L’Escale, à Lille
par le Père Raphaël Buyse
Il y a depuis deux ans, dans le paysage pastoral du diocèse de Lille, une nouvelle réalité qui porte le nom d’Escale. C’est une Ecole de l’Evangile pour des jeunes hommes et femmes de 18-28 ans. Pendant dix mois, sans interrompre ce qui fait le quotidien de leur vie (études ou vie professionnelle), des jeunes prennent là le risque de vivre autrement, de se laisser renouveler par la Parole. "Deviens ce que tu es...", c’est le projet de la maison.
L’histoire
L’aventure a commencé il y a presque quatre ans. Elle a pris le temps, sans hâte, de mûrir dans le cœur de l’évêque, de son Conseil et de quelques accompagnateurs de jeunes.
o Au commencement de la recherche : la vie qui appelle.
Des évidences : des jeunes engagés dans des mouvements ou aumôneries, qui manifestent l’envie d’aller puiser aux sources de leur engagement, qui disent - explicitement ou implicitement - souhaiter "charpenter" leur vie d’homme et de disciple du Christ. Des jeunes qui découvrent ou redécouvrent l’Evangile, qui disent et montrent avoir "soif de vie spirituelle", veulent aller de l’avant et structurer leur foi.
o Et puis l’Eglise qui pousse.
Au commencement de l’aventure, il y a aussi ce texte devenu pour l’Escale un texte référence : "Christi fidèles laici". Des paroles qui invitent :
"La vocation à la sainteté, c’est-à-dire la perfection dans la charité, n’est pas une simple exhortation morale, mais une exigence incontournable du mystère de l’Eglise. La vie selon l’Esprit, dont le fruit est la sanctification, suscite en tous les baptisés et en chacun d’eux le désir et l’exigence de suivre et d’imiter Jésus-Christ, en accueillant ses Béatitudes, en écoutant et en méditant la parole de Dieu, en participant de façon consciente et active à la vie liturgique et sacramentelle de l’Eglise, en s’adonnant à la prière individuelle, familiale et communautaire, en s’ouvrant à la faim et à la soif de justice, en pratiquant les commandements de l’amour dans toutes les circonstances de la vie et dans le service de leurs frères, spécialement de ceux qui sont humbles, pauvres et souffrants" (§ .16)
"La jeunesse est le temps d’une découverte particulièrement intense du propre "moi" et du propre "projet de vie" : c’est le temps d’une croissance qui doit se réaliser "en sagesse, âge et grâce devant Dieu et devant les hommes" (§. 46) "Or, pour pouvoir découvrir la volonté concrète du Seigneur sur notre vie, les conditions indispensables sont : l’écoute prompte et docile de la parole de Dieu, la prière fidèle et constante, la relation avec un guide spirituel sage et aimant, la lecture, dans la foi, des dons et des talents reçus et, en même temps, des diverses situations sociales et historiques où l’on est placé" (§. 58)
"Il n’est pas douteux que la formation spirituelle ne doive occuper une place privilégiée dans la vie de chacun, car chacun est appelé à grandir sans cesse dans l’intimité avec Jésus-Christ, dans la conformité à la volonté du Père, dans le dévouement à ses frères dans la charité et la justice.
La formation doctrinale des fidèles se révèle de nos jours de plus en plus urgente, du fait non seulement du dynamisme naturel d’approfondissement de la foi, mais aussi de la nécessité de "rendre raison de l’espérance" qui est en eux en face du monde et de ses problèmes graves et complexes. De là découle une absolue nécessité d’une action systématique de catéchèse, adaptée à l’âge et aux diverses situations de vie, et d’une promotion chrétienne plus résolue de la culture, afin de répondre aux questions éternelles et aux problèmes nouveaux qui agitent l’homme et la société d’aujourd’hui" (§. 59)
o Il fallait inventer...
Prendre à notre compte diocésain, l’invitation du Christ à marcher à sa suite. Proposer à des jeunes un temps privilégié pour entrer en Evangile, devenir plus justement disciple, répondre à son invitation à la sainteté proposée dans tous les états de vie et apprendre à rendre compte de l’espérance qui habite le cœur des croyants.
Il semblait judicieux, en fidélité aux orientations diocésaines, de proposer à des jeunes laïcs pendant quelques mois de modifier le rythme de leur vie afin d’ancrer leur histoire dans la suite du Christ. Mais il fallait trouver un créneau juste, une démarche originale qui n’enlèverait rien à l’authenticité et à la valeur spécifique d’autres lieux d’Eglise. Il s’agissait d’offrir à ceux qui le voudraient une expérience de renouvellement de la foi.
C’est donc sur "commande" diocésaine qu’une équipe s’est formée, a mis au point un premier projet, a entamé de longues consultations auprès des responsables de mouvements, aumôneries, et accompagnateurs de jeunes de toutes sensibilités. Au fil des mois et des rencontres, le projet s’est affiné. Et au printemps 1994, l’invitation devenait officielle.
"On peut, écrivait alors le P. Vilnet, apprendre une langue dans des livres, qui accoutument au vocabulaire et à la syntaxe, ou en écoutant des cassettes qui permettent de se familiariser avec la prononciation. On peut aussi faire des exercices de conversation avec quelqu’un dont c’est la langue maternelle. Rien ne remplace toutefois un séjour dans le pays même où cette langue est le parler courant. .. Nous proposons aux jeunes, qui seraient intéressés, un séjour, en équipe, avec des accompagnateurs, pour une durée de plusieurs mois, en un lieu central qui ne les éloignera pas de leur milieu de vie, mais qui sera une sorte de parenthèse dans leur existence actuelle. Un moment prolongé, comme dans un stage de langue, pour prendre le temps de s’accoutumer au parler de Dieu. Pour écouter, scruter, mieux connaître Celui qui est Parole de vie et chemin de liberté et de bonheur authentique."
"L’heure de la main vide". Les jeunes répondraient-ils ? Quel était le projet ? Qui pouvait être concerné ? Concrètement, qu’est-ce que l’Escale ?
C’est une année de formation qui s’adresse à des garçons et des filles de 18 à 28 ans, étudiants, jeunes professionnels ou en recherche d’emploi pour qui Jésus-Christ est déjà Quelqu’un. Elle est proposée à des jeunes qui ont envie de mieux Le connaître, et de mieux se connaître. A des jeunes qui ont le désir, pendant toute une année, de faire, avec d’autres, une expérience nouvelle de vie. A des jeunes qui ont envie de relire leur histoire, d’inventer leur avenir et de construire sur le roc. A des jeunes hommes et femmes ayant une certaine aptitude à faire "rupture", "retraite", faisant preuve d’une certaine maturité dans l’expérience humaine.
L’Escale s’inscrit dans le paysage diocésain comme un service public (dans la ligne des services de catéchèse de l’enfance et de l’adolescence), une école de vie spirituelle pour des jeunes laïcs.
Depuis le lancement de la publicité (mars 94), plus de cent jeunes ont écrit pour recevoir des renseignements. Soixante-dix d’entre eux ont demandé un entretien. Après discernement, pour des raisons diverses, il a fallu dire non à quelques-uns d’entre eux, tandis que d’autres choisissaient d’attendre ou ne retrouvaient pas dans cette proposition ce qu’ils attendaient de vivre.
En septembre 1994, s’ouvrait la première communauté : neuf jeunes choisissaient de faire escale et de vivre ensemble cette expérience. Cette année, ils sont treize. Pour l’an prochain, quelques-uns se profilent déjà.
Les objectifs
L’Escale, c’est plus un temps qu’un lieu, c’est plus une expérience à vivre qu’un programme à intégrer. C’est plus un chemin à prendre avec d’autres qu’une formation à suivre. Parce qu’on y apprend la vie avec le Christ, l’Escale c’est une "école de vie". Toute simple.
Si cette "école" s’appelle Escale, c’est bien parce qu’une escale, c’est provisoire, ça parle d’un avant et ça laisse deviner qu’il y aura un après. L’Escale c’est un temps de "pause" : un temps pour le ravitaillement. Un temps pour se construire. Un temps pour se former. Un temps aussi pour explorer l’arrière-pays de Dieu qui est la vie de l’homme.
A travers la vie fraternelle, les engagements divers, la formation et la prière de l’Eglise, il s’agit de faire l’expérience que Dieu est un parlant qui donne la parole.
o Dieu a parlé. En faisant escale, des jeunes plongent dans la Parole de Dieu pour devenir croyants. Tout au long de l’année, les équipiers suivent un parcours de type catéchétique. Par un travail de recherche en forme de cours et d’ateliers, ils dépoussièrent les mots et les images qu’ils ont sur Dieu et apprennent à formuler avec les mots qui sont les leurs la foi à laquelle l’Eglise les invite.
o Dieu parle aujourd’hui au cœur de l’homme. En faisant escale, ils prennent le risque de suivre le Christ et de devenir disciples. Tout au long de l’année, les équipiers sont invités à se laisser rencontrer par Lui dans la liturgie de l’Eglise. A apprendre, par Lui, à se découvrir, à repérer et à déployer tous leurs talents reçus. Ils apprennent, avec d’autres, à vivre leur baptême.
o Dieu parle au monde. En faisant escale, les équipiers apprennent à aimer le monde, à y devenir témoins. En se mettant à l’écoute, ils apprennent à comprendre les événements, à fonder leur jugement, à affiner leur regard critique.
o Et, dans ce monde et pour ce temps, ils expérimentent que l’Eglise est Corps du Christ. Ils entrent dans une Histoire. Tout au long de l’année, les équipiers sont initiés aux grands courants spirituels, ils découvrent les grandes étapes de l’histoire de l’Eglise. L’Escale est une chance offerte aussi pour découvrir l’Eglise du Christ qui est à Lille.
Les moyens mis en œuvre
Pour atteindre ses objectifs, l’Escale s’appuie sur quatre "piliers" :
o La vie communautaire de la mi-septembre à la fin du mois de juin. Les équipiers y apprennent la vie ensemble, avec toutes ses exigences. Chacun y est chez lui, mais est aussi chez l’autre. L’Escale est une maison ouverte sur la vie : des amis, des parents passent souvent !
La vie commune de la maison est prise en charge par les équipiers. A tour de rôle, ils assurent les différents services (ménage, courses, cuisine...). Chacun apprend à partager les responsabilités, à accueillir et à servir les autres, à gérer la vie quotidienne.
Tous les mardis et jeudis soirs et un week-end sur trois sont des temps communautaires. Chacun est tenu d’y être. Aux vacances de printemps, toute la communauté part une semaine à la montagne.
Les membres de l’équipe d’accompagnement (un prêtre, un couple, une laïque célibataire), n’habitent pas avec les équipiers, mais selon des modes propres à chacun, ils participent à la vie de la maison (présence régulière).
o La célébration rythme la vie de la maison. Elle s’accorde aux saisons de l’Eglise. La prière commune, préparée par les équipiers, à tour de rôle, a lieu chaque jour, le matin ou le soir. L’Eucharistie est célébrée à l’Escale tous les mardis soir. Les autres jours, ceux qui le souhaitent peuvent rejoindre, pour la messe, d’autres communautés voisines (paroisses, aumôneries...).
Chaque équipier est invité, au début de l’année, à se choisir un accompagnateur. Sauf exception, les accompagnateurs spirituels ne sont pas les animateurs de l’Escale.
Une escale c’est fait pour souffler et se ravitailler. Chaque mois, chacun des équipiers est invité, à un moment qui lui convient, à partir "au désert", pour faire le point sur les semaines passées, prier en solitude, lire avec le cœur et dans un temps plus long qu’à l’ordinaire, la Parole de Dieu. Ces temps de désert réguliers peuvent se vivre dans des communautés contemplatives des environs de Lille. Les équipiers s’y rendent pour quelques heures ou une journée.
Certains temps forts de l’année (Noël, Pâques), sont vécus en communauté, avec d’autres communautés chrétiennes du diocèse. L’année Escale se termine par une retraite d’une semaine à l’abbaye du Mont des Cats. C’est l’heure de la "moisson".
o La formation (Bible, théologie, histoire de l’Eglise, ateliers divers...), se déroule les mardis et jeudis soir, après le repas. Certains cours sont ouverts à des personnes extérieures. Il ne s’agit pas d’abord d’apprendre des choses de manière intellectuelle, mais de se laisser transformer pour devenir plus justement croyants. Le parcours de formation Escale (environ 200 heures dans l’année), est abordable par tous : il s’agit de cours, de travaux dirigés, de recherche personnelle. Chacun, quelle que soit son histoire, peut se retrouver dans la formation proposée. Il n’y a pas de niveau requis. Chacun, cependant, est invité à aller jusqu’au bout de ses capacités.
o Les engagements. L’Escale se vit tout en continuant le travail ou les études. Et l’expérience montre que c’est possible ! La journée, chacun s’en va à ses occupations. C’est là aussi que Dieu se donne à rencontrer. Pendant toute l’année Escale, chacun garde ses relations et ses engagements divers (mouvements, aumôneries, associations diverses). Chacun veille cependant à être présent aux temps communs de l’Escale. Certains équipiers s’insèrent dans la vie du quartier et des paroisses voisines.
Au mois de février, à la "mi-temps", l’Escale ferme ses portes pour trois semaines : chacun repart en "pleine mer". Chaque équipier part habiter un autre lieu (dans une chambre d’étudiant, en ville), pour rencontrer d’autres gens et partager leur vie toute ordinaire. Pendant ces semaines de "plein vent", chacun peut vérifier que l’Escale le construit pour sa vie à venir. A la fin de cet expériment, la vie commune reprend.
Les week-ends communautaires (un sur trois) ont une grande importance. Toute la communauté est là. Ainsi que toute l’équipe des accompagnateurs. Chacun relit ce qui s’est passé au cours des semaines précédentes et partage aux autres équipiers un bout de son chemin.
Qui sont les équipiers ?
Et que disent-ils d’eux-mêmes ?
Depuis deux ans, ils ont entre 20 et 29 ans. Ils sont étudiants (médecine, sciences politiques, histoire, droit, physique, sciences de l’Education, etc...) et jeunes professionnels (orthophoniste, assistante sociale, fonctionnaire de police, éducateur, en contrat emploi solidarité, cuisinier...). Les jeunes viennent d’un peu partout (diocèses de Lille, Arras, Cambrai) mais aussi d’autres régions de France. Ce sont, dans ce dernier cas, des jeunes qui sont à Lille pour leurs études. Cette année, la communauté est internationale : il y a une allemande et un congolais ! Les équipiers viennent d’horizons socioculturels très différents. Leurs parcours ecclésiaux n’ont rien de commun : certains sont croyants de longue date, d’autres sont jeunes convertis, tandis que d’autres sont recommençants. Certains sont engagés dans le MEJ, les Scouts de France, la Mission Etudiante, des aumôneries scolaires, la JOC/F, le Renouveau, des groupes paroissiaux. D’autres ne le sont pas. Au-delà de leurs multiples différences, ils partagent un même désir (c’est peut-être leur seul point commun !...) : mieux connaître le Christ.
Avant de faire escale, ils ont écrit leurs attentes :
"J’attends de fortifier ma foi dans le monde actuel. Il y a tellement d’arguments qui nous déstabilisent. J’ai envie aussi d’entrer dans l’intériorité de la prière. Pour l’instant, je suis encore tout feu tout flamme, ça bout..."
"Je veux penser ce que je vis. Et vivre ce que je pense".
"Je tiens à faire progresser en même temps ma vie professionnelle et ma foi."
"J’ai envie d’apprendre à prier à vos côtés. J’ai envie d’apprendre l’autre, d’apprendre le Christ. Je cherche une cohérence pour ma vie. Je voudrais mûrir. Apprendre à faire des choix..."
"Je fais escale pour me poser un peu entre les études et la vie professionnelle. J’ai envie de voir mon histoire sous le soleil de Dieu, d’apprendre à aimer tout ce que j’ai vécu."
"J’ai soif de rencontrer des gens différents pour me forcer à rester quelqu’un d’ouvert."
"En venant étudier à Lille, je suis forcée défaire un break dans mes engagements. J’ai envie de m’arrêter pour regarder le chemin fait et décider d’une nouvelle direction."
"J’ai envie de comprendre la foi qui m’habite et habite les chrétiens. J’ai envie de redécouvrir la dimension universelle de l’Eglise et de la prière. Je ne veux pas que mes engagements deviennent des habitudes."
"Je suis intéressé par la vie communautaire. J’ai envie de vivre avec des jeunes de mon âge. J’ai envie d’apprendre à prier avec d’autres. J’attends beaucoup."
"Je n’ai jamais eu beaucoup de temps pour m’occuper de la foi. A l’Escale, je veux prendre le temps de réfléchir, de parler avec d’autres. Quelquefois, je pense que c’est trop facile de dire : "c’est Dieu" ou bien "on peut compter sur Dieu". Je veux faire l’expérience de mieux comprendre ça."
Quelques constats et perspectives d’avenir
Deux années d’expériences, mûries et relues avec les équipes d’animation de deux maisons voisines ("L’Ecole de l’Evangile" d’Arras et "La Maison des Récollets" de Valenciennes) nous permettent de pointer quelques petites choses.
L’Escale est un lieu d’éveil
Les jeunes qui se présentent ont tous une expérience partielle de la vie de l’Eglise. Et c’est normal. Chacun arrive avec ce qu’il est. Là, ils s’ouvrent à d’autres manières d’être, de penser, de vivre. Cela se vérifie sur le plan culturel, social, intellectuel et ecclésial. Les équipiers se retrouvent à faire chemin avec des gens qu’ils n’ont pas choisi. Pour bon nombre, c’est un premier accueil de la différence. Expérience décapante ! Mise en route sur des chemins nouveaux. A des jeunes hyper-engagés, l’Escale ouvre le chemin de l’intériorité. A d’autres qui ne le sont pas assez, elle offre la chance de découvrir la dimension "politique" de la charité. Des jeunes y découvrent qu’il n’est de vraie vie humaine que spirituelle et de vie vraiment évangélique que solidaire "des joies, des tristesses, des espoirs et des angoisses" de l’homme d’aujourd’hui
Un lieu de structuration
L’expérience et le recul permettent de constater que cette proposition favorise la maturation humaine et la croissance spirituelle.
o La vie communautaire rabote et décape. Elle fait passer du rêve à la réalité et fait entrer dans le réalisme grave de l’Incarnation. L’autre - le proche prochain- devient le premier lieu de l’amour de Dieu. La dimension communautaire permet aux équipiers de se mieux connaître. La vie fraternelle leur permet de découvrir et de laisser mûrir des talents. On voit des jeunes qui, au fil du temps, apprivoisent leurs limites et leurs blessures et apprennent à aimer leurs pauvretés. Le regard des autres, la vérité des relations - pas toujours faciles à vivre - révèlent à chacun ce qu’il est et ce qu’il porte en lui. "La communauté c’est un miroir" dit l’un d’eux. La vie communautaire permet aux jeunes aussi de découvrir que l’autre existe. Ils apprennent à "aimer la vie sous une forme étrangère".
La dimension communautaire est une chance. Elle correspond à une attente, un désir. .. et sans doute - pour ce temps - à un besoin. Elle ouvre. Mais il y a toujours à vérifier qu’elle ne crée pas de dépendance. Il nous semble important de respecter l’état laïc des jeunes et de ne pas leur donner l’illusion qu’il n’est de vie d’Eglise qu’en forme de communauté de vie. Une question nous taraude : l’Escale donne-telle toujours aux jeunes la chance d’apprendre à vivre seul ?...
o L’expérience de la prière est structurante aussi. On voit des jeunes apprendre la fidélité, la durée, le passage de l’émotion à la foi. "J’ai découvert que Jésus est fidèle. .." Ils s’ouvrent à la prière de l’Eglise, découvrent le lien qu’il y a entre la célébration et la vie.
L’accompagnement spirituel tient une place importante. C’est pour bon nombre une expérience neuve dans laquelle ils découvrent que Dieu se dit dans l’ordinaire de la vie. Elle se poursuit après l’Escale.
o La formation participe aussi, pour sa part, à l’unification de l’être, à l’éveil et à la structuration d’une certaine intelligence de la foi. Des jeunes découvrent que la raison a toute sa place dans l’expérience croyante. En offrant des "outils pour la réflexion" plus que des "leçons à savoir", et des "repères" plus que des "modèles", l’Escale cherche à favoriser l’éclosion d’une pensée propre. Elle cherche à rendre des jeunes intellectuellement libres et autonomes. Bien des jeunes sont surpris de découvrir qu’il y a des théologies, des pratiques différentes qui ne nuisent pas à l’accueil de la révélation et à l’unité de l’Eglise. C’est un passage quelquefois difficile pour quelques-uns d’entre eux, avides de sécurité. Mais nous tenons que cette ouverture d’esprit est une chance !
En s’ouvrant au monde, les équipiers apprennent au fil des rencontres et des relectures que ce monde est aimable, aimé et capable d’amour. Et que le préalable à toute évangélisation est l’accueil positif et bienveillant de ce qui fait la vie des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Ils apprennent à "sauver la proposition de l’autre". Mais nous sentons bien qu’il faut lutter quelquefois contre le pessimisme, la peur de vivre et le repli.
Les jeunes découvrent une Eglise dans et pour ce monde-ci. Une Eglise solidaire, engagée, prophétique quelquefois. Une Eglise pauvre aussi. Ils expérimentent quelquefois brutalement que l’Eglise n’a pas le monopole du sens. L’Escale, grâce à la diversité des jeunes qui y participent est, dit un des équipiers, une "Eglise en miniature". L’Escale est une école d’Eglise.
o Un lieu d’envoi, un tremplin pour la vie.
On fait escale un an, une fois dans sa vie : l’expérience n’est pas renouvelable. Mystérieusement, la vie ensemble, la prière, la formation et l’accueil de la vie du monde fait devenir... "Des chemins s’ouvrent dans leur cœur", dit le psalmiste ! Quand les équipiers se mettent à l’écoute de leur cœur, de leurs capacités, et des appels de leurs frères, quand ils prennent le risque - devant d’autres - de s’exposer à la parole du Christ, quand ils relisent cette vie avec leur accompagnateur, et laissent tout cela mûrir dans le secret de la prière, ils grandissent et charpentent leur vie.
Nous vérifions que cette école de l’Evangile unifie l’être. Pour chacun d’eux, nous l’avons déjà vu, une question se pose un jour : "Que vais-je faire de ma vie ?"... Les équipiers peuvent alors, mais avec d’autres, et ailleurs, balbutier leur réponse... En toute liberté.
L’Escale n’est que ce qu’elle est : un service, un passage, une... escale.
Raphaël Buyse