Sacrement de réconciliation et rassemblements de jeunes


Le Père Edmond Billard, prêtre diocésain et responsable de l’Aumônerie des étudiants de Nantes, analyse ici la redécouverte actuelle du sacrement du pardon à l’occasion des grands rassemblements de jeunes.

Peut-on parler d’une place nouvelle du sacrement de réconciliation dans les rassemblements de jeunes ? Il est bien difficile de répondre à une telle question et surtout d’y répondre avec rigueur. Il faudrait avoir une vision d’ensemble de ces rassemblements et pouvoir les ressaisir avec précision dans leur diversité et dans leur originalité. Vaste sujet qui pourrait mobiliser un chercheur ! Il sera question ici, beaucoup plus modestement, de la place du sacrement de réconciliation dans une aumônerie d’étudiants et, particulièrement, de la place que ce sacrement tient dans certains rassemblements organisés par cette aumônerie.

Quels sont ces rassemblements ? Essentiellement une retraite qui a lieu en week-end dans une abbaye pendant le temps de l’Avent, et une marche dite "marche pascale des étudiants" qui se déroule le samedi et le dimanche des Rameaux. Depuis au moins six ans, une célébration pénitentielle est proposée aussi bien lors de la retraite que pendant la marche. Elle prend à chaque fois l’allure d’une veillée avec un temps prolongé d’accueil de la Parole de Dieu, un temps de prière, d’abord communautaire, puis personnelle, et enfin un temps que les étudiants peuvent utiliser pour vivre la démarche sacramentelle auprès de l’un des prêtres présents.

Histoire d’une proposition

Pourquoi cette proposition ? Il est clair qu’au point de départ la proposition d’inclure une démarche sacramentelle de réconciliation dans ces deux temps forts a été une initiative venant des aumôniers.
Nous savions les réticences de beaucoup de jeunes chrétiens à l’égard du sacrement de réconciliation. Réticences qu’à la fois tout le monde connaît et que personne n’explique bien, car, après tout, cette génération n’a pas connu les files d’attente devant le confessionnal, les examens de conscience tatillons ou les confesseurs inquisiteurs et rigoristes. Pourtant certains jeunes réagissent comme s’ils avaient connu tout cela : il faut donc croire qu’ils ont entendu leurs parents en parler et que ce contentieux à l’égard de la confession fait partie de l’héritage qui se transmet d’une génération à l’autre.
Une partie des jeunes rencontrés à l’aumônerie avaient eu l’expérience de célébrations communautaires du pardon à l’âge du catéchisme ou de la confirmation : les uns avaient connu des célébrations avec démarche d’aveu, les autres n’avaient connu que des célébrations avec absolution collective. De ces célébrations, certains jeunes disaient garder un souvenir fort et comme une nostalgie ; d’autres en parlaient avec sévérité et un brin d’injustice comme si on les avait piégés et enfermés dans des enfantillages. Quelques étudiants seulement avaient continué à fréquenter les célébrations communautaires dans le cadre de leur paroisse, en y accompagnant leur famille avant telle ou telle grande fête : ils en étaient parfois satisfaits, à d’autres moments ils notaient un décalage entre leurs attentes et le style assez "généraliste" de ces célébrations. Encore plus rares étaient les étudiants qui prenaient l’initiative d’une démarche personnelle et qui venaient dire à l’aumônier "Je voudrais recevoir le sacrement du pardon".

En début d’année, lors des soirées de présentation de l’aumônerie, quand toutes les activités proposées avaient été évoquées, nous avions coutume d’ajouter que l’aumônerie est un lieu où on peut, sinon célébrer, du moins préparer presque tous les sacrements. Il est vrai que nous passions du temps à préparer avec les étudiants notre eucharistie du jeudi, à accompagner les quelques candidats au baptême et à la confirmation, et à rencontrer les couples qui se préparaient au mariage. Pourquoi ferions-nous l’impasse sur le sacrement de réconciliation ?

Nous avions noté un certain nombre d’attentes et de besoins à partir de ces deux lieux d’observation que sont les permanences d’accueil et l’accompagnement des équipes que nous appelons "équipes de partage de vie" ; dans ces équipes, les étudiants s’essaient à une relecture de leur "vécu" avec l’aide d’un accompagnateur. Dans l’un ou l’autre de ces "lieux", il arrive que des étudiants confient des choses de leur vie qui relèvent du sacrement de réconciliation ou qui appelleraient ce sacrement pour que la paix du cœur soit retrouvée et pour que s’amorce la guérison intérieure souhaitée ; nous avons découvert aussi que bien des jeunes qui affichent extérieurement une belle sérénité, sinon de l’insouciance, portent parfois de lourds fardeaux, se sentent tiraillés, reculent indéfiniment devant un choix crucial, se sont enfermés dans des situations sans issue et auraient besoin de s’entendre dire la parole de pardon qui éclaire, relève et remet en paix. Il se dit parfois des choses si fortes dans ces dialogues entre un étudiant et l’aumônier ou dans ces tours de table en partage de vie qu’on se permet d’ajouter, si cela peut être entendu, qu’il existe un sacrement qui est fait pour libérer et permettre de repartir à neuf.

A d’autres moments, on a l’impression qu’au-delà de ce qui vient d’être confié, il y a encore un non-dit et que celui ou celle qui vient de se livrer n’a qu’une envie, celle de se libérer totalement en allant plus loin dans l’aveu de ce qui lui pèse ; il n’y est pas encore tout à fait prêt ou bien ce qu’il aurait à dire lui paraît trop personnel pour entrer dans le cadre d’un partage en équipe ou même d’une simple conversation dans le bureau de l’aumônier. Il faudrait pouvoir accéder au sacrement du pardon ; cet accès n’est pas forcément aisé pour un jeune. Nous avons pensé qu’il nous revenait de le faciliter. Nous avons vite compris que nous ne pouvions guère attendre que les jeunes se présentent, sans créer l’occasion. Les deux moments les plus favorables étaient chez nous la retraite annuelle en abbaye et la marche pascale.

Eléments pour un bilan

Quel bilan pouvons-nous faire au bout de plusieurs années ? Précisons d’abord que ce type de proposition n’a de chance d’être accueilli que s’il s’accompagne d’un effort d’explication ou, plus exactement, de catéchèse pour désarmer les méfiances et venir à bout des préjugés. Impossible de faire comme si tout le monde savait qu’il s’agir d’abord de confesser l’amour de Dieu avant de confesser ses péchés ou comme si personne ne s’interrogeait sur le bien-fondé d’une démarche d’aveu. Il a fallu mettre l’accent sur la rencontre avec le Christ Sauveur et en souligner la saveur évangélique, il a fallu dire et répéter que l’aveu n’a de sens que précédé par la reconnaissance de l’amour fidèle que Dieu nous porte, il a fallu présenter le rôle du prêtre et faire sentir la dimension ecclésiale du pardon en correspondance avec la dimension collective du péché.
Cette proposition de célébrer le sacrement de réconciliation en allant jusqu’à une démarche d’aveu a suscité des discussions entre étudiants ; elle a provoqué l’étonnement de ceux qui avaient pratiqué seulement les célébrations avec absolution collective. Il a fallu s’en expliquer et prendre le temps d’une soirée-débat pour découvrir l’histoire du sacrement ; cette soirée n’a pas levé toutes les réticences et les objections, elle a sûrement dépassionné le débat et amené chacun à s’interroger sur sa pratique.
Cette pratique a d’ailleurs évolué : il y a quelques années, une bonne moitié des étudiants présents à la célébration ne faisaient pas la démarche personnelle d’aveu ; actuellement la plupart effectuent cette démarche. On peut dire que ces célébrations sont vécues comme des moments forts, et désormais, quand nous bâtissons avec des étudiants le programme d’une retraite ou d’une marche-prière, ils demandent eux-mêmes d’y inclure un temps pour le sacrement de la réconciliation.

Les prêtres qui participent à ces célébrations sont impressionnés par la vérité de la démarche des jeunes et par l’absence de tout formalisme. Ils sont témoins de véritables conversions : après plusieurs années d’éloignement, des jeunes ré-entendent l’appel à prier et à participer à l’eucharistie ; d’autres viennent parce qu’insatisfaits d’une vie affective désordonnée et reçoivent un appel à aimer autrement ; d’autres encore viennent chercher lumière et force pour faire face à des situations douloureuses comme des échecs répétés dans les études, le divorce de leurs parents ou leur propre incapacité à se faire des relations... Plusieurs s’interrogent sur leur avenir et c’est là que les premières questions peuvent être posées sur le mariage chrétien comme vocation, sur le choix du célibat consacré ou sur l’appel au ministère de prêtre. .. Il n’est pas rare que le prêtre suggère au jeune de se faire accompagner régulièrement pour progresser dans sa recherche ; ce genre de conseil n’est pas forcément entendu, du moins pas tout de suite. Plusieurs fois cependant des jeunes ont accepté d’entendre cette invitation et ont fini par suivre une retraite de discernement qui a abouti à une entrée au séminaire ou à une entrée en vie religieuse.

Quelques points d’attention

Je voudrais énumérer enfin quelques-unes des conditions auxquelles, à mon sens, il faut essayer de veiller pour que la proposition du sacrement de réconciliation dans un rassemblement ait les meilleures chances d’être accueillie par des jeunes.

Est-il besoin d’insister sur le climat de liberté ? Il importe que chaque jeune ait réellement la liberté d’aller ou non jusqu’à rencontrer personnellement un prêtre.

Le lieu n’est pas non plus indifférent : à la fois, il doit permettre le rassemblement pour la prière communautaire et l’écoute de la Parole de Dieu, et il doit faciliter la rencontre discrète avec les prêtres qui transmettent le pardon. Les célébrations qui ont laissé le meilleur souvenir aux étudiants sont celles que nous avons pu réaliser dans le chœur d’une église cistercienne du XIIème siècle, dans le grand silence qui suit l’office de Complies.

Il semble important que la proposition prenne place dans une démarche spirituelle un peu longue, s’étalant sur une ou deux journées. Les jeunes pressentent l’importance et l’intérêt du pardon offert dans le sacrement de réconciliation, il leur est cependant difficile de faire le pas et ils ont besoin d’un climat favorable qui les y prépare. Les tentatives que nous avons faites par ailleurs pour proposer des célébrations ponctuelles sur une durée brève, un soir en semaine, ont été des échecs.

Le rythme de la célébration ne doit pas être précipité : les jeunes on besoin de temps pour accueillir la parole de Dieu, se mettre en prière, entamer une relecture de leur vie et se préparer à dire les mots avec lesquels ils se reconnaîtront pécheurs. Il n’est pas rare qu’un jeune se donne une demi-heure, voire une heure de temps de réflexion et de prière avant de se diriger vers le prêtre.

L’enracinement de la démarche dans la Parole de Dieu nous est apparu important, ne serait-ce que pour éviter le côté bilan personnel et auto-évaluation ; dans la même ligne, le climat de prière est fondamental ; c’est pourquoi nous ne versons pas dans le style examen de conscience avec une suite de questions, nous préférons proposer des pistes de prière qui sont réponse à la Parole de Dieu qui vient d’être proclamée.

Pour beaucoup d’étudiants, cette façon de vivre le sacrement de réconciliation au cœur d’un rassemblement est une redécouverte après des années de distance. Parfois c’est tout simplement une découverte qui a le goût de la nouveauté. Nous aimerions, bien sûr, que ce ne soit qu’une première approche et que le sacrement du pardon devienne un élément structurant dans la vie de ces jeunes adultes ; il en va de même pour l’accompagnement personnel dont quelques-uns font la découverte en aumônerie. Les aumôneries étudiantes ne sont que des lieux de passage et de transition ; d’autres pourront nous dire plus tard si les conversions vécues à l’âge étudiant ont été plus qu’un feu de paille, si ce qui a été semé porte du fruit et si le sacrement de réconciliation est toujours cette source à laquelle on revient quand on a soif du pardon de Dieu.

Edmond Billard
aumônier des étudiants à Nantes