Quelques réflexions pour le discernement


Jean Laverton
prêtre du diocèse de Paris,
délégué diocésain pour le diaconat


Une décision

« Comme la discipline actuellement en vigueur dans l’Eglise latine rend difficile, en plusieurs régions, l’accomplissement de ces fonctions extrêmement nécessaires à la vie de l’Eglise, le diaconat pourra, dans l’avenir, être rétabli en tant que degré propre et permanent de la hiérarchie » (Lumen Gentium 29). « Les évêques ont reçu le ministère de la communauté pour l’exercer avec l’aide des prêtres et des diacres » (Lumen Gentium 20).

Au milieu du peuple sacerdotal, du peuple des baptisés participant tous de son ministère d’unique grand prêtre, le Christ a voulu instituer le ministère des apôtres. Par ce ministère apostolique, certains attestent et rendent présent le Christ Tête, le Bon Pasteur qui conduit vers le Père et servent l’ensemble du corps des baptisés qui est son Eglise. Le diaconat signifie de manière particulière le service du Christ, de tout homme et de tout l’homme.

Ainsi, de manière spécifique, collaborent au ministère apostolique évêques, prêtres et diacres. L’exercice du ministère n’épuise pas la mission pastorale du Christ. Il ne lui procure qu’une modalité et une réalisation pour le temps qui est le nôtre. Réalisation qui est toujours en deçà de la plénitude pastorale qui désigne le vrai Pasteur.
Le concile Vatican II a restauré le diaconat de manière permanente. Mais l’on sait que ce sont les diacres eux-mêmes qui au fil des années rendront sa place à ce ministère particulier et l’éclaireront. Il faut que peu à peu derrière les visages nombreux et divers des diacres, apparaisse la figure originale du ministère diaconal.



Une conviction

Que la proposition soit faite à un baptisé de se demander si Dieu l’appelle à être ordonné diacre ou qu’un homme se présente de lui-même mû par un désir intérieur, la question centrale qui doit être entendue est celle-ci : « Dieu m’appelle-t-il à être diacre aujourd’hui dans telle Eglise particulière ? »

Ici s’engage un chemin de désappropriation, de décentrement et de liberté. Car l’Eglise ne fera qu’authentifier un appel. Elle doit vérifier que l’appel vient de Dieu. Il s’agit d’écarter aussi bien un engouement trop fort pour ce ministère, qu’une crainte trop marquée. Il s’agit d’entrer dans un chemin : se rendre disponible à ce que Dieu veut. La priorité doit être donnée à ce travail intérieur, une réponse libre à un véritable appel. Dieu n’impose pas, il ne prend jamais. Il s’agit de consentir par soi-même à sa volonté, sans aucune contrainte, mais par amour de Lui. C’est un sérieux combat pour des hommes mûrs habitués à décider de leur action et de leur vie.

En ce chemin jamais totalement achevé d’offrande dans la liberté, le candidat devra reprendre et accueillir son histoire personnelle, familiale, professionnelle, ecclésiale sans laisser de côté aucune part de lui-même (blessures et dons, échecs et accomplissements, richesses, limites, culture, affectivité, études…) C’est toute une histoire qui est à intégrer à la lumière de son expérience chrétienne par sa vie de prière et sa vie sacramentelle, dans l’Amour plus grand qu’aucun autre qui est miséricorde et pardon. Un élément essentiel en sera le mariage ou le choix du célibat pour le Royaume.

Un chemin qui est à parcourir avec l’Eglise dans la confiance, l’échange et la réflexion pour que le candidat, relisant en sa vie la présence authentique de Dieu, laisse l’Eglise l’enfanter peu à peu à ce que Dieu veut. Dans cette longue démarche d’offrande de soi pour une éventuelle ordination, cet accueil et cette reprise de toute une vie se font pour entrer dans une autre cohérence qui ne sera pas seulement celle du baptême, mais qui prendra la forme d’une réponse à un Autre pour les autres. Ainsi, c’est à travers le tissu de toute son existence que le don de soi prend sa figure.



Des conditions


Une vie dans l’Esprit

C’est-à-dire une vie spirituelle au sens large et vrai. « Pour moi, vivre, c’est le Christ » (Ph 1, 21), la vie baptismale, cette suite du Christ, chemin vers la sainteté. C’est parmi ses disciples que le Christ choisit ses ministres :
  • avec la lecture de l’Ecriture qui éclaire et qui appelle ;
  • avec une vie de prière : être avec le Christ. L’homme vrai devant le Dieu vrai ;
  • avec une vie sacramentelle.


Une institution de formation

Elle donnera des éléments et des règles claires et objectives qui proposent un chemin connu avec ses étapes.
C’est un travail collégial des différents intervenants du parcours de formation pour un regard croisé et plus complet. C’est un travail qui vise à l’unité de la formation (humaine, spirituelle, doctrinale et pastorale). Comme tout parcours spirituel, il demande du temps : trois ans de formation initiale et trois ans de formation complémentaire.


Un accompagnement spirituel pour le candidat et pour son épouse

Il aidera à voir comment la liberté spirituelle s’engage par rapport au chemin de discernement demandé par l’institution de formation.


Une liberté de relations

La présence de l’épouse au cours du parcours, et son « oui » profond, donné dans une grande liberté, sont des éléments décisifs du discernement. Le sacrement de mariage doit recevoir, en ce chemin, plus de grandeur et de beauté.

Le postulant, durant ce parcours, devra découvrir :
  • une perception plus large de l’Eglise que le lieu de l’engagement habituel ou de l’appel ;
  • un amour de l’Eglise telle qu’elle est ;
  • une mise en retrait, si nécessaire, de telle ou telle responsabilité ecclésiale pour mieux vivre ce temps de discernement ;
  • une ouverture du cœur pour travailler avec des personnes diverses afin de reconnaître la valeur de chacun et aider à les déployer ;
  • une ouverture à la participation à l’œuvre du Christ qui construit son Eglise dans une œuvre qui nous dépasse. Il ne s’agit plus de son projet mais de celui du Christ et de l’Eglise ;
  • une juste place de sa vie professionnelle. La volonté d’y collaborer à l’œuvre de Dieu.
  • une capacité à gérer un équilibre de vie : famille, profession, ministère.
Le secret demandé sur le parcours engagé jusqu’au jour de l’admission officielle parmi les candidats au diaconat afin de préserver la liberté du candidat et de l’Eglise.



Un chemin : le dialogue des libertés

« L’histoire de toute vocation sacerdotale, comme d’ailleurs de toute vocation chrétienne, est l’histoire d’un dialogue ineffable entre Dieu et l’homme, entre l’amour de Dieu qui appelle et la liberté de l’homme qui dans l’amour répond à Dieu » (Jean-Paul II, Exhortation apostolique Pastores dabo vobis n° 36) Mais, à côté de l’appel de Dieu et de la réponse de l’homme, il y a un autre élément constitutif de la vocation et en particulier de la vocation ministérielle : l’appel public de l’Eglise. “Vocari a Deo dicuntur qui a legitimis Ecclesiae ministris vocantur” (Catechismus ex decreto concilii Tridentini ad Parochos, part. II, c.7, n° 3). L’expression ne doit pas s’entendre en un sens à prédominance juridique, comme si c’était à l’autorité qui appelle de déterminer la vocation, mais en un sens sacramentel, qui considère l’autorité qui appelle comme le signe et l’instrument de l’intervention personnelle de Dieu, qui se réalise dans l’imposition des mains. Dans cette perspective, toute élection régulière traduit une inspiration et représente un choix de Dieu. Le discernement de l’Eglise est donc décisif pour le choix de la vocation ; ceci vaut d’autant plus, en raison de sa signification ecclésiale, pour le choix d’une vocation au ministère ordonné.

Un tel discernement doit être conduit sur la base de critères objectifs, qui mettent à profit l’antique tradition de l’Eglise et tiennent compte des nécessités pastorales actuelles. Parmi les qualités à prendre en considération pour le discernement des vocations au diaconat permanent, les unes sont d’ordre général et les autres plus en correspondance avec l’état de vie des appelés. » (Congrégation pour l’éducation catholique, Normes fondamentales pour la formation des diacres permanents, Cerf, Paris, 1998, n°29).

Dès le début du parcours, après plusieurs rencontres entre l’éventuel candidat, le responsable de la formation, un diacre et son épouse désignés à cet effet, il faut que soit signifié l’appel effectif de l’Eglise à entrer dans le parcours de discernement. Sinon, il faudra aider cette personne à rechercher ce à quoi Dieu l’appelle : autre service dans l’Eglise, groupe spirituel qu’il recherche pour sa sanctification personnelle…
En ce prédiscernement, on sera attentif à différents critères.


Ceux qui tiennent à la personne
  • Pour les candidats mariés, avoir trente-cinq ans au moment de l’ordination et au moins dix ans de mariage.
  • Etre équilibré, ouvert au dialogue, dans une vie familiale stable et une relation éducative éprouvée.
  • Etre reconnu dans sa vie professionnelle.
  • Avoir le sens de l’Eglise : foi, conscience morale, désir de servir l’Eglise, sens de la communion…
  • Avoir une vie sacramentelle régulière et un minimum de vie spirituelle personnelle.
  • Etre capable de « se laisser former », de suivre une formation ; ce qui ne veut pas dire que le diaconat est réservé aux « intellectuels ». Cette formation n’est pas celle d’un savoir mais celle de « l’être ».

Ceux qui tiennent à la communauté

Dans la majorité des cas, les candidats sont membres d’une communauté : paroisse, mouvement… Ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’ils sont militants actifs. D’ailleurs la militance n’est pas un critère d’interpellation.
  • Quelles responsabilités exercent-ils ?
  • Comment sont-ils perçus ?
  • Quels sont leurs rapports avec les prêtres, les laïcs ?

Ceux qui tiennent à la mission

Il est souvent pertinent et suggestif de se demander à quelle fonction diaconale l’intéressé pourrait être appelé. Mais l’expérience montre que les candidats et les besoins perçus dans l’Eglise évoluent suffisamment pour que l’on ne puisse avoir une idée plus précise à ce moment de la démarche. D’autre part, l’on est appelé par le Christ pour une Eglise diocésaine, pour devenir ministre dans le diaconat et non pas pour tel ou tel besoin précis d’une communauté donnée. De même, si l’ordination diaconale n’est pas seulement une ordination pour une fonction, il n’y a pas d’ordination sans fonction. Si quelqu’un n’a pas un certain nombre d’aptitudes, c’est un critère de non appel.

Mais tout en considérant les aptitudes requises, on sera largement attentif aux qualités vécues par l’éventuel candidat, conscient que l’on appelle des hommes déjà pleinement engagés dans la conduite de leur vie.
Après ce temps de prédiscernement à l’appel de l’Eglise, le candidat entre en première année de discernement. C’est une équipe d’accompagnement constituée d’un prêtre et de diacres avec leur épouse qui réunira les candidats une fois par semaine. En cette première année, des éléments objectifs des enseignements de l’Ecriture et de l’Eglise sur la vie baptismale, sur la diversité des vocations, sur le ministère, et sur le diaconat seront donnés ainsi qu’un enseignement sur l’Eglise et sur l’Eglise particulière. Des rencontres avec différents diacres et leur épouse seront profitables. A côté d’enseignements magistraux, le partage par les candidats, en petits groupes, de leur expérience passée, de leurs questions et de leurs réactions sera précieux.

En deuxième et troisième année, en parallèle aux rencontres de formation qui n’ont plus lieu qu’une fois par mois, il est demandé le plus souvent au candidat de participer à la Formation des Responsables, qui par l’étude croisée de l’Ecriture et de la Tradition aide à mieux percevoir la cohérence de la foi et prépare au discernement pastoral. Ce travail qui est effectué en groupes concourt aussi à un cheminement spirituel et ecclésial. S’il n’est pas possible au candidat de suivre la Formation des Responsables pour des raisons de disponibilité de temps, on proposera alors des cours d’Ecriture et de théologie. Tous participeront aussi à des stages pastoraux. (Ces stages permettront surtout de discerner la capacité à se donner dans des responsabilités différentes et à mesurer l’amour pour les plus pauvres et les plus éloignés).

Au long de ces trois années, des temps de retraites sont organisés. Ces retraites ne porteront pas immédiatement sur le diaconat mais elles viseront surtout à se placer devant le Christ en vérité car c’est en Le suivant qu’Il éclaire ce qu’Il nous demande. Régulièrement, au long du parcours, des entretiens personnels sont organisés entre le candidat et son épouse et les différents membres de l’équipe d’accompagnement.

Le chemin de l’épouse est particulièrement accompagné pendant tout le parcours. Il est difficile de dire à quel moment il est bon d’associer les enfants à la réflexion de leurs parents en tenant compte des conseils de discrétion qui s’imposent hors du foyer. Le plus souvent, le mieux semble être un an après le début du parcours de discernement ; mais ceci est loin d’être une règle : ceci dépend aussi, bien sûr, de l’âge des enfants.
D’autre part, tout en gardant discrète cette réflexion, les consultations par l’Eglise, toujours prévues dans la préparation au sacrement de l’Ordre, auront lieu.

Au long de ce parcours, des étapes objectives vont structurer le chemin :
  • passage de la première à la seconde année,
  • demande à être institué lecteur et acolyte,
  • demande à être admis officiellement parmi les candidats au diaconat,
  • demande à être ordonné diacre
A chacun de ces quatre moments, la lettre de demande, accompagnée de l’accord de l’épouse, et la réponse de l’Evêque, vont permettre au candidat et à l’Evêque de se déterminer.

L’Evêque, le délégué diocésain et les formateurs, l’accompagnateur spirituel, le référent pastoral, l’équipe d’accompagnement… et enfin le candidat lui-même, dans une autoformation, tous participent à leur manière à ce discernement, engagés dans un choix de Dieu qui les dépasse. Ainsi, tous les acteurs du discernement et de la formation doivent se laisser conduire par l’Esprit Saint ; c’est lui qui appelle, qui accompagne et qui forme afin que, reconnaissant le don, il soit donné d’y répondre.



Liberté de Dieu, de l’Eglise, du candidat

Rien n’est plus personnel et intime que l’appel au ministère qui touche à la relation personnelle avec Dieu et rien n’est non plus plus ecclésial puisqu’il s’agit d’un service pour Dieu et pour les autres. Ainsi, l’on comprend que sans négliger les aptitudes, c’est l’attitude spirituelle fondamentale qu’il convient surtout de discerner.
  • Le candidat portera-t-il dans la paix une incertitude qui durera trois ans au moins ?
  • Acceptera-t-il comme une grâce le choix de Dieu quel qu’il soit, exprimé par l’Evêque ?
  • Saura-t-il servir les autres sur le chemin que Dieu veut pour eux et non selon son projet ?
  • Laisse-t-il grandir en lui un amour humble envers ses frères, spécialement les plus pauvres et les plus éloignés ?
A travers ces questions et en bien d’autres, laisse-t-il grandir son « être » de serviteur ? Voilà le cœur et le centre d’unification de ce chemin.

Car l’appel au ministère est non seulement l’habilitation à faire quelque chose mais surtout la consécration à devenir quelqu’un par l’offrande de sa vie, dans une communion au vrai Pasteur, le Christ, qui donne sa vie pour la multitude.