdons l’appui trinitaire", qu’est-ce que ça veut dire ?

P. André Dupleix : Nous sommes en danger. L’Esprit assure la liberté dans la relation entre le Père et le Fils. L’Esprit d’amour. L’Esprit assure la liberté dans nos relations. Dans l’Eglise, image de la vie trinitaire. Attention au modèle fusionnel. Les hérésies ont toujours été des modèles fusionnels. On confondait le Père et le Fils, le Père avait la toute-puissance parce que l’Esprit n’avait pas sa place, l’Esprit remplace le Père, l’Esprit remplace le Fils. On a quelquefois des affirmations trinitaires un peu souples, limites. Je crois que le drame aujourd’hui, c’est la fusion, les gourous, les sectes, une conception fusionnelle du pouvoir, une conception fusionnelle de la paternité, de l’autorité. Tout cela conduit à l’intolérance, au mépris. Voilà le risque de la perte de l’Esprit.

Oh, pas d’inquiétude, on ne perdra pas le modèle du Père, il est bien pratique. On risque au contraire de le développer, de le sur-développer. Mais quel Père sans le Fils ? C’est une réalité profonde : le Père renvoie au Fils, il est le Père du Fils. " Je crois au Père du Fils" On ne dit pas comme ça dans le Credo, mais si vous le disiez vous seriez dans la justesse théologique. Je crois au Père du Fils, parce que le Fils est engendré de toute éternité et que l’Esprit veille, qu’il est là dans la relation interne.

Regardez la magnifique icône de Rubliev, avec ses trois niveaux d’interprétation. Peu importe, selon les auteurs, où est le Père le Fils et l’Esprit, on peut avoir différentes visions. Mais en tout cas, ce qui est sûr c’est qu’il y a une vision à trois niveaux : 1- le chêne de Mambré ; 2- la réalité de l’Incarnation, le Père, le Fils et l’Esprit, les Anges représentant cela ; 3- la vie intra-trinitaire de Dieu que nous n’approchons que par la mystique et la méditation.

Q.- Que voulez-vous dire par "réhabiliter la vocation baptismale" ?

P. André Dupleix : Je veux dire que le baptême est le signe fondamental. En œcuménisme, ne peut participer à la démarche œcuménique que celui qui croit au Père, au Fils et à l’Esprit Saint, par le baptême. Nous sommes avant tout des baptisés. Qui se souvient de la date de son baptême ? C’est important. N’oublions pas que la vocation spécifique s’appuie très profondément sur la vocation baptismale. Peut-on parler d’une vocation baptismale ? - peut-on parler d’un ministère baptismal ? ... J’ai envie de dire oui, mais le mot ministère est plutôt réservé au ministère ordonné. Il faut dire à tout baptisé : "vous êtes en ministère quelque part".

Les institutions

Q.- Il est nécessaire de convertir les institutions . Mais où mettre l’accent, où consacrer les énergies ? Qu’en est-il du changement visible des SDV ?

P. André Dupleix : D’abord, accepter de limiter les initiatives ou les aspects qui séparent, qui isolent trop. Jouer le risque d’une plus grande immersion pour que la parole d’appel porte ses fruits dans les situations et dans le monde. Au fond, ne pas nous préserver du monde, envisager ensemble. Ne pas juxtaposer les initiatives, ne pas récupérer les initiatives pour soi, les décisions pour soi : "dans mon diocèse..." "dans ma paroisse..." "dans mon pays...". Le cardinal Danneels le rappelait : tout est affaire d’attitude intérieure. Ne pas dire "j’ai raison et les autres ont tort", "mon initiative est meilleure que les autres", cela conduit à des enclaves qui ne sont pas bonnes. Nous avons des efforts à faire sur ce plan-là et nous pouvons contribuer à être des lieux d’unité dans nos diversités. Nous pouvons contribuer à ces déblocages.

Q. - Quelle participation à la conversion des Institutions pour ouvrir à l’avenir ?

P. André Dupleix : Ne pas définir l’apôtre par rapport à la structure, mais le contraire. La structure par rapport à l’apôtre. C’est le Christ qui est premier, l’apostolicité se définit par rapport au Christ et la structure par rapport à l’apostolicité. L’Eglise n’est pas d’abord structure, elle est Christ, elle est corps du Christ, elle est corps mystique, c’est-à-dire mystère du corps qui révèle Dieu vivant.

Q. - Comment concilier au présent une spiritualité d’exode et la sédentarisation des institutions ?

P. André Dupleix : Je crois que nous oublions que l’Exode s’est toujours déroulée en présence de l’Arche d’Alliance. Et lorsqu’ il n’y avait pas l’Arche, les Hébreux étaient perdus. Ce n’était même plus l’Exode. Se rappeler que dans tout lieu, il faut un lieu et un feu. Il faut des lieux, il faut des murs. Le lieu nourrit l’envoi, parce que dans le lieu, il y a Dieu. Que signifie le pain dans le tabernacle ? C’est la tombe d’où Jésus nous dit, comme Dieu face à Moïse : "Vas-y". Le lieu envoie. Je crois qu’il n’y a pas de sédentarisation, le mot est peut-être trop fort. Il y a un lieu qui nourrit parce qu’il y a Dieu, la traversée, le viatique.

Q.- Les nouveaux choix de vie, quels sont-ils ? Qu’entendez-vous par là ? Comment pouvons-nous les prendre en compte dans une pastorale des vocations ?

P. André Dupleix : Les nouveaux choix de vie c’est se décider, à partir des valeurs évangéliques et de la parole exemple du Christ, je ne dissocie pas les deux. Les nouveaux choix de vie, c’est se décider dans de nouveaux contextes. Mais, en fait, les choix ne sont pas nouveaux. C’est le même choix que celui d’Augustin, de Jérôme, de Chrysosthome, de Thomas, de Thérèse, d’Elisabeth... c’est le même choix dans un contexte qui a changé. Pour la pastorale des vocations, je crois que ce qui est important, c’est de ne pas désarticuler les besoins du monde actuel, les cris du monde actuel et la permanence des choix évangéliques. Soyons attentifs à ces nouveaux besoins exprimés différemment aujourd’hui, exprimés de manière semblable aussi mais dans des contextes qui peuvent évoluer très vite.

Q.- Comment concilier le fait que nos communautés soient bien dans leur maison et qu’elles gardent toujours le souci de la route ?

P. André Dupleix : Je dis qu’il faut être bien dans sa maison. On s’arrange bien, on se met sa petite photo là, sa petite croix ici, sa Sainte Vierge, on se fait quelquefois son sanctuaire et puis, on a sa bibliothèque, on n’aime pas qu’on touche à ses livres, ni à son journal. La maison il la faut. Je vous assure qu’avec une petite pièce on peut faire quelque chose d’important dont nous avons besoin. J’ai bien dit ce matin que Jésus n’avait pas une pierre où poser sa tête et les disciples ont bien vu que sa maison c’était la route. Mais il y avait Capharnaüm, il y avait Béthanie. Jésus était bien à Béthanie. Il y avait la compagnie des Douze. Mais dans la chaleur de la maison, Jésus indique le plan de route.

Le Christ

Q. - Pouvez-vous approfondir la citation de J.B . Metz sur le souvenir dangereux du crucifié ?

P. André Dupleix : C’est très simple. Le crucifié détruit les mondes de la revanche, du mensonge, du mépris, de l’orgueil, de la puissance pour elle-même, d’une Eglise qui ne soutiendrait que les riches contre les pauvres (Col. 2, 13-15) "il les a traînés dans le cortège triomphal de la croix". Certes, ça rappelle les défilés des empereurs romains, les vaincus qui passaient devant César, mais il a eu raison, Paul, de prendre cette image. La croix est dangereuse en ce sens : partout où il y aura un chrétien conscient de sa mission, il sera dangereux pour tous les pouvoirs d’oppression. Cela se vit partout. Si le martyre revient aujourd’hui, c’est à cause de cela.

Dans l’Eglise, dès qu’il y a acte de foi, tout mensonge est mis en question. Cela peut aller très loin. C’est ça que veut dire Metz, avec le souvenir dangereux du crucifié.

Q.- Lancer l’appel du Christ en pleine crise culturelle, il n’y a pas de raison de penser qu’il sera moins reçu. Il faut parler mais comment ?

P. André Dupleix : Avec humilité. On ne sait pas tout. Avec force, on sait quelle est la voie. Je fais référence à Ac 4, 20 : Jacques et Jean sont devant le Sanhédrin et ils disent : "Personne ne nous empêchera de dire ce que nous avons vu et entendu". Voilà une phrase qui est importante pour nous. Personne ne nous empêchera, quels que soient les contextes, de dire ce que nous avons vu et entendu. Il faut parler.

Alors comment ? Par les moyens que donne l’Eglise, par tout ce qui se réfléchit ensemble, par la force que donne l’Eucharistie, par les charismes. Le charisme du cardinal Danneels qui est un charisme d’intériorité, très fort. Par les différents visages des témoins, par le prophète qui dérange et puis aussi par le classique qui va nous rappeler des choses à l’intérieur de la route mais qui ne dit pas autre chose que ceux qui parlent aussi quelquefois à l’extérieur de la route. C’est cela la diversité de l’Eglise.

La diversité

Q. Quels points de repère l’Eglise devrait se donner dans le discernement sachant qu’il convient de respecter une légitime diversité ?

P. André Dupleix : Je crois qu’il faut d’abord être capable d’observer l’Evangile, de lire l’Evangile, de comprendre l’Evangile. J’ai été doyen de Faculté de théologie, donc j’ai beaucoup d’estime pour les exégètes. Ils se sont fait un petit peu épinglés hier par le cardinal, mais je crois qu’il n’a pas tout à fait tort quand il dit qu’il ne faut pas que l’analyse passe avant tout. Il est important de regarder l’Evangile avec foi et de lire dans l’Evangile des situations très diverses : une diversité d’engagements, une immense diversité d’adhésions quand vous lisez Marc, et tous les autres. Pourtant une seule réalité : je crois, je te suis.

Regardez à qui Jésus dit : "Ta foi t’a sauvé". Il le dit au plus petit des petits. "Tu as dit, Seigneur, je te crois." Et Jésus reprend : "Regardez sa foi, sa foi l’a sauvé". Il y a toujours à la base une voie, c’est la voie de l’adhésion confiante au Christ.

Q. - Toutes les religions se valent, on le dit souvent. Face à la diversité qui foisonne aujourd’hui, y a-t-il une seule réponse ? Comment accueillir la diversité et accompagner les jeunes ?

P. André Dupleix : Je suis d’accord. Il faut d’abord accepter et reconnaître la diversité pour permettre de découvrir la voie unique. Car je n’oublie pas qu’il y a une voie et que cette voie est pour nous la voie unique. J’en connais la source. Mais une voie qui ne méprise ni ne rejette aucune autre voie, quoiqu’elle s’oppose souvent au dangers et aux menaces. Jésus ne s’impose pas. On peut dire non. Mais il représente une voie et je ne confonds pas le christianisme avec les autres. Rahner disait : le christianisme est le sommet de la voie religieuse. C’est peut-être pas très bon de dire ça de plein pied dans un dialogue en table ronde avec d’autres religions. On ne va pas commencer par affirmer ça. Mais s’il le dit, c’est qu’il y a effectivement prise de conscience de l’importance du christianisme et de sa révélation dans le monde comme accomplissement de la voie religieuse.

Ceci dit, nous devons commencer par entendre les autres et accepter la diversité avant de dire : effectivement nous avons une voie et cette voie est unifiée, elle est cohérente.

Les jeunes

Q. - Quel regard portez-vous sur les jeunes ?

P. André Dupleix : Un regard parfois inquiet, à cause de mon décalage, c’est vrai, pas le leur uniquement, le mien aussi. C’est le même mais vu de mon côté. Un regard inquiet sur leur incertitude et sur leur désenchantement, le mot a été souvent employé. Il y a un désenchantement des jeunes. Mais aussi un regard très confiant sur leur immense possibilité et leur capacité à mettre en œuvre de nouvelles structures de paix et de justice. J’en ai parlé avec des politiques, il y a peu de temps, et je crois que les JMJ à Paris, ce n’est pas rien car des messages comme ça pourront être dits. Nous sommes un peu désenchantés, les économistes, les politiques, les religieux.

On est parfois désenchantés, on se dit "on n’y arrivera pas, les structures ne sont pas bonnes, on n’y croit plus trop..." Eux, ils savent qu’ils peuvent bâtir quelque chose. Nous pouvons leur faire confiance, nous devons les aider et ils nous donnerons des leçons. Des témoignages me montrent que des jeunes venant de très loin sont prêts à construire l’avenir.

J’ai, parmi les jeunes en formation à Toulouse, chez les religieux en particulier, des jeunes qui ont fait les 400 coups. Ils ont changé, ils ont fait le trajet, ils viennent de loin et ils sont là. D’autres jeunes aussi peuvent faire ce trajet et nous devons les y aider. Cela signifie quand même que l’Eglise a quelque chose à leur dire et qu’elle appelle aujourd’hui. Ses structures ne sont pas obsolètes, même si elles doivent être converties en permanence.

Q.- Comment rendre compte nous-mêmes de notre vie sacramentelle et comment la présenter aux jeunes et aux adultes ?

P. André Dupleix : Comme une expérience qui ne réduit pas. Je trouve que l’un des grands maux de notre temps c’est la réduction, la régression. Regardez celui-ci, regardez celle-là. Regardez ce prêtre, ce recteur de catho... Il est réduit, sa foi le réduit. C’était le drame de Teilhard qui disait : "Pitié, pitié ne présentez pas à un monde qui grandit un Jésus trop petit." Il y a un "petit Jésus", c’est celui de l’Incarnation. Mais le Jésus crucifié et ressuscité est aux dimensions d’un monde qui avance ! Il faut que le Dieu que vous annoncez ouvre les perspectives de l’intérieur. Que l’expérience sacramentelle ne nous fasse pas moins vivants.

Le rite est indissociable du désir : est-ce que nous sommes encore des hommes et des femmes de désir ? est-ce que, lorsque j’ai communié, je n’ai plus faim ? Marie-Noëlle a écrit de belles choses là-dessus. Est-ce que, lorsque j’ai communié, je suis encore avec un désir accentué ? Est-ce que je suis un homme de mouvement, de décision, d’acte évangélique qui peut être provocation et rupture en vue du salut ? La vie sacramentelle ne réduit pas.

Q.- Nous avons entendu de merveilleux témoignages de jeunes, c’est parfait. Mais nous aimerions savoir par quels moyens ils en sont arrivés là ?

P. André Dupleix : Je n’en sais rien, je dirais : par vous. Je crois que c’est par vous, c’est avec nous. Il est important déjà de savoir qu’ils sont arrivés là. A nous d’aider les autres en sachant qu’ils peuvent vraiment rencontrer le Christ et il y en a.

Q. - Par rapport à un appel entendu, même précoce, quels sont les obstacles qui se dressent à l’intérieur du jeune , dans l’Eglise, et dans le monde ?

P. André Dupleix : Il est difficile de répondre rapidement. Je crois que le jeune peut se demander : mais est-ce que celui qui m’appelle, c’est bien celui qui va m’ouvrir à la réalité profonde que j’attends. Il peut hésiter : quel est ce Jésus ? Est-ce que l’Eglise, institution, va être obstacle, mur, enfermement ou bien est-ce qu’elle va, malgré les difficultés inérantes à toutes les structures, est-ce qu’elle va m’ouvrir à l’eau vive de l’évangile ? Et dans le monde d’aujourd’hui, est-ce que nous ne sommes pas les derniers des Mohicans ?

On n’a jamais été majoritaires, il y a aussi là une sorte de mythe du chrétien majoritaire qu’il faut bien écarter. A l’époque où l’Eglise tenait les structures de la société en évolution, était-elle vraiment majoritaire au sens où les chrétiens pratiquants étaient les plus nombreux ? Ce sont des chiffres anachroniques, ce sont des démarches qu’on ne faisait pas à ce moment-là, que l’on fait maintenant. Les analyses sociologiques n’existaient pas.

Je crois qu’il ne faut pas rêver à être majoritaire, il faut rêver à être ferment dans le monde. C’est vrai que les jeunes peuvent se demander : est-ce que nous ne sommes pas dans une perspective irréaliste, sans avenir ? Une jeune est venue me voir l’autre jour, presque en larmes. Elle avait été assommée par son professeur de philosophie, assommée, ridiculisée en cours à cause de sa foi. J’ai essayé de lui dire : "mais non tu n’es pas ridicule."

Moi j’ai été maintenu au séminaire parce que j’ai rencontré quelques grands noms. Il y a eu Congar, et il y a eu Teilhard. Au moment où je m’interrogeais un peu, il y avait le Christ bien sûr, mais aussi ces hommes-là. Je me disais : ces hommes-là sont restés, il faut que tu restes ! C’est important de se dire qu’on ne se trompe pas, encore faut-il faire comprendre que dans un monde qui peut nous considérer comme des irréalistes, nous sommes de grands réalistes.

Q. Comment faites-vous le lien entre la question posée : nouvelles mentalités des jeunes et choix de vie et l’exposé que vous avez fait ?

P. André Dupleix : Les nouvelles mentalités des jeunes sont surtout, à mon avis, une façon plus libre de poser des questions essentielles qui ne sont pas toujours nouvelles. On serait surpris si on avait pu faire le même type d’ analyse il y a 300, 400, 700, 1 000 ou 2 000 ans. Ce sont des questions sur la vie, sur la mort, sur l’autre, sur l’avenir, sur mon épanouissement, sur mon équilibre.

Mais dans le contexte où nous sommes, c’est différent. Regardons les questions sur l’amour. Quand on voit, sans être ultra pudique, le monde dans lequel nous sommes et les valeurs qui sont mises en avant, il faut savoir où on va. Ce n’est pas simple. Le célibat, la chasteté, ce n’est pas facile aujourd’hui. C’est une aventure qui vaut la peine, qui est passionnante. Qu’est-ce qu’on veut faire ? qui on choisit ? pourquoi on le fait ? sans frôler les murs ou sans être comme des moustiques qu’on entend à peine et qu’on ne voit pas ? Je crois que nous avons à être bien plantés en terre même si ce n’est pas simple.

Ceci dit, nous faisons un choix et ce choix a toujours été difficile. Lisez les Confessions de St Augustin. Le choix des jeunes sera le même que le nôtre mais il devra être justifié par la confiance maintenue malgré les mutations.

Q. - Peut-on se contenter de gérer une urgence, n’est-ce pas prendre le risque d’occulter l’appel ?

P. André Dupleix : L’appel a toujours été lancé dans une situation d’urgence. Jésus n’a jamais dit : "J’ai suffisamment d’ouvriers, tout se passe bien mais plus tard ils auront des problèmes." Les ouvriers sont peu nombreux : il y a une situation d’urgence dès le départ. La rapidité des mutations précipite les urgences mais je crois que les urgences doivent être perçues dans un plan missionnaire plus large dont il faut redéfinir la finalité. Il me semble que c’est une question de finalité : qu’est -ce que nous voulons faire ? qu’est-ce que nous voulons dire ? comment pouvons nous dire ce qu’est l’essentiel du ministère, de l’engagement apostolique ou de la vie consacrée, aujourd’hui ? qu’est-ce que ça signifie pour nous ? pour le monde ? Et à partir de là, nous verrons les urgences.