Les réactions des communautés chrétiennes face à la crise


Attitudes tendant à se poser en victimes

15. On est en train de prendre de plus en plus conscience que le problème des vocations n’est pas une question marginale dans l’Eglise, mais bien la perspective unificatrice de toute la pastorale. Et ce n’est pas tout : penser aux vocations signifie penser à l’avenir. Cette conscience grandissante entraîne cependant des attitudes contrastées au sein de l’Eglise et des communautés religieuses.
De nombreux agents pastoraux et des Evêques en particulier sont en train de prendre conscience que la pastorale des vocations représente le ministère le plus difficile et le plus délicat par rapport à d’autres au sein de la communauté chrétienne. Car il ne s’agit pas de toucher des personnes et des jeunes pour un engagement "ad tempus", mais pour un engagement qui dure toute la vie.

Devant une perspective si exigeante de service éducatif, patient et délicat, qui doit prendre en compte de longues périodes et avec des résultats pas toujours proportionnels aux efforts accomplis, de nombreux éducateurs se laissent décourager et préfèrent d’autres services ecclésiaux. D’où une rotation assez rapide des animateurs des vocations dans beaucoup d’Eglises. Cette attitude de découragement, consistant à attendre avec résignation des temps meilleurs, se rencontre dans bien des communautés. Parfois une sorte de fatalisme historique est également allégué pour justifier un désengagement et pour déléguer les efforts à d’autres.

16. Le manque de vocations dans certaines communautés religieuses est bien souvent la cause d’un profond malaise, qui va jusqu’à provoquer chez les personnes consacrées des attitudes tendant à se poser en victimes, surtout au niveau féminin. On pense que le manque de vocations nouvelles n’est que la conséquence de fautes personnelles ou de choix erronés ou peu courageux à l’intérieur des familles religieuses. D’où la résignation à un lent déclin qui conduit à vivre peu sereinement sa propre consécration au Seigneur, surtout à un âge avancé.

Les Conférences qui présentent la situation d’une manière exagérément négative ne manquent pas (ex. : la Suisse de langue allemande). Ceux qui voient dans l’obligation du célibat un obstacle négatif aux vocations ne manquent pas non plus (ex. : la Suisse de langue allemande, les pays Scandinaves).

Réactions positives

17. A côté de ces comportements problématiques, il faut relever une attention pastorale croissante et positive au problème des vocations. La prière pour les vocations est très répandue, sous forme d’invocation personnelle et communautaire. Dans les communautés chrétiennes la conscience que les dons de Dieu ont besoin d’un tissu positif d’une foi accueillante et généreuse se propage. La journée mondiale de prière est très intensément vécue dans beaucoup de pays.

Ainsi, une plus grande vigueur au niveau des projets se fait jour autour d’un problème pastoral considéré comme central pour la vie de nos Eglises. Ceci se passe surtout au niveau diocésain, là où la pastorale de la jeunesse commence à découvrir, d’une façon explicite, son caractère vocationnel par nature.

La difficulté majeure est de porter ou de susciter la proposition et la conception de projets vocationnels dans les couches périphériques des communautés paroissiales. Le problème est de créer une osmose entre l’Eglise particulière et la paroisse, entre les diocèses et les groupes (mouvements et associations) ou entre les communautés religieuses et les instituts séculiers qui travaillent sur le territoire.

L’Europe occidentale face à la crise

18. Les Conférences épiscopales d’Europe occidentale déclarent en général souffrir aujourd’hui encore de la crise des vocations de ces derniers temps. Les statistiques envoyées par les différents pays mettent clairement en évidence la tendance à la diminution numérique de ces dernières années, par ex : l’Autriche, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et la Suisse.

Il peut être très intéressant de constater comment les différents pays jugent leurs situations et quelles sont les attitudes adoptées face aux difficultés. Par exemple, la Belgique fait observer que la crise devient toujours plus grave, surtout dans les diocèses flamands ; c’est-à-dire dans ceux qui, il y a encore cinq ans, comptaient un nombre très élevé de vocations. L’épiscopat autrichien déclare qu’en 1995 on a atteint le seuil minimum d’entrées de candidats dans les séminaires depuis 1945. La même constatation est faite pour les nouvelles entrées de candidats à la vie religieuse masculine et féminine. Les statistiques de 1994 sont considérées comme les plus basses en Grande-Bretagne ces dix dernières années.

Voici ce que relève l’épiscopat croate : " Hélas, à partir des statistiques, on ne peut pas affirmer que des tendances claires se dégagent en faveur d’une augmentation des vocations. Nous pourrions plutôt dire que la situation demeure stable ces dernières années ; mais toujours avec un nombre de prêtres disproportionné par rapport aux nécessités des communautés qui se trouvent devant les possibilités offertes par l’Etat démocratique qui vient d’être créé ".

D’autres pays, comme l’Autriche, la Bosnie-Herzégovine, la Belgique, l’Allemagne, la Grande-Bretagne s’accordent avec la Croatie : à savoir qu’ils affirment ne pas pouvoir inverser la tendance en sens positif dans leurs Eglises locales. Un des problèmes relevés par la plupart d’entre eux est l’âge moyen des prêtres. Cette situation préoccupe plusieurs épiscopats ; par exemple, ceux de la Slovaquie et de la Hongrie font observer que 60 % de leurs prêtres ont plus de 60 ans et que les ressources actuelles ne parviennent pas à contrebalancer ce déclin.

La Grande-Bretagne souligne les efforts importants réalisés en matière de vocations de la part des laïcs.

Dans certains pays, comme l’Espagne, de nombreux évêques ont fait revenir dans leurs diocèses des séminaristes qui se trouvaient dans un autre diocèse pour des raisons de formation, considérant cela comme un avantage, aussi bien pour les séminaristes que pour la pastorale des vocations. Ceci a entraîné la préparation de nouveaux formateurs et professeurs. En outre, on a constaté une réelle augmentation des vocations, quantitative et qualitative.

Dans les nations d’Europe occidentale, les germes de nouvelles vocations sont surtout liés à un travail assidu et constant de pastorale, qui a déjà tracé un sillon profond dans la période de l’après-Concile. Aussi la crise et la reprise des vocations présentent-elles une image singulière, très parsemée. Dans bon nombre d’Eglises particulières, là où par le passé un important travail a déjà été accompli, les fruits ne manquent pas. Même si les nouvelles vocations ne sont pas numériquement proportionnelles aux vides qui se créent en raison du vieillissement démographique des prêtres et des personnes consacrées.

La tendance des vocations semble en outre mettre en évidence une sympathie grandissante en direction de choix radicaux, comme en témoigne la présence notoire de jeunes dans les communautés monastiques de vieille tradition ou dans les nouvelles formes de vie consacrée.

L’Europe de l’Est et le post-communisme

19. Les Conférences épiscopales de l’Est européen soulignent qu’elles ne se sont libérées du communisme que depuis 1989. Les longues années de régime totalitaire ont également eu des effets dévastateurs dans le domaine des vocations (c’est ainsi que s’expriment par ex. la Bulgarie, la Pologne, la Hongrie, etc.). Toujours dans l’Est européen, seuls quelques pays enregistrent des tendances nettes d’augmentation des vocations. La majeure partie des nations, avec un clergé autochtone insuffisant, sont engagées dans une phase de mise en place d’une pastorale des vocations. On ne voit pas, cependant, quand ces Eglises pourront avoir un personnel suffisant. Au niveau qualitatif les effets de l’absence ou de l’empêchement d’éducation religieuse se font sentir aussi chez ceux qui répondent à la vocation au ministère ordonné et aux autres formes de vie consacrée (Bulgarie).

La Conférence épiscopale roumaine dresse un bilan qui vaut aussi pour d’autres situations similaires. Elle fait observer que l’accroissement est dû à la liberté dont jouit l’Eglise depuis 1989. Jusqu’à cette année-là, le régime appliquait un "numerus clausus". La pastorale des vocations "non clandestine" pour les catholiques de rite oriental (gréco-catholiques) connaît un nouvel élan. Les difficultés majeures que mettent en évidence les pays de l’Est sont les suivantes : "Le manque d’églises, les problèmes de réorganisation, le manque de professeurs de théologie dans les grands séminaires". Le catholicisme de Roumanie souffre beaucoup du fait que selon la Constitution les écoles "confessionnelles" ne sont pas reconnues, car elles ne sont considérées que comme des écoles privées, donc non soutenues par l’Etat. De la sorte, les petits séminaires ou les écoles catholiques d’où provient la majorité des séminaristes sont désavantagés.

Dans la Biélorussie, les jeunes gens et les jeunes filles qui veulent consacrer leur vie au Seigneur prennent des contacts secrets avec les prêtres, les religieux et les religieuses et, selon les possibilités, sont formés à la vie consacrée.

En tout cas, assister à la reprise des vocations, surtout dans les nations qui se sont affranchies des régimes totalitaires, est un signe d’espérance tout à fait fondée. D semble que ce souffle de liberté ouvre aussi des perspectives prometteuses dans le sens d’une vie consacrée au Seigneur.

Situations particulières

20. Le Congrès ne peut pas oublier certaines situations particulières, comme celle qu’a exposée la Conférence épiscopale de Turquie : "L’Eglise catholique en Turquie est constituée de six Eglises de rite différent (arménien, syrien chaldéen, gréco-byzantin, latin, maronite). Depuis 10 à 15 ans, nous assistons à une émigration en masse des catholiques vers l’étranger. L’Eglise gréco-byzantine est réduite à quelques personnes et l’Ordinaire est le seul prêtre, par ailleurs assez âgé.
L’Ordinaire de l’Eglise syrienne est âgé et marié. L’Ordinaire de l’Eglise chaldéenne est relativement jeune, mais il est marié et a une famille nombreuse. L’optimisme proclamé plus haut au sujet des vocations est tout à fait relatif ".

"En Croatie, un des principaux problèmes est l’urbanisme. A l’époque du communisme, les villages ont à peu près disparu. Le communisme a répandu une idée négative de l’Eglise, des prêtres et des religieux. Ensuite, il y a eu la guerre qui, ces dernières années, a entraîné des situations d’exil. De nombreuses familles sont parties à l’étranger, ce qui a eu des conséquences sur la diminution du nombre des candidats".

Une certaine inversion de tendance

21. La tendance à l’augmentation des vocations - enregistrée dans plusieurs diocèses - est le résultat d’une donnée précise : dans les diocèses où l’on travaille méthodiquement depuis des années, avec constance et continuité, en suivant un projet bien spécifique ou un plan diocésain, des résultats encourageants au niveau des vocations sont observés.

Quelques rares Conférences épiscopales relèvent aussi une certaine tendance à l’augmentation des vocations. Par ex. : la Slovénie, Malte, la Roumanie et la Hongrie. Cette dernière fait observer que les vocations dans les diocèses de rite gréco-catholique ont un niveau bien meilleur que celui des diocèses de rite latin.

Parmi les signes évidents d’inversion de tendance vers une situation plus positive, plusieurs Eglises locales indiquent les suivants : reprise de la direction spirituelle et plus grand courage de la part des prêtres pour proposer les vocations ; augmentation de la prière pour les vocations ; plus grande collaboration des religieux avec le Centre Diocésain des Vocations ; sympathie envers ceux qui font des choix vocationnels ; augmentation des séminaristes diocésains et accroissement d’intérêt pour la vie consacrée chez les jeunes ; davantage d’espaces et d’initiatives à caractère vocationnel ; orientation pastorale explicite de la pastorale des jeunes et présence ordinaire du thème des vocations dans les itinéraires catéchétiques.

Quoi qu’il en soit, les légères augmentations numériques au niveau des vocations dans certaines régions ne sont pas proportionnelles à la croissance de la population et à l’attention pastorale requise dans les paroisses. La Roumanie est l’une des rares nations qui estime, pour l’instant, connaître une "augmentation numérique proportionnelle aux besoins des communautés".