Fragilités et faiblesses : lieu de grâce
Par le Père Paul Bony, sulpicien, exégète, ancien supérieur de séminaires, membre de l’Institut des sciences et théologie des religions à Marseille (ISTR).
Ce trésor (de l’Evangile) nous le portons dans des vases d’argile afin qu’il soit bien clair que cette puissance n’est pas la nôtre, mais celle de Dieu" (2 Co 4, 7). Est-il possible d’évoquer les textes pauliniens, dans lesquels il est dit que la puissance du Christ se manifeste dans la faiblesse de l’apôtre, à propos des problèmes soulevés dans ce cahier : des jeunes en difficulté psycho-affective ? Pour être honnête dans l’utilisation de ces références, il convient de se demander de quelle "faiblesse" parle saint Paul. Quels en sont les traits ? Et pourquoi une telle faiblesse donne-t-elle lieu à la manifestation de la grâce ? Autrement nous courons au contresens.
La fragilité spirituelle des croyants
Paul parle des "faibles" ou de faiblesse à propos de la vie chrétienne elle-même, indépendamment du ministère apostolique. C’est un trait des communautés. Elles comportent des "faibles" parmi leurs membres. Les figures évoquées sont diverses.
o Sociologiquement parlant, la communauté de Corinthe comporte en majeure partie des gens sans culture, sans pouvoir, sans avoir, des "faibles". Ils ont le choix prioritaire de Dieu. Pourquoi ? Parce que Dieu se plaît à combler ce qui manque, pour laisser éclater la gratuité et la surabondance de son amour. Il a choisi les "faibles", " ce qui n’est pas", "ce qui est considéré comme insignifiant pour réduire à néant ce que le monde estime important" (1 Co 1, 28).
o Les "faibles", cela désigne aussi des chrétiens peu éclairés dans leur foi (1 Co 8-10 ; Rm 14) encore habités par des scrupules religieux, qui les exposent à agir contre leur conscience, quand ils sont avec d’autres croyants plus libres dans leur comportement (parce qu’ils ont la "connaissance". "Et avec ta connaissance, tu irais faire périr le faible, ce frère, pour lequel le Christ est mort ?" (1 Co 8, 11)
o Dans les communautés, il y a aussi ces membres que l’on serait tenté de considérer comme quantité négligeable, "insignifiants", parce qu’ils ne sont pas super doués ni revêtus des charismes les plus remarquables. Qu’apportent-ils à la communauté ? Eh bien, dit Paul, les membres les plus faibles doivent être entourés de plus d’honneur, ils sont, non pas "tolérables", mais "particulièrement nécessaires" (1 Co 12, 22).
o Faibles encore, dans un sens plus général et plus profond, tous ceux qui ont de la difficulté à vivre les exigences évangéliques et qu’il faut soutenir dans la fidélité ("soutenez les faibles", 1 Th 5, 14) ; ceux qui risquent de caler devant les tracasseries et les persécutions, auxquelles les expose leur foi dans un monde hostile (païen ou juif). L’Apôtre redoute leur chute comme un échec personnel : "Qui est faible que je ne sois faible ? Qui trébuche, que cela ne me brûle ?" (2 Co 11, 29).
o Plus radicalement encore : la faiblesse universelle de l’homme pécheur (Rm 5, 6). Certes elle est guérie par la puissance de l’Esprit ; ce que la Loi ne pouvait réussir à cause de la faiblesse de la chair, Dieu l’a réalisé en envoyant son Fils dans une condition humaine semblable à la nôtre, et maintenant l’Esprit nous est donné pour que nous puissions vivre selon Dieu (Rm 8, 1-4). L’Esprit, chez Paul, est considéré, dans la ligne d’Ezéchiel, comme celui qui rend les croyants capables d’une vie nouvelle, caractérisée par la liberté intérieure et par l’adhésion du cœur à la volonté de Dieu.
Mais la fragilité humaine demeure sous-jacente. Paul n’ignore pas que, même régénéré par l’Esprit-Saint, le croyant est encore "divisé" : "Vous ne faites pas ce que vous voulez" (Ga 5, 17) ; il y a encore place pour un conflit entre "la chair" et "l’esprit", parfois même pour des chutes. Je peux être encore "sous la loi", tout en étant déjà "sous la grâce". Les étapes de "l’histoire du salut" tuilent. Ma libération est commencée, elle n’est pas achevée. Le conflit est certes pénible, mais n’est-il pas le signe du changement apporté par le Christ, un changement encore inachevé, mais réel ? Les plus "spirituels" ne sont-ils pas aussi ceux qui souffrent le plus des imperfections ou des fautes de faiblesse qui leur échappent ? Sans aucun doute, ignorer ce conflit, c’est ignorer l’ampleur des appels de l’Evangile. Le ressentir, n’est-ce pas au contraire manifester que l’on est déjà touché par la grâce ?
Si Rm 7 ("Je ne fais pas le bien que je veux, je fais le mal que je ne voudrais pas") doit être lu non seulement de l’homme pécheur, avant le Christ, mais aussi de l’homme justifié, alors cela veut dire qu’il faut accepter de vivre avec ce handicap permanent, en sachant que la solution ne viendra pas de l’encadrement par une loi, si parfaite serait-elle, ni de quelque raidissement héroïque de la volonté, mais seulement d’une remise toujours plus humble à la grâce de l’Esprit : "Laissez-vous conduire par l’Esprit et vous ne risquerez pas de satisfaire les convoitises de la chair" (Ga 5, 16). L’orgueil humain serait un risque plus dangereux, voire mortel, pour l’union au Christ, que les défaillances morales accidentelles, qui font d’ailleurs souffrir le croyant bien plus qu’elles ne l’auraient fait avant sa conversion au Christ.
Dans cette marche sous la conduite de l’Esprit, l’entraide fraternelle des communautés chrétiennes joue un rôle important ; Paul y fait souvent appel. "Frères, si quelqu’un vient à être pris en faute, vous qui vous laissez conduire par l’Esprit, ramenez-le dans le droit chemin avec un esprit de douceur. Et toi qui interviens, fais attention de ne pas te laisser toi-même tenter. Aidez-vous les uns les autres à porter vos fardeaux. De cette manière, vous accomplirez la loi du Christ" (Ga 6, 1-2). La "faiblesse" qui demeure parmi les membres des communautés est un appel à laisser voir en elles la solidarité spirituelle que le Christ a vécue sur la croix.
o C’est jusque dans la prière que les croyants doivent se laisser à l’Esprit. Car elle aussi est encore infirme, quand il s’agit de correspondre à l’ampleur et à la profondeur du dessein de Dieu. Heureusement "l’Esprit vient au secours de notre faiblesse. En effet nous ne savons pas prier comme il faut, mais l’Esprit lui-même intercède en gémissant d’une manière inexprimable. Et Dieu qui scrute les cœurs sait ce vers quoi tend l’Esprit, car c’est en accord avec Dieu qu’il intercède pour ceux qui appartiennent à Dieu" (Rm 8, 25-27). Au-delà de notre prière formulée, Dieu voit le désir initié dans nos cœurs par l’Esprit. La prière de notre existence dans l’Esprit va plus loin que nos demandes conscientes. Il y a des oraisons de la liturgie qui disent très bien cela.
Ces diverses figures de la faiblesse autour de nous et en nous sont un rappel permanent de la grâce qui est à l’origine de l’Eglise et un appel à l’entre aide et à l’estime mutuelles dans les communautés de croyants.
La faiblesse apostolique
Mais ce qui correspond peut-être davantage à la recherche de ce cahier concerne la faiblesse, ou plutôt "les faiblesses" (au pluriel) que l’Apôtre expérimente dans l’exercice de son ministère. Là encore, essayons de voir de quoi il s’agit. Il en parle surtout quand il s’agit de justifier sa manière d’exercer le ministère apostolique.
Faiblesse de l’Apôtre et faiblesse de la Croix
Paul évoque la faiblesse de l’Apôtre d’abord quand il réagit aux divisions qui se font jour dans l’Eglise de Corinthe en assimilant l’Evangile à une sagesse (1 Co 1-4). Il y détecte une méconnaissance de l’Evangile comme si l’on pouvait en faire une matière à discours religieux d’autant plus séduisant que l’orateur serait plus éloquent, son discours plus habile et le contenu plus satisfaisant aux yeux de la sagesse humaine. Or, dit Paul, l’Evangile ne peut pas s’annoncer avec la sagesse du discours, car il a pour contenu un événement, une personne : le Christ crucifié. Or celui-ci ne peut que provoquer le haussement d’épaules des Grecs qui cherchent la sagesse, et que faire crier au scandale les Juifs qui attendent de Dieu des actes de puissance.
C’est pourtant ainsi que Dieu s’y est pris en fin de compte pour sauver les croyants. Alors, quoi d’étonnant si Paul est venu annoncer l’Evangile à Corinthe sans utiliser les prestiges de l’éloquence et de la sagesse ? "Car je n’ai pas estimé devoir vous apporter autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. De plus, quand je suis arrivé chez vous, je me sentais bien faible et je tremblais de crainte" (1 Co 2, 1-3).
Paul fait allusion aux avanies qu’il avait subies juste auparavant à Philippes et à Thessalonique. Il craignait que des difficultés semblables ne se reproduisent à Corinthe. Et pourtant le succès a été prodigieux. La faiblesse de l’apôtre avait l’avantage de ne pas masquer le mystère qu’il annonçait et de faire en sorte que la foi des convertis repose sur l’intervention de l’Esprit Saint, sur la puissance de Dieu et non pas sur la "sagesse humaine".
Avant d’être un trait de l’apôtre, cette "faiblesse" a d’abord été celle du Christ crucifié (2 Co 13, 4) et celle de Dieu dans le Christ crucifié. La croix est la contestation radicale d’une image de Dieu qui s’imposerait par une opération de prestige, et elle est la révélation d’un Dieu qui s’offre à l’accueil de l’homme en venant partager dans le Christ la condition la plus humiliante que l’on ait alors connue : la mort sur le gibet.
Faiblesses de l’Apôtre et qualification religieuse
o Paul revient avec insistance sur les faiblesses (au pluriel) de l’apôtre, dans la deuxième aux Corinthiens, surtout dans les ch. 10-13, quand il s’agit de défendre sa qualification apostolique face à des concurrents qui mettent en avant leur qualification "religieuse". Il semble qu’il ait affaire à des apôtres d’origine judéo-chrétienne, des "super" apôtres, qui se présentent le visage rayonnant comme celui de Moïse, capables de faire état de grâces mystiques, de visions et de révélations. Eux au moins sont des maîtres spirituels, des "hommes divins". Quant à Paul, il a une allure plutôt minable. De loin, les lettres sont énergiques, mais de près, la présence est nulle et la parole aussi (2 Co 10, 10). Bien plus, on peut se demander quelle est son autorité pour annoncer l’Evangile, lui qui se tient à une telle distance des apôtres de Jérusalem.
o Mais c’est justement cette situation de faiblesse qu’il va faire valoir comme lieu d’authentification de son ministère apostolique. Jamais Paul n’avait connu tant de détresses que pendant la dernière phase de son séjour à Ephèse : "craintes au dedans (pour la fidélité des Eglises), conflits au dehors (oppositions diverses à l’annonce de l’Evangile)" (2 Co 7, 5). "Il faut que vous sachiez, frères, quelle détresse nous avons connue dans la province d’Asie. Nous étions écrasés, à bout de force, au point même que nous désespérions de conserver la vie. Nous avions accepté en nous-mêmes notre condamnation à mort, cela nous a appris à ne pas mettre notre confiance en nous-mêmes, mais uniquement en Dieu qui ressuscite les morts" (2 Co 1, 8-9).
On ne peut que difficilement reconstituer les événements de cette période ; mais il est sûr que Paul a couru des risques physiques mortels (peut-être même a-t-il joué sa vie dans l’arène, si "le combat contre les bêtes" à Ephèse doit s’interpréter au sens réel et non métaphorique (1 Co 15, 32). En même temps, il a vu son autorité battue en brèche à Corinthe, il y a subi un affront sans que la communauté réagisse ; on défigure son choix de ne pas vivre aux crochets des communautés en orgueil personnel ou bien on le soupçonne de supercherie pour mieux exploiter son monde ; il ne sait pas ce qu’il veut, il change de projets sans arrêt ; il n’est pas aussi sûr qu’il le paraît de son Evangile.
- C’est toute cette accumulation de détresses physiques, de calomnies et de critiques, de déconsidération religieuse, que Paul résume dans les "faiblesses". Or ce sont elles qui vont lui servir à débouter ses adversaires. Voilà justement ce qui l’ajuste au Christ qu’il prêche.
Poussé dans ses retranchements par la défaillance des Corinthiens qui ne savent ou ne veulent pas prendre sa défense, il va se livrer à un moment de "folie" : on veut un apôtre, un vrai, un sûr, un puissant, un engagé. Eh bien ! qu’on l’entende faire le récit de ses courses apostoliques de tous les dangers qu’il a courus, de tous les travaux qu’il a entrepris, qu’on en vienne même aux visions et aux révélations - car il est monté au troisième ciel ! - mais par deux fois, Paul casse cette énumération de prestige par des traits de faiblesse, car là est sa vraie qualification !
- La première fois (2 Co 11, 30), c’est pour rappeler comment il a été descendu comme un vulgaire ballot dans un couffin le long du rempart de Damas ; la seconde fois (2 Co 12, 7-10), c’est pour évoquer cette écharde dans la chair, cet ange de Satan chargé de le souffleter.
Beaucoup ont voulu creuser l’énigme : qu’est-ce que c’est, cette écharde dans la chair ? Dans le langage de Paul, la "chair" désigne de manière générale la condition humaine dans sa faiblesse ; elle peut désigner aussi la parenté charnelle (cf. Rm 9, 4.5). Cette écharde est quelque chose comme "son calvaire", "un tourment dans sa vie humaine". Quoi donc ? une maladie chronique ? mais cela paraîtra bien faible par rapport à la dimension que Paul lui donne, en l’attribuant à l’action de Satan, l’Adversaire par excellence ; la maladie n’est pas toujours un obstacle : au contraire, c’est une maladie (une "faiblesse") qui a été pour lui l’occasion d’annoncer l’Evangile aux Galates. Notons encore qu’il s’agit de quelque chose d’humiliant ("souffleter").
On a pu avec de bonnes raisons penser à la résistance que son peuple, ses frères de race et de religion ("selon la chair"), dans leur grande masse opposent à l’Evangile ; il en ressent une douleur incessante ; il préférerait être anathème, séparé du Christ, pour eux, si cela était pensable (Rm 9, 2-3). De manière plus générale, Paul attribue à Satan (1 Th 2, 18 ; 2 Co 2, 11 ; 11, 14 ; 12, 7 ; Rm 16, 20) diverses formes d’opposition qu’il a rencontrées tout au long de sa vie apostolique. Il n’a pas eu les coudées franches. C’est nous, maintenant, qui le voyons comme l’apôtre triomphant ; la réalité, de son vivant, a été beaucoup moins glorieuse, son ministère beaucoup plus contesté.
Quoi qu’il en soit, Paul met en relief :
le contraste entre cette épreuve et l’excellence des révélations ;
sa finalité, qui est d’enlever à Paul toute idée de s’élever au-dessus de quiconque ;
sa prière pour en être délivré : "trois fois" indique une prière instante, comme Jésus à Gethsémani ; Paul n’est pas résigné, il souffre vraiment de cet handicap ;
la victoire qui est une parole du Seigneur : "Il m’a dit" (le verbe est au parfait : ce qui a été dit, reste dit, c’est une lumière permanente). Paul laisse à cette parole toute sa force parce qu’elle est dite par le Christ. Il n’ose pas se l’approprier en déclarant : "ta grâce me suffit", car il cesserait d’être faible". (1)
Que dit cette parole ? Elle invite à se suffire de la grâce du Christ, comme au désert le peuple devait apprendre par les épreuves à se suffire de la seule parole de Dieu. Dans un autre contexte (en prison), Paul dit qu’il sait se contenter du peu qu’il a, et même supporter la privation (Ph 4, 11). Mais sa réflexion n’est pas celle d’un stoïcien, entraîné à l’autarcie, car il ajoute : "Je puis tout en Celui qui me fortifie" (Ph 4, 11-13). Une raison est donnée de cette grâce du Christ qui lui suffit (12, 9) : car la puissance - dans la faiblesse - trouve son achèvement. Le handicap de l’Apôtre donne occasion à la grâce de Dieu de déployer toute sa mesure. Paul est faible, la grâce est puissante. Non seulement la grâce suffit, mais elle met en œuvre une puissance achevée.
Paul est ici l’héritier de la tradition biblique. Ce n’est pas que Dieu ait besoin de la faiblesse humaine pour faire éclater sa gloire. Mais les épreuves subies par ses fidèles à cause de Lui, bien loin d’être un handicap, sont un appel à Sa fidélité ; elles Le provoquent en quelque sorte.
Que l’homme ne se laisse donc pas impressionner par ses faibles moyens. Ce n’est pas d’abord lui qui s’est lancé dans cette aventure ; c’est la grâce de Dieu qui l’y a appelé (Paul parle souvent de son ministère comme de la "grâce" qui lui a été faite). Il n’a donc rien à craindre de sa faiblesse, il ne peut au contraire qu’en attendre une plus haute manifestation de la puissance du Christ. La conclusion pratique que Paul en tire : "me complaire dans mes faiblesses", à savoir : "les outrages, les détresses, les persécutions, les angoisses pour le Christ". Il en dégage même une loi générale : "Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort" (12,10).
Une telle conviction, Paul ne peut l’avoir puisée que dans l’intelligence du mystère pascal. Comme il l’avait dit en 1 Co à propos du Christ crucifié, Dieu a manifesté sa puissance et sa sagesse dans la faiblesse et la folie de la croix. C’est le même mystère qui continue à travers le ministère apostolique. Vouloir un ministère "glorieux" à la manière des concurrents de Paul, c’est travestir l’Evangile, c’est prêcher "un autre Jésus, un autre Evangile, un autre Esprit" (2 Co 10, 4). "Certes il a été crucifié dans sa faiblesse, mais il est vivant par la puissance de Dieu. Et nous aussi sommes faibles en lui, mais nous serons vivants avec lui par la puissance de Dieu envers vous" (13,4).
Conclusion
Si Paul connaît la faiblesse dans sa vie apostolique, on voit en quel sens. Rien de masochiste ni de résigné. Il fait l’expérience d’une disproportion entre la grandeur de la mission reçue et ses forces humaines, auxquelles s’ajoutent les résistances extérieures, les conflits internes et leur impact sur le moral de l’ouvrier. Disproportion qui est comme la signature de l’œuvre de Dieu.
Qui pourrait être à la hauteur ? Personne. La qualification ne peut venir que de Dieu : Paul le répète à longueur de chapitres dans la deuxième aux Corinthiens (3, 5). "Ce trésor (de l’Evangile) nous le portons dans des vases d’argile" (instruments fragiles, mais peut-être aussi avec une allusion au modelage de ces instruments par "le potier divin") pour que ce soit la puissance extraordinaire de Dieu qui se manifeste, et non notre propre capacité" ( 2 Co 4,7).
Si Paul n’a pas été démoralisé ni débouté de son zèle apostolique, c’est qu’il a su voir dans cette situation le chemin d’une configuration au Christ crucifié, et donc d’une conformation à l’œuvre de Dieu. Il a vécu lui aussi cet adage qu’il énonce à propos du Christ crucifié : "Ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes" (1 Col, 25).
Cependant la grâce ne supprime pas la responsabilité de l’apôtre. Une dimension essentielle de la réponse à la vocation divine, c’est "la constance" (2 Co 6, 4). Paul était doué d’une solide personnalité humaine, même si son affectivité était parfois à fleur de peau et s’il souffrait passablement de la concurrence d’autres missionnaires. Sa foi en Christ lui a permis bien des dépassements : "Pourvu que le Christ soit annoncé" (Ph 1, 18) ; par lui ou par d’autres, par sa vie ou par sa mort. Il a fallu un décentrement radical de soi pour en venir là.
L’appel de Dieu au ministère ne requiert pas des personnalités hors du commun, il ne nous demande pas de nous croire "tout-puissants", au contraire. Mais il suscite une vraie fidélité à Celui qui, le premier, est toujours fidèle. La probation de cette fidélité fait partie du discernement par lequel Dieu teste ses ouvriers (1 Th 2, 3-6).
Paul Bony
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1) M. Carrez, La Deuxième Epître de saint Paul aux Corinthiens, ONT, p.231 [ Retour au Texte ]