Les lieux vocationnels en France


En quels lieux les appels de Dieu peuvent-ils résonner chez des jeunes ? Par quelles médiations ecclésiales leur réponse peut-elle se dessiner ? A l’aide de l’enquête récente auprès de 796 jeunes en formation, le P. Jean-Marie Launay, coordonnateur du SNV, avec le concours d’Eric Julien, laïc père de famille, tente de repérer ces lieux d’Eglise.
Cet article a été publié dans la revue internationale

Deux mille jeunes garçons et filles accompagnés par les Services Diocésains des Vocations de France (SDV), mille deux cents jeunes dans les divers lieux de formation au ministère presbytéral, huit cents jeunes hommes et femmes dans les postulats et noviciats de vie consacrée, tel est le paysage en France de celles et ceux qui, aujourd’hui, s’orientent vers un choix de vie radicale à la suite du Christ. Des esprits chagrins pourront se lamenter de ces chiffres très faibles pour une nation qualifiée de "Fille aînée de l’Eglise" ; d’autres manifesteront de l’étonnement devant une relative stabilité depuis quinze ans du nombre de celles et ceux qui désirent répondre à un appel personnel. D’autres enfin - et nous en sommes - s’inquiéteront légitimement du petit nombre de candidats, mais s’emploieront à la tâche difficile mais passionnante d’une pastorale des vocations dynamique et désireront accueillir chacun de ces jeunes comme un cadeau de Dieu fait à son Eglise.

Mais d’où viennent-ils donc ces jeunes et par quelle médiations personnelles ou collectives, ont-ils été amenés à la décision d’entrer en formation vers le ministère de prêtre ou la vie consacrée ?

Au cours des lignes qui suivent, nous tenterons de repérer les lieux majeurs où, en France, sont éveillées et accompagnées les vocations dites "spécifiques" - à savoir la vocation au ministère presbytéral et à toutes les formes de vie consacrée. Nous nous contenterons d’aborder uniquement ce qui est de notre compétence au service de l’éveil et de l’accompagnement de ces vocations, avant la décision d’entrée en formation ou toute autre orientation. Nous n’aborderons pas ici les questions relatives aux séminaires et aux divers lieux de formation vers la vie consacrée qui se situent dans le prolongement de ces lieux vocationnels dont nous parlons.

Après avoir rappelé l’importance de la source de tout appel au don de soi, nous regarderons de près ces lieux, temps et espaces où, dans la situation de la France de 1996, s’éveillent et sont accompagnées les différentes vocations spécifiques.

A la source de toute vocation, l’expérience de Dieu et de l’Eglise

Seul Dieu appelle

C’est une évidence, mais il faut sans cesse la rappeler. Seul, dans sa Liberté souveraine, Dieu appelle. C’est bien ce mystère qui est donné à notre contemplation et à notre discernement. Pour la majeure partie des jeunes qui viennent demander l’accompagnement d’un service diocésain des vocations, d’un accompagnateur spirituel et/ou d’un groupe de recherche, cet appel ne nous surprend guère, compte tenu de l’histoire du jeune. En revanche, cet appel du Seigneur prend parfois des formes vraiment étonnantes à nos yeux et vient mettre à l’épreuve notre art du discernement L’Esprit de Dieu est toujours à l’œuvre au cœur de familles et de personnalités chamboulées dans une société troublée, Il a bien du travail de re-création pour apaiser, mettre de l’ordre, appeler, établir et envoyer. On comprend que ce qui était rapidement acquis voici quelques décennies, demande aujourd’hui du temps. Du temps, il en faut pour qu’un appel à risquer sa vie pour l’Evangile soit entendu et discerné en Eglise avant de se concrétiser dans une première réponse d’engagement.

Le premier lieu de la vocation est un lieu saint : c’est celui de la rencontre du Seigneur. Rencontre par la découverte et l’écoute de sa Parole, l’apprentissage et la vie de prière, la vie sacramentelle (notamment l’Eucharistie et la réconciliation), et par un engagement au service des frères, particulièrement des plus pauvres. Et nous ne pouvons que nous réjouir lorsque nous constatons avec bonheur que se multiplient en France ces temps et ces espaces où est offerte la possibilité d’une expérience spirituelle profonde au cours de laquelle peut résonner un appel à une vocation spécifique. Certes, on ne peut dissocier cette intimité avec le Seigneur des médiations nécessaires qui l’ont favorisée. Mais les accompagnateurs spirituels constatent cette soif des jeunes chrétiens à vivre la rencontre personnelle avec un Dieu d’amour dans la prière - souvent silencieuse - et dans une liturgie de qualité. Des jeunes redécouvrent l’Eucharistie comme lieu de rencontre personnelle et communautaire de Dieu qui se fait nourriture pour la vie. L’Eucharistie, ce lieu qui constitue l’Eglise.

En Eglise, tous appelés

Oui, en Eglise ! Car elle est le berceau naturel de toutes les vocations ; elle a reçu la difficile mission d’engendrer à ces appels personnels suscités par le Seigneur. Comme des parents qui reçoivent la grâce de la vie de leurs enfants et la responsabilité de leur croissance, ainsi l’Eglise du Christ a reçu mission de faire croître en chacun de ses membres la grâce de l’appel reçu au baptême pour qu’elle soit au service de tous selon les charismes de chacun. L’Eglise se doit de rappeler à temps et à contretemps que, si l’ensemble des baptisés a bien reçu une vocation qui est personnelle, quelques-uns, en son sein, reçoivent un appel spécial à consacrer leur vie pour cette Eglise afin de manifester la proximité du Règne de Dieu à venir. C’est pourquoi l’Eglise catholique de notre pays ne peut plus se sentir étrangère à la question des vocations spécifiques, comme s’il s’agissait d’une pastorale révolue, peu porteuse d’avenir ou venant brimer la liberté d’un jeune.

Depuis ses origines, sous des formes diverses, le service du monde par l’Eglise nécessite que tous les baptisés, quel que soit leur appel, prennent leur place totalement dans cette Eglise pour que le Règne de Dieu vienne sur la terre. Mais en France, de nombreux baptisés pensent plus ou moins consciemment que, peu à peu, les laïcs remplaceront les prêtres ou que la vie religieuse ne correspond plus aux attentes spirituelles de nos contemporains. Les restructurations territoriales de nombreux diocèses pourraient accentuer cette conviction. Affrontés à ces réalités, les responsables de l’Eglise de France doivent, par tous les moyens, rappeler avec insistance la nécessaire complémentarité de toutes les vocations, indispensables les unes aux autres.

Il n’en demeure pas moins vrai que, en réponse aux attentes, souffrances et espérances du monde, l’Eglise aura toujours à demeurer à l’écoute de l’Esprit pour que de nouvelles formes de ministères et de consécrations soient offertes au monde en quête de vie. La ré-émergence du diaconat en France et l’irruption de nombreuses communautés nouvelles dans le paysage ecclésial de notre pays, prouvent que la vie de l’Eglise n’est pas statique et nécessite des formes variées et complémentaires de vocations spécifiques.

Des obstacles à la réponse

Il est d’usage de parler en France de "crise des vocations". Or, nous venons de rappeler notre conviction profonde au sujet de l’appel de Dieu à son peuple. C’est pourquoi, il vaut mieux placer les causes de cette crise non du côté de Dieu mais bien au cœur de l’humanité que nous sommes et de l’Eglise que nous formons. Aussi, préférerons-nous parler de "crise des médiations, d’où crise des réponses". Sans entrer dans les détails que d’autres spécialistes en sociologie des religions analyseront mieux que nous, tentons d’énumérer succinctement quelques obstacles à l’émergence de réponses plus nombreuses aux appels de Dieu.

Malgré les merveilles de l’évolution technologique, les conséquences sociales de la modernité sont dures : notre société contemporaine souffre de l’éclatement de nombreuses familles, de l’accroissement du chômage, de la solitude provoquant violences, dépressions et suicides, notamment chez les jeunes. Le sens de l’histoire personnelle et collective est en nette régression : on parle à ce sujet de fracture de mémoire. D’autre part, le sens de l’intérêt général ou collectif se perd : le chacun pour soi est prôné comme une valeur. La publicité ne chôme pas pour inviter à un épanouissement personnel, en dehors de toute contrainte institutionnelle, surtout si celle-ci ne procure pas d’avantages. La valeur "travail" est à une telle hauteur que celui qui ne produit pas, ne se sent plus le droit d’exister au regard des autres.

A l’évocation de quelques-uns de ces obstacles à la réponse aux vocations spécifiques, s’adjoignent des éléments qui touchent à l’histoire chrétienne de la France. Les accompagnateurs de jeunes, dans les collèges, lycées, universités, lieux de vie professionnelle, etc. constatent l’énorme déficience en matière religieuse et spirituelle qui, peu à peu, s’est créée en France depuis vingt ans. Jusque dans les années 60-70, la société chrétienne en France s’était toujours, bon an mal an, reproduite de génération en génération ; depuis trente ans, parallèlement à l’énorme évolution des techniques, moyens de communication et modes de vie, s’est créé un immense vide spirituel. Des chrétiens ne savent plus ou n’osent plus parler de Dieu à leurs enfants. D’autres ne connaissent plus les raisons de leur foi et de leur pratique dominicale. Les français, en majorité, tout en se déclarant croyants, se sentent de plus en plus éloignés de l’institution Eglise et l’on assiste à une multiplicité de comportements religieux plus ou moins sectaires.

Cumulés à une criante ignorance religieuse - due au système scolaire de laïcité qui interdit toute référence religieuse dans les programmes - ces phénomènes ont révélé l’absence de racines spirituelles chez celles et ceux qui ont reçu le baptême catholique. Les pouvoirs publics et les responsables de l’enseignement de l’Etat commencent à ressentir les effets de cette carence sur une jeunesse en quête de sens. Ils veulent y remédier en introduisant dans les programmes d’enseignement des cours de culture des civilisations et religions. En effet, depuis une ou deux décennies, des gourous de toutes sortes et des sectes ont profité de l’attente spirituelle de beaucoup pour les abuser de mille mirages. Ne parlons pas non plus des effets de la drogue et de l’éclatement des références morales. Face aux multiples sollicitations dont les jeunes sont l’objet, une véritable pédagogie du choix est à mettre en œuvre.

L’Eglise est aussi parfois obstacle à cette réponse aux appels du Seigneur. Des chrétiens et parfois même des prêtres, par leur vie ou leur témoignage, découragent des jeunes de s’engager pleinement. Des communautés vieillissantes, les nombreux départs de prêtres, des assemblées dominicales désertées, des prêtres surchargés dont on exige la perfection, ne sont guère attirants pour des jeunes qui se sentent peu accueillis par leur aînés. De plus, l’institution ecclésiale porte toujours l’image de celle qui ne parle qu’en termes de "permis-défendu", image relayée abondamment par les médias. La question du célibat ecclésiastique est plus que jamais posée. Davantage perçue du côté de la loi que des prophètes, l’Eglise n’a pas encore su trouver les mots et les gestes pour rejoindre ces millions de personnes en quête de sens. Les travaux des évêques de France, autour du rapport de Mgr Dagens "Proposer la foi dans la société actuelle", cherchent à l’y aider. Il s’agit d’une priorité pour l’Eglise dans ce pays.

Force est donc de constater que des liens entre Dieu et son Eglise et les français ne concernent qu’une toute petite minorité de nos concitoyens : en 1995, environ 20 % de français déclarent adhérer au credo de l’Eglise catholique.

Et pourtant...

Même minoritaires, des jeunes, bien ancrés dans leur génération, continuent à se dire séduits par l’Evangile, intéressés par la vie de l’Eglise, désireux de lui consacrer tout ou partie de leur existence. Et ce sont eux que l’Eglise a mission d’accueillir tels qu’ils sont, choisissant de leur faire confiance en leur passant le flambeau de vingt siècles d’évangélisation.

Certes, les générations se suivent et ne se ressemblent pas ; il en est de même pour l’Eglise. La tentation est grande de vouloir introduire ceux qui nous suivent dans des formes pastorales que nous estimons les meilleures. Il convient de veiller sans cesse à ne pas leur imposer ce qui pourrait ressembler à de l’idéologie. Les jeunes ont besoin de nous, certes, mais pour que nous les aimions, non comme des pères ou des frères, mais à la manière de Dieu qui a choisi le parti de la confiance. C’est tout l’art de l’accompagnement personnel et collectif qui doit se vivre dans les lieux d’accueil des jeunes intéressés par l’aventure de l’Evangile. C’est là que pourront naître, croître et aboutir des projets de servir Dieu, l’Eglise et tous les hommes.

La pastorale des vocations articulée sur la pastorale de la jeunesse, invite les jeunes qui font appel à son service, à se détourner des idoles contemporaines pour se situer en vérité devant le Dieu vivant et vrai.

Des lieux d’éveil

Les lieux vocationnels par excellence sont ces temps et espaces où s’expérimentent profondément la rencontre cœur à cœur d’un Dieu personnel et la connaissance et l’amour d’une Eglise donnée aux hommes. En premier lieu, la famille. Pour illustrer notre propos, nous donnerons la parole à des jeunes diversement situés dans leur recherche vocationnelle. (Ces paroles sont extraites du millier de témoignages envoyés aux évêques de France, dans le cadre de la préparation à leur assemblée plénière d’avril 1996, à Paris, consacrée aux jeunes).

La famille, premier lieu vocationnel

Une récente enquête du Service National des Vocations auprès de 796 jeunes en première et deuxième année de formation vers le ministère de prêtre et la vie consacrée, confirme l’importance de la famille comme premier lieu pour l’éveil et l’accompagnement de leur vocation : sur 796 personnes interrogées, 411 - soit 51,6%-placent la famille en premier des neuf lieux proposés. Dans une enquête précédente, en 1981, c’était déjà le cas mais avec 47, 7 % des réponses : cette différence positive de près de six points en quinze ans démontre le rôle irremplaçable et croissant de la famille. D’autre part, les familles auxquelles appartiennent les personnes en formation sont des familles plus nombreuses que la moyenne nationale : 44, 5 % des jeunes sont issus de familles de quatre enfants et plus, soit près de la moitié !

La famille nombreuse a toujours été le cadre favorable pour l’éveil des vocations spécifiques : c’est déjà un lieu d’expérience de la vie communautaire, du rapport à autrui, de la prise de responsabilités, de la communication, de la fête et du pardon, ce que la société n’assure plus systématiquement comme expérience éducative. La présence de parents chrétiens est également déterminante pour l’accueil et la croissance d’une vocation chrétienne dans le cœur d’un jeune. L’enquête révèle que 79, 6 % des mères et 66,7 % des pères se déclarent catholiques pratiquants ; seuls 3, 9 % des mères et 10, 1 % des pères se disent indifférents, hostiles ou d’une autre religion. Enfin, toujours chez les parents des jeunes en formation, l’unité du couple est facteur aussi favorable pour l’itinéraire spirituel : dans cette enquête, on compte moins de 10 % de parents divorcés.

"J’ai été éduqué dans une famille chrétienne : l’évolution de ma foi a donc été grandement facilitée. Pourtant, jusqu’à l’âge de 11 ans, tout cela me semblait extérieur. Je suivais l’élan familial. Puis à onze ans : "Dieu nous aime, il est infiniment bon. Je peux me confier à lui, lui donner tout." Pourtant, Dieu sait combien de fois j’avais entendu cela avant. Dieu est vraiment entré dans ma vie." Thomas.

"La foi doit s’exprimer en actes (...) Avoir la foi, c’est le traduire en actes, même si c’est loin d’être évident. C’est un des messages que j’ai reçu au sein de ma famille. J’ai été élevée dans une famille pour qui la religion a un sens profond. A l’adolescence, j’ai tout laissé. Mes parents ont respecté mes convictions du moment et je les en remercie infiniment. Grâce au cheminement d’une cousine, j’ai redécouvert Dieu. Aujourd’hui, je pense à devenir religieuse. " Isabelle.

"Ma famille a eu un rôle important dans l’éveil de ma vocation. En effet, mes parents ont su, par leur vie, leur exemple, leur engagement dans la paroisse, me faire connaître et aimer Dieu." Ambroise.

D’autres sondages, nationaux cette fois, confirment cette donnée : les jeunes de France croient à la valeur de la famille. Déjà évoqué ci-dessus, le cadre familial est abîmé aujourd’hui par de multiples causes internes et externes et on comprend le désarroi des nouvelles générations devant les multiples contre-exemples d’engagement, de fidélité, d’amour authentique. Le message de l’Eglise - famille de Dieu -sera donc à la fois de parler de la valeur de la famille, mais aussi de la vivre. Des sectes ont fait fortune car elles proposaient une véritable structure familiale - sans éducation à la responsabilité - à celles et ceux qui étaient bousculés par tant de séparations et déchirements familiaux.
Plus positivement, des communautés paroissiales, comme on le verra ci-dessous, des lieux communautaires en croissance, des groupes de mouvements et services, des communautés nouvelles, des lieux comme Taizé, Lourdes, Paray-le-Monial ont su offrir un cadre priant et convivial où s’expérimentent la vie en Dieu et l’amour de l’Eglise. Nous en reparlerons.

La sensibilisation des familles chrétiennes n’est pas toujours aisée. Certes, comme hier, de nombreux parents chrétiens se réjouissent du choix de leurs enfants en réponse à une vocation particulière. Mais, dans un contexte économique, social, spirituel difficiles, d’autres parents - et leur nombre va croissant - craignent de voir un de leurs enfants s’engager dans une vie chrétienne profonde allant jusqu’à une entrée au séminaire ou au noviciat : "Les vocations, c’est comme les autoroutes : c’est très bien, à condition que cela passe chez le voisin".
Les accompagnateurs de l’itinéraire vocationnel de jeunes ont même remarqué que l’annonce d’un futur engagement à la suite du Christ était souvent mieux accueillie dans des milieux a priori éloignés de l’Eglise, que dans des familles profondément chrétiennes. Celles-ci appartiennent le plus souvent à des milieux aisés et portent de grandes ambitions professionnelles pour leurs enfants. Ces derniers, connaissant de moins en moins la possibilité, voire l’existence, de vocations spécifiques puisque c’est sujet tabou, attendent parfois l’âge de trente ou quarante ans pour déclarer leur projet. On n’est donc pas étonné, même si la famille n’est pas l’élément le plus déterminant, de constater que la moyenne d’âge d’un premier cycle d’un séminaire du sud de la France est de 29 ans.

La paroisse, ou l’expérience visible de l’Eglise

Beaucoup de responsables pastoraux regardaient la paroisse comme une structure révolue. Il n’en est rien. Force est de constater que la paroisse demeure le lieu par excellence de la visibilité de l’Eglise comme rassemblement communautaire de toute la vie ecclésiale. A une époque où des jeunes chrétiens souhaitent que l’Eglise, tout en demeurant levain dans la pâte, soit lumière visible pour le monde, quel lieu autre que la communauté paroissiale manifeste davantage cette visibilité ?

Lieu de prière et de célébration des sacrements ; lieu de rencontre et de convivialité des chrétiens de toutes générations et sensibilités ; lieu qui, pour un quartier urbain ou un village, reste la référence de célébration des étapes de la vie humaine de la naissance à la mort ; lieu où s’adressent encore de nombreux exclus pour un peu de dignité et de respect. On ne sera donc pas étonné si, dans l’enquête du SNV, ils sont 325 jeunes en formation à placer la paroisse en second lieu important pour leur vocation, derrière la famille. N’est-ce pas la vocation de toute paroisse d’être le signe de la famille de Dieu, heureuse de célébrer et de prier son Seigneur autour de la table eucharistique, et envoyée au monde pour témoigner et partager toutes les grâces reçues ?

"Vivre sa foi, c’est tout simplement accueillir la vie. Pourtant, je ne peux le faire si je reste seule. C’est pourquoi je prends le temps de rencontrer et d’accueillir d’autres chrétiens. Je les rencontre le dimanche à la messe. C’est un des moments importants où je me ressource. Je les rencontre sur la paroisse, tout simplement..." Ingrid.

"Je rencontre souvent d’autres chrétiens, plus particulièrement aux scouts et à la messe. J’y vais régulièrement et je suis enfant de chœur. C’est important pour moi car je vois qu’il y a plus de jeunes croyants que certains ne le font entendre et cela me renforce dans ma foi." Alexandre.

"A la paroisse, bien que non-impliqué, je suis sensible au témoignage de vie du prêtre, cette force de foi qui lui garde cette espérance, cette joie malgré une bien petite communauté vieillissante. Je porte aussi le souci de cette Eglise que j’aime." Sébastien.

Cependant, la paroisse connaît des moments de doute avec la forte diminution de la pratique religieuse, le vieillissement des communautés, la raréfaction des prêtres et leur surcharge de travail, avec parfois vingt à trente clochers en responsabilité, l’essoufflement de nombreux laïcs et l’image négative de l’Eglise institutionnelle dans la société française. L’heure est à la redéfinition de la paroisse aussi bien géographiquement parlant que spirituellement. De nombreux diocèses ont entrepris une véritable re-fondation du tissu ecclésial par une restructuration des paroisses : ainsi un diocèse normand passe de cinq cents à trente-sept paroisses. Ce renouveau pourrait être une chance pour la pastorale des vocations grâce au nouveau dynamisme insufflé, le plus souvent, à la suite de synodes diocésains. Cependant, les redécoupages territoriaux posent de véritables questions, notamment par rapport à l’image du prêtre qu’ils conditionnent.

La paroisse se cherche donc un nouveau souffle. Les vocations spécifiques ne seront majoritairement suscitées que dans le cadre de communautés vivantes et missionnaires, heureuses de se retrouver pour le partage de leur vie et la célébration de l’Eucharistie. Jean Paul II le rappelle sans cesse dans ses messages annuels pour la Journée de prière pour les vocations : le témoignage vivant de tous les acteurs de la communauté (prêtres, laïcs, diacres religieuses et religieux), ainsi qu’une liturgie de qualité et le souci des plus pauvres permettent à des jeunes de percevoir en eux un désir, conjoint à l’appel du Seigneur, de servir l’Eglise et tous les hommes. On mesure l’ampleur du chantier car, reconnaissons-le, sans tomber dans les clichés faciles, combien de lieux donnent envie de fuir et sont des contre-témoignages pour de multiples raisons.

Pour leur mission, les services diocésains des vocations, connaissant l’importance des paroisses comme cadre d’éveil de toutes vocations, ont choisi ces communautés et les prêtres diocésains comme premier partenaires de leur action, notamment au moment de temps forts comme la Journée Mondiale de prière pour les Vocations, ou des rassemblements comme les jubilés, les ordinations diaconales ou presbytérales, les professions religieuses, pour sensibiliser tous les baptisés à la beauté et la nécessaire complémentarité de toutes les vocations.

Des responsabilités en mouvement ou service ecclésial

Comme troisième lieu vocationnel retenu dans notre enquête les jeunes en formation insistent sur l’importance des mouvements et services de la vie de l’Eglise pour l’éveil et l’accompagnement de leur vocation.
Longue est la liste des mouvements et services d’Eglise auxquels les personnes en formation ont participé. Deux cent quatre-vingt-cinq jeunes estiment que ces responsabilités ou simples participations ont été un lieu important pour leur itinéraire vocationnel, après la famille et la paroisse.
Regardons d’un peu plus près les mouvements et services de l’Eglise de France qui, aujourd’hui, ont accueilli en leur sein des jeunes qui étaient en recherche de. vocation.

En premier lieu, ces jeunes se sont engagés au cours de leur scolarité en lycée ou en études supérieures. C’est donc dans les aumôneries de collèges, de lycées et d’étudiants que, successivement, des futurs prêtres et religieux se sont investis et ont trouvé là un milieu favorable pour le mûrissement de leur vocation, qu’il ait été exprimé ou non. Cent soixante dix jeunes ont cité l’aumônerie des collèges, deux cent huit ont nommé les aumôneries étudiantes et deux cent douze ont nommé les aumôneries de lycée. C’est donc prioritairement vers ces lieux d’engagement dans le monde scolaire et universitaire que s’orientera la pastorale des vocations d’une Eglise diocésaine.

Au même niveau de participation et de responsabilité dans un mouvement d’Eglise, se situe les scoutismes  : trois cent trois jeunes en formation ont été à leur école. On sait qu’en France, comme en d’autres pays européens, le scoutisme est vécu selon diverses sensibilités : le Scoutisme et Guidisme de France qui rassemble des dizaines de milliers de jeunes, le Scoutisme et le Guidisme d’Europe qui ont connu au cours de ces dernières décennies un fort développement, les Scouts Unitaires de France... pour ne parler que des trois principales familles scoutes et guides actuelles. La place du scoutisme reste essentielle dans la vie des jeunes chrétiens de France. De nombreux jeunes prêtres disent avoir été marqués par leur époque scoute, surtout s’ils avaient des responsabilités au service d’une jeunesse pas toujours très réceptive. Le scoutisme est une véritable école d’humanité.
A ces engagements scouts, on pourrait aussi ajouter tous ceux et celles qui passent leurs vacances en encadrant des jeunes dans des camps, colonies de vacances ou centres aérés laïcs ou chrétiens.

Après les aumôneries et le scoutisme, viennent les mouvements d’Action Catholique spécialisée. Leur disparition rapide était annoncée car ils ne semblaient plus correspondre aux aspirations de la jeunesse actuelle. Mais l’enquête prouve la place irremplaçable des mouvements d’action catholique dans l’itinéraire vocationnel d’un jeune. Ils sont deux cent huit sur les sept cent quatre-vingt-seize jeunes qui ont répondu à l’enquête, à avoir participé à la vie de l’Action Catholique des Enfants (ACE), de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) ou du Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne (MRJC). Les mouvements d’action catholique ont toujours insisté sur la nécessaire prise de responsabilité du jeune militant dans son milieu scolaire ou professionnel, même et surtout lorsque les situations vécues sont touchées par des précarités de toutes sortes. De plus, un mouvement comme la JOC pose sans cesse de manière explicite la question d’un engagement à la suite du Christ comme prêtre ou religieuse. Les propositions des groupes "Eveil et Recherche" aux responsables du mouvement, rassemblent des jeunes garçons et filles qui se disent intéressés pour réfléchir à l’éventualité d’un engagement radical.

"Je pense très fortement donner ma vie à Dieu. Ce qui est le plus important pour moi, c’est d’aider les autres, être auprès des plus petits. La JOC m’a aidée à avancer ; après, il y a eu toutes les personnes qui m’encadrent et auxquelles j’ai parlé. Elles ont pris mes propos au sérieux et sans elles, je n’en serais pas là." Lucille.

"La question (de ma vocation) reste posée et je continue d’y réfléchir dans un groupe lié à la JOC. Je continue aussi à me laisser façonner par la Parole de Dieu et par les gestes et paroles de ceux qui m’entourent. Les autres : je crois que ce sont eux qui m’aident à grandir, à avancer dans la foi." Marie-Pierre.

"Grâce à la JOC, ma foi s’est transformée, elle m’a donné une raison de vivre. Cette foi, ce sont le copains de la JOC qui me l’ont transmise. J’ai découvert ce que c’était d’être missionnaire en Eglise auprès des jeunes, d’être au service de Dieu et de vivre ma foi en étant responsable de ma propre vie et de celle des copains." Thierry.

Toujours dans ces mouvements et services d’Eglise, il nous faut nommer le Mouvement Eucharistique des Jeunes (MEJ) cité par cent vingt-huit jeunes en formation. La place de ce mouvement est essentielle dans la pastorale des jeunes, notamment pour l’initiation chrétienne et spirituelle. Beaucoup disent avoir été initiés à la prière par le MEJ. La dimension de l’engagement est aussi très présente avec la prise de responsabilité selon les âges, les aînés devenant responsables et animateurs des plus jeunes.

On peut citer enfin les nombreux jeunes qui, dans leur paroisse, sont servants d’autel. Depuis toujours, les appels de Dieu ont trouvé écho parmi les "enfants de chœur". Le service de la liturgie et de la prière commune des fidèle semble être un lieu particulier d’écoute et de sensibilisation d’un jeune aux appels du Seigneur.

Plus de trois cent trente autres mouvements, services et groupes informels ont été dénombrés dans l’enquête. De plus, beaucoup de ces jeunes étaient aussi engagés dans des associations ne faisant pas partie de l’Eglise. Le monde en tant que tel est aussi lieu vocationnel car les appels qu’il lance retentissent au cœur de ces jeunes comme ils retentissaient au cœur de Jésus.

Ainsi les jeunes en recherche de vocation et celles et ceux qui ont déjà fait un pas, ont participé massivement à des mouvements et services du monde et de l’Eglise. Les secteurs d’activité et d’engagement que nous venons d’évoquer montrent la grande diversité de ces jeunes. Les évêques et les responsables diocésains et religieux ont pour mission de veiller à la communion de ces diverses sensibilités et ce n’est pas une tâche aisée.

Cependant, les responsables de ces mouvements et services semblent porter peu d’intérêt à la question des vocations. Dans leur réponse à l’enquête nationale, les SDV soulignent le fait que, si les animateurs des jeunes ont bien présente à l’esprit la vocation commune des baptisés, la perspective d’une vocation spécifique est rarement évoquée. Peut-être parce que certains d’entre eux sont encore blessés par le départ de prêtres et religieux, dans les années 70, notamment. Aussi, nous faut-il saluer l’audace et la détermination de la JOC et du MEJ qui interpellent, proposent, soutiennent, accompagnent ces vocations spécifiques. Certes, si le temps n’est plus aux chasses gardées et aux soupçons, le partenariat ne va pas de soi. Il faut sans cesse le vouloir et inventer des lieux de rencontre pour que la question des vocations soit inscrite naturellement dans la pédagogie de tout mouvement chrétien de jeunes.

Ainsi, il nous semble que, actuellement, la notion de "lieu vocationnel" en France s’articule autour de trois mots complémentaires et indissociables : famille chrétienne - paroisse vivante - responsabilité en mouvement.

Et l’Ecole catholique ?

On pourra s’étonner de voir les établissements d’enseignement catholique ne figurer qu’en quatrième point de cette seconde partie consacrée aux lieux d’éveil vocationnel.
Voici quelques décennies, l’enseignement catholique était sous la responsabilité directe des prêtres diocésains et de nombreuses congrégations religieuses enseignantes qui assuraient l’éducation humaine et spirituelle des élèves. Aujourd’hui, l’enseignement catholique demeure une force dans le paysage éducatif français, malgré les nombreuses contraintes administratives. Toujours sous la tutelle des diocèses ou des congrégations, le personnel d’encadrement et d’enseignement a radicalement changé : rares sont les prêtres et religieux présents à temps complet dans ces établissements. Le directeur - presque toujours un laïc - s’est vu confier la responsabilité pastorale. Souvent débordé par la tâche administrative, il confie parfois à un animateur ou une équipe pastorale la dimension chrétienne de l’école, du collège ou du lycée. Ces animateurs rencontrent des difficultés à éveiller les jeunes à la foi chrétienne. En effet, les parents qui choisissent l’enseignement catholique pour leurs enfants, ne le font pas toujours pour l’étiquette chrétienne, mais parfois pour ce que l’institution offre comme qualité d’attention à la personne, à sa croissance et à l’éducation à un certain nombre de valeurs humaines.

Les paroisses, mouvements (excepté le MEJ) ont toujours eu quelques difficultés à rejoindre les établissements catholiques dont la pastorale est interne à l’établissement, contrairement aux aumôneries de l’Enseignement public dont les locaux sont situés à proximité mais en dehors des lycées et collèges publics. Les SDV eux-mêmes n’ont classé qu’en cinquième partenaire l’école catholique, traditionnellement lieu d’éveil des différentes vocations. Une réflexion semble donc nécessaire dans un proche avenir pour rendre à l’école catholique sa mission d’éveilleur aux diverses vocations.

L’émergence de nouveaux lieux vocationnels

o les pèlerinages et les temps forts

La participation croissante des jeunes dans les lieux de pèlerinage constitue l’un des faits marquants de ces dix dernières années dans la pastorale des jeunes. Lourdes, Taizé, Lisieux, Paray-le-Monial, ou, plus loin de nous, Rome ou les chemins de St Jacques, Fatima et la Terre Sainte constituent des moments clés dans l’évolution spirituelle d’un jeune, et plus particulièrement pour l’écoute d’un appel personnel de Dieu. Mentionnons aussi l’impact des voyages de Jean Paul II et des Journées mondiales de la jeunesse.

"Parmi les éléments qui ont été déterminants pour la maturation de ma vocation monastique, j’ai bénéficié d’un petit clin d’œil de Dieu chaque année pendant trois ans et demi. Ce fut à l’occasion de la venue du pape en France lors de sa rencontre avec les jeunes, puis lors d’un pèlerinage à Lourdes et à Ars, ou encore pendant un camp d’inspiration MEJ. Ce furent des phases de réflexion mêlée à de la peur... je faisais la sourde oreille. Ce n’est qu’ensuite que j’ai perçu l’appel décisif..." Bénédicte.

Cependant, les accompagnateurs de ces pelés et temps forts ont toujours à être attentifs dans les lieux quotidiens à accompagner les suites de ces moments privilégiés. Un pélé, un temps fort spirituel ne peut être parfois qu’un moment de la vie d’un jeune sans que cela soit prolongé par une vie spirituelle personnelle ou une vie d’Eglise plus forte. Une pastorale des vocations se doit d’être vigilante pour vérifier comment, dans la vie d’un jeune, un appel personnel entendu à Lourdes ou Taizé est repris dans sa vie quotidienne.

Pour les services de vocations, ces lieux spirituels où Dieu est rencontré dans l’expérience de l’universalité de l’Eglise représentent une chance formidable pour éveiller et accompagner des trésors cachés dans le cœur de la jeunesse. C’est pourquoi le SNV a ouvert depuis plusieurs années un "Point Vocations" à Lourdes, à proximité des sanctuaires. Il s’agit d’un pavillon où des centaines de jeunes et d’accompagnateurs passent chaque été, individuellement ou en groupe, pour rencontrer l’une des cinq personnes de vocations diverses qui, bénévolement, y assurent un accueil. Un lieu de rencontre similaire sera prévu dans l’une des églises centrales de Paris lors des prochaines Journées mondiales de la jeunesse.

o les écoles de la foi

Depuis quelques années, à l’écoute des attentes des jeunes et des besoins de l’Eglise et du monde, des diocèses, des communautés nouvelles, ou des instituts de vie consacrée ouvrent en France des "écoles de l’Evangile" ou "de la foi" aux formes diverses. Elles s’adressent le plus souvent à des jeunes femmes et hommes de 18 à 30 ans. On peut y repérer quatre accents communs : un certain "vivre ensemble" aux formes diverses, une forte expérience de la prière, une certaine structuration de la foi et un type d’ouverture au monde.

Chaque école décline ces quatre composantes d’une manière qui lui est propre. Certaines proposent une année sabbatique (Arras, Lourdes, Coutances, des communautés nouvelles, etc.) tandis que d’autres intègrent, dans leur pédagogie, ce qui fait la vie de tous les jours (études, travail salarié ou recherche d’emploi) comme à Lille ou Valenciennes. Certaines écoles se présentent comme écoles d’évangélisation (les jeunes qui les choisissent participent à des temps de "mission") ; d’autres choisissent de n’être que des lieux communautaires où les jeunes viennent pour vivre un temps fort d’une année tout en gardant leurs engagements en mouvements, paroisses et groupes divers...

Avec un recul de quelques années, on observe que ces lieux offrent vraiment l’expérience de ce que l’on pourrait appeler un engagement à durée limitée qui permet aux jeunes de se connaître profondément en relation avec les autres et Dieu. Cette expérience fondatrice de l’altérité, de la différence, est pour beaucoup un temps majeur de discernement pour leur vie chrétienne d’homme et de femme. A l’issue de ces dix ou douze mois en communauté, ils sont nombreux à choisir un engagement vers une vie ministérielle ou consacrée.

Sans doute ce phénomène est-il appelé à se développer. Des services diocésains des vocations proposent eux-mêmes des lieux communautaires pour des jeunes qui expriment un désir de réponse à une vocation spécifique : c’est le cas à Lille, Caen ou Amiens. Des diocèses et des instituts religieux envisagent la création de tels lieux communautaires pour offrir un cadre à des jeunes désireux de découvrir pendant un temps limité ce qu’est réellement cet appel à vivre en jeune chrétien. La vie fraternelle, la prière, la formation, la découverte de l’Eglise, et l’accueil de la vie du monde façonnent en liberté ceux qui vivent dans ces écoles. Des chemins s’ouvrent dans leur cœur. Quand des jeunes se mettent à l’écoute de leur vie, de leurs capacités et des appels de leurs frères, quand ils prennent le risque avec d’autres de s’exposer à la Parole et au visage du Christ, quand ils relisent cette vie en communauté et avec un accompagnateur personnel et qu’ils laissent mûrir tout cela dans la prière, alors ces jeunes grandissent et charpentent leur vie. Un jour, inévitablement, la question se pose : "Que vais-je faire de ma vie ?...". A la fin de l’expérience d’une année, ils peuvent alors, mais avec d’autres, tenter une réponse en toute liberté. Ces écoles représentent vraiment des lieux de passage fondateurs pour leur vie.

o Les communautés nouvelles

Sous l’impulsion du Renouveau charismatique qui a touché de nombreux catholiques français dans les années 70, des hommes et des femmes se sont sentis appelés à fonder de nouveaux types de vie en Eglise : ce sont les "communautés nouvelles". L’Emmanuel, le Chemin Neuf, les Béatitudes et des dizaines d’autres moins connues ont peu à peu habité le paysage de l’Eglise de France, avant de s’implanter aussi dans des pays d’Afrique et d’Amérique Latine. De nombreux jeunes chrétiens ont été attirés par la jeunesse, le dynamisme et la qualité spirituelle de ces lieux de vie communautaire favorisant la rencontre et la vie ensemble de divers états de vie et vocations. Là, des jeunes sont touchés par l’appel et se disent prêts à consacrer leur vie pour Dieu et son Eglise sous des formes variées.

o le catéchuménat et la confirmation

Autres signes de vitalité pour l’Eglise en France : les demandes de baptême de jeunes adultes, lycéens, étudiants, professionnels ou en recherche d’emploi, mariés ou non. En 1996, on compte en France près de dix mille catéchumènes. L’accueil de ces nouveaux convertis par les "vieux baptisés" n’est pas toujours facile certes, mais le dynamisme introduit par le catéchuménat est une chance pour un réveil de l’Eglise. Parmi ces chrétiens de fraîche date, beaucoup se disent prêts à tout donner pour Celui qu’ils viennent de rencontrer avec joie.

La confirmation, proposée aujourd’hui aux lycéens, étudiants et professionnels de plus de quinze ans est aussi un temps privilégié de la rencontre avec l’Esprit de Dieu qui envoie l’Eglise au monde. Le jeune chrétien, au cours d’un itinéraire de préparation de qualité, se voit poser la question de l’orientation de sa vie chrétienne. C’est aussi l’occasion de découvrir, par la parole de l’évêque, ce qu’est l’Eglise et de mieux connaître l’Eglise diocésaine. La relecture du millier de témoignages de jeunes envoyés aux évêques pour préparer l’assemblée plénière d’avril 96 montre de façon évidente que la confirmation tend à devenir une clé essentielle de la structuration d’une personnalité chrétienne. Il s’y produit souvent un déclic qui aide le jeune à comprendre que sa vie peut être donnée aux autres et pas seulement "consommée".

Des lieux d’accompagnement

Expériences de Dieu et de son Eglise, aumôneries, mouvements, communautés... autant de lieux favorables à l’écoute et à la réponse pour une vocation particulière à servir les hommes à la suite de Jésus.
Parallèlement et complémentairement à tous ces lieux d’éveil, l’Eglise catholique de France, par les services diocésains des vocations, met à disposition trois types de services complémentaires et indispensables pour un premier itinéraire de discernement, avant toute décision d’entrée dans une maison de formation, séminaire ou postulat de vie religieuse : l’accompagnement spirituel, les groupes de recherche et les retraites de discernement.

o l’accompagnement spirituel personnel

Lorsqu’un jeune rencontre pour la première fois un prêtre, une religieuse ou un laïc, nommés par l’évêque à la responsabilité d’un SDV, ces derniers, après un long temps d’écoute de l’itinéraire personnel du jeune ainsi que de son projet, pourront lui proposer des itinéraires de recherche et de discernement.

En premier lieu, particulièrement pour les plus de 18 ans, âge de la majorité, le jeune en recherche sera invité à se choisir un accompagnateur personnel en qui il aura toute confiance, pour relire avec lui son itinéraire spirituel et vocationnel. C’est une réalité forte aujourd’hui : presque systématiquement, tous les jeunes sont accompagnés spirituellement soit par un prêtre, soit par un religieux ou une religieuse, ou, de plus en plus, par des laïcs qui ont reçu une formation adaptée. Des diocèses et des centres spirituels ont mis en place des cycles de formation à l’accompagnement personnel et certains lieux proposent des spécialisations, comme la formation à l’accompagnement de jeunes en recherche de vocations.

Cet accompagnement spirituel personnel est indispensable pour le pré-discernement et du jeune et de ceux qui ont reçu mission de l’Eglise pour être le compagnon spirituel de celui qui se dit appelé à une vocation spécifique. De plus en plus, les jeunes de 18 à 30 ans demandent à vivre sous des formes plus variées une écoute personnelle avec des accompagnateurs dans leurs différents lieux d’Eglise. D’où une demande forte de ces animateurs pastoraux pour une formation à l’écoute et à l’accompagnement chrétien personnel, régulier ou ponctuel. Là aussi, des diocèses ont mis en place des parcours de formation pour animateurs d’adolescents et de grands jeunes.

o les groupes de recherche

Pour un certain nombre des grands jeunes qui expriment plus fortement un projet, il leur sera proposé de rejoindre ou de former - selon les demandes - un groupe de recherche. Il s’agit d’une petite équipe de quatre à huit jeunes, mixte ou non, où se vit, dans un climat de respect, de confiance et de discrétion, une qualité d’écoute qui touche beaucoup les participants. Sous le regard du Seigneur, éclairé par la Parole et la prière, chacun sera invité à relire sa vie avec les certitudes et les questions relatives à son projet de suivre le Seigneur. Aujourd’hui, en France, cinq cents jeunes (trois cents garçons et deux cents filles) de plus de 18 ans se retrouvent dans ces groupes proposés par soixante-sept diocèses. Ces groupes sont des lieux de passage : on n’y fait pas carrière, et c’est bien ce qui les différencie d’un mouvement. En général, les jeunes participent à ces groupes pendant deux à trois ans, quatre au maximum. Ce renouvellement permanent oblige les accompagnateurs à réadapter le contenu des rencontres en fonction de celles et ceux qui demandent à les rejoindre.

o les retraites de discernement

Enfin, l’accompagnement des personnes et des groupes de recherche se complétera toujours par la proposition de temps spirituels forts sous forme de retraites de discernement. Selon les étapes du cheminement des jeunes, ce seront des haltes de trois jours consacrés à l’Eglise et aux vocations, comme préambule pour des jeunes intéressés à rejoindre un groupe de recherche. Ou, en fin de parcours dans ces mêmes groupes, il sera opportun de favoriser une retraite de choix de vie, de cinq ou huit jours afin de favoriser une première réponse pour un engagement vers le ministère de prêtre ou la vie consacrée.

Dans la plupart des diocèses de France, c’est le SDV qui présentera le candidat au lieu de formation au ministère presbytéral reconnu par l’évêque du diocèse choisi par le jeune pour son éventuelle incardination ou au lieu de formation vers une vie de consécration religieuse. Mais là, nous quittons le champ de notre propos au sujet des lieux vocationnels, tout en sachant que séminaires diocésains et noviciats de vie consacrée sont des lieux également et heureusement vocationnels mais davantage sous l’angle du discernement que de l’ordre de l’éveil ou d’un premier accompagnement

Au terme de ce propos, il convient de souligner que les services diocésains des vocations n’ont pas le monopole de l’accueil des jeunes porteurs d’un projet vocationnel. Bien des mouvements, comme la JOC, des communautés nouvelles, des instituts de vie consacrée proposent à d’autres jeunes un cadre pour percevoir et relire leur propre appel. Simplement, les SDV de France, sous la responsabilité des évêques, mettent à la disposition des jeunes des services qui leur permettront de mieux répondre à cet appel.

Conclusion :
Qu’est-ce qu’un "lieu vocationnel" ?

En achevant ce voyage dans divers lieux de l’Eglise de France au sein desquels il nous est apparu que les vocations spécifiques trouvaient davantage éveil et accompagnement, nous pouvons tenter de définir en quelques mots les caractéristiques de ces lieux vocationnels.

"Appeler quelqu’un, c’est servir une liberté" aime souligner le nouvel évêque de Clermont-Ferrand, Mgr Hippolyte Simon. Un lieu vocationnel, c’est donc cette aumônerie, ce mouvement, cette famille ou cette communauté paroissiale qui permettent d’appeler un jeune à devenir profondément libre pour aimer. Par des propositions de temps de prière et de célébrations, par l’écoute de la Parole et l’engagement au service du frère, Dieu peut faire irruption dans la vie d’un jeune. En relisant personnellement et avec d’autres sa propre histoire, ce dernier découvre un Dieu d’Alliance. Alors, s’ouvre pour ce jeune des perspectives nouvelles de vie, données en Eglise pour le Seigneur et le monde qu’il a suscité. Les lieux vocationnels, par le témoignage de témoins authentiques par leur écoute et leur parole, favorisent aussi l’amour d’une Eglise servante pour laquelle des jeunes ont le goût de donner leur vie. Enfin, ce sont des lieux où est vécue la confiance envers celui qui vient chercher appui et repères pour sa vie humaine et chrétienne. Des lieux où échec et fragilités sont accueillis par des accompagnateurs qui témoignent de la patience de Dieu. Des lieux où l’essentiel prime sur le fonctionnel. Des lieux où, somme toute, Dieu peut faire le travail qu’il souhaite avec un jeune, dans des espaces et des temps aménagés pour que soient accueillis Ses appels.

On a pu le percevoir dans ce parcours : c’est bien toute l’Eglise, prise dans son ensemble, qui est appelée, par sa prière et sa mission, à être ce "lieu vocationnel" par excellence. Loin d’être le "spécialiste" des vocations spécifiques, le SDV par son existence et par son travail avec l’ensemble des partenaires de la vie de l’Eglise, signifie au peuple de Dieu sa responsabilité d’engendrement à tous les appels du Seigneur. Non pas pour faire fonctionner des structures, mais bien pour que Son Règne vienne. C’est par sa vitalité et son audace évangéliques, par sa redécouverte de la nécessité de communautés chrétiennes vivantes, que l’Eglise permettra à de nombreuses vocations spécifiques de surgir en son cœur. Là où des familles unies et chrétiennes sont associées à des lieux communautaires vivants et des mouvements engagés au service des hommes, alors des jeunes sont gagnés par la jeunesse de l’Evangile et par la vie de témoins authentiques et se lèvent pour poursuivre cette exaltante tâche d’évangélisation dans le souffle du Saint-Esprit.

Aussi l’effort de l’Eglise en direction des jeunes - souligné lors de l’assemblée plénière des évêques de France consacrée aux jeunes, en avril 1996 à Paris - consiste aujourd’hui à repérer et à favoriser ces temps et lieux qui permettent la réception des appels de Dieu au don de soi pour la vie des autres, à la manière de Jésus. Le millier de témoignages reçus pour la préparation de cette assemblée et dont nous avons lu certains extraits, le disent clairement : les jeunes ont le profond désir d’être accueillis, écoutés et accompagnés. Ils demandent aux chrétiens adultes de se déclarer amoureux du Christ et de son Eglise, et d’oser témoigner de tout ce qu’ils ont reçu du Seigneur. Au cœur de communautés vivantes, célébrantes et engagées dans la vie du monde, ce sont eux qui donneront aux prochaines générations le désir de répondre à l’invitation de Jésus à participer à la moisson.

Notre profond souhait, exprimé dans une prière confiante au Maître de cette moisson actuelle et à venir est triple : que toute pastorale - et plus particulièrement celle des jeunes - soit vocationnelle ; que l’Eglise croie davantage à elle-même et ose davantage s’engager avec des jeunes sur la voie du plus grand service. Enfin, par son attention à la vie des hommes et des femmes de 1996, qu’elle soit audacieuse dans la réponse aux besoins de nos contemporains. Ainsi, elle sera vraiment le lieu vocationnel dont le Seigneur a besoin pour le service et la sanctification de toute humanité.

Jean-Marie Launay
coordonnateur du SNV