La vocation. Quelle histoire ?
Par François Marchand, psychologue, marié, père de cinq enfants. François Marchand, docteur en sciences de l’éducation, est aussi secrétaire général de l’AMAR.
La vocation religieuse et/ou sacerdotale est une histoire d’amour vécue par des êtres humains. Une histoire que les sciences humaines permettent en partie de lire, de comprendre et d’écrire à travers des besoins psychologiques universels, à travers des modes et des rythmes de maturation individuels et collectifs, dans des contextes particuliers.
La rencontre d’un psychologue de l’éducation (1) dans le cadre de l’AMAR, n’a pas pour objet de donner un avis sur la vocation d’un séminariste, d’un prêtre, d’un(e) novice ou d’un(e) profès(se). Ni de "tester le Saint-Esprit" comme certains l’ont prétendu !
Il s’agit de donner à une personne, confrontée à une "vocation" particulière dans sa relation à Dieu, l’occasion de s’exprimer devant des spécialistes extérieurs à l’institution, afin de prendre conscience et, si possible, d’être plus lucide sur sa réalité humaine psychologique ; pour mieux connaître la qualité du "don" que la personne fait dans un état de vie et dans des institutions qui ont leurs modes de fonctionnement et leurs exigences spécifiques.
Qu’elles soient profanes ou religieuses, les vocations humaines s’inscrivent dans une recherche du sens de la vie en quête du bonheur et à travers un apprentissage de l’amour.
Bonheur et vocation
Les chances d’être heureux, au-delà de la satisfaction des besoins de survie (boire, manger, se chauffer, éliminer les déchets, dormir), dépendent de sept besoins psychologiques vitaux :
o Besoin de stimulations sensorielles (toucher, sentir, voir, entendre, goûter) et émotionnelles (joie, colère, tristesse, peur) source des plaisirs et qui produisent des sécrétions nécessaires à l’équilibre neuro-biologique. Le manque de ces excitants provoque la recherche de compensations (drogues, sublimations et autres). Comment sont vécus ces besoins dans la vie de chacun et quelle place plus ou moins consciente occupent-ils dans les vocations humaines ?
o Besoin d’être "aimable", d’aimer et d’être aimé, sans cesse menacé par deux systèmes de peurs : le sentiment d’infériorité qui est la peur de ne pas être assez "valable", et le sentiment de culpabilité qui est la peur d’être coupable. Pour se défendre contre ces peurs, chaque être humain construit très tôt un scénario de vie, un système d’attitudes et de relations qu’il a tendance à garder toute sa vie. Dans quels scénarios de vie s’inscrivent les "appels" à une relation privilégiée avec Dieu ?
o Besoin de conduire les énergies du désir (à travers les diverses séductions) et de l’angoisse (à travers les décharges des tensions agressives vers l’extérieur ou vers l’intérieur de soi-même). Quelles gestions du désir et de l’angoisse manifeste l’histoire de ceux qui se sentent "appelés" ?
o Besoin de tendresse envers soi-même et envers les autres. Cela exige un climat de confiance et de bienveillance permettant le respect et éventuellement le partage des territoires d’intimité. Comment chaque forme de vie consacrée ou sacerdotale permet-elle de vivre ce type de besoin (isolement, vie commune, clôture, distance "fonctionnelle" nécessaire à une vie personnelle, etc.) ? Et comment un(e) candidat(e) a-t-il(elle) appris la tendresse ?
o Besoin de construire une identité reconnue valable donc aimable. Notre mère nous a mis au monde, il ne nous reste plus qu’à devenir "quelqu’un". Nous recevons un prénom, un nom de famille, des étiquettes (scolaires, religieuses) et parfois des réputations qui fixent nos appartenances particulières à des groupes. Le besoin de se connaître soi-même, de s’évaluer et d’être évalué par les autres, joue un rôle important dans les vocations. Qui désirons-nous devenir ? De quel groupe religieux ou institution souhaitons-nous devenir membre, porter l’habit, et pourquoi ?
o Besoin d’utiliser des représentations qui donnent du sens à la vie : idéal, valeurs, modèles, symboles, mythes, croyances, métaphores, paraboles, explications, interprétations, etc. Sur quelles représentations, construisons-nous nos idéaux et quelles influences exercent-ils dans l’histoire de notre vocation humaine et de nos manques personnels ?
o Besoin de sécurité. Quelles sécurités cherchons-nous dans nos choix de vocations ?
Maturation et vocation
L’histoire d’une vocation s’écrit dans la maturation des divers plans (affectif, intellectuel, sexuel, politique, spirituel, etc.) d’une personne et particulièrement dans le développement des jugements qui permettent ses choix.
L’étude de l’évolution des jugements à partir de l’adolescence permet souvent de situer les étapes de maturation de la vocation. La croissance physique, et tout particulièrement génitale, fait découvrir au jeune qu’il devient différent. Il cherche à dire : "Je ne suis plus un enfant". C’est une crise d’identité car il ne sait pas bien encore ce qu’il est et ce que sera sa nouvelle identité.
Trois étapes sont caractéristiques de la quête d’identité adolescente :
o Dans une première étape l’égocentrisme adolescent, qui n’est pas de l’égoïsme, est une incapacité à se décentrer de son propre point de vue. Tout est rapporté à ce qu’il pense, à ce qu’il sent, à ce qu’il juge. Il n’y a pour lui que deux catégories de gens : ceux qui pensent comme lui et qui ont raison ; ceux qui pensent autrement et qui ont tort. Il est impossible de relativiser les jugements. Les convictions et la sincérité disent la VERITE.
Le besoin de s’opposer pour s’affirmer est une des principales façons de dire "je ne suis plus un enfant". Les relations aux autres se vivent en dépendance et en contre-dépendance. Ces attitudes ont tendance à durer... toute la vie chez certaines personnes !
o Dans une seconde étape la quête d’identité pousse à choisir des modèles, des vedettes, des idoles à imiter. Pour devenir quelqu’un, l’adolescent souhaite ressembler à des personnes qui ont un personnage reconnu socialement valable, donc aimable. Les choix se font à partir de besoins souvent inconscients : il s’agit d’obtenir ce qui manque. Les choix vocationnels, profanes ou religieux, s’inscrivent dans cette étape de la construction de l’identité. Ils jalonnent des chemins d’indépendance.
o La troisième étape conduit vers une autonomie dans l’interdépendance aux autres. Elle implique une maturation des jugements permettant de relativiser, de pluraliser les solutions, de hiérarchiser autrement, d’anticiper les conséquences des hypothèses, de supporter qu’il y ait du bon grain et de l’ivraie dans les meilleures intentions. Qui peut prétendre y être totalement parvenu ?
Ces étapes qui décrivent la maturation des individus ont des analogies nombreuses avec celles qui caractérisent l’évolution des couples, des groupes, des institutions et des peuples (2).
L’histoire des vocations profanes ou religieuses s’écrit généralement à travers trois étapes de maturation :
- une émotion privilégiée déclenche des envies, une sorte d’appel, à partir de résonances intérieures, personnelles.
- l’envie d’imiter telle ou telle personne dont l’activité, la vie, le personnage deviennent des modèles exemplaires, aide à la construction de l’idéal du moi.
- la construction d’une autonomie progressive permet à la vocation de donner du sens à la vie, de devenir soi-même et de faire des choix, en interdépendance avec d’autres personnes, avec des institutions et dans des engagements capables de relativiser la pluralité des démarches et des solutions.
Certaines vocations paraissent "fixées" au second niveau de l’imitation d’un saint fondateur, d’un personnage rencontré ou d’une idéalisation compensatrice de manques profonds. Il peut être utile d’en prendre conscience pour en purifier les limites.
L’apprentissage de l’amour
Les vocations religieuses ou sacerdotales suivent naturellement les étapes de maturation psychologique des personnes en apprentissage de l’amour (3). Amours possessifs, fusionnels, de dépendance ou de contre dépendances, qui ne supportent pas le partage et reproduisent ou conservent le type de relation symbiotique mère-enfant.
Amours ensuite des émotions nouvelles que donne un autre à partir de l’adolescence et dont on ne connaît en fait que le plaisir sensible ou sensuel qu’il provoque. Amours enfin du bonheur de celui qu’on aime et qui peut nous le "rendre" ; amours qu’il devient possible de partager avec d’autres sans en être détruit.
Apprendre à aimer c’est élargir les capacités d’aimer en donnant à l’autre comme à soi-même la possibilité d’être "autre", "différent", en dynamique du provisoire, dans le temps du désir. Le besoin fait de l’autre un "objet" qui satisfait ou non ce besoin. Le désir laisse à l’autre la possibilité d’être un "sujet" capable d’une relation d’amour désirante.
Les déceptions amoureuses, y compris dans les vocations religieuses peuvent être l’occasion d’apprendre le deuil de certaines idolâtries et d’apprendre à vivre la présence du bon grain et de l’ivraie dans toute vocation, d’apprendre à relativiser. Les formateurs devront être vigilants devant les certitudes vocationnelles qui ne peuvent même pas supporter les dimensions humaines de leur réalité et l’égocentrisme de leurs jugements. On dit que l’amour est aveugle mais il n’est pas évident qu’il gagne à le rester.
Des contextes différents
Toutes les vocations apparaissent dans des contextes, dans des systèmes d’influence, qui demandent aux formateurs, comme aux autorités responsables d’institutions sacerdotales ou religieuses, une attention particulière.
- Quelle capacité le/la canditat(e) a-t-il(elle) de mettre en question "sa" vocation ?
- A-t-il(elle) seulement envisagé un éventuel refus de l’institution ?
- Quelles sont ses idolâtries de perfection et de "don total" ?
- Quel chemin de son désir et de son angoisse est-il(elle) capable de dire et de lire ?
- Quelles sont ses capacités de relativiser et de s’enrichir des deuils qui permettent les re-naissances ?
- De quelles fidélités se sent-il(elle) capable ?
- Que peut signifier un engagement au célibat et à une chasteté-continence pour quelqu’un qui proclame bien haut que ce domaine "ne lui pose aucun problème" ?
- Quelles sont les immaturités probables et quelles représentations la personne "en état de vocation" se fait-elle des difficultés qu’elle pense rencontrer et des progrès qu’elle a à faire dans la dynamique de sa personne ? Etc.
Etre plus lucide
La rencontre d’un psychologue de l’éducation de l’AMAR peut aider à acquérir une meilleure lucidité psychologique dans la façon de se conduire soi-même, dans le cadre d’une vocation qui, restant une histoire d’amour, garde ses dimensions de mystère (qui révèle du caché et du sacré) des rencontres amoureuses.
La complémentarité des points de vue du(de la) religieux(se) psychologue, du(de la) psychiatre psychanalyste et du psychologue de l’éducation permet souvent d’améliorer des images de soi très immatures ou douloureusement marquées par la vie.
Dans l’histoire d’une vocation, ce qu’on est, compte moins que ce que l’on fait avec ce qu’on est. Les dimensions psychologiques de notre personne n’empêchent pas l’action de la Grâce ; il nous appartient d’apprendre à les conduire.
François Marchand
Notes -----------------------------------
(1) Depuis 35 ans les équipes de l’AMAR ont effectué plus de 2 500 rencontres ou examens individuels de candidats au sacerdoce ou de prêtres, de candidats à la vie religieuse ou de profès. [ Retour au Texte ]
(2) F. Marchand Intégrisme et fanatisme -La Croix-l’Evénement ( 20-6-92) [ Retour au Texte ]
(3) F. Marchand Repères psychologiques et vie religieuse - Revue "Le lien des contemplatives" (à paraître en 1996).
S’adresser à : Service des Moniales - Monastère des Bénédictines - 51220 SAINT THIERRY [ Retour au Texte ]