La Fraternité Nazareth, ŕ Paris


Par le Père Bernard Thomasset, mariste.

Voici six ans , ma congrégation la Société de Marie, m’a confié la responsabilité d’accueillir des jeunes à la fraternité Nazareth. Celle-ci réside en plein Paris, à deux pas de la tour Montparnasse, dans un lieu apostolique qu’animé une communauté de Pères Maristes, à laquelle je participe. Il s’agit pour moi d’accompagner ceux qui viennent ici, une année durant, pour entrer dans un chemin de discernement de leur vocation dans l’Eglise. J’y ai accueilli, selon les années, de un à sept jeunes.

La proposition de la fraternité Nazareth

La décision a été prise en 1988 par le Conseil de Province. Il s’agissait de "créer une communauté de jeunes hommes, pour une durée déterminée, avec des exigences communes (prière, projet, finances), en vue de les aider à discerner leur vocation au service de l’Eglise". Bien sûr, nous espérions que, de là, pourraient naître ou être accompagnées des vocations pour la congrégation ; si ce fut la raison de cette création, ce n’en fut cependant pas l’objectif. On dégagea alors les moyens nécessaires à sa réalisation : la nomination d’un religieux chargé de mettre en œuvre le projet, le choix d’une communauté solidaire du projet, la mise à disposition d’un appartement pouvant recevoir les jeunes, et les engagements financiers (travaux, indemnité pour le responsable). C’est ainsi qu’après la mise au point d’un projet en concertation avec diverses instances de la province, fut lancée la Fraternité Nazareth en septembre 1990. Celle-ci, depuis sa création, fait régulièrement "objet d’une évaluation en Conseil Provincial.

La proposition de la fraternité Nazareth

La fraternité Nazareth est ouverte à des jeunes hommes entre 20 et 30 ans qui, désirant engager leur vie à la suite du Christ, veulent discerner à quelle vocation Dieu les appelle au service de leurs frères. La proposition est précise : le discernement d’un engagement de vie, qui veut vérifier ou, au moins, n’exclut pas l’éventualité d’une vocation religieuse ou sacerdotale.

Il leur est donc offert de s’engager, une année durant, dans une véritable expérience, personnelle et communautaire. Les moyens proposés sont destinés à favoriser pour les jeunes une meilleure perception des appels de Dieu dans leur vie, des enjeux de la vocation qu’ils croient pressentir, et à éclairer ainsi le discernement qu’ils espèrent. De sorte qu’ils puissent choisir leur orientation le plus librement possible.

Condition de leur liberté dans le cheminement qu’ils entreprennent, les jeunes doivent effectivement suivre des études ou exercer un travail rémunéré. Financièrement, ils paient leur hébergement (correspondant au prix d’une chambre d’étudiant et modulable selon leur situation, ainsi que leurs frais de téléphone ; ils partagent mensuellement avec les autres membres de la fraternité les dépenses communes (nourriture, au prorata des repas pris par chacun, et entretien). Tout en continuant leurs études ou leur vie professionnelle, les jeunes sont donc invités pendant une année - de septembre à juin - à entrer dans une double démarche :

Une démarche personnelle
Celle-ci est clairement définie lors de l’entretien préalable avec les candidats. Il concerne le sérieux dans les études ou la tâche professionnelle, l’investissement dans la vie communautaire, le choix d’un service ecclésial ou caritatif, un temps quotidien de prière personnelle, l’acceptation d’un accompagnement pour la vie spirituelle. De plus, chacun s’engage à faire une retraite au cours de l’année. L’évaluation de ces diverses composantes de l’engagement personnel est faite mensuellement avec le religieux responsable de la fraternité
Lorsqu’un candidat se présente, le responsable de la fraternité le rencontre longuement. Il entend sa demande, son itinéraire, sa recherche, ses motivations. Il lui présente le projet de la fraternité dans son esprit et ses modalités concrètes, et les exigences de l’expérience proposée. Déjà un discernement peut être opéré ensemble : le projet de la fraternité correspond-il à l’attente réelle du jeune et à la démarche qu’il veut engager ? Aucun engagement n’est cependant pris au terme de la rencontre.
C’est de retour chez lui que, s’il décide de participer à la fraternité, le candidat est invité à en faire la demande dans une lettre où il précise ses motivations, son accord avec le projet et éventuellement ses attentes plus particulières. Une réponse écrite lui confirme alors ou non son acceptation.

Une vie communautaire
La fraternité habite un appartement, comportant chambres, cuisine, salle à manger et salle de réunion, dans lequel j’ai moi-même mon bureau.
Leur vie commune, autonome par rapport à la communauté mariste qui réside à un autre étage de la maison, comporte tous les aspects d’une vie quotidienne partagée : la prière du matin avec les religieux de la communauté, les repas du soir et du week-end que j’ai partagés plusieurs années avec eux, les services (courses, repas, entretien), les rencontres informelles, l’accueil des amis... Chaque semaine, ils se retrouvent pour une eucharistie et une rencontre organisée pour l’échange fraternel, l’approfondissement de la foi et la rencontre de personnes diversement engagées dans l’Eglise.

La fraternité vit aussi ses temps forts : un week-end en septembre, où les nouveaux arrivants prennent le temps de faire connaissance et d’organiser la vie du groupe par l’établissement d’une charte ; et deux autres week-ends dans l’année pour une reprise spirituelle, l’approfondissement d’une question de foi ou de vie d’Eglise, un point sur la vie communautaire.

Quand ils sont moins de trois - à trois reprises la situation s’est présentée - les jeunes partagent leur repas avec les religieux de la communauté mariste.

Qui sont-ils donc, ces jeunes ?

Ils sont dix-sept à être venus en six ans, quatre ont été orientés par des confrères maristes. Les treize autres ont connu la proposition par les destinataires d’un courrier diffusé à des personnes connues (monastères, aumôniers d’étudiants, accompagnateurs de retraites de jeunes, SDV...), ou par des anciens de la fraternité. Ils sont étudiants pour la plupart, quelques-uns professionnels. Leur âge va de 21 à 30 ans, dont les 3/5 entre 26 et 29 ans.

En arrivant, six envisageaient précisément une vocation religieuse ou sacerdotale, les onze autres étaient dans une recherche très ouverte. Tous se disaient notamment attirés par la proposition de la vie communautaire et de l’accompagnement. A la fin de leur année, cinq se sont orientés vers un institut religieux ou un séminaire, que deux ont quitté depuis ; aucun chez les Pères Maristes. Les autres, reportant à plus tard la décision d’un engagement de vie, ont découvert de manières diverses l’urgence première de se construire humainement : à travers l’acquisition d’une compétence professionnelle ou intellectuelle, le développement d’une vie relationnelle, un engagement social. Parmi eux, trois sont encore en interrogation quant à un engagement religieux ou sacerdotal.

Je veux souligner la générosité et le grand désir de chercher la volonté de Dieu que j’ai trouvés en eux. Leur acceptation d’entrer dans l’aventure proposée, bien sûr, que confirmaient leur investissement, parfois difficile et courageux, dans les propositions faites (prière, accompagnement, vie communautaire) et la vérité parfois bouleversante de leurs paroles dans les entretiens personnels ou les échanges communautaires.
Je souligne aussi quelques traits communs dans leur manière d’appréhender la vie et la foi qui sont, chez beaucoup d’entre eux, autant d’handicaps de départ :

o Ils sont fragiles. Blessés par la vie pour quelques-uns, la plupart n’ont pas encore acquis une structuration humaine suffisante qui leur permette d’être autonomes et de pouvoir s’engager. Dans leur relation au monde, ils s’informent peu et apparaissent très peu concernés par les questions de société et les défis du monde d’aujourd’hui. Ils ne pensent pas spontanément qu’ils ont un rôle à y jouer et un engagement à y prendre. Peu confiants en eux, désorientés par la complexité du monde, à 20-29 ans, pour certains, ils sont encore au seuil d’une orientation pour leur vie.

o Un bon nombre sont au début d’une vie chrétienne : plusieurs parlent de leur "conversion" il y a deux ou trois ans. D’autres, issus de familles chrétiennes, ont été en lien avec des communautés d’Eglise plutôt traditionnelles et identitaires. Leur désir est fort d’une vie spirituelle : ils lisent, ils prient volontiers seuls. Mais leur foi est intimiste et très dépendante de ce qu’ils "ressentent". Ils ont par ailleurs une demande très forte de vie et de prière communautaire.

o Ils n’ont pratiquement aucune expérience d’Eglise concrète, avec ce que cela suppose d’enracinement dans une communauté chrétienne et de participation pour la faire vivre. De plus, ils sont peu sensibles à la dimension apostolique de la vie chrétienne.

Ces observations, à nuancer selon les cas bien sûr, rejoignent ce que d’autres constatent dans cette génération actuelle des 20-30 ans. Une exigence pour nous : être attentifs à leur apporter ce dont ils ont besoin pour structurer leur vie spirituelle et leur permettre d’intégrer toutes les dimensions de la vie chrétienne, en particulier celle de la vie en Eglise et pour le monde.

Pour une évaluation

Voici donc une véritable expérience dans laquelle chacun s’est impliqué. Expérience révélatrice d’aspirations et de résistances, soumise en particulier à l’exigence de la durée et de la fidélité. Occasion de structuration aussi de la vie humaine et spirituelle.
La proposition faite à Nazareth apparaît d’abord largement positive quant aux conditions qu’elle offre pour la maturation de la foi et une aide au discernement. Un questionnaire a été adressé à quatorze jeunes qui ont fait, sur quatre ans, le parcours d’une année. Le point qui est fait ici tient compte de leurs réponses (en italique ci-dessous).

Notre projet a conduit à privilégier :

o L’autonomie de la fraternité par rapport à la communauté mariste locale. Ainsi, "le discernement peut se faire dans un climat de liberté, tout en ayant des contacts étroits pour garder le contexte d’une vie religieuse". Les jeunes ont, de fait, conscience que, loin de les chaperonner, nous sommes au service de leur propre vocation. En outre, cette autonomie responsabilise chacun dans la prise en charge de la vie communautaire et la gestion de son projet.

o Des exigences précises dans un cadre relativement léger et souple. Les exigences convenues dès le départ sont autant de repères qui guident le jeune dans sa démarche tout au long de l’année. Mais le cadre, volontairement léger, laisse à chacun, dans son cheminement, la possibilité d’initiatives et d’engagements personnels évolutifs au fil de l’année, tels, par exemple, le choix de participer à une eucharistie quotidienne ou l’engagement dans un groupe d’initiation théologique ou biblique. D a aussi favorisé des initiatives du groupe : ainsi la décision de temps de prière non prévus initialement ; le choix de week-ends supplémentaires ; un jeûne les vendredis de Carême...

o Le souci d’aider les jeunes à se découvrir eux-mêmes et à discerner une orientation de vie, notamment par l’accompagnement et la relecture de vie qu’il permet, et par les rencontres périodiques du responsable avec chacun, pour faire avec eux le point sur ce qu’ils vivent, les encourager, rappeler parfois quelques exigences. "La qualité de l’accueil, le cadre, les activités au cours de l’année m’ont permis de me situer au regard d’une vie religieuse"... "Cela peut paraître étrange, mais c’est beaucoup plus sur le plan humain que cette année a été importante pour moi."

Regard sur l’engagement personnel
Trois points sont relevés par les jeunes comme ayant été très importants dans leur cheminement :

o L’objectif d’un temps quotidien de prière personnelle. Cela est généralement nouveau pour eux et difficile à vivre. Ils y sont aidés : par des indications d’esprit et de méthode données en groupe, par des échanges entre eux sur leur pratique et leur expérience de la prière, par sa relecture dans l’accompagnement. C’est là qu’ils prennent conscience de leur désir et des appels de Dieu.

o La rencontre régulière avec un accompagnateur. En début d’année, plusieurs accompagnateurs, maristes et autres, sont proposés, le responsable de la fraternité n’en faisant pas partie. Ceux-ci sont invités à un repas avec les jeunes pour faciliter le contact et le choix. Après échange avec le responsable de la fraternité, chacun choisit son accompagnateur. Certains souhaitent parfois continuer un accompagnement commencé l’année précédente. Les rencontres d’accompagnement se mettent alors en place. Il va sans dire que les cloisons sont étanches entre ce qu’ils vivent là et le responsable de la fraternité.

o Le choix d’un engagement de service (animation d’un groupe de catéchèse, équipe liturgique, visite de malades à l’hôpital, participation à une association caritative). C’est pour beaucoup un facteur important d’expérience apostolique et de prise de conscience : "Mon engagement a été un lieu important pour mon discernement : pas à pas, je découvre mieux les dynamismes qui m’habitent". Mais il pose problème chaque année à beaucoup d’autres : difficulté à le choisir, à le prendre, parfois tardivement, et à s’y tenir dans la durée.

Regard sur l’expérience communautaire
Des points forts sont à souligner :

o Les rencontres hebdomadaires. Elles sont centrées chaque semaine sur un objectif particulier : partage de vie du mois écoulé, échange à partir d’une lecture suivie d’un ouvrage de spiritualité (nous avons expérimenté avec intérêt "Joie de croire, joie de vivre" de F. Varillon et "Les choses de la foi" de P. Talée), rencontres de personnes diversement engagées dans l’Eglise, questions proposées par les jeunes eux-mêmes. Ces soirées permettent de partager tout au long de l’année les questions et les prises de conscience de chacun, de nourrir la foi sur des questions majeures et de découvrir la diversité des vocations dans la rencontre des personnes invitées : "Grâce aux multiples rencontres avec différents témoins engagés dans l’Eglise, j’ai pu mieux découvrir les visages de l’Eglise et m’interroger sur l’intérêt qu’ils suscitaient en moi."

o Les week-ends trimestriels, appréciés tant pour le ressourcement personnel et une relecture partagée des évolutions de chacun que pour la cohésion du groupe.

o La prière partagée (le matin avec la communauté mariste, et entre eux une eucharistie hebdomadaire), structurante pour la vie de foi personnelle, mais le seul temps quotidien du matin n’est-il pas trop léger ? Certains jeunes l’ont dit (les groupes ont parfois décidé d’autres temps de prière). Pour d’autres, cela représente déjà un effort réel de fidélité, qu’ils ont du mal à vivre régulièrement.

o La participation du responsable religieux à la vie de la fraternité : celui-ci favorise les relations, joue un rôle de soutien et rappelle, par sa seule présence, le projet du groupe et de chacun.

La vie communautaire est ainsi riche de découvertes : "Nous n’avons pas d’autres choix que d’être vrai vis-à-vis de soi-même et des autres. Voilà un premier élément qui m’a aidé dans mon discernement. Mais il y a aussi les prières en commun avec les pères de la communauté. L’eucharistie du vendredi matin était pour moi le moment le plus intense de ma vie communautaire"..."Cette vie communautaire m’a aidé dans mon cheminement. Elle m’a aidé à prendre conscience de la richesse des autres. En même temps, j’ai mieux compris qui je suis, mes limites et mes pauvretés, mes talents et mes générosités".

Elle ne va pas non plus sans difficultés : pour la plupart, c’est une expérience nouvelle et exigeante. Beaucoup ont de la peine à prendre en charge la vie du groupe : difficulté à assurer les services et à prendre des responsabilités, manque d’initiatives, passivité parfois dans les échanges. Un manque de maturité ? Probablement. Mais cela est peut-être aussi dû à la structure de notre proposition où, malgré tout, beaucoup de données sont déjà prévues ainsi que la présence quotidienne aux repas du responsable religieux sur lequel ils se reposent...

Depuis un an, les religieux, conscients de cet aspect et éprouvant par ailleurs la nécessité de garder un lien communautaire suffisant, ont fait le choix de prendre ensemble le repas du soir. Les jeunes vivent ainsi entre eux tout au long de la semaine. Cette distance nouvelle permet au groupe d’assumer sa vie avec plus de responsabilité et donne aux rencontres hebdomadaires une qualité meilleure de participation.

Evidemment, l’impossibilité de cette vie communautaire, lorsque les jeunes sont moins de trois, est une lacune réelle au regard de l’expérience annoncée. Toutefois, le partage quotidien de leur repas avec les religieux de la communauté est, à travers les échanges qu’ils permettent et l’accueil fréquent de nombreux amis, l’occasion appréciée "de vivre avec une communauté de prêtres-religieux et de découvrir au quotidien leur manière de suivre le Christ dans des engagements variés".

La relation à la communauté religieuse et à ses engagements

Il faut souligner l’importance que revêt, pour l’expérience proposée, le lieu même où est située la fraternité : le "104" et ce qui s’y vit.
Celui-ci donne à voir concrètement le visage d’une communauté religieuse : par la prière partagée, les rencontres organisées ou occasionnelles, l’invitation à ses journées trimestrielles de partage et de prière ouvertes aux laïcs amis ou voisins, les contacts avec les confrères de passage ou les communautés voisines...

Il présente aussi le visage d’une communauté apostolique, engagée à la fois dans l’animation d’une communauté d’Eglise, à la chapelle Notre Dame des Anges - avec ses célébrations, ses rencontres et ses activités diverses, et dans une recherche de présence et de témoignage - au Forum, auprès d’hommes et de femmes en quête de spiritualité et souvent non-chrétiens.

Pour bien des jeunes, dont l’expérience ecclésiale est le plus souvent inexistante ou confirmée, c’est une véritable découverte qu’ils font : celle d’une Eglise en mission et d’un charisme religieux à son service : "Cela a été important pour moi de vivre dans un lieu d’Eglise et de partager un peu la mission d’une communauté"... "Le Forum, s’il a pu me surprendre au début, m’a ensuite beaucoup intéressé : un lieu qui témoigne de l’ouverture de l’Eglise à d’autres expériences de recherches spirituelles". .. "Engagement courageux, car en première ligne sur le monde"... "J’ai pu percevoir un groupe étonnamment dynamique, attaché à développer chez les laïcs une spiritualité mariale, apte, me semble-t-il, à leur faire vivre pleinement leur fidélité au Christ dans la vie quotidienne." Aussi, quelques-uns participent-ils volontiers aux célébrations et aux animations de la chapelle, du Forum.

Mais, il faut le dire aussi, la plupart en sont cependant habituellement absents, comme des propositions de la communauté (eucharisties de midi et journées trimestrielles). Cela manifeste sans doute à nouveau l’extrême difficulté qu’ont les jeunes à s’engager, peut-être leur désir de ne pas trop se lier avec ce que vit la communauté sur place. Leurs appréciations positives permettent cependant de penser que ce qu’ils perçoivent là, contribue à l’ouverture de leur regard sur une Eglise exposée et engagée dans le monde. C’est en tout cas notre intention en choisissant ce lieu pour y établir la fraternité.

Perspectives

Au terme de ces six années, je retiens pour ma part une conviction et quelques points d’attention dans ce ministère d’accompagnement de jeunes en recherche.

- La conviction, c’est que, au lieu où je suis, je ne puis être conduit que par une attitude de gratuité absolue. Si la vocation religieuse - la vocation mariste pour ce qui nous concerne - doit être proposée, et nous le faisons, seul compte le service de la vocation personnelle des jeunes. Ceux-ci sont très seuls dans leur recherche et leurs questions d’avenir. Ils ont besoin de trouver des guides et des propositions qui les aident à prendre la mesure de leur désir, à entrer dans une expérience de foi et de vie d’Eglise, à éprouver leur générosité, et à découvrir en tout cela les appels personnels que Dieu leur adresse.

- Quant aux points d’attention, il en est qui doivent particulièrement, selon moi, requérir notre vigilance :

  • Aider les jeunes à assumer leur vie humaine : la gestion de leur vie affective et relationnelle, la prise en charge de leur vie personnelle dans l’attention au quotidien, la prise progressive de responsabilité sociale et l’intégration de la durée. Cela requiert une compétence toute particulière et des moyens appropriés : apports ou lectures leur donnant des outils de réflexion, intervenants extérieurs, "relecture" partagée de ce qu’ils vivent. Sur ce point, nous avons encore à progresser.

  • Les aider à structurer leur vie spirituelle. Il y a, de notre part, toute une initiation à conduire pour les aider à entrer dans une vie de prière chrétienne : prière à partir de la vie, à partir de l’Ecriture, relecture de ce qui s’y passe, purification d’une trop grande sensibilité... Par ailleurs, il est nécessaire de proposer une catéchèse, à prendre pour certains à la base.

  • Leur permettre une expérience d’Eglise, par la participation régulière, à une communauté locale (liturgie, services, animation). Il y a là beaucoup à faire, tant auprès d’eux qui ont des difficultés à s’impliquer réellement et dans la continuité, que dans le renouveau des communautés chrétiennes pour qu’ils y trouvent leur espace et une vraie responsabilité.

  • Les faire accéder à la conscience de la mission de l’Eglise. Des possibilités leur sont offertes : les engagements demandés, la rencontre en fraternité de personnes engagées dans l’Eglise, l’engagement des maristes au 104... Une difficulté chez nous cependant : l’activité du Forum, où se côtoient des recherches et des croyances très diverses et où la foi peut sembler relativisée, est mal comprise de jeunes en quête d’affirmation chrétienne. Si elle met en avant le souci missionnaire, elle ébranle leur foi encore fragile qui cherche des repères clairs. Contrepoints nécessaires : la prière en communauté et l’activité de la chapelle signifient l’enracinement et la source. Cette préoccupation me paraît particulièrement cruciale aujourd’hui.

Et maintenant

Le regard sur l’expérience menée depuis six ans conduit à penser que la proposition de la fraternité Nazareth répond bien à son projet. Le service rendu aux jeunes est réel : ils le disent. Certains y trouvent le discernement qu’ils sont venus chercher, tous y trouvent une maturation dans leur foi et une meilleure conscience de ce qu’ils se sentent appelés à devenir.

C’est une véritable aventure qui se renouvelle chaque année. Pour les jeunes d’abord : ils vivent là une expérience spirituelle très forte, provoquant bien des déplacements, des déstabilisations parfois, mais aussi des découvertes et des ouvertures décisives, même si, pour beaucoup d’entre eux, le temps n’est pas encore venu d’un engagement de vie. Une aventure pour moi aussi, vivant au rythme de leurs enthousiasmes ou de leurs incertitudes, cherchant en permanence à deviner en chacun les avancées, les difficultés, les combats, pour les accompagner au mieux dans leur recherche. Une aventure pour notre communauté, sans cesse provoquée dans ses exigences de vie religieuse et dans sa disponibilité.

Une question cependant pour notre congrégation : sur ses six ans d’existence, aucun des dix-sept jeunes, qui sont venus à la fraternité, n’a demandé de s’y engager. Cependant, dans l’espoir d’en voir un jour les rejoindre - pourquoi ne pas le dire ? -, et dans le seul souci de continuer de servir les jeunes dans le discernement de leur propre vocation, les Pères Maristes ont décidé de poursuivre cet engagement de la Province. Nous continuons donc.

Autre question : devant le nombre extrêmement réduit des jeunes qui se présentent et qui acceptent de venir à la fraternité, ce qui rend précaire chaque année son existence même, je me suis personnellement demandé s’il ne convenait pas, dans la proposition, d’atténuer l’insistance fait sur le discernement d’une éventuelle vocation religieuse ou sacerdotale, et de la laisser d’emblée très ouverte sur toutes les vocations. Peut-être le groupe s’étofferait-il ! Ce ne fut pas l’avis des jeunes consultés. Ni celui de la Province. Ni le mien finalement. De fait, c’est bien la question clairement ciblée d’une orientation éventuelle de vie religieuse ou sacerdotale qui permet aux jeunes, semble-t-il, de la prendre à bras le corps et qui donne à notre projet son originalité et sa cohérence.

Une autre question encore vaut ici d’être posée, pour nous comme pour toutes les autres propositions de ce type faites par les Instituts religieux et certains diocèses. Nous accueillons peu de jeunes. Plus nombreux sans doute sont ceux qui pourraient être intéressés de connaître ces propositions. N’est-il pas urgent aujourd’hui de nous concerter, entre religieux et avec les SDV, pour que ce service soit mieux identifié, davantage connu et la proposition relayée dans les divers lieux d’Eglise fréquentés par les jeunes ? C’est l’invitation bien venue de ce dossier de "Jeunes et Vocations".

Bernard Thomasset, sm