Des itinéraires de vocations aujourd’hui


Le Père Bernard Poupard, de l’abbaye de La Fortelle, dans le diocèse de Meaux, nous fait part de sa réflexion sur le "profil" des candidats actuels aux vocations presbytérales et religieuses.

Qui veut se pencher sur l’évolution des vocations sacerdotales et religieuses n’a que l’embarras du choix : nous disposons de toutes les statistiques et courbes souhaitables et de jeux d’hypothèses explicatives souvent très intelligentes et bien étayées.

Un champ d’investigation reste pourtant passablement en friche : une analyse plus qualitative des vocations actuelles, leurs origines, leurs histoires, leur répartition selon les différentes formes d’engagement. On comprend aisément les causes de cette lacune : les familles religieuses, anciennes ou nouvelles, ne livrent guère leurs données, et encore moins leurs analyses en ce domaine, et les séminaires ou les diocèses ne le font pas beaucoup plus, les chiffres bruts mis à part. On sait le nombre de séminaristes qui entrent chaque année, comme le nombre des ordinations. On connaît déjà moins précisément le nombre des novices ou assimilés et celui des professions. Mais y a-t-il des profils de séminaristes ou de novices qui évoluent aujourd’hui ? De quels milieux viennent-ils ? Quelles étaient leurs pratiques ecclésiales ? Quelles filières ont-ils suivies ? Y a-t-il des traits communs ou relativement fréquents, dans leurs histoires ? Peut-on établir des relations entre les départs et les histoires antérieures ?

Trois grands catégories de candidats

Ces questions sont délicates, et c’est bien pourquoi elles ne font guère l’objet de publications de la part des responsables. D’autant moins que les pratiques en matière d’accompagnement, de discernement et d’accueil sont très variables. Les diocèses se sont, pour la plupart, dotés de bons outils d’accompagnement et de discernement, et si une impatience bien compréhensible rend parfois les évêques accueillants à des offres variées et singulières, les instances auxquelles les candidats sont normalement renvoyés constituent de bons relais pour faire le tri. Il n’en va pas toujours de même dans les noviciats, qu’il s’agisse de communautés très anciennes et vénérables ou de nouvelles formes de vie religieuse. Quel responsable diocésain des vocations n’a pas eu la surprise, la déconvenue, de voir un jeune à qui il demandait l’épreuve du temps et d’un parcours de discernement, accueilli tout de go dans une communauté au noviciat bien fourni ? Il est vrai qu’une communauté religieuse peut accueillir plus largement, qu’un jeune homme présentant des inaptitudes au sacerdoce pourra faire un bon religieux dans un groupe où le nombre soutient les individus plus fragiles. Mais, pour revenir à notre propos, les institutions qui ratissent large seront peu portées à faire état de leurs entrées de manière un peu qualitative. Et encore moins des départs.

On pourrait dire, bien sûr, que chaque histoire est singulière, que le passé laisse toujours l’avenir ouvert à la grâce de Dieu, et finalement que le Saint-Esprit se joue de tous nos schémas. C’est vrai. Mais nous savons bien aussi que tous les milieux sociaux ne sont pas pourvoyeurs de vocations de la même manière, que les familles stables et bien situées dans la vie sociale ne constituent pas le même terreau que celles qui sont plus fragiles, que les parcours individuels trop chaotiques ne donnent pas la même assurance que des histoires témoignant d’une bonne fécondité. Le travail de discernement consiste précisément à repérer l’action de l’Esprit à travers les heurs et les vicissitudes d’une histoire.

Un responsable des vocations se trouve en fait devant trois grandes catégories de sujets :

  • Ceux dont on pressent très vite qu’ils iront rejoindre un séminaire ou un noviciat. Ils sont presque tous de familles stables, de milieux relativement aisés, et ont derrière eux des pratiques ecclésiales durables.
  • Ceux dont on pressent très vite qu’ils n’aboutiront pas dans cette voie : leur démarche est confuse et leur passé trop chaotique.
  • Ceux pour lesquels il faut un travail lent et complexe de discernement. Souvent leur recherche spirituelle est sincère et émouvante. Mais il y a des obstacles qui gênent leur avancée et invitent à temporiser le jugement : le passé familial est lourd, l’histoire personnelle est erratique, la pratique ecclésiale est récente, marquée par une sorte d’individualisme spirituel. On rencontre des jeunes de milieux bourgeois traditionnels dans ce cas, mais ils sont peu nombreux. Le plus grand nombre vient de familles de classes moyennes, et il s’agit souvent de jeunes en pleine mobilité sociale, mais butant sur des seuils à franchir. Leurs études les ont, par exemple, conduit plus loin que leurs parents, mais ils ont du mal à trouver leur identité sociale ; leurs parents ne savent pas les y aider ; et la société contemporaine est dure pour ceux-là. Le travail de discernement sera long et difficile pour eux. Comment repérer le travail de l’Esprit dans une vie qui n’a pas de bons appuis, qui s’épanouit mal, qui enchevêtre les élans généreux et les blocages inattendus ? Ce sont ces jeunes-là qui font parler de "fragilité" par les responsables religieux. Or, ce sont eux qui rôdent volontiers autour des lieux spirituels, cherchant à apaiser leur inquiétude et à trouver une issue à leur désir. On tentera volontiers de les fortifier, sans toujours y parvenir.

Différents appels mais des points communs

Les sujets du premiers groupe sont peu nombreux, mais leur démarche est digne d’intérêt dans la mesure où ils s’avancent avec une franche générosité, à partir d’une histoire continue, dans un contexte ecclésial complexe et incertain.

Voici deux vocations voisines : deux jeunes demandant à entrer au séminaire après leurs études secondaires, sans passer par l’enseignement supérieur, sans impatience mais sans complexes. Issus de la même paroisse, du même milieu (familles de cadres supérieurs), mais tout à fait indépendants dans leurs cheminements. Il est significatif de relever les points communs de l’environnement qui a porté leurs vocations :

  • Dans l’enfance, l’empreinte chrétienne est forte à la maison. Pour l’un, même si tous les membres de la famille ne pratiquent pas, la mère anime les séances hebdomadaires de catéchisme. L’autre suit les parents aux réunions de chorale ou de catéchisme, et chez les grands-parents il y a même une salle spéciale de catéchisme. Chez lui, on va à la messe dominicale en famille. L’implication dans la vie paroissiale est donc marquée, et particulièrement par le catéchisme à la maison.
  • Le prêtre est proche et son image valorisée. Ils ont connus des prêtres heureux, ouverts ; les presbytères ont été des maisons accueillantes, où l’on allait facilement, même pour des services mutuels. La paroisse de l’un d’eux a été éprouvée un moment par la présence d’un prêtre en difficulté : des pétitions ont circulé, mais à la maison, on le recevait et il était soutenu.
  • La paroisse a constitué un milieu porteur. Le groupe des enfants de choeur, puis surtout l’aumônerie des jeunes ont joué un rôle décisif. Il convient de noter qu’il s’agit d’aumônerie paroissiale, non liée aux établissements fréquentés. L’un et l’autre en sont devenus animateurs dans les dernières années de leurs études secondaires.
  • Enfin, les grands rassemblements et notamment les pèlerinages ont été très marquants : le Frat, Lourdes, Compostelle, Czestochova, Denver. C’est là que la vocation a pu s’exprimer ou se préciser. C’est là que l’un d’eux en a parlé à un prêtre pour la première fois. L’autre a reçu comme un appel la soif spirituelle de tant de jeunes.

Des appels entendus dans un milieu dynamique et porteur

Quand ils parlent de leurs vocations, c’est de cela qu’ils parlent, et il convient de souligner qu’il s’agit là de milieux ambiants, de vie d’Eglise, d’événements collectifs. La vocation n’est pas née dans un cheminement individuel à travers les vicissitudes de la vie ou de la famille, encore moins en réponse, ou en parade, à des difficultés personnelles. Elle est née dans un milieu vivant, dynamique et porteur. Aucune trace de réaction à des orientations pastorales mal reçues ou à des insatisfactions sociales, mais bien un appel, une invitation perçue dans un contexte vivant.

Pour l’un, la question s’était posée dans l’enfance. Puis elle avait sommeillé. Elle est réapparue à la confirmation, pour s’exprimer clairement lors d’un pèlerinage. L’autre s’est interrogé en classe préparatoire : dans un environnement très marqué par la recherche de l’argent, il s’est demandé : qu’est-ce qui est le plus important pour moi ? Dans le même temps, il était taraudé par l’attente des jeunes autour de lui, le désir de leur répondre, de témoigner. Il cherche un sens, pour lui et pour les autres indissociablement. La décision d’arrêter les études, même si elle veut éviter à la famille une charge qui sera inutile pour l’avenir, est aussi un témoignage : "Partir en milieu d’année, avec de bons résultats, ça pose question." Le choix est fait rapidement, il est exprimé à l’entourage et reçu positivement.

Une année de discernement consistant en une série de week-ends et de temps forts leur a été proposée. Elle a été importante pour eux. Ils se sont retrouvés régulièrement à quatre dans un cadre fraternel. Chaque mois, une relecture commune de leurs vies leur permettait de mieux discerner les signes du travail de l’Esprit dans leur vécu personnel, spirituel, relationnel, dans leurs activités et leurs engagements. Des prêtres différents venaient leur donner un enseignement et leur permettaient de découvrir divers aspects de la vie du diocèse. Les points fondamentaux, permettant une décision, étaient clairement abordés.

C’est là qu’ils ont perçu la réalité diocésaine. Jusqu’alors, le diocèse c’était leur paroisse. Ils ont commencé à devenir attentifs à la vie du diocèse. En même temps, ils faisaient l’expérience d’un corps diocésain : déjà dans les pèlerinages ils se retrouvaient en groupes diocésains. A l’entrée au séminaire, cette appartenance se fortifiera naturellement.
Ainsi, leur démarche de discernement et d’élection s’est poursuivie dans un milieu venant élargir le milieu paroissial où leur vocation avait grandi. Le diocèse les accueillait, ils le découvraient et commençaient à se situer.

Des jeunes peu inquiets sur l’avenir

Un point est remarquable dans ces histoires : jamais n’apparaît d’inquiétude sur l’avenir de l’Eglise et particulièrement sur l’avenir du clergé. A l’encontre de bien des prêtres ayant au-delà de la quarantaine et qui sont embarrassés quand un jeune vient leur parler de vocation, ces jeunes n’hésitent pas. Sont-ils aveugles ?

Quand on évoque avec eux le clergé en diminution rapide et en vieillissement et le tout petit nombre de jeunes prêtres et de séminaristes, ils disent : il faudra d’abord beaucoup de solidarité entre prêtres, d’entre aide, de travail en commun. Il faudra former une communauté de prêtres. Ensuite, il sera indispensable de responsabiliser les chrétiens, qui ne pourront être simplement consommateurs ou spectateurs. Cela dit, leur attitude est de se dire : "Bon, on va y aller, on va être solides, on va travailler ensemble."

Ont-ils été trop enfermés dans des milieux restreints ? Connaissent-ils mal le vaste monde autour d’eux ? Comme tous les jeunes, ils ont fait dans les établissements scolaires l’expérience de la minorité infime des chrétiens. Ils savent par expérience que les activités d’aumônerie regroupent peu de monde. L’un d’eux, au cours d’un service militaire prolongé, a pu mesurer l’absence d’intérêt de la très grande majorité des jeunes pour ce genre de proposition. Mais cette expérience, loin de les décourager, aiguise leur désir missionnaire.

Le statut financier du prêtre est modeste. Comment vont-ils s’en accommoder ? - Ils aiment la simplicité. Ils reconnaissent qu’ils sont de milieux privilégiés, mais leur éducation a fait d’eux des hommes relativement modestes. Et ils constatent que les prêtres vivent convenablement. Que leur niveau de vie soit simple les maintient proches de tous. Et c’est bien, dans cette société, de montrer qu’on peut vivre heureux sans être riche.

L’image du prêtre est souvent décevante, en particulier dans les médias, qui privilégient des images du passé. Cela ne les rebute pas ? - Ils sont toujours confrontés à ces clichés. Ils observent d’ailleurs que cela montre que le prêtre fait partie de la société, comme le bidasse, le flic. Ils savent que les médias aiment ce qui fait choc, ce qui est extraordinaire. On parle pendant une semaine de Woodstock où il y avait 15 000 personnes. Il y en a eu un million en Pologne mais on ne le montre pas. Ce qu’ils désirent, c’est que le prêtre soit adapté à son milieu et à sa mission. Qu’il n’ait pas peur d’afficher qu’il est prêtre et en même temps qu’il soit libre, par exemple dans son habillement : il n’a pas perdu sa personnalité. Et même qu’il soit au fait de la mode. S’il prétend être épanoui dans son célibat et que l’on remarque qu’il manque d’une femme pour sa tenue, il ne sera pas crédible. Si sa tenue est passée de mode, on pensera aussi plus facilement qu’il est dépassé dans tous les domaines, que sa morale est dépassée, que ses idées sont passées de mode.

Ils arrivent dans des diocèses où les laïcs ont maintenant pris beaucoup de responsabilités. La place du prêtre, son rôle, vont évoluer dans ce nouveau contexte. Comment vont-ils se situer ? - Ils croient à l’importance d’une collaboration franche avec les laïcs. Et en même temps, ils estiment qu’il faudra bien affirmer la mission spécifique du prêtre. C’est lui qui est le lien avec l’Eglise, une sorte de passage obligé. Mais les laïcs en responsabilité en doutent-ils ? Ce qui serait néfaste serait une attitude simpliste : il n’y aura plus de prêtres, donc tout aux laïcs. Il faudra apprendre à bien se situer.

La vie en paroisse : une donnée primordiale

Cet essai d’analyse est fragile. Il est aussi significatif. Il ne s’agit que de deux témoignages, mais qui ne sont pas isolés. On notera qu’ils ne s’inscrivent pas bien dans le profil des jeunes prêtres qu’on peut présenter ailleurs. Ce qui serait à verser au dossier à cet égard, c’est que le presbyterium diocésain, qui va sérieusement diminuer en nombre, va également se diversifier encore plus qu’aujourd’hui. Les évêques et les formateurs ont la responsabilité de cette diversité. Ils auront à animer l’unité entre des prêtres aux options très diversifiées, et entre ces prêtres et les laïcs.

Mais l’objet de ces lignes était surtout d’en tirer un enseignement pour les Services des Vocations. Le terreau le plus précieux pour des vocations saines, c’est la famille dans la paroisse. Et la proximité de prêtres au service de leurs communautés et heureux de leur ministère est un facteur déterminant. Il n’est certes pas inutile de favoriser des rencontres sur le thème des vocations, mais l’action la plus fructueuse, comme le travail de l’Esprit, passe par des prêtres bien établis dans leur présent et par des communautés paroissiales où les familles peuvent déployer leur vitalité et leurs engagements.

Père Bernard Poupard
abbaye de La Fortelle, décembre 94,
équipe SDV de Meaux