La maturité en question
Par le Père Tony Anatrella, psychanalyste, spécialiste en psychiatrie sociale, membre de l’Association Médico-psychologique d’Aide aux Religieux. Auteur de nombreux ouvrages, il vient de faire paraître, aux éditions Flammarion, un livre intitulé : L’amour et le préservatif.
Les adultes et la plupart des institutionnels se plaignent de plus en plus de l’immaturité des jeunes. Déjà au début des années soixante, on faisait ce même constat en particulier lors de congrès sur les vocations sacerdotales et religieuses. C’est pourquoi il est utile de s’interroger afin de savoir si ce phénomène est nouveau ou bien s’il est inhérent à l’expérience juvénile ?
Un décalage
Lorsque des adultes parlent spontanément des jeunes, ils s’expriment à partir de leur expérience de la vie mais aussi de leur âge. Le décalage qu’ils constatent chez les jeunes est plus le reflet des différences qui existent depuis toujours entre les générations que la manifestation d’une immaturité inédite. Très souvent, les adultes sont frappés d’amnésie et oublient comment ils étaient dans leur enfance et les questions qu’ils se posaient lors de leur propre adolescence ou de leur post adolescence. Pour l’individu de quarante ans, celui de vingt-cinq ans sera considéré, le plus souvent, comme celui à qui il manque de la maturité affective, intellectuelle ou sociale pour exercer par exemple ses responsabilités. Or la maturité est une acquisition constante et il n’est pas étonnant que les aînés soient en avance sur les plus jeunes. La littérature la plus ancienne nous montre que les adultes se sont toujours plaints de la puérilité ou du manque de compétence des jeunes.
Des représentations favorisent l’immaturité
Il serait néanmoins insuffisant d’en rester à cette seule observation pour rendre compte du problème de l’immaturité que l’on constate depuis une trentaine d’années. Il se présente d’une façon toute singulière dans la mesure où les modèles sociaux actuels encouragent plus à se maintenir dans les états premiers de l’enfance et de l’adolescence que de construire sa personnalité et sa relation sociale. Les pulsions et les représentations devraient s’exprimer comme elles viennent sans aucun travail d’élaboration. La moindre crise affective, par exemple dans la vie conjugale après dix à quinze ans de mariage, sera traitée sur le modèle du couple juvénile, par la rupture, au lieu de réfléchir et d’identifier la nature des interrogations. Enfin, au lieu de s’interroger sur eux et sur leur évolution personnelle, de nombreux adultes reprocheront à leur éducation, voire à l’Eglise, leur inhibition sexuelle et leur transgression là où, en réalité, ils n’ont pas réussi à intégrer leur vie sexuelle et à se libérer de leurs images parentales.
Certains se sont ainsi engagés dans le célibat consacré dans une relative mise à distance de leur vie sexuelle sans avoir développé, au cours de leur adolescence, un self leur permettant d’accepter et d’intérioriser l’érotisation de leur corps, leurs motions sexuelles et le sens des relations sexuées. Il n’est pas étonnant que l’on assiste, par la suite, quand on s’empêche de prendre possession de sa génitalité, à un retour du refoulé se manifestant de façon impulsive. S’ils ne parviennent pas à reconnaître que cette attitude de surveillance de leur vie sexuelle venait d’eux, car ils se méfiaient de leurs pulsions, ils vont la retourner sur des figures d’autorité. C’est encore une façon de s’installer dans le refus de soi et une incapacité à s’interroger sur soi-même.
Très souvent le célibat consacré est mis en cause, tout comme le mariage d’ailleurs, là où le sujet ne parvient pas à considérer ce qu’il vit et cherche à travers sa vie sexuelle. Cette quête est largement conditionnée par les représentations sociales. L’objet du désir que tend à imposer la société est celui de l’épanouissement en dehors des contingences des âges de la vie et des systèmes de régulation nécessaire à la prise de possession de soi.
Les avatars de l’idéologie de l’épanouissement
L’éducation contemporaine vise à l’épanouissement immédiat de l’enfant et de l’adolescent pour s’assurer, pense-t-on, de son bonheur ultérieur. On voudrait ainsi éviter les problèmes, les frustrations et les échecs liés aux étapes de l’évolution psychique, à la nécessité des apprentissages et aux difficultés relationnelles. Tout se passe comme si des adultes n’avaient pas su affronter les interrogations sur leur propre enfance et voulaient les éviter à leurs enfants. Dans ce contexte, l’enfance et l’adolescence sont retenues comme une fin, alors que dans une perspective plus réaliste, ces âges de la vie ne se comprennent que par rapport à l’adulte achevé.
Certes, il est souhaitable de veiller au bien-être des enfants et des adolescents, mais l’épanouissement est toujours à venir, sinon on risque de les maintenir dans un âge arrêté de la vie. Ce phénomène est patent lorsque des jeunes ont du mal à faire le deuil des gratifications infantiles pour accéder à des modes de satisfaction supérieure. Il favorise toute une gamme de conduites dépressives face à la réalité qui ne peut pas être source de plaisir.
Si l’adulte n’a pas une représentation de soi et du terme auquel doit parvenir l’enfant, on ne voit pas comment il pourra engager une relation éducative. Cette dernière implique de disposer d’objectifs à partir desquels l’environnement vit et travaille avec l’enfant pour éveiller et fortifier ses possibilités qui prennent sens par rapport à leur devenir. L’éducateur a le sens de l’avenir de l’enfant et des conséquences de ce qu’il entreprend avec lui. De nombreux adultes ne savent plus se situer et agir avec ces simples règles de bon sens.
L’environnement, par conséquent, est devenu au fil des années moins porteur et moins éducatif quand on a substitué l’épanouissement à l’accomplissement et au développement des fonctions de la personnalité. Nous sommes devenus plus attentifs aux satisfactions à accorder à l’enfant plutôt que de lui permettre de les obtenir à partir de ce qu’il découvre et apprend de la réalité.
Nous avons donc créé un clivage, dans les représentations sociales, entre une conception de l’épanouissement, recherché pour lui-même, et celle de la réalité s’opposant à l’individu alors que c’est dans une relation avec les objets du monde extérieur que l’individu peut apprendre à devenir lui-même. En se situant de cette façon il n’est plus nécessaire de s’inscrire dans une relation éducative qui implique le développement de l’individu et un projet de vie.
Parvenus à ce point, de nombreux adultes se plaignent de ne pas savoir comment être avec un enfant et un adolescent. Le doute domine au sujet de ce qu’il faut transmettre, comment respecter la liberté de l’enfant, l’orienter dans des choix et se situer comme adulte voire comme parent. Ils sont hésitants et incertains dans leur rôle, se vivent à égalité avec des enfants considérés comme des adultes en réduction, en pensant qu’ils possèdent tous les éléments pour comprendre la réalité et se débrouiller tout seul. La relation éducative s’est transformée en relation de négociation dans la confusion des rôles et des places dans la famille. Or il revient aux adultes de prévoir, d’organiser et d’insérer les jeunes dans la vie et non pas de les abandonner à eux-mêmes. Nous payons aujourd’hui la facture ! En 68 on voulait se débarrasser des adultes et des professeurs. Aujourd’hui les jeunes les recherchent et les sollicitent. La presse parle souvent du malaise des jeunes - ce qui n’est pas un fait nouveau puisqu’il est inhérent à cet âge de la vie - en fait ce sont surtout les adultes qui sont mal à l’aise dans leur relation vis-à-vis d’eux.
L’environnement renvoie chacun à lui-même
La maturation des individus devient plus difficile dans un environnement moins porteur. Ils sont davantage renvoyés à eux-mêmes qu’en interaction avec une société qui a une vision claire d’elle-même, des propositions à faire et surtout des adultes qui savent tenir leur rôle et initier les plus jeunes. Ce rôle d’éducateur, de formateur ou d’entraîneur fait défaut et ne permet pas à des jeunes de s’appuyer sur diverses relations et structures pour se construire et devenir autonomes. L’absence de relations d’étayage favorise parfois une pré maturation du Moi de l’enfant, source par la suite de toutes les conduites de dépendances (toxicomanie, relations affectives, groupes religieux fusionnels, etc.) ou développe des personnalités indécises. On observe souvent la psychologie floue, hésitante et systématique chez des post adolescents de 25-30 ans qui n’en finissent pas de clore leur adolescence dans un monde qui les considère "achevés" alors qu’ils cherchent encore leurs marques et éprouvent le besoin de pouvoir compter sur leur aînés dans leur milieu professionnel par exemple.
Une maturation constante de la personnalité s’acquiert selon les âges de la vie en interaction avec l’environnement qui sollicite les diverses fonctions psychiques. Mais ce processus est possible dans la mesure où, à l’issue de la post adolescence, les fonctions de base de la vie psychique et les structures de l’appareil mental sont parvenues à leur achèvement et sont en place pour en permettre le développement par la suite. Dans le contexte actuel, de nombreux problèmes se posent justement à ce sujet. Cependant ils ne se posent pas d’abord par rapport à l’immaturité juvénile, mais en fonction d’un environnement qui ne sait plus, ou pas toujours, accompagner les jeunes.
Depuis de nombreuses années se forme une crise inédite entre jeunes et adultes. De temps en temps, elle s’exprime de façon aiguë - en attendant qu’elle soit plus massive - et met en question les adultes qui ne jouent plus leur rôle vis-à-vis des plus jeunes. C’est le thème récurrent de la plupart des manifestations de lycéens et d’étudiants qui se répètent tous les deux ans. Les jeunes ne peuvent pas se contenter de consultations, de questionnaires et de sondages comme si justement les adultes étaient en panne et leur demandaient ce qu’ils doivent faire. Les adultes sont remis en question pour ne pas tenir leur rôle éducatif, pour s’être abstenus de transmettre à leurs enfants un héritage culturel, moral et religieux, pour tenir des discours de négation et vides de sens.
Nous sommes dans l’impasse des idéaux du refus des années soixante qui ont abouti à laisser des jeunes dans leur errance sociale sans ancrage historique. La relation éducative est toujours déterminée par la conception que l’on se fait du désir de l’enfant à naître dans la société. Il faudrait également évoquer, à ce sujet, les conséquences sur la relation, jeunes/adulte, de l’idéal de la mentalité contraceptive et abortive qui coexiste avec l’idéal de la fécondité dans la mesure où les enfants ne sont pas attendus pour eux-mêmes. A la grève de la naissance des enfants correspond le refus et l’incapacité d’une relation éducative qui insère dans la réalité. La société participe ainsi à enfermer les individus dans l’infantile faute d’un désir de les mettre au monde. Cette absence de fécondité ne s’observe-t-elle pas aussi dans la vie pastorale et notamment à travers le manque de vocations sacerdotales ? Veut-on vraiment faire vivre et faire durer après soi ?
On peut se demander en effet si certaines pratiques pastorales ne participent pas de cette immaturité alimentée par les représentations sociales. Evoquons quelques exemples. La façon dont un prêtre va se situer, dans un groupe de jeunes ou dans des relations individuelles sur un plan affectif plus que dans son rôle, pourra empêcher une socialisation de la relation. Les signes et le langage qui seront utilisés pourront maintenir dans l’indifférenciation. La façon de se présenter, de s’habiller, de parler, le besoin assez infantile de se faire appeler par son prénom plus que par son titre, de se faire systématiquement tutoyer et de tutoyer l’autre, éliminent le sens des médiations pour communiquer et développer le lien social. Cette quête de proximité et ce besoin d’entrer aussi directement dans l’espace de l’autre montre que l’on ne sait pas occuper le sien.
La multiplication des bons sentiments dans la vie pastorale peut faire oublier l’absence d’idées ou l’incapacité de rendre compte du contenu intellectuel et doctrinal de la foi chrétienne et de ses exigences. Il n’est pas étonnant d’observer par la suite, chez des jeunes comme chez des adultes, un manque de connaissances et de maturation de l’intelligence chrétienne. Il ne suffit pas de troquer le clergyman pour des tenues bigarrées plus ou moins entretenues (jeans, basket, pull, blouson, etc.) pour donner l’image d’un corps vraiment assumé personnellement et reconnu dans son identité sociale. Ce sont autant d’attitudes qui maintiennent dans l’immaturité et perturbent les relations jeunes/adultes au point que les premiers ne voient pas comment s’identifier aux seconds pour grandir quand les aînés les incitent à entretenir des régressions. Une telle relation n’est pas structurante. .
Les tâches psychiques de la maturation
Les études de psychiatrie sociale montrant les influences de la société sur certaines structures psychiques davantage sollicitées ou niées, indiquent combien le Moi social des individus reste dans bien des cas flou et évanescent. D’où ces plaintes entendues chez des jeunes de ne pas savoir se concentrer ni se contenir, de ne pas savoir où ils en sont personnellement ni s’évaluer, s’organiser dans leur identité, anticiper l’avenir, manquer d’images guides, d’avoir du mal à prendre possession de soi, etc. Autant de tâches psychiques à accomplir dans la mesure où la société offre des matériaux identificatoires à partir desquels il est possible de s’élaborer.
Quand ce travail interne a du mal à se réaliser, l’individu se maintient dans les états premiers des fonctions et des pulsions. Cette attitude est repérable à travers la difficulté à quitter le monde de ses parents (même si l’on est indépendant), de se vivre comme enfant plus que comme adulte en devenir et de rester insensible pour s’ouvrir à ce qui se passe à l’intérieur de soi. Ces symptômes peuvent être compensés à travers certains types de relation amoureuse qui se créent pour prolonger ou reconstituer du familial, mais aussi le repli sur l’imaginaire et le virtuel vécus comme "la vraie vie" faute de racines et de maîtrise sur les réalités, en ayant recours à la toxicomanie pour faire taire sa vie interne et les pressions pulsionnelles dont on ne sait que faire.
Ce sont ces personnalités incertaines et dans l’air du temps que nous accueillons avec un "désir" de vocation sacerdotale ou religieuse. Elles se trouvent confrontées au moins à quatre problèmes majeurs de maturation.
1 - La maturité affective est souvent soumise aux gratifications de la sexualité infantile. Les expériences amoureuses ne sont pas en elles-mêmes source de maturité pour modifier l’économie affective. Les relations peuvent être recherchées sur le mode de l’infantile dans le besoin d’être protégé de soi et valorisé par l’autre. La masturbation peut également se prolonger en se prenant soi-même comme objet sexuel sans pouvoir accéder à une relation objectale afin de trouver son plaisir dans la relation à l’autre. Elle peut aussi être le signe d’une dépendance et d’un attachement à des images parentales. Les interrogations liées à la bisexualité psychique, et en particulier à l’homosexualité, sont souvent le symptôme de problèmes identificatoires avec le parent du même sexe et de la difficulté à intégrer la différence des sexes. Le rabattement homosexuel est un handicap pour accéder au sens de l’altérité qui se fonde dans la différence homme/femme. Ces personnalités narcissiques ont tendance à ramener la relation de groupe à eux-mêmes, ce qui ne va pas sans poser des problèmes dans l’animation pastorale et dans le rapport à l’autorité .
2 - La maturité intellectuelle dépend de la capacité à se concentrer sur un objet extérieur à soi et d’en rendre compte pour lui-même. Elle implique la mémoire, la restitution de ce qui est appris, le raisonnement et le jugement juste. Ce processus nécessite d’être passé du sensoriel au concept surtout en matière d’études religieuses du christianisme : religion de la parole de Dieu.
Un tel passage demande à certains un effort et une méthodologie pour lire, réfléchir, rédiger et plus tard enseigner, ce qui est également une des fonctions du prêtre. L’ambiance sensorielle dans laquelle nous sommes et les carences dans l’apprentissage scolaire, que l’on peut observer chez des étudiants dans les premiers cycles des universités, ne les prédisposent pas à développer un langage riche et varié mais aussi une pensée linéaire. La réflexion ressemble plus souvent à du zapping qui part dans tous les sens, au gré des associations.
3 - La maturation temporelle est aussi en question lorsque des individus ont un rapport au temps réduit à l’instant, un immédiat qui dure, sans savoir le conjuguer au passé, au présent et au futur. La difficulté d’accéder à une conscience historique donne à certains le sentiment que la vie et l’histoire commencent avec eux. Quand on n’a pas conscience du temps, il est bien difficile d’avoir des projets, de concevoir des choix et un engagement durable et de s’enrichir au contact des acquis historiques. Le temps est ramené à soi et dans cette position narcissique, toute relation institutionnelle devient insupportable. On jouera l’individu contre l’institution vécue sur le mode de la mère toute-puissante à qui on reprochera tout : aussi bien ses propres insuffisances que les problèmes qui ne manqueront pas de se poser.
Certains même n’hésiteront pas à faire le procès de l’Eglise alors qu’il est simplement le déplacement de leur impuissance personnelle. Ou bien la Communauté primitive sera idéalisée au point de favoriser une régression à cet état premier pour ne pas avoir à assumer l’héritage du processus historique dans lequel le christianisme s’est développé. Nous retrouvons dans cette immaturité temporelle le besoin de rester dans le primitif et de faire fi du travail de l’élaboration. Les générations actuelles, privées du sens de l’histoire, cherchent à renouer le fil rompu et la tradition chrétienne leur apparaît comme ce qui est authentique et durable, ce qui fait vivre à travers le temps et l’espace, et non pas comme un conservatisme obsessionnel.
4 - La représentation de soi est un enjeu de la maturité de la personnalité qui permet de prendre en compte les divers aspects de sa personne. Elle dépend de la mise en place du self quand l’individu réactualise, lors de la post adolescence, l’opération de différenciation et de séparation des autres - à commencer par ses images parentales - pour devenir autonome dans son espace psychique. Il s’unifie davantage dans sa cohérence et acquiert une stabilité de base en vue d’une croissance continue tout au long de l’existence. Le self est problématique tant que l’individu manifeste un manque de confiance en soi et de continuité ; son identité individuelle a du mal à s’affermir.
La représentation de soi est un processus où s’opère une interaction permanente entre la personne avec son entourage et les autres. Or de nombreux jeunes se heurtent à cette opération surtout lorsque leur relation se limite précocement, entre quinze ans et la vingtaine, à l’élection amoureuse. Ils limitent leur expansion sociale et, après l’échec de quelques expériences dites amoureuses, ils ne savent plus où ils en sont avec eux-mêmes. Ils cherchent alors à prendre possession d’eux-mêmes là où ils n’étaient que extra déterminés par et dans le Moi de l’autre. Ils font le mouvement inverse, allant de l’élection affective à la relation sociale avant même d’avoir trouvé le sens d’une relation objectale et amoureuse.
Le processus d’acquisition de la représentation de soi met en relief la personne par l’intériorisation de ses points de repères. Ces derniers permettent de prendre conscience de soi, d’agir à l’intérieur de soi-même et d’entrevoir les phases des âges de la vie. Ils traduisent l’intégration de son identité sexuelle en cohérence avec son corps sexué, la qualité de son autonomie psychique et corporelle, les façons de s’exprimer, de travailler et de penser, le sens des divers apprentissages, la façon d’assumer sa sexualité, son histoire, l’interaction avec l’entourage physique et humain, les rôles assumés dans les différents milieux d’engagement, les relations interpersonnelles significatives, le sens donné à sa vie et son expression par des valeurs et des priorités. L’autorégulation psychique s’acquiert progressivement et se maintient par la représentation de soi. Autrement dit, l’impulsivité et la spontanéité deviennent synonymes d’incohérence et d’inefficacité.
Conclusion
L’environnement actuel ne favorise pas la maturité. Nos représentations sociales incitent surtout à se maintenir dans le juvénile et dans l’inachevé comme le scandent, entre autres, les spots publicitaires. Ce désir de la maturation, que l’on observe également dans des pratiques pastorales, ne donne pas les matériaux culturels à partir desquels il est possible à des jeunes d’élaborer leur vie pulsionnelle, intellectuelle et sociale. Ils sont sollicités pour s’exprimer de façon primaire. Il suffit pour s’en convaincre d’observer dans les médias le succès de la fécalité et d’un langage qui ne sait plus décrire, analyser et exprimer une pensée autrement qu’avec des contractions de mots et une inflation de superlatifs. Nous sommes souvent en deçà de la parole et de la pensée symbolique.
Le travail éducatif devrait se donner comme priorité de favoriser la construction de la personnalité et de son intériorité plutôt que d’être complice d’une certaine régression. Cette dernière s’impose lorsque justement on ne dispose pas de projets et l’individu, dès lors, risque de se prendre comme son propre objet d’autoconsommation face à une société qui n’a rien à lui offrir comme perspective. C’est justement parce que l’adolescent découvre qu’il a intérêt à grandir qu’il accepte de renoncer à des gratifications infantiles et d’en faire le deuil. Mais pour cela encore faut-il que les adultes deviennent significatifs et que la société donne envie de vivre, de construire.
Le manque de vocations sacerdotales s’interprète de différentes façons. Trop souvent des chrétiens incriminent l’Eglise pour expliquer cette insuffisance des vocations comme s’ils n’étaient pas eux aussi l’Eglise à leur place. N’est-ce pas faire preuve d’une certaine immaturité que de mettre le problème à l’extérieur de soi ou de croire qu’il suffit de changer la conception que se fait l’Eglise du prêtre pour recruter tous azimuts ?
D’autres questions se posent. Quelle est la maturité humaine et spirituelle des prêtres ? Donnent-ils envie de vivre comme eux ? Comment vivent-ils leur relation avec l’Eglise et sa mission d’évangélisation pour éveiller les plus jeunes à poursuivre ce travail ? Se confronter à la représentation que l’Eglise se fait du prêtre n’est-elle pas source de maturation pour l’éveil des vocations ?
Tony Anatrella