Rencontre avec Paul Destable


Le P. Paul Destable est Secrétaire général adjoint de l’épiscopat. A ce titre, il assure les liens entre la conférence des évêques et tous les mouvements de laïcs, spécialement les mouvements de jeunes, de solidarité et de personnes malades et handicapées. Invité du vendredi après-midi à la RécoSession, il répond aux questions du P. Jean-Marie Launay.

P. Paul Destable

Les jeunes et l’Eglise en France

P. Destable : En venant à Lourdes, je me demandais : qu’est-ce qui traverse aujourd’hui les différents mouvements et congrès que je rencontre ? Il y a quelques trois ans on ne pouvait pas faire un congrès sans le mot "espérance". Aujourd’hui, dès qu’il y a une réunion de responsables de mouvement ou un congrès, il y a le mot "peur". Cette peur, c’est important de la regarder. Et rien que pour parler des jeunes, la génération des 18-25 ans est une des générations qui souffre le plus dans notre pays. En butant, elle aussi, sur cette réalité de la peur. Mais si on parle de la peur, on peut la nommer, car la peur nous ne sommes pas appelés à l’éviter mais à la traverser.

Je crois qu’il ne faut pas avoir peur de partager ce qui nous fait tenir dans la vie. Nous avons à proposer des parcours de vie spirituelle, de vie intérieure, pour découvrir la personne même du Christ. Car la grande illusion, aujourd’hui, qui est source justement de peur, c’est celle de la fatalité : "A quoi bon ? A quoi bon faire ceci ou cela, à quoi bon s’engager ? "

Il est important de lier aussi une recherche d’intériorité à une initiation communautaire. Il y a eu une sorte de renversement. Il y a x... années, on avait spontanément un sentiment d’appartenance communautaire. Et l’activité pastorale consistait à conduire à une intériorisation, à un choix personnel, "ne pas être un chrétien sociologique", on aurait dit à l’époque. Aujourd’hui, ça c’est inversé massivement : on a plutôt un parcours personnel de foi, de questionnement spirituel et on ne manque pas de surprises de temps en temps. Il faut initier à l’appartenance communautaire, car ce n’est pas évident de se réclamer d’une Eglise, d’une confession chrétienne et encore moins d’une communauté chrétienne locale.

Il est donc important de trouver des lieux de fiabilité et aussi de valider des enracinements communautaires tout en conservant toujours l’esprit critique. Comment aider les jeunes à trouver des lieux de fiabilité ?

Et puis, pour traverser cette peur, il convient aussi d’aider les jeunes à se formuler un projet de vie. En avril 96, il y a eu une assemblée des évêques sur la pastorale des jeunes. J’étais dans une des mini-assemblées. Il y avait des évêques, des secrétaires nationaux. Dans cette mini-assemblée qui portait sur le chômage des jeunes, il y avait neuf délégués de mouvements de jeunes différents. Ce qui m’a frappé, c’est l’unanimité de ces neuf délégués par rapport au chômage des jeunes. L’Eglise ne risque pas de créer beaucoup d’emplois, elle ne risque pas de trouver des solutions toutes faites, elle n’a même pas de conseils spéciaux à donner pour en créer. Mais tous ont dit : "L’important c’est d’aider les jeunes à formuler un projet de vie." Un projet de vie qui, bien sûr, tient compte de l’avenir professionnel, mais qui l’englobe, qui le dépasse. Ici, vue l’expérience de nos traditions spirituelles, de nos savoirs-faire pastoraux, de ce que nous ont apporté aussi des mouvements, nous ne manquons pas de savoir-faire.

Toujours pour traverser cette peur, ce qui caractérise les plus jeunes générations c’est le besoin d’expérimenter par soi-même. Je suis allé dans un temps fort de pastorale des jeunes, cet été, une réco qui était proposée à 300 jeunes. On m’a reconduit à la gare, et la jeune fille qui me reconduisait m’a dit : "C’est formidable, j’ai choisi en début d’été de venir vivre une retraite, j’ai demandé à mon ami d’attendre une semaine avant que je le rejoigne en Espagne parce que je voulais faire cette retraite et j’ai vécu quelque chose de très, très fort alors que dans mon entourage, tout le monde croit que l’Eglise est morte." Dans le reste de la conversation, j’ai découvert que son frère était prêtre. Elle avait donc pu entendre quelques signes de vitalité de l’Eglise. Mais ça devenait parlant pour elle au moment où elle l’expérimentait. Elle en avait entendu parler, elle avait sans doute des revues chez elle, elle était d’une famille chrétienne. Mais elle était dans une attitude de recommençante, il fallait qu’elle expérimente par elle-même.

Ce besoin d’expérimentation est très fort et c’est ce que nous avons à servir avec tout le danger qu’il y a d’en rester à l’aspect subjectif de la foi. Et là, nous avons à opérer un discernement au cœur d’un certain nombre d’activités pastorales. Certains avec des mots apparemment très séculiers arrivent à nous dire des choses très fortes d’une expérience spirituelle alors que, parfois, avec un vocabulaire très religieux on peut exercer une volonté de puissance non contrôlée. Alors discernons.

Une autre question : comment rester vigilant par rapport à la gratuité du service évangélique de l’homme ? Je voudrais poser la question à partir de faits que j’ai entendus. J’ai fait le tour de nombreuses activités pastorales de jeunes. Certaines insitaient beaucoup sur des temps de prière, des temps de formation, des temps de témoignages, de célébrations du pardon. J’ai vécu des choses très fortes, et j’ai observé que dans ces lieux-là, il y avait des dizaines et des dizaines de prêtres et de consacrés. Et puis je suis allé voir aussi les scouts qui accueillent les jeunes de banlieue, ils étaient 800 dans des coins de l’Auvergne, ça se passait fort bien. Là, pour 800 jeunes il y avait quatre prêtres. Je suis allé aussi là où les communautés de l’Arche invitaient des jeunes à vivre une expérience de vie commune avec des personnes handicapées et leurs compagnons habituels. Les prêtres, les religieux et les consacrés ne se bousculaient pas au portillon ; du moins, il y en avait en bien moins grande proportion. Comment rester vigilant par rapport à cette gratuité du service ? Je n’oppose pas les deux types de proposition. Il faut tenir les deux, à tout bout de champ et à tout moment de la mission. Mais n’avons-nous pas quelques arrières pensées en nous impliquant dans telle proposition plutôt qu’une autre ? Evidemment qu’en passant trois semaines avec les jeunes des banlieues on va pas avoir beaucoup de vocations, directement. Mais qu’est-ce que nous voulons ? Voilà ce que je mettais derrière le mot gratuité.

Un dernier point dans ces réactions à chaud. Je me suis redit en écoutant le Père Dupleix que le renouveau de l’Eglise viendra toujours d’un retour aux sources, il vient toujours de l’intérieur des personnes et des communautés. Il ne vient pas de projets pastoraux ou de stratégies pastorales. Les stratégies pastorales sont importantes pour accompagner, répondre, favoriser ou encourager des renouveaux. Pas pour les créer de toutes pièces. Dans notre pastorale, en France, nous avons appris à conjuguer à tous les modes et à tous les temps, le verbe "accompagner", c’est bien, c’est beau, c’est grand, c’est noble. Mais conjointement nous avons sans doute à conjuguer encore plus le verbe "appeler". Je me demande parfois si notre Eglise n’est pas malade de l’appel, ou du moins un peu trop timide. Alors, avec le Père Hippolyte Simon - qui est devenu mon évêque entre temps - je peux dire : "Appeler c’est servir une liberté". On pourrait dire aussi : "Appeler c’est ouvrir un horizon", pour reprendre l’image du Père Dupleix. Ce service d’appel passe par des attitudes précises. Tout ce qui se vit autour des lettres d’appel pour la confirmation, autour des lettres d’appel décisives pour le baptême... comment cultivons-nous tout ce qui se passe autour de cela ? comment le faisons-nous circuler ? Autour de l’appel aux responsabilités dans un mouvement ou dans une mission étudiante, comment creuser, comment fonder l’appel ? comment appeler, susciter une réponse motivée et fondée ? Il y a toute une pédagogie à développer. Nous en avons une pratique, nous pouvons la développer encore plus.

Il ne s’agit pas d’appel pour des fonctions institutionnelles même si cela y aboutit mais bien pour quelque chose d’existentiel pour favoriser un parcours. Je crois vraiment que c’est cette pédagogie des appels qui peut créer un nouveau climat. J’ai entendu l’autre jour cette définition : "Est vieux celui qui a remplacé les rêves par les regrets" Comment ne pas fonder nos appels sur des regrets ou des nostalgies, mais bien sur des nouveaux commencements et des commencements existentiels ?

P. Launay : Tu as eu en charge, et tu as toujours en charge, deux gros dossiers de l’actualité de l’Eglise en France. Tout d’abord l’assemblée plénière des évêques à Paris, au mois d’avril. Cette assemblée plénière extraordinaire était consacrée aux jeunes. En quoi ce que tu as entendu et ce que tu viens de souligner, consonne avec ce qui s’est partagé au cours de cette assemblée avec les orientations qui en sont issues ?

P. Destable : Avant de répondre à la question sur les jeunes, il y a une conviction que j’ai et que je voudrais partager. Là on va beaucoup parler de pastorale des jeunes, de l’articulation SDV/pastorale des jeunes, des adultes... Je voudrais plaider aussi pour les enfants, l’accompagnement des enfants et le rôle SDV/enfants. Je n’en dirais pas plus mais je voulais au moins dire cela.

Concernant cette assemblée, il y a eu un excellent livre pour en relater tous les apports, la relecture des témoignages : "Proposer la foi aux jeunes", aux Editions du Centurion.

Je voudrais d’abord faire parler les faits de cette assemblée. On a dit que c’était une assemblée d’évêques. Il n’y a pas eu que les évêques puisqu’on était 400. Les évêques ont voulu travailler avec ceux qu’ils ont appelé l’ensemble des partenaires de la pastorale des jeunes : les services d’Eglise parmi lesquels le SNV, l’aumônerie de l’enseignement public, l’enseignement catholique... les mouvements anciens, nouveaux, les services jeunes des communautés nouvelles étaient également là et les congrégations religieuses à vocation éducative. Tout ce monde-là était représenté et ce fait-là en dit long de la part des évêques pour une reconnaissance. Et Dieu sait que c’est un mot important aujourd’hui, étant donné que tout le monde a besoin d’être reconnu.

Les nouveaux qui participaient aussi à cette assemblée, étaient les coordinations diocésaines de la pastorale des jeunes. Conseil diocésain de pastorale des jeunes, Antenne-jeunes... un peu partout dans les diocèses, sous différents noms il y a bien une volonté de coordination. Trois choses capitales sont en amont de ces coordinations diocésaines : d’une part, la nouvelle pastorale depuis quinze ans ; ensuite, nous avons expérimenté, avec beaucoup de ceux qui sont ici, que les SDV ont toujours été un lieu carrefour, un lieu privilégié de communion ecclésiale. Enfin, les synodes diocésains. Voilà ce qui a conduit à l’existence de ces coordinations diocésaines de la pastorale des jeunes.

Cela me semble très important du point de vue des vocations, car les jeunes sont très sensibles aujourd’hui au fait de rencontrer des gens qui sont à la fois capables d’affirmer leur originalité, leur particularité dans le service de l’Eglise et de marcher ensemble, car les jeunes n’ont pas du tout envie d’entrer dans un panier de crabes. Si on est capable de marcher ensemble, ça leur parle.

En observant tout cela, en particulier à partir des instances de coordination, et malgré les apparences, nous sommes dans une logique de reconstruction. Je n’ai pas dit une logique de restauration - on ne va pas retrouver la situation antérieure de l’Eglise. D’ailleurs, si on visait la situation antérieure, ce serait en quelle année ? Le passé a été mouvant lui aussi. Parlons donc d’une période de reconstruction. Dans ce cadre des instances de coordination, les SDV sont bien placés pour développer une dynamique d’estime entre les différents partenaires.

On observe aujourd’hui une reconstruction du tissu ecclésial et ce me semble décisif pour que des vocations tiennent le coup. Le Père Cornet disait tout à l’heure : 34 % de jeunes qui se posent la question d’une vocation. Cela a toujours été entre 30 et 40 % dans tous les rassemblements de jeunes chrétiens. Bien sûr, poser la question ce n’est pas encore avoir la vocation, et quand on leur demande : "Mais pourquoi vous n’avez pas persévéré" bien sûr, surgit la question du célibat, mais très vite après, surgit la question de la confiance : est-ce que je peux avoir confiance en moi ? est-ce que je serai à la hauteur ? est-ce que je peux avoir confiance en l’Eglise ?

J’avais dépouillé les questions des jeunes pour le rassemblement de Gerland. L’an 2000 était un petit peu loin et la question majoritaire était : l’Eglise existera-t-elle en l’an 2000 ? On ne s’engage pas dans une Eglise où on sent que tout fout le camp. Et pour s’engager dans une vie qui sera marquée par la solitude, puisqu’on pose la solitude au départ - je n’ai pas dit isolement, mais une vie marquée par la solitude - on a besoin d’une communauté de référence, une communauté stable : famille, congrégation et paroisse. Je suis au service prioritaire des mouvements d’apostolat des laïcs et j’y crois beaucoup. Mais je crois tout aussi fort que ce tissu ecclésial passe par la construction de la maison commune qu’est la paroisse. Reste à définir à quelle échelle. On ne donne pas sa vie à une abstraction ; le corps du Christ doit prendre visage.

P. Launay : Tu partageais aussi combien cette assemblée plénière avait été marquée par l’abondance des témoignages reçus. Est-ce que tu veux bien nous dire un mot de ces témoignages ?

P. Destable : Nous avons suscité la récolte de témoignages au plan national. Nous avons reçu et lu l’ensemble de ces 1 200 témoignages. Mais souvent nous en avons reçu beaucoup plus au plan diocésain. Ils ont été lus, ils ont circulé et cela en dit long sur ce qui est vécu par des jeunes en France. C’est une façon de mettre en pratique le fameux rapport Dagens. Que nous dit le rapport Dagens ? Il n’est pas une synthèse globale de ce que doit être la proposition de la foi aujourd’hui, il nous donne surtout une méthode. Par rapport aux rêves de reconstruction de la chrétienté, de vouloir encadrer toute la population, et par rapport à l’autre rêve, ou illusion, qui consisterait à se rabattre sur le cocon, il y a une troisième voie qui consiste à partir du récit précis de ce que des chrétiens vivent aujourd’hui. Pour savoir quelle est l’inculturation de la foi aujourd’hui, on peut mettre des théologiens ensemble, on peut redire de manière identitaire ce qu’on a toujours dit, ou bien alors on peut demander aux chrétiens de faire le récit de ce qu’ils vivent dans la foi et comment la foi les aide à tenir le coup dans la vie. C’est à partir de ces récits que l’on trouvera les chemins d’une proposition de la foi .

Nous avons fait des travaux pratiques : on donne la parole à des jeunes croyants. Il y a toujours eu des gens pour nous dire : "D’accord mais les 97 % autres ? Vous n’avez encore eu l’avis que des 3 %." Peut-être mais justement c’est ça le rapport Dagens. Pour parler à tous, il faut partir de ce que peuvent nous dire, de ce qu’expérimentent ces quelques pour cent de jeunes. Mais eux seuls peuvent nous dire les chemins de cette proposition de la foi. Il me semble que d’avoir fait cela, valorise, réhabilite un style de communication de la foi à partir du récit. On n’est pas les premiers à le faire, ni les derniers, il me semble qu’on doit donner un coup de pouce à cette pratique-là. C’est en écoutant ces jeunes-là qu’on pourra trouver quels sont aujourd’hui les rendez-vous possibles entre la proposition de la foi et les attentes des jeunes.

Je disais tout à l’heure que je voudrais faire parler les gestes, les attitudes. Autrement dit, cette assemblée d’évêques avec tous leurs partenaires n’est pas partie de questions institutionnelles mais du témoignage de jeunes en Eglise, elle est partie de récits de croyants. C’est une parabole pour nous dire, pour dire à tous les partenaires que nous sommes, que les premiers partenaires de la pastorale des jeunes, ce sont les jeunes eux-mêmes. Il y a une phrase de Jean Paul II que je cite souvent, qui est dans Christi fideles laici  : "Les jeunes gens ne doivent pas être considérés comme les objets de la sollicitude de la pastorale de l’Eglise mais comme les sujets de l’évangélisation."

Faut-il encore en prendre les moyens : à cette assemblée, on a beaucoup parlé d’accompagnement et il y a un équilibre à tenir entre la nécessité de l’accompagnement et le défaut du sur-accompagnement. Nous sommes dans une société vieillissante et une Eglise parfois vieillissante. Très respectable, notre vieillissement peut être une montée vers la sagesse. Mais il comporte des risques de sur-accompagner des jeunes. Et jusqu’à 30 ans, un jeune ne serait que l’objet d’accompagnement alors qu’il y a des pratiques pastorales qui nous rappellent que les jeunes peuvent être de réels apôtres des jeunes.

Un dernier point. Les jeunes sont marqués par des parcours longs. On en sait quelque chose dans les SDV, des mûrissements très, très longs. C’est une banalité de le rappeler mais ce qui se passait il y a vingt ans en 18 mois : quitter le domicile des parents, prendre son appartement, quitter les études, commencer un travail, se marier et avoir le premier enfant... se passe maintenant sur douze ans. Cela suppose que notre attitude pastorale accompagne ces cheminements longs. On a vu le surgissement des écoles de la foi, écoles de l’Evangile. Il y en a une ici à Lourdes, il y en a maintenant une quarantaine à travers la France. Là, il y a un rendez-vous possible entre la pastorale des vocations et ces écoles de la Foi, écoles de l’Evangile qui sont là pour aider dans ce long cheminement de la jeunesse de manière à ce qu’on n’assiste pas simplement à un report des responsabilités de la vie adulte mais que ce soit une chance de mûrir.

Les coordinations de la pastorale des jeunes peuvent jouer ici un rôle car leur but n’est pas seulement d’ajuster les différents acteurs de la pastorale des jeunes. Puisque aucune voie pastorale ne peut se prétendre auto-suffisante, elle permet de réaliser que chacune n’est qu’un moment dans ce long parcours. Ce qui nous a beaucoup frappés dans les témoignages c’est que, justement, ce que l’on considère nous, adultes, comme du zapping, n’est pas forcément que cela. Les jeunes nous disent : "J’ai mon propre parcours, je n’appartiens à personne et donc j’ai vécu deux ans là, après j’ai choisi d’aller ailleurs. Je n’appartiens à personne". Il nous faut donc reconnaître qu’on est un petit maillon dans une grande chaîne de témoins.

P. Launay : Vois-tu déjà des fruits de cette assemblée d’avril ?

P. Destable : Je crois à ces deux choses. D’une part à la reconnaissance des acteurs. On l’a dit c’est à la fois enthousiasmant et dur. La proposition de la foi aux jeunes, c’est dur. Il faut donc encourager les acteurs et des acteurs diversifiés. Tout le monde craint une pastorale uniforme qui ne reconnaît plus les traditions spirituelles, qui ne reconnaît plus l’héritage des différents mouvements. Non, les évêques ont manifesté publiquement la reconnaissance de la diversité des acteurs.

D’autre part, à l’importance de réhabiliter, de valoriser ce récit des jeunes croyants. Il est formidable que des évêques se tournent vers les jeunes pour leur demander : "Comment vivez-vous la foi aujourd’hui ?" J’ai regretté que l’on ne soit pas plus contemplatifs par rapport à ces jeunes chrétiens qui nous ont dit que l’Evangile comptait pour eux, qu’ils vivaient un parcours dans la foi. Ils nous parlaient peut-être plus de Dieu en général que du Christ lui-même, mais ils ont dit des choses très belles et d’une grande fraîcheur.

Il y a deux chantiers très concrets qui vont être ouverts. Le premier c’est sur une analyse de tout ce qui est véhiculé sur la foi et l’Eglise dans les manuels scolaires, de manière à ce que notre langage sur la foi tienne compte de ce que véhiculent les manuels scolaires. Question pointue. Le second : trouver un langage positif sur l’affectivité, le corps et la sexualité. Le langage qui parle. Il y a un évêque qui a dit au cours de l’assemblée que nous n’avons pas seulement des problèmes de langue, mais aussi des problèmes d’oreilles. On sait ce qu’on a à dire mais si on n’a pas d’abord écouté ce que vivent ces jeunes et comment ils le disent, on risque de tenir un langage décalé. C’est le second chantier.

Cela me tient à cœur : il est plus important que jamais de vivre une pastorale de proposition qui s’oppose à ce qu’on pourrait appeler une pastorale de l’attente : on ouvre un lieu d’accueil, on attend qu’ils viennent ! Ou une pastorale de la persévérance : comment, après le catéchisme, persévérer au collège ? comment après le collège passer à l’aumônerie de lycée ? comment après l’aumônerie de lycée continuer en Mission étudiante ? etc. C’est très important cette persévérance, cette croissance. Mais l’avenir est à une pastorale de proposition.

Toute cette récolte de témoignages nous a dit à quel point des jeunes, même originaire de familles chrétiennes ont besoin de se réapproprier la foi. A tout âge, à tout moment. Et cela veut dire, très concrètement, que celui qui a raté le train à 18 ans et qui n’a pas mordu avec la mission étudiante ou avec le MRJC qui lui était proposé, peut-être qu’à 25 ans il y sera disposé. Y aura-t-il quelqu’un pour lui faire la proposition ? Voilà ce que j’appelle une pastorale de proposition qui a différentes portes d’entrée mais qui s’adresse à tout âge.

Je pense à un jeune, en particulier, trois fois appelé à être permanent dans une aumônerie. La première fois il a dit non et sa réponse était très fondée. La seconde fois on l’a rappelé il a dit non. La troisième fois il a dit oui. Il l’a vécu très positivement et est en cheminement vers le ministère ordonné. Qu’est-ce qui se serait passé si on avait dit, par timidité, "on ne l’appelle pas une deuxième fois, on ne l’appelle pas une troisième fois" ? Je ne dis pas qu’il faut être casse-pieds, mais comme c’était l’ensemble des étudiants qui votaient, il y avait vraiment un appel communautaire qui était transmis, il n’y avait pas seulement l’entêtement du responsable. Construisons donc une pastorale de propositions, culturelle, communautaire, et mystique.

P. Launay : Nous allons avoir dans quelques mois une illustration concrète de toute cette vie avec les jeunes, avec l’organisation des JMJ. Paul tu as reçu la responsabilité d’être le responsable national de ces JMJ avec le P. Jacquin. Quels en sont les enjeux ?

P. Destable : J’ai parlé d’une pastorale de propositions, culturelle, communautaire, et mystique. Je vais relire les enjeux de ces JMJ à partir de ces trois propositions. Je ne raconte pas comment ça va se passer, vous le savez : 14-18 août 1997, accueil dans tous les diocèses de France ; 18-24 août, sur Paris.

Des propositions culturelles : qu’est-ce qui fait courir des jeunes aux JMJ ? Peut-être le fait qu’elles soient mondiales mais en même temps cet aspect, cette conscience de la mondialisation, ils l’ont depuis qu’ils sont tout petits. Ils ont conscience que la planète est un village. Il y a bien quelques zones d’ombre mais on a toujours reçu des informations , des émotions - plus que des informations d’ailleurs, venant de tous les coins de la planète. Alors, quand j’ai l’occasion de voir ces petits copains du bout du monde, je ne veux pas rater le rendez-vous.

Mais cette conscience de la mondialisation fait peur et attire. Elle fait peur parce qu’on va parler après des dragons de l’Asie du Sud-est ou bien on va avoir peur que les émigrés s’installent chez nous. Et elle attire parce qu’il y a une certaine curiosité. De fait, on peut le constater nous-mêmes, il se passe toujours quelque chose de profondément humain et parfois spirituel quand on accueille en vérité des jeunes d’une autre culture. Mais pour vivre cet échange culturel et ce partage de foi, pour vivre une expérience internationale, il ne faut pas être rassemblés à 500 000 pour chanter Alleluia. Cela suppose qu’il y ait en amont une possibilité de rencontres en petits groupes, cela suppose d’accueillir des gens chez soi, jusqu’en famille.

Toujours sur le plan de l’échange, je parlais tout à l’heure d’une dynamique d’estime à développer entre nos différents secteurs de la pastorale. C’est vrai aussi du point de vue culturel. Aujourd’hui, la plupart des conflits dans le monde sont d’ordre culturel. Quand on apprend aux gens à s’estimer, à se rencontrer, on contribue, je crois, à la paix dans le monde. Et le meilleur moyen de dépasser la peur c’est certainement la rencontre. Alors nous voulons favoriser ces rencontres, nous voulons qu’elles commencent dès maintenant. Il faut petit à petit commencer une relation qui peut porter des fruits. Et puis toujours dans le domaine culturel, mais c’est une occasion pour nous de le révéler : nous ne nous rendons pas compte à quel point à partir de l’architecture, de l’art, de notre patrimoine, des saints de chez nous, il y a des trésors à faire découvrir ! On ne visite bien sa ville que le jour où on a des amis qui viennent la visiter. Ce sera un peu pareil pour nous en faisant découvrir notre pays. Voilà un premier enjeu.

Le deuxième enjeu est d’ordre communautaire. Dans la façon de préparer ces JMJ nous avons toujours choisi de valoriser les partenaires ecclésiaux. Cela peut vous paraître évident, croyez bien que ça ne l’est pas du tout. On n’a pas manqué de conseilleurs et de conseillers, qui d’ailleurs ne payaient pas la facture, pour nous inviter à des méthodes de type commercial. D’habitude nos initiatives d’Eglise n’intéressent pas les grands de ce monde mais quand on dit qu’on va rassembler entre 300 et 500 000 jeunes de 18 à 35 ans, croyez bien qu’on les intéresse, les grands commerciaux de ce monde. Certains sont habituellement dans l’Eglise - ce sont des chrétiens absolument convaincus, mais qui n’ont pas forcément une habitude de l’organisation pastorale. Ils nous invitent à des méthodes qui n’ont rien à voir avec ce que nous voulons valoriser. On veut toujours valoriser les partenaires ecclésiaux et cela peut porter des fruits.

Je crois que, dans nos diocèses, par cet accueil en famille, par la façon de faire découvrir notre patrimoine, nos sanctuaires, nos cathédrales, etc. et les activités pastorales de jeunes et de moins jeunes, cela va provoquer tout un déploiement. Accueillir 1 000 jeunes, répartis en 300 familles, ça fait combien de personnes dans le coup ? 1 000 ou 2 000 personnes supplémentaires dans le coup. S’ils vont voir les différentes réalisations pastorales : tel établissement qui est jumelé avec une autre école du Liban, ou bien une communauté paroissiale ou bien la façon dont on lutte contre la misère chez nous, avec la délégation du Secours Catholique... cela va mettre x...personnes dans le coup. Dans un diocèse qui accueille 1 000 jeunes et qui invite 1 000 autres jeunes à venir à Paris, cinq à dix mille personnes vont bouger à cette occasion-là. Une occasion de mise en route pastorale qui n’est pas négligeable, c’est ce que j’appelle un déploiement.

Evidemment c’est l’occasion de multiplier ou de créer des liens, de renforcer des liens entre Eglises-sœurs par ces jumelages diocésains . Tout cela peut contribuer à créer une confiance en l’Eglise. Ce n’est pas sans répercussion par rapport à notre service des vocations.
Toujours dans cette dimension communautaire : quand je dis communautaire, je ne pense pas seulement à nos communautés chrétiennes paroissiales et de mouvements, je dis développer le sens communautaire de ces jeunes, à savoir l’accueil de l’étranger, se mettre en état d’accueil . Là nous avons déployé ou proposé une attitude d’accueil. Au début "JMJ" ça évoquait une foule enthousiaste autour du pape, c’est bien ! Mais ça représente 5 % du temps total. Si on est un petit peu curieux, on se dit "Que se passe-t-il les 95 autres % du temps ?"

Aujourd’hui, quand on m’encourage ou quand on fait des reproches c’est autour du mot accueil. L’évêque de Toulon me dit l’autre jour : "Comment 1 200 jeunes ? c’est pas suffisant ! Vu l’enthousiasme que provoque l’accueil en famille, il faut nous en envoyer plus que cela." D’autres me disent : "Accueillir en plein mois d’août vous n’y pensez pas !" Moi j’aime bien, parce que tout tourne autour du mot accueil, on a compris que c’était cela qui se déclinait derrière les JMJ : une pratique et, j’espère, une catéchèse de l’hospitalité. Je vous invite à approfondir cela, à ne pas en rester seulement à des questions logistiques. Qu’est-ce que ça veut dire accueillir l’étranger ? qu’est-ce que ça invite à déplacer chez nous, dans un pays qui est en train de se replier sur ses problèmes très réels, même au sein de l’Europe, à plus forte raison par rapport aux relations Nord-Sud ?... on a une formidable occasion d’élargir notre horizon et il y a un profond enjeu spirituel.

Pour être bien sûr d’enfoncer le clou, nous intégrons dans cette préparation des JMJ ce qui va se passer à la Pentecôte, ici à Lourdes : le rassemblement des jeunes issus de l’immigration. Qui est le mieux placé en France pour nous aider à bien accueillir ces frères et sœurs du bout du monde, sinon ces jeunes issus de l’immigration qui sont chez nous ? Comment l’extraordinaire va éclairer notre ordinaire ? Comment le fait de faire venir trois zaïrois du Zaïre en août 1997 va nous révéler la présence des 300 zaïrois qui sont derrière le clocher, que l’on ignore et qui en bavent toute l’année chez nous ? Je crois qu’il y a vraiment des enjeux dans cet accueil mais il est important d’approfondir.

Enfin, une pastorale de propositions mystiques. Par cet événement, le pape invite les jeunes à un pèlerinage de confiance. Nous ne sommes qu’une ville étape de ce pèlerinage auquel le pape invite. Il y a eu d’autres étapes avant, il y en aura d’autres après. C’est un événement qui centre sur le Christ : "Maître où demeures-tu ? Venez et voyez !". Le message du pape par rapport à ces JMJ est très lisible par les jeunes, n’hésitez pas à le faire lire. C’est l’occasion de faire dépasser une idée générale sur Dieu pour entrer dans une amitié avec le Christ qui, bien sûr, nous conduits au Père dans l’Esprit. Le pape nous invite à regarder non pas seulement l’an 2000 mais cette ouverture du troisième millénaire qui sera habité par Dieu et que les jeunes sont invités à rejoindre, cette Terre promise.

Dernier point que l’on vit à travers les JMJ mais que l’on vit aussi à longueur d’année : comment créer des "lieux source" ? Parmi tous ces "lieux source", les JMJ peuvent en être un, car on ne peut pas comprendre le mystère du Christ en restant à l’extérieur comme des spectateurs. J’en reviens à ma jeune fille d’Orléans qui me dit qu’elle a besoin d’expérimenter cette vie en Eglise, expérimenter des "lieux source". Je pense que de tels rassemblements sont en complémentarité avec notre pastorale habituelle, notre accompagnement au jour le jour. C’est le lieu où on peut faire entendre un appel radical "N’ayez pas peur d’être des saints", disait Jean Paul II à St Jacques de Compostelle. Du point de vue de cet appel radical à l’Evangile, comme cet aspect de rencontre inter-culturelle et cette construction de la paix, il me semble que ces JMJ peuvent être une utopie mobilisatrice. On a besoin de voir grand de temps en temps. Et au cœur de ces journées mondiales on a voulu, justement, que le service des vocations ne soit pas une niche parmi d’autres mais ait une place centrale.