Eléments problématiques du monde des jeunes


Complexité et aspects contradictoires

30. La toile de fond de la tendance vocationnelle de la dernière décennie est bien entendu le monde de la jeunesse, dans toute sa complexité et avec ses aspects contradictoires. La catégorie à travers laquelle il est possible d’évoquer la réalité des jeunes dans une perspective de vocations est celle de "l’ambivalence". Il est difficile de trouver des catégories de synthèse et globales pour décrire le monde des jeunes et son projet face à la vie. Nous pouvons toutefois relever certains éléments.

Avant tout, les aspects les plus problématiques ou négatifs. On observe un peu partout que les jeunes sont le symbole de la culture du "subjectivisme" et ses victimes les plus vulnérables. Cette culture, fortement hédoniste, fait du sujet le critère et la mesure de tout choix de vie à l’enseigne de la sensation pure. L’hégémonie mortifiante du subjectivisme rend extrêmement ardu l’accueil d’un projet de vie objectif dans le sens de l’auto transcendance évangélique. La Parole de Dieu elle-même est souvent filtrée selon des critères subjectifs et sélectifs. Un projet de vie tendant à "perdre sa vie pour la retrouver" est considéré comme une limitation de la liberté personnelle et est écarté.

31. Dans une culture conditionnée par le subjectivisme, "l’interrogation" des jeunes face à la vie et à l’avenir apparaît bien faible. Nous vivons dans une culture des réponses, non pas tant par rapport à des questions profondes mais à des besoins souvent provoqués artificiellement et gratifiants pour lesquels les interrogations les plus vraies apparaissent encore plus difficiles. En somme, la crise des vocations s’enracine dans la pauvreté et la faiblesse des questions que se posent les jeunes. D’où le manque de signification de propositions fortes qui semblent souvent tout simplement ne pas les intéresser.

Chez les jeunes se posant peu de questions, l’habitude de gratifier l’image de soi augmente d’une façon exagérée : cela consiste à paraître, à faire bonne impression, à exhiber ses qualités extérieures, comme le corps, les capacités sportives, intellectuelles ou artistiques. La vie est bâtie sur l’image, l’avoir, la carrière, l’affirmation de soi. On vit ainsi aux antipodes d’une existence à jouer selon la logique du don. On construit sur du sable.

Enfin, les jeunes de l’image recourent au mirage des "émotions", des expériences au pluriel. Ils passent d’une expérience à l’autre. Non seulement pour les expériences négatives, mais aussi pour les expériences spirituelles. Ils ont du mal à passer des expériences aux décisions, aux chemins de formation pour construire un projet de vie sur des valeurs solides.

La sécularisation et le matérialisme dominants dans la culture de la société contemporaine ont conduit à l’affaiblissement du sens moral et à la fragilité de la vie de foi. Cela rend la proposition de la vie religieuse peu attrayante.

La situation des familles désagrégées, le petit nombre "d’enfants" et les obstacles que mettent aussi les familles chrétiennes à un choix de "sequela radicale" du Seigneur constituent autant de conditions difficiles pour la croissance et l’accompagnement des vocations.

Les jeunes sont la cible d’une grande quantité de stimuli, abasourdis par mille voix et informations discordantes, sans points de référence, assaillis par les peurs et les angoisses ; ils baissent souvent les yeux sur l’horizon pauvre et inquiétant de leur vie et leur seul intérêt semble être de se mettre en valeur, avec un individualisme qui les tient à l’écart du monde, de la société et de la politique. Pour eux, sur le grand marché du pluralisme culturel et moral de notre société, où des valeurs diverses et contrastées sont proposées, sans hiérarchies précises, il est facile de se créer une petite morale et une petite foi, partielles, relatives... mais à eux. D’où la difficulté d’instaurer de véritables rapports d’éducation et de projet.

32. S’il existe des facteurs négatifs ou gravement problématiques pour une recherche de vocation, on ne manque pas toutefois de voir apparaître de "nouvelles valeurs" ou des sensibilités positives qui entretiennent des liens étroits avec la vie-vocation.

Dans plusieurs secteurs du monde des jeunes, on relève une sympathie très claire pour la vie conçue comme valeur absolue, sacrée, et en même temps comme expérience qui a besoin d’un sens. On constate une large participation à des expériences de solidarité et d’amour des plus petits, le refus d’une existence qui ne serait pas authentique, équilibrée par un besoin de justice et d’ouverture aux autres, notamment à l’échelle mondiale. De même qu’il existe une grande nostalgie du "profond ", du silence, de la prière, qui constituent quelques-unes des prémisses les plus fécondes pour une proposition efficace d’un grand projet de vie.

Du point de vue vocationnel aussi, une nette sympathie ressort chez les jeunes pour des "modèles" qui se rattachent clairement et radicalement à l’incarnation des valeurs évangéliques ; c’est ce qui explique, en ce sens, l’intérêt diffus pour la figure de Jésus, non seulement comme leader parmi d’autres, mais du point de vue de son mystère de Fils de Dieu mort et ressuscité.

La pastorale des vocations oscille souvent entre deux extrêmes face à une jeunesse contradictoire et complexe : soit elle ignore les dynamiques de la psychologie en faisant des propositions qui n’interrogent pas ou qui n’intéressent pas, soit elle reste apeurée en laissant de côté des cheminements sérieux vers une perspective vocationnelle, et se ressent de ne proposer que des expériences sans décisions pour la vie.