Probables visages du prêtre de demain...


Voici la transcription partielle de l’échange entre Mgr Gilson , archevêque de Sens-Auxerre, et le P. Charles Bonnet, supérieur du séminaire d’Issy-les-Moulineaux lors d’une interview dirigée par Bertrand Révillon pour "Le jour du Seigneur" le 23 juin 1996.

B.R. : Mgr Gilson, vous qui êtes aussi l’évêque des 24 h. du Mans, vous confirmez cette métaphore autoroutière : "les vocations c’est mieux si ça passe chez les autres" ?

Mgr G. : Oui et non. On a vu encore tout à l’heure, dans les informations que vous avez données, qu’il y avait aussi crise dans le monde et que, si l’Eglise est vraiment une portion d’humanité, il n’est pas extraordinaire que nous subissions aussi la crise. Nous sommes incarnés.

Je trouve que la crise des vocations n’est pas la crise de l’appel de Dieu. Il y a beaucoup de jeunes qui sont habités par ce désir de Dieu et qui sont heureux d’en être habité. Mais c’est la crise de l’Eglise et nous devons la porter, la travailler et la résoudre. (...)

B.R. : Comment expliquez-vous, vous, que, globalement, des français disent que le prêtre est quelqu’un de bien et qu’il n’y a pas de candidat ?

Mgr G. : Je crois qu’il y a des candidats. Mais tant que l’on n’aura pas renouvelé, fait totalement la mutation de notre Eglise pour en faire d’abord une communauté. Et dans cette communauté, il y a des laïcs responsables, il y a des diacres, on oublie de le dire. Il y a aujourd’hui autant de diacres permanents mariés, ordonnés, pour le service de la communauté, le service de la mission et le témoignage de la charité, qu’il y a d’ordinations de prêtres. On bute, on ne faillit pas. (...)

B.R. : Moins de la moitié des français estiment que le prêtre est quelqu’un d’heureux et d’épanoui...

Mgr G. : Ce n’est pas, à mon avis, une question qui est de bonne vue, parce que le bonheur en fait, qu’est-ce que c’est ? Est-ce que tous les mariés, les pères de famille sont heureux ?... Est-ce que tous les chefs d’Entreprises sont heureux ? Est-ce que tous les politiques sont heureux ? Ce n’est pas un problème de bonheur au sens qu’on est heureux comme si on était allongé sur une plage, en plein soleil, au bord de l’Atlantique.

Le bonheur, c’est le bonheur des Béatitudes. Je crois que tous les prêtres vivent profondément l’évangile des Béatitudes aujourd’hui.

B.R. : Père Charles Bonnet, vous êtes supérieur du séminaire du second cycle d’Issy-les-Moulineaux : le critère bonheur c’est important ou pas ?

Ch. B. : Oui ... si on leur demande le bonheur des autres ? Je ne sais pas. Mais si on leur demande à eux : êtes-vous heureux ? Oui, ils n’ont pas envie de s’engager dans une vie triste. Je crois que si vous venez au séminaire d’Issy-les-Moulineaux, vous verrez des hommes heureux et qui ont envie de le rester.

B.R. : Alors les séminaristes qui arrivent chez vous... à quel âge ? ils ont fait des études... quel est leur profil ?

Ch. B. : II n’y a pas de profil type du séminariste. On a moins de séminaristes qu’autrefois mais on a des profils plus variés, rien qu’au point de vue âge : on entre au séminaire à 19/20 ans, au second cycle à 23 ans et ça peut aller jusqu’à 40/50 ans. Donc un âge très varié.

Au point de vue parcours d’études vous avez des gens qui ont bac + 2, bac + 3, bac + 5, qui sont ingénieurs et qui ont déjà travaillé. Vous avez des gens qui auront été garagistes, cuisiniers ou autres et qui sont aussi volontaires. Donc pour parler des séminaires, c’est que l’on a un public extrêmement varié, avec des parcours variés, et des mentalités variées aussi.

B.R. : (...) On avance toujours la fameuse question du célibat. Est-ce que vous percevez une évolution ?

Ch. B. : Je ne sais pas si c’est un frein mais quand ils entrent au séminaire, moi je les vois, ils sont décidés à vivre leur vie de prêtre à travers le célibat. La question que je ne sais pas : ceux qui n’entrent pas au séminaire est-ce à cause de cela ?

En fait je ne suis pas sûr que c’est cela qui pèse le plus. Il y a à s’engager pour toute la vie, il y a à porter le poids de l’Eglise, il y a beaucoup d’autres choses qui jouent. Et quand des gens sont prêts à risquer leur vie pour le Christ, à se donner, à s’y donner à plein temps, finalement à travers le célibat ce n’est pas la première question pour ceux qui entrent.

B.R. : Ce n’est quand même pas, Monseigneur, quelque chose de facile aujourd’hui à vivre dans la société...

Mgr G. : Oui, mais cela n’est pas seulement un problème des prêtres aujourd’hui. Il y a beaucoup de célibataires dans notre société, d’hommes et de femmes qui essaient de vivre leur sexualité, leur affectivité comme elles peuvent. Je trouve que le vrai problème de notre société n’est pas auprès de ceux qui sont au séminaire. Il est vraiment dans la société, sur le statut de la sexualité, du mariage, de l’amour humain, de la paternité, etc. et ces hommes qui entrent au séminaire, ils vivent aussi cette dimension-là, pas plus. Peut-être mieux à mon avis.

B.R. : Est-ce que le modèle du prêtre seul dans son presbytère n’est pas un modèle dépassé ?

Mgr G. : Oui, c’est un modèle dépassé parce que c’est la communauté villageoise qui est dépassée. Et nous sommes en train de faire, dans la France entière, la réforme des paroisses du monde rural. Vous savez qu’il n’y aura plus de petites paroisses de 220-300 habitants, autour d’un clocher, comme la poule avec ses poussins, qu’on a connu pendant dix siècles.

Donc le prêtre est à la fois, un peu comme l’évêque, un itinérant, il ira de groupe en groupe, de communauté en communauté et, en même temps, un homme inséré quelque part - peut-être par le travail, pourquoi pas ? - mais inséré comme le pasteur de cette communauté.

A mon avis le prêtre de demain, je le vois dans trois dimensions : d’abord un homme de Dieu. Car la grande question qui est posée à notre société : est-ce que Dieu existe ou n’existe-t-il pas ? et les livres récents de Jean Daniel ou Luc ferry nous introduisent dans cette question. On n’ose pas le dire, on dit "valeur", on dit ceci, on dit "transcendance", on dit...

B.R. : ..."valeur spirituelle".

Mgr G. : ...et donc le prêtre sera un homme du spirituel. Cela me frappe beaucoup chez les prêtres aujourd’hui, lorsqu’on les rencontre ils disent : donnez-nous du temps, de la proximité, de vivre avec les gens, de les écouter, de les orienter, de les pardonner, de leur partager la parole de l’Evangile, d’être des hommes de proximité... et non pas des hommes d’état-major.

La deuxième dimension des prêtres, c’est qu’ils ne travailleront jamais seuls. Maintenant on a joué la co-responsabilité, c’est un peu comme ma main... il y a tant de doigts et une main qui n’aurait pas tous les doigts, ce n’est pas une bonne main.

B.R. : II y a des laïcs, des diacres...

Mgr G. : il y a des diacres, évidemment ; il y a des religieux, des religieuses et il y a des prêtres. Et, j’ose ajouter il y a l’évêque aussi...

Et la troisième dimension c’est que les prêtres, demain, vivront beaucoup plus de moments exceptionnels dans un Presbyterium, une fraternité de prêtres autour de l’évêque. Moi je rêve que trois jours par mois on aille au vert et qu’on se retrouve ensemble pour prier, pour s’amuser aussi, pour être des frères ensemble... pour se détendre, pour se reposer, pour faire vraiment une communauté d’hommes engagés.

B.R. : Et vous, Charles Bonnet, vos séminaristes vous les préparez à quoi ?

Ch.B. : La question de ce qui va se passer demain, moi je ne sais pas. Je me rappelle que lorsque j’étais séminariste, puis prêtre, je n’imaginais pas que les choses se passeraient comme cela ! Alors lorsque les séminaristes me demandent ce que l’on fera demain... Il va s’en passer des choses. Je n’ai pas envie de les adapter trop à aujourd’hui ni même à l’an 2000. J’ai envie d’en faire des hommes "adaptables", c’est-à-dire des hommes qui sauront inventer, imaginer. Je tiens beaucoup à ce mot "d’inventer". Inventer, imaginer dans des situations de crise, de pénurie, une façon d’être prêtre. Et c’est là que je rejoins le P. Gilson. Je crois que si on a des gens qui sont des croyants et en plus des hommes de l’Evangile qui sont des hommes apostoliques, ils trouveront toujours les moyens de remplir leur ministère.

B.R. : Je voudrais demander à l’évêque et au supérieur de séminaire quels sont les critères, entre guillemets, de recrutement. Comment vous choisissez, vous laissez entrer quelqu’un au séminaire ?

Mgr G. : Je ne suis pas supérieur de séminaire mais je veux bien répondre. Je dirais : un homme de foi est un homme qui aime le monde. "Dieu a tant aimé le monde qu’il nous a envoyé son Fils". S’il n’accepte pas cette parole d’Evangile, il ne peut pas entrer au séminaire.

Ch.B. : Je reçois ceux que l’on m’envoie. Mon travail, après, est de dire aux gens qui désirent être prêtre : est-ce que ce désir est sain ? Est-ce qu’il a les aptitudes nécessaires pour remplir la fonction qui est la sienne ? Je suis bien d’accord avec ce que disais le P. Gilson : un homme de foi. Je dirai aussi un homme de collaboration, un homme qui est capable de vivre avec d’autres, de collaborer avec d’autres, de faire travailler d’autres. Et c’est vrai, quand on hésite à propos de quelqu’un, ce n’est pas sur la foi, sur la vie de prière, mais c’est sur la forme de son caractère qui va faire qu’il aura, ou pas, de la peine à entrer en collaboration avec d’autres prêtres et avec les chrétiens avec qui il travaillera.

Mgr G. : Qui est sûr de garantir l’avenir d’un jeune qui passe des diplômes, et en ce moment le bac ? Personne. Nous on a une garantie, c’est l’Evangile. Si tu lis l’Evangile et si tu te sens vraiment enraciné dans cette parole, alors vas-y.

Ch.B. : Moi qui fais souvent des mariages, et pas seulement des prêtres, je n’ai jamais trouvé la garantie pour quelqu’un qui se marie qu’il va être heureux toute sa vie ; c’est même mon interrogation quelquefois. Et je me dis que se préparer pendant six ans à cette vie, cela vaut mieux que quelques semaines ou un mois pour un mariage, finalement. On prend au sérieux la vie et on essaie de préparer les gens à ne pas s’engager dans des impasses.

B.R. : Mgr Gilson, combien aurez-vous de prêtres dans votre diocèse, en l’an 2000 ?

Mgr G. : Sans doute une centaine. Il en faut, à mon avis, 125. Il manquera 25 prêtres pour le bon service de ce diocèse. Il y en avait 400 au début de ce siècle. On vient de m’apprendre que trois jeunes allaient entrer au séminaire : il y a 14 séminaristes. Je crois que là-dessus il ne faut pas paniquer. Il faut 125 prêtres, et avec les laïcs, les diacres, les religieux, les religieuses on peut bien servir l’Evangile dans un département comme le nôtre.

Ch.B. : Cent prêtres ! J’ai connu dans des coins d’Afrique des diocèses qui vivent avec peu de prêtres et même avec trois prêtres. C’est très difficile de savoir combien il faut de prêtres ! Ce que je veux dire, c’est que la crise de la société, la crise de l’Eglise, ça n’est pas terminé. Et je crois qu’au niveau du presbytérat, on est en train de tracer des chemins.