Les conversions dans l’accompagnement d’une vocation


Sœur Suzanne David, membre de l’équipe pastorale du SNV, détaille quelques aspects fondamentaux de la conversion permanente qu’implique l’accompagnement spirituel d’une personne. Et, dans le cas présent, l’accompagnement de jeunes femmes.

Faire de l’accompagnement spirituel, accompagner dans le discernement d’une vocation, c’est être le témoin de l’œuvre de Dieu dans une vie. C’est être témoin de passages, percevoir une croissance.

La maturation d’une vocation, est-ce au fond autre chose qu’une entrée dans un chemin de conversion permanente ? Pourrait-il en être autrement alors qu’il s’agit, au cœur d’une expérience humaine, de la découverte étonnante, d’une relation unique avec Dieu ? Pourrait-il en être autrement alors que cet accueil personnalisé et conscientisé de Dieu dans une vie a pour conséquence immédiate une nouvelle connaissance de soi, avec ses désirs et ses peurs, ses résistances et son accueil ?

Vocation et conversions aussi ! Passages successifs pour naître à soi-même, au monde, à l’Eglise, à une "mission" dans le monde et l’Eglise. La manière dont ceux et celles qui cherchent, parlent leur vie a quelque chose à voir avec ces vocations qui marquent l’histoire du peuple de Dieu et que suscite Jésus.

Je reprendrai ici quelques aspects de cette entrée dans une conversion permanente, marquée par des passages successifs, des retournements, des conversions !... En notant bien que tous ces aspects se conjuguent différemment selon les personnes. Pour Estelle, c’est l’engagement dans un mouvement d’action catholique qui la conduira à un attachement personnel au Christ Pour Géraldine, c’est comme un éblouissement et la conscience d’avoir rencontré quelqu’un qui lui dit "Tu", qui la conduira à découvrir l’Eglise. Pour Sylvaine, c’est la découverte d’un témoin de la foi, François d’Assise, qui la conduira au Christ et à l’Eglise. Et l’on pourrait continuer.

Pour qui accompagne - pour moi en tout cas - c’est toujours un étonnement émerveillé que de découvrir, au travers de l’écoute de jeunes, la variété infinie des chemins de Dieu dans sa rencontre de l’homme. Chemin unique, réponse unique. Décisive et rapide pour les uns, décisive et lente pour d’autres ! Donc, même si cet article s’articule autour d’un plan, l’expérience réelle, la parole sur cette expérience dans les accompagnements, sont plus riches et plus souples, plus complexes et plus variées aussi.

Ce sont les éléments propres à une maturation humaine et spirituelle que je vais prendre en compte ici ; la question spécifiquement vocationnelle s’inscrira comme un aspect de cette réalité plus globale.

1 - Dans un chemin de croissance de la foi et de maturation d’une vocation, quelques étapes qui ont à voir avec une "conversion"

o Accueillir une relation personnelle avec le Christ

C’est une étape déterminante dans une expérience de foi et de discernement d’une vocation : Découvrir que Jésus-Christ est Quelqu’un, Quelqu’un de vivant, qui s’adresse à une personne unique : Christelle, Catherine, etc.

Des jeunes parlent de cette découverte en termes de surprise et d’éblouissement : "J’étais dans un gîte d’étape. Le matin je me suis levée tôt. Assise sur un rocher, j’ai contemplé l’aube... Et là, j’ai senti quelque chose, j’ai été saisie et bouleversée..." Les mots manquent et se cherchent pour exprimer ce quelque chose d’inouï qui, ajoute-t-on très vite, "a tout changé dans ma vie".

D’autres parlent de cette découverte comme le fruit d’une démarche apparemment plus volontaire. Ainsi Delphine qui, depuis le début de son accompagnement parle beaucoup de Dieu et de Marie, mais ne semble pas s’appuyer sur l’Ecriture, sur l’Evangile, pour sa démarche de prière. Invitée à regarder Jésus dans l’Evangile, elle revient et dit : "Je comprends, il nous dit qui est Dieu !" (Elle ne réalisait sans doute pas toute la justesse de son expression !). Et, pour elle aussi, cette découverte, liée à l’exercice d’un rapport à l’Evangile, à la contemplation de Jésus dans l’Evangile, a "tout changé dans sa vie".

Cette étape où se noue une relation personnelle au Christ, à Dieu, est, bien sûr, déterminante. Cet accueil du Christ comme chemin, fonde la vérité de ce qui se passe dans la vie de ces jeunes et qu’elles expriment par un "ça a tout changé dans ma vie". Cette expérience rejoint l’expérience des disciples "appelés pour être avec Lui".

Cette étape devient un repère. Un repère "joyeux", si j’ose m’exprimer ainsi. Il est évoqué comme un bonheur qui a surgi dans l’existence. Le "tout a changé !" est souvent un cri de joie, une manière heureuse de dire que la vie a changé de couleur. Par ailleurs, dans la relecture d’une histoire, il est un temps charnière : "Tu comprends, avant, je faisais, j’étais, je pensais... Maintenant, je ne peux plus". Il y a déjà en tout cela quelque chose de l’ordre du : "Laissant tout, ils le suivirent". Accueil neuf de la vie en Christ et réponse qui déjà s’engage.

Cette expérience existentielle qui saisit tout l’être favorise un autre passage important : celui de l’exigence simplement morale à un chemin proprement spirituel, à une vie dans l’Esprit. Ce passage est un appel à changer de vie certes, mais sous le regard de Quelqu’un qui aime, qui appelle à la vie et au bonheur, sous le regard de Quelqu’un qui vient à la rencontre de l’homme jusque dans sa faiblesse et son péché.

o Naître à soi-même et s’accueillir comme un don de Dieu

Cette expérience unique et fondatrice d’une relation personnelle à Dieu, au Christ, grâce à l’Esprit, conduit les jeunes à une nouvelle relation à elle-mêmes. Elles deviennent sensibles - et les entretiens réguliers y sont bien pour quelque chose - à ce qui se passe en elles, ce qui évolue, ce qui est questionné, ce qui résiste. Cette attention à soi-même porte d’ailleurs une tentation narcissique. Certains entretiens ont une dominante psychologique évidente, en particulier chez des jeunes de moins de 25 ans. Les plus de 25 ans n’y échappent pas, mais, sauf lors de fragilités relativement importantes ou lors d’un temps de crise, cela dure moins longtemps et ne s’exprime pas de la même manière que chez des plus jeunes.

Cette lucidité sur soi marque un grand pas dans une expérience humaine et spirituelle. C’est souvent le lieu du consentement au réel : assumer sa famille, son histoire, prendre conscience de ses charismes et de ses failles, connaître son péché. Combien de fois n’ai-je pas entendu "Je n’avais jamais dit cela à personne". Et "cela", c’est une blessure de la vie liée à l’expérience familiale, à un échec, etc.
Mais une autre conversion est en jeu dans cette étape : apprendre à accueillir le regard de Dieu ; s’accueillir sous le regard de Dieu. Un Dieu qui n’occulte pas les faiblesses ni le péché mais un Dieu qui appelle toujours à la vie, à l’amour, à la liberté. Cet accueil de soi sous le regard de Dieu est souvent un point de résistance important. Générosité et désirs sont tellement grands qu’on accepte mal finitude et péché. D’où un certain volontarisme et une certaine dureté envers soi-même. Cela peut s’exprimer aussi par un fort sentiment de culpabilité. "Je n’y arrive pas, dit Marina, je pensais que le plus difficile c’était d’aimer les autres, mais c’est moi que je n ’aime pas, que je ne supporte pas ! "

Si l’on reconnaît là quelques points clé d’une maturité humaine - consentir au réel - on touche également un point clé de l’expérience chrétienne : consentir au regard de Dieu sur soi. Et donc apprendre à s’aimer telle que l’on est. Et ce consentement est le lieu d’un combat souvent difficile où les meilleures argumentations peuvent trouver place : "C’est trop facile de dire <Dieu pardonne, aime>, trop facile d’aller à la messe si je n’ai pas fait ceci, cela ; si je n’ai pas réussi à..."

Temps où l’on se bat avec soi-même et avec Dieu. Et, un jour, on peut être le témoin d’un nouveau passage, d’une nouvelle conversion : quelqu’un est passé d’une logique du donner à une logique du recevoir, d’une logique du faire à une logique d’accueil. Confiance et abandon prennent corps dans la vie et la parole. Au fond, on accepte d’être en dette avec quelqu’un et l’on pressent que jamais on ne pourra répondre comme il le faudrait à son amour ! Jusqu’au jour ou, peut-être, telle ou telle perçoit, pressent que le plus fondamental est de "changer de Dieu", d’accueillir Dieu tel qu’il est et non tel qu’on le fabrique, un Dieu "Tout Autre" et non un Dieu à notre image et ressemblance !

Voyage au pays de Dieu et au pays de soi ! Aventure qui prend le temps, qui met du temps, celle d’une personne unique qui naît à elle-même, qui découvre le don que Dieu lui fait. Etonnant chemin que celui qui conduit au Christ et permet de se mieux connaître soi-même ! Etonnant chemin où la question "Pour vous, qui suis-je ?" met sur le chemin d’une vérité sur soi : "Qui suis-je, moi, que le Christ appelle ?" Je ne pense pas être la seule accompagnatrice à dire que, parfois, il paraît plus difficile de consentir à soi-même, avec ses richesses et ses limites que de parler de Dieu. Apprendre à être un être de chair et de sang, apprendre à être un être humain réel - pas celui que l’on rêve -. Apprendre que Dieu aime des êtres de chair et de sang. "Tu te rends compte, dit Séverine, j’ai pensé ceci, je n’ai pas fait cela. Je doute, j’ai des désirs, etc." Et s’il lui est révélé que c’est normal, c’est l’étonnement, le refus, même, parfois. Long chemin de conversion, retournement que d’accueillir un Dieu qui aime l’homme tel qu’il est. Un Dieu qui attend de l’homme, non la perfection, mais la marche à la suite de son Fils.

o Naître à une manière nouvelle de rencontrer les autres, le monde, l’Eglise

C’est aussi un passage à vivre que de découvrir que ce Dieu qui appelle est indissociablement un Dieu qui envoie. C’est Marielle qui dit comment un : "Et toi, comment donneras-tu ta vie ?" prend force dans son histoire. C’est Christine qui s’engage comme jamais elle n’aurait pensé : "Je suis tellement timide. Maintenant, dans un groupe, je parle, je dis ce que je pense ; j’ai même pris des responsabilités !" C’est Annie qui questionne  : "Je voudrais que mon baptême vive ! que faut-il que je fasse ?" Et encore Sophie qui parle "d’une telle découverte", qu’en même temps qu’une recherche de travail, elle veut s’engager bénévolement dans un service des pauvres. Il faudrait évoquer aussi comment, en même temps qu’une expérience humaine et spirituelle se structure et se développe, telle jeune s’engage dans un mouvement ou un service d’Eglise, rejoint un groupe de recherche.
Chemin étonnant là encore : un appel personnel intègre dans une communauté, l’Eglise, et met au service des frères. Et, parfois, c’est un véritable retournement. En effet, un certain nombre de ces jeunes, éblouies par la découverte nouvelle d’une relation à Dieu, sont, un peu comme Pierre, Jacques et Jean sur la "haute montagne" de la Transfiguration ! Le désir est grand d’y dresser sa tente et de demeurer là dans l’intimité avec "son" Dieu. Parfois, cela conduirait à des gestes fous, peu sérieux avec les réalités humaines : désir de rejoindre tout de suite un monastère, d’arrêter des études, de cesser un travail, de partir donner de son temps en Afrique ou ailleurs !
Quel chemin et quel retournement que d’apprendre la folie de l’amour en étant sérieux avec l’humain, que d’allier "mystique et action", que de garder vivante et forte la lumière de la "transfiguration" dans la vie ordinaire et simple ! Ce chemin est souvent long. Générosité, don de soi, coup de cœur, sont en tension avec discernement, durée, réalisme...

Il est une autre facette de ce retournement chez certains jeunes : l’intensité d’une relation renouvelée avec Dieu peut conduire à se vouloir " hors monde". La vie, les autres sont vus comme un empêchement à être avec Dieu, à lui être présent. "Quand je révise pour les partiels, dit Aurore, je ne peux pas lui parler. J’ai envie de tout plaquer !" ; "Entre deux cours, au lycée, je m’isole. Comme cela, je peux penser à Lui !" dit Corinne.
L’accompagnement régulier, la prière à partir de l’Evangile, l’acceptation de la durée, conduisent petit à petit, ces jeunes à découvrir que le plus grand commandement n’est pas de prier mais d’aimer. Aimer Dieu et les frères indissociablement. Et cela, même si l’on se croit - et même si l’on est - appelé à une vie monastique ! Il me revient en mémoire Dominique. Elle avait rencontré plusieurs Carmels pour "se décider". Une double question l’a provoquée : "Comment ’adores-tu’ alors que tu es au travail actuellement ?" et "As-tu demandé à ces carmélites comment leur vie est donnée au monde et à l’Eglise ?" Cela m’a d’ailleurs valu ensuite un coup de téléphone d’une prieure étonnée et provoquée elle-même par ce type de questionnement. Nous nous sommes vite entendues sur le fond !

Autre facette de ce retournement : un changement de regard. Apprendre à lire les événements, la vie du monde, de l’Eglise, la sienne, celle des autres, dans un regard de foi. Cette transformation est assez étonnante et, à première vue, parfois, peu perceptible. C’est souvent en relisant les quelques notes prises après chaque entretien, qu’est révélée, dans une durée, cette transformation du regard.
Déjà, et je l’ai évoqué plus haut, le regard sur soi n’est plus le même. Mais l’aspect le plus évident dans ce que j’ai appelé nouveau rapport aux autres, au monde, à l’Eglise, c’est que, désormais, ces jeunes vont tout voir ! Je veux dire par là qu’elles apprennent à donner du poids, du prix à tout ce qui fait leur existence. Eveillées dans leur foi, c’est la totalité de l’existence qui est saisie. Un accompagnateur est témoin de ces évolutions, de ces passages. Dans les premiers entretiens, la parole tient compte d’événements plus spectaculaires, qui ont un certain relief. Et puis, insensiblement, la vie quotidienne et sa banalité font davantage leur apparition. Alors se vit, se fait, la vérité de la rencontre avec Dieu autant et d’autre manière que dans la prière.

Cependant, cette lecture chrétienne va aussi connaître des transformations. Nombre de jeunes font une lecture immédiate et directe des événements dans la foi. "J’étais à Lourdes. Ma mère m’a téléphoné que j’avais obtenu le temps complet de travail que j’attendais depuis des mois. Dieu m’a donné un travail !" Ainsi s’exprime Marie-Chantal. Et Nathalie, parlant d’un moment difficile où, en raison d’une maladie, il lui fallut changer d’orientation : "Dieu m’a envoyé cette maladie pour que je comprenne..." Et puis un jour le langage change. Dieu et la jeune ont une plus juste place !

Les entretiens sont aussi l’occasion d’un partage de questions qui sont parfois très vives au cœur de ces jeunes : le mal, la souffrance, la liberté, la fatalité, le sens de la vie. Alors naît un chemin où, d’une part l’on découvre qu’il est normal d’être porteur de questions et que la foi ne les évacue pas. Et, d’autre part, que la foi appelle à tout lire et vivre à la lumière de la vie, de la mort et de la Résurrection de Jésus. "Tu vois, dit Caroline, je ne pouvais pas revoir mon père. Ce n’était pas possible. Aujourd’hui, je crois que c’est davantage possible. Quelque chose a changé en moi". Et Véronique : "C’est drôle, j’étais écœurée, révoltée par cette mort injuste ! Puis, j’ai pensé à Jésus et alors je me suis dit : Dieu ne peut pas être comme cela (vouloir la mort de quelqu’un)".

Comme pour conclure cette première partie

Un des signes de ces conversions, de cette conversion, se repère dans le nouveau rapport aux sacrements. Des jeunes réapprennent l’Eucharistie et la Réconciliation. Leur expression est balbutiante sur les causes et les fruits de ces démarches. Mais la richesse de la liturgie, son rôle dans l’éducation de la foi sont irremplaçables : "J’ai repris d’aller à la messe. Je n’avais jamais autant remarqué comment, quand on y va régulièrement, on découvre Jésus et sa vie", ainsi s’exprime Fabienne. Et Véronique, d’ajouter "Quand on va à la messe, après on comprend mieux pourquoi prier à partir des textes qui sont proposés". Elle venait de découvrir l’importance des temps liturgiques !

Accueillir le pardon de Dieu dans le sacrement de réconciliation, c’est aussi tout un chemin. Ce qui est plus perceptible peut-être dans la vie des jeunes, c’est la reconnaissance progressive de l’initiative d’amour de Dieu. C’est sans doute un lieu privilégié - outre l’effet du sacrement lui-même - pour être éduqué à ce que dans la tradition, on appelle la "passivité" et ce que j’appellerai ici, l’entrée dans une logique d’accueil, dans une logique du "se laisser faire".

2 - Dans la maturation d’une vocation et son discernement,
des "retournements" spécifiques

La croissance humaine et spirituelle - évoquée dans la première partie - est bien sûr, fondamentale dans la maturation d’une vocation et son discernement. Avancer dans un discernement, découvrir comment répondre à un appel, c’est aussi vivre des "passages", des "conversions" spécifiques.

o Faire le deuil d’un projet, accueillir un appel

Combien de jeunes, lors d’un premier entretien, ou formulant leur demande d’accompagnement, ont dit avec force : "Je veux être religieuse" ou encore "Je veux être sœur de tel Institut". Cette affirmation claire joue le rôle, pour ces jeunes, d’un point d’appui et s’exprime comme un projet. "Puis-je te rencontrer rapidement, dit Evelyne, je veux entrer dans une congrégation franciscaine. On m’a dit de me faire accompagner". Sabrina, elle, affirme : "Je suis faite pour être religieuse".

"Je veux" ; "Je suis faite"  : c’est clair ! Mais lorsque commence l’accompagnement vocationnel et qu’intervient une "règle du jeu" comme "parler de sa vie, de ce qui tient à cœur, de ce qui rend heureux, malheureux, de ce qui résiste, de ce qui attire et séduit" et, au travers de cela, chercher, discerner ce à quoi Dieu appelle, cela devient moins évident et provoque des réactions. "Ce n’est pas cela ma demande, réplique Karine, je veux qu’on me dise comment s’y prendre pour être sœur". Et Marie-Noëlle d’assurer : "Je t’assure, c’est cela que je veux et pas autre chose."

Alors, il faut longuement écouter ces convictions fortes, ce projet bien "ficelé", conduire (c’est l’Esprit qui le fait) à ce que la jeune respecte mieux sa propre liberté, découvre les dynamismes et les promesses qui sont en elle, les résistances aussi. Passer d’un "Je veux" à un "A quoi Dieu m’appelle-t-il ?", c’est un long travail de deuil : perdre ses certitudes, accepter l’inconnu et le temps comme appui dans le sérieux d’un discernement. Accepter de passer par le doute et le flou "Au fond, maintenant, après avoir fait le point sur ce qui m’attire, je ne sais plus très bien. J’aimerais tant avoir des enfants !" ; "Je ne sais plus si c’est la vie monastique que je cherche. Je me vois bien aussi près des pauvres".

"J’ai le sentiment de vivre un ’virage’, dit Françoise, je tiens à la solitude et à la prière et je me sens poussée à prier avec d’autres ; je tiens à une grande discrétion dans la manière de se situer avec d’autres et je sens un appel à dire ma foi, etc. Je crois que je vis l’abandon. Si on m’avait dit cela il y a un an, je n’y aurais pas cru. Ce qui me vient à l’esprit, c’est l’image d’un virage... presque en épingle à cheveux et celle d’une porte étroite : il faut en laisser des choses. Mais le plus étonnant, c’est que passant par cette porte étroite, on est davantage soi-même."

Et, au terme, parfois long, d’une cheminement il peut être donné d’entendre ces paroles : "Compte-tenu de ce que je suis, je crois que mon bonheur c’est... tel chemin". Ainsi Isabelle : après avoir connu la certitude d’un appel à la vie religieuse, a réalisé que cette vocation lui donnait l’occasion de fuir un certain nombre de réalités, mais vivant sérieusement une démarche de discernement, elle découvre elle-même, lors d’un événement familial, comme une "confirmation" : Naissance d’une nièce, la première ! une de ses sœurs s’écrie : "C’est formidable ! moi aussi je mettrai des enfants au monde !" Et elle, intérieurement, de se dire : "C’est beau ! mais mon bonheur est ailleurs !".

Il aura fallu accepter le temps, perdre des certitudes, chercher sans voir, prendre au sérieux ses désirs parfois contradictoires, ne rien renier de ce qui est humain, se mettre et se remettre sous la "Parole", relire régulièrement sa vie.

o Ne pas disparaître derrière ou dans une spiritualité, entrer dans un chemin personnel

Un saint, un fondateur sont des témoins attirants et séduisants. Des jeunes peuvent s’enthousiasmer très vite et se dire "franciscaine ou carmélitaine" à la suite d’un pélé à Assise ou Avila ! Certaines posent d’ailleurs très vie la question : "Quelle est la spiritualité de tel Institut ?". Question normale et qui fait partie d’une recherche. Elle peut rester intellectuelle et comme extérieure à soi d’une part et enfermer d’autre part. En effet, on peut s’identifier très (trop ?) vite à un chemin d’Evangile, à une spiritualité. On absolutise même ce chemin, au point de ne plus voir qu’il y en a d’autres. Certains comportements peuvent relever d’une certaine "boulimie", tellement la jeune ne laisse rien passer de ce qui a trait à "la spiritualité" en question ! L’accompagnateur peut, pendant longtemps, écouter des échos enthousiastes et convaincus. En lui-même, il se demande parfois : "Où es-tu, toi ? N’as-tu pas revêtu trop vite le vêtement d’un(e) autre ? Où sont tes propres charismes ? Où va ta liberté ?" Et il est tenté de dire : "Entre dans ton chemin personnel".

"Je suis influençable, dit Evelyne, comme je n’y vois pas clair, je prends ce que j’admire chez d’autres. Mais parfois, j’ai peur, et je me demande : est-ce que c’est bien moi qui désire cela ?". Cheminement, maturation où une liberté apprend, tout en puisant dans une tradition, tout en étant appelée par la vie de témoins, à dire "Je". Au fond, il s’agit d’apprendre à habiter profondément ce que l’on est et ce que l’on fait, quelles que soient les influences et les médiations qui jouent.

o Connaître son désir et entrer dans l’objectivité d’un choix

Ne pas mettre de bornes à son désir ! Ainsi s’exprime Thérèse d’Avila. Et l’accompagnement vocationnel est un lieu où s’exprime le désir, tous les désirs ! Et c’est tout à fait normal puisque le Dieu qui appelle, appelle à la vie, au bonheur. Il saisit les dynamismes profonds d’une personne pour leur permettre de devenir une réponse filiale, aimante. Parler de ce qui rend heureux et malheureux, parler de ce qu’on y désire être et faire, c’est souvent un chemin qui étonne des jeunes. Une certaine idée d’elle-même, de Dieu, de la foi, les conduit à saisir davantage ce à quoi il faut renoncer, les rend sensibles à ce qu’il ne faut pas être, au risque de ne pas prendre en compte ce qu’elles sont réellement et positivement. "Tu m’invites à accueillir mes dons et mes richesses. Mais moi, c’est tout ce que je ne voudrais pas être qui est là et qui m’encombre !" dit Rosanne. "Quel changement de regard sur moi ! Je pensais qu’il ne fallait plus penser à moi".

Expression du désir au travers des désirs, de l’image que l’on a de son avenir, de ce qui tient à cœur, de ce qui revient sans cesse. Chemin nécessaire et utile pour que le oui à un appel soit bien situé et prenne en compte toute la personne. Et en même temps, accepter que l’Institut qui attire ne corresponde pas tout à fait et en tous points à ce qu’on cherche et désire. Consentir à l’objectivité d’un choix qui, quel qu’il soit, ne sera jamais la satisfaction pleine et entière d’un désir.

Lieu d’une épreuve, temps de l’épreuve que celui où l’on prend conscience qu’il faut se décider, se décider pour quelque chose qui est objectif, qui a ses propres contours et ses propres lois : un charisme, des moyens pour le vivre, un groupe dans sa réalité, etc. Cette épreuve se vit différemment selon les personnes et leur histoire. Parfois, cela conduit à une quête "désespérée" du "lieu" où on se sentira tout à fait à l’aise. "Tu vois, je suis allée frapper à telle porte, mais je ne peux pas accepter tel aspect. J’ai aussi rencontré tel autre groupe, mais ça me laisse sur ma faim". Parfois cela conduit à demeurer dans l’indécision et ça dure ! On ne peut se décider et, inconsciemment ou non, c’est parce qu’on a de la peine à se décider pour quelque chose d’imparfait et qui ne peut jouer tous les rôles. "Je me rends compte que je voudrais tout concilier et tout avoir : la solitude et la prière, le service des pauvres. Vivre une vie monastique apostolique". Long et onéreux discernement que celui où l’on apprend à prendre en compte son désir et où on consent à l’objectivité d’une situation.

En guise de conclusion

Plutôt que d’évoquer systématiquement des moyens qui aident et permettent ces divers passages et ces conversions, j’évoquerai en trois points ce qui est au cœur d’une démarche de conversion et qui demeure vrai dans l’expérience humaine et spirituelle de toute vie :

* Dieu fait grâce. C’est un retournement fondamental que de se situer dans cette expérience d’un Dieu qui fait grâce, devance toujours, un Dieu qui n’est pas au bout de nos efforts humains.

* Vivre les yeux fixés sur Jésus. La conversion en christianisme, c’est d’apprendre à vivre à la manière de Jésus, faire avec lui l’apprentissage de la Pâque. Apprendre à se tourner vers Dieu avec le Christ, apprendre à donner notre vie à Dieu et aux frères avec le Christ.

* Se laisser à l’Esprit. Apprendre à être sérieux avec l’humain, l’histoire humaine et s’en remettre à quelqu’un d’autre. Il conduit à la vérité, il fait ressouvenir de Jésus, il formule en nous la prière au Père, etc.

Ainsi, qui que nous soyons, serons-nous conduits par la foi, dans la lignée de tous les "appelés", "Les yeux fixés sur Jésus, lui qui est l’initiateur de la foi et qui la mène à son accomplissement" (He 12, 2), et pleins de confiance "en Celui qui peut, par sa puissance qui agit en nous, faire au-delà, infiniment au-delà de ce que nous demandons et concevons" (Ep 3, 20).

Sœur Suzanne David,
Instruction Chrétienne St Gildas membre de l’équipe pastorale du SNV