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Ministère diaconal, sacrement de mariage : une articulation à soigner
Marie-Françoise Maincent-Hanquez
diocèse de Lille
diocèse de Lille
Marie-Françoise Maincent-Hanquez est membre du Comité National du Diaconat où elle représente les épouses de diacres.
L’enquête réalisée par le Comité National du Diaconat (1) montre que près de 90 % des diacres permanents sont mariés. Ce pourcentage élevé induit que de nombreuses épouses sont concernées, à des degrés divers, par l’aventure diaconale. Car il s’agit bien d’aventure au sens où le diaconat arrive souvent comme une proposition imprévue, surprenante, à l’origine d’un ensemble d’expériences qui comportent du risque et de la nouveauté. A ce titre, mais aussi pour préserver l’originalité du diaconat permanent, il est donc essentiel de creuser la réflexion sur l’articulation entre les deux sacrements : mariage et ordination.
Une double précision en préambule : à cause de son ancrage fort dans la société civile, le diaconat permanent absorbe les changements sociologiques, se colore des évolutions du couple et de la mutation de la condition féminine. Aujourd’hui, dans la société, il n’y a plus une seule manière univoque d’être homme ou femme. Aujourd’hui, dans l’Eglise, on rencontre donc une diversité de diacres et une variété heureuse d’épouses. Par ailleurs, dans le cadre nécessairement limité de cet article, seule la situation d’interpellation est envisagée, ce qui n’exclut pas de creuser la réflexion sur l’accueil des candidatures spontanées. Pour la clarté de mon propos, je distinguerai deux étapes, l’amont et l’aval de l’ordination diaconale.
Le cheminement diaconal et le couple
Lorsque l’interpellation est faite à un couple, elle ébranle toujours l’équilibre conjugal. « Dieu ne manque pas d’humour » disait une épouse à la première démarche d’appel (2). Il importe donc de bien discerner l’équilibre du couple, mais aussi l’équilibre personnel de l’épouse et la qualité du dialogue au sein du couple. En effet, le projet diaconal ne laisse pas intact ; il entraîne des déplacements, des transformations, des questionnements légitimes qu’il est indispensable de laisser émerger et de verbaliser.
Il n’est pas rare que l’épouse s’interroge sur la concurrence ou la complémentarité des deux sacrements. Y a-t-il conciliation ou coexistence des deux sacrements ? Quel sacrement est au service de l’autre ? Quelle identité pour elle ? Femme de diacre ? Dans cette option, l’épouse aurait acquis une nouvelle identité qui la situerait par rapport à quelque chose qui ne dépend pas d’elle. Femme dont le mari est diacre ? Cela paraît plus juste car, en tout état de cause, l’épouse n’est pas absorbée par un sacrement « extérieur (3) ». Autant d’interrogations qui prouvent l’urgence et la pertinence d’une analyse à mener et approfondir en couple.
Les épouses de candidats souhaiteraient creuser la réflexion sur les différentes valeurs du oui prononcé à l’ordination : si, de fait, on amène les candidats et leurs épouses à mesurer les implications du oui de l’homme à l’ordination, à l’inverse, on néglige souvent la réflexion sur le oui des épouses à l’ordination de leurs maris. Quelle(s) incidence(s) pour l’épouse ? Car « le diaconat s’inscrit dans une histoire personnelle et dans celle d’un couple. Il apporte des richesses mais peut aussi créer ou révéler des difficultés dans le couple (4). » D’où l’importance de prendre en compte la dimension conjugale dès le discernement. Lorsque le cheminement se poursuit jusqu’à l’ordination, la mission diaconale ne doit pas effacer la mission conjugale, le sacrement de l’ordination diaconale ne venant pas transformer de l’intérieur celui du mariage. Au reste, le Père Didier Gonneaud, théologien au CND, considère que « sans vouloir construire une réflexion abstraite sur les sacrements, il est possible de dire que l’ordination se greffe sur l’identité baptismale, et non sur le sacrement de mariage (5). »
Les chemins d’épouses
Pour autant, si Dieu n’appelle jamais contre, mais à travers le conjoint, la place juste de l’épouse est toutefois délicate à définir et à tenir. Car, c’est un fait, il y a dans le diaconat actuel une tension (peut-on parler de torsion ?) permanente. D’une part, l’engagement du diacre est tellement important qu’il est indispensable que le couple s’engage comme couple, lucidement, librement. Pour autant, seul l’époux est ordonné. Il y a, de sa part, un engagement personnel par rapport à l’Eglise et, dans cette perspective, l’épouse accepte l’engagement de son mari. « Le mariage, je l’ai choisi… le diaconat, je l’accepte » confiait une épouse. S’ensuivent différentes manières de se situer comme épouse : depuis l’engagement total de l’épouse qui se met au service du diaconat de son mari : « Pour moi, ma vie, c’est le diaconat de mon mari, c’est le sens de mon oui » jusqu’à celle qui insiste sur l’autonomie respective : « A chacun ses engagements », en passant par le rôle de gardienne de l’équilibre et de l’agenda, toujours inventive pour préserver la vie familiale.
Le lien avec le mariage est ainsi vécu différemment. Pour certaines, le diaconat apporte un déploiement, un approfondissement du lien conjugal. Le dialogue et la prière enrichissent la vie du couple, et la ministérialité du sacrement de mariage, que Xavier Lacroix (6) définit en quatre diaconies – conjugale, parentale, ecclésiale et sociale – rejoint et dynamise le ministère de service du diaconat. Unité et diversité dans le couple s’articulent avec plus ou moins d’harmonie.
A l’inverse, d’autres épouses parlent de décalages douloureux : « Le parcours vers l’ordination, c’est un peu comme un voyage en train. Nous sommes dans le train avec notre mari. Le jour de l’ordination, on arrive en gare. Tout le monde descend. Puis, nos maris remontent dans le train et nous, nous restons sur le quai (7). » Ce que confie cette épouse mérite d’être creusé, et l’Eglise, autant que les diacres, doivent tenir compte de cette perception féminine. J’y vois plusieurs sens. D’une part l’ordination n’occulte ni ne relativise le mariage, bien au contraire ; les deux sacrements génèrent plutôt une réciprocité heureuse et enrichissante. Certes le jour de l’ordination, l’épouse s’engage à soutenir son mari dans sa mission de diacre mais le diacre marié s’est antérieurement engagé à aider sa femme à se réaliser pleinement et à s’épanouir dans sa mission d’épouse. Le ministère diaconal ne peut donc pas être vécu comme un moyen, conscient ou non, de fuir le couple. Le diacre marié est ministre de son mariage et le demeure, même s’il devient clerc.
D’autre part, la remarque porte en filigrane la question de la formation faite en couple. Cette option est plébiscitée à la fois par les époux et les épouses qui disent y avoir trouvé un intérêt personnel. Or il existe actuellement une sensibilité qui s’accommoderait facilement de la formation du candidat seul. Certes se rendre disponible pour se former en couple n’est pas toujours facile, tout particulièrement pour ceux qui ont de jeunes enfants. C’est d’ailleurs un autre aspect qui mérite discernement. Néanmoins, renoncer à la formation partagée n’est pas sans risque. Elle validerait les regrets d’une épouse qui disait : « On nous demande d’être transparentes. » Elle accentuerait les risques de décalages au sein des couples, tout en gommant l’originalité des diacres à qui le statut matrimonial donne une légitimité particulière concernant les questions de conjugalité et de parentalité.
Pour conclure, en reprenant les propos de Xavier Lacroix, j’oserai établir un parallèle éclairant : si le mariage est une actualisation du mystère de l’Eglise, si l’amour de l’homme et de la femme est à l’école de l’agapé du Christ et de l’Eglise, le rôle de l’épouse dont le mari est diacre ne serait-il pas d’être médiation signifiante, un symbole de l’Esprit Saint, Amour dans le monde ? Du reste dans la Bible, ruah, le terme hébreu désignant l’esprit de Dieu est un mot féminin !
Notes :
(1) Enquête "Retour de mission", CND, 2005.
(2) Enquête réalisée dans la province de Cambrai, octobre 2003.
(3) Débat lors de la session "Mariage et diaconat" organisée par le CND, juillet 2001.
(4) Intervention de Mme Boyer, session "Mariage et diaconat’.
(5) Didier Gonneaud, "Diaconat et mariage ou mariage et diaconat", Diaconat aujourd’hui n° 114, février 2005.
(6) Intervention de Xavier Lacroix, session "Mariage et diaconat".
(7) Enquête "Retour de mission", CND, 2005.
Une double précision en préambule : à cause de son ancrage fort dans la société civile, le diaconat permanent absorbe les changements sociologiques, se colore des évolutions du couple et de la mutation de la condition féminine. Aujourd’hui, dans la société, il n’y a plus une seule manière univoque d’être homme ou femme. Aujourd’hui, dans l’Eglise, on rencontre donc une diversité de diacres et une variété heureuse d’épouses. Par ailleurs, dans le cadre nécessairement limité de cet article, seule la situation d’interpellation est envisagée, ce qui n’exclut pas de creuser la réflexion sur l’accueil des candidatures spontanées. Pour la clarté de mon propos, je distinguerai deux étapes, l’amont et l’aval de l’ordination diaconale.
Le cheminement diaconal et le couple
Lorsque l’interpellation est faite à un couple, elle ébranle toujours l’équilibre conjugal. « Dieu ne manque pas d’humour » disait une épouse à la première démarche d’appel (2). Il importe donc de bien discerner l’équilibre du couple, mais aussi l’équilibre personnel de l’épouse et la qualité du dialogue au sein du couple. En effet, le projet diaconal ne laisse pas intact ; il entraîne des déplacements, des transformations, des questionnements légitimes qu’il est indispensable de laisser émerger et de verbaliser.
Il n’est pas rare que l’épouse s’interroge sur la concurrence ou la complémentarité des deux sacrements. Y a-t-il conciliation ou coexistence des deux sacrements ? Quel sacrement est au service de l’autre ? Quelle identité pour elle ? Femme de diacre ? Dans cette option, l’épouse aurait acquis une nouvelle identité qui la situerait par rapport à quelque chose qui ne dépend pas d’elle. Femme dont le mari est diacre ? Cela paraît plus juste car, en tout état de cause, l’épouse n’est pas absorbée par un sacrement « extérieur (3) ». Autant d’interrogations qui prouvent l’urgence et la pertinence d’une analyse à mener et approfondir en couple.
Les épouses de candidats souhaiteraient creuser la réflexion sur les différentes valeurs du oui prononcé à l’ordination : si, de fait, on amène les candidats et leurs épouses à mesurer les implications du oui de l’homme à l’ordination, à l’inverse, on néglige souvent la réflexion sur le oui des épouses à l’ordination de leurs maris. Quelle(s) incidence(s) pour l’épouse ? Car « le diaconat s’inscrit dans une histoire personnelle et dans celle d’un couple. Il apporte des richesses mais peut aussi créer ou révéler des difficultés dans le couple (4). » D’où l’importance de prendre en compte la dimension conjugale dès le discernement. Lorsque le cheminement se poursuit jusqu’à l’ordination, la mission diaconale ne doit pas effacer la mission conjugale, le sacrement de l’ordination diaconale ne venant pas transformer de l’intérieur celui du mariage. Au reste, le Père Didier Gonneaud, théologien au CND, considère que « sans vouloir construire une réflexion abstraite sur les sacrements, il est possible de dire que l’ordination se greffe sur l’identité baptismale, et non sur le sacrement de mariage (5). »
Les chemins d’épouses
Pour autant, si Dieu n’appelle jamais contre, mais à travers le conjoint, la place juste de l’épouse est toutefois délicate à définir et à tenir. Car, c’est un fait, il y a dans le diaconat actuel une tension (peut-on parler de torsion ?) permanente. D’une part, l’engagement du diacre est tellement important qu’il est indispensable que le couple s’engage comme couple, lucidement, librement. Pour autant, seul l’époux est ordonné. Il y a, de sa part, un engagement personnel par rapport à l’Eglise et, dans cette perspective, l’épouse accepte l’engagement de son mari. « Le mariage, je l’ai choisi… le diaconat, je l’accepte » confiait une épouse. S’ensuivent différentes manières de se situer comme épouse : depuis l’engagement total de l’épouse qui se met au service du diaconat de son mari : « Pour moi, ma vie, c’est le diaconat de mon mari, c’est le sens de mon oui » jusqu’à celle qui insiste sur l’autonomie respective : « A chacun ses engagements », en passant par le rôle de gardienne de l’équilibre et de l’agenda, toujours inventive pour préserver la vie familiale.
Le lien avec le mariage est ainsi vécu différemment. Pour certaines, le diaconat apporte un déploiement, un approfondissement du lien conjugal. Le dialogue et la prière enrichissent la vie du couple, et la ministérialité du sacrement de mariage, que Xavier Lacroix (6) définit en quatre diaconies – conjugale, parentale, ecclésiale et sociale – rejoint et dynamise le ministère de service du diaconat. Unité et diversité dans le couple s’articulent avec plus ou moins d’harmonie.
A l’inverse, d’autres épouses parlent de décalages douloureux : « Le parcours vers l’ordination, c’est un peu comme un voyage en train. Nous sommes dans le train avec notre mari. Le jour de l’ordination, on arrive en gare. Tout le monde descend. Puis, nos maris remontent dans le train et nous, nous restons sur le quai (7). » Ce que confie cette épouse mérite d’être creusé, et l’Eglise, autant que les diacres, doivent tenir compte de cette perception féminine. J’y vois plusieurs sens. D’une part l’ordination n’occulte ni ne relativise le mariage, bien au contraire ; les deux sacrements génèrent plutôt une réciprocité heureuse et enrichissante. Certes le jour de l’ordination, l’épouse s’engage à soutenir son mari dans sa mission de diacre mais le diacre marié s’est antérieurement engagé à aider sa femme à se réaliser pleinement et à s’épanouir dans sa mission d’épouse. Le ministère diaconal ne peut donc pas être vécu comme un moyen, conscient ou non, de fuir le couple. Le diacre marié est ministre de son mariage et le demeure, même s’il devient clerc.
D’autre part, la remarque porte en filigrane la question de la formation faite en couple. Cette option est plébiscitée à la fois par les époux et les épouses qui disent y avoir trouvé un intérêt personnel. Or il existe actuellement une sensibilité qui s’accommoderait facilement de la formation du candidat seul. Certes se rendre disponible pour se former en couple n’est pas toujours facile, tout particulièrement pour ceux qui ont de jeunes enfants. C’est d’ailleurs un autre aspect qui mérite discernement. Néanmoins, renoncer à la formation partagée n’est pas sans risque. Elle validerait les regrets d’une épouse qui disait : « On nous demande d’être transparentes. » Elle accentuerait les risques de décalages au sein des couples, tout en gommant l’originalité des diacres à qui le statut matrimonial donne une légitimité particulière concernant les questions de conjugalité et de parentalité.
Pour conclure, en reprenant les propos de Xavier Lacroix, j’oserai établir un parallèle éclairant : si le mariage est une actualisation du mystère de l’Eglise, si l’amour de l’homme et de la femme est à l’école de l’agapé du Christ et de l’Eglise, le rôle de l’épouse dont le mari est diacre ne serait-il pas d’être médiation signifiante, un symbole de l’Esprit Saint, Amour dans le monde ? Du reste dans la Bible, ruah, le terme hébreu désignant l’esprit de Dieu est un mot féminin !
Notes :
(1) Enquête "Retour de mission", CND, 2005.
(2) Enquête réalisée dans la province de Cambrai, octobre 2003.
(3) Débat lors de la session "Mariage et diaconat" organisée par le CND, juillet 2001.
(4) Intervention de Mme Boyer, session "Mariage et diaconat’.
(5) Didier Gonneaud, "Diaconat et mariage ou mariage et diaconat", Diaconat aujourd’hui n° 114, février 2005.
(6) Intervention de Xavier Lacroix, session "Mariage et diaconat".
(7) Enquête "Retour de mission", CND, 2005.