Le diaconat permanent, une chance pour la mission


Jean-Louis Papin
évêqu
e de Nancy et Toul


Cette intervention de Mgr Papin a été donnée le 18 janvier 2004, lors d’une journée diocésaine des diacres et de leurs épouses.

Qu’est-ce qu’un diacre ? Quel est son ministère ? En a-t-on vraiment besoin ? Que peut-on attendre de lui ? J’entends régulièrement ces questions posées par des laïcs, des prêtres et même des diacres trouvant difficilement leur place dans la vie de l’Eglise.

Les questions que vous vous posez sur le diaconat ne sont pas propres à notre diocèse. Dans la revue du Comité national du diaconat permanent, un diacre écrivait : « Il y a vingt-cinq ans que je suis diacre. Il me semble que nous ne sommes pas meilleurs en communication aujourd’hui qu’hier… On ne sait toujours pas expliquer à des journalistes, mais aussi aux communautés chrétiennes, ce qu’est un diacre. A quoi ça sert ? Pourquoi une ordination ? La mission d’un diacre ? Le rapport avec les prêtres ? Avec l’évêque ? On se demande pourquoi, trente-deux ans après la première ordination d’un diacre permanent en France, nous restons aussi peu capables de “promouvoir” l’image de ce ministère. On ne comprend toujours pas pourquoi un diacre ne devient pas prêtre… Plus, avec la pénurie des prêtres, l’incompréhension monte. La plupart des catholiques conçoivent comme beaucoup plus légitime qu’on leur donne un prêtre (1). » Et l’auteur de regretter que le ministère des diacres ne soit abordé le plus souvent que par ce qu’ils ne peuvent pas faire : célébrer l’Eucharistie, la réconciliation, le sacrement des malades, présider à la vie d’une paroisse. En parlant ainsi, on installe un doute sur la capacité des diacres et sur la pertinence de leur ministère. […]



Diaconie et sacerdoce

Il nous faut sans cesse revenir au concile Vatican II. Dans la Constitution sur l’Eglise, il est dit que les diacres sont ordonnés « non pas en vue du sacerdoce, mais en vue du service (2) ». Cette expression est la reprise quasi textuelle d’écrits des premiers siècles de l’Eglise. Le mot « service » traduit exactement le mot grec diakonia, c’est-à-dire « diaconie ». Or, la diaconie dans l’Eglise primitive n’est pas l’animation des communautés chrétiennes. C’est l’exercice concret de la charité pour que les pauvres soient secourus, que personne ne soit abandonné et que chacun ait sa place dans l’Eglise et dans la société. Jean-Paul II a souvent valorisé cet aspect dans ses prises de parole. Ainsi, le 10 septembre 1987 à Détroit (USA) : « Au milieu des misères de la condition humaine, c’est un grand réconfort de savoir que de très nombreux diacres des Etats-Unis se trouvent engagés dans le service direct en faveur des nécessiteux, de tous ceux qui se trouvent dans le besoin, comme les malades, les opprimés, les personnes âgées, les invalides, […] ceux qui ont connu la souffrance dans le mariage, ceux qui n’ont pas de toit, les victimes de la drogue, les prisonniers, les réfugiés, les vagabonds, les victimes de la discrimination raciale. »

C’est dans cette direction que nous devons chercher la spécificité du ministère diaconal. Certes, annoncer la parole de Dieu est aussi une exigence de la charité. Et les diacres ont une mission en ce domaine. Il en est de même pour le service de la liturgie, spécialement de l’Eucharistie qui est par excellence le sacrement de la charité. Mais les prêtres ont eux aussi un ministère dans ces divers domaines. Qu’est-ce qui va distinguer les diacres ? Qu’est-ce qui va donner sa coloration spécifique à leur ministère dans le domaine du service de la Parole et de la liturgie ? C’est la diaconie de la charité, c’est-à-dire leur engagement auprès des plus pauvres de nos sociétés.
Alors que le ministère des prêtres est de présider à la vie de la communauté chrétienne, celui des diacres est de lui rappeler sans cesse qu’elle ne peut être « du Christ » que si elle va à la rencontre de ceux qui sont aux marges de la société et de l’Eglise, et s’ouvre à eux. Un évêque français aimait à répéter que le diaconat permanent devait être le « poil à gratter » de l’Eglise. II est donc souhaitable qu’un diacre ne prêche pas comme un prêtre, que sa prédication soit habitée par ses engagements familiaux, professionnels et associatifs, qu’il sensibilise la communauté chrétienne aux réalités difficiles de notre société, qu’il se fasse l’écho de ce qui s’y vit d’authentiquement évangélique comme un trésor précieux pour l’Eglise. Il est important que les auditeurs perçoivent que c’est de là que le diacre parle et enseigne. II en est de même pour son service dans la liturgie. Le diacre y tient la position discrète et humble du serviteur. II est à la place de celui qui sert et non de celui qui invite et préside. Dans l’Eucharistie, il est appelé à signifier que là est la source de la charité et que les pauvres sont les premiers invités au festin du Royaume. Peut-être n’a-t-on pas bien trouvé la manière de le manifester visiblement, de sorte que le service liturgique du diacre apparaît trop souvent comme celui d’un super servant de messe ou d’un aide au prêtre…



Une signification sacramentelle, une attitude spirituelle

Ce que le diacre fait, il ne le fait pas en tant que fonctionnaire de l’Eglise, chargé du caritatif et de l’humanitaire. II n’est pas un assistant social de l’Eglise. II le fait au titre de l’ordination, c’est-à-dire d’un sacrement. Dans son discours aux diacres des Etats-Unis, Jean-Paul II disait : « Le fait que le diacre soit un ministre ordonné de l’Eglise confère à ses efforts une dimension particulière aux yeux de ceux avec qui il vit et travaille. » Si les prêtres sont au milieu de nous les signes sacramentels du Christ, tête de son Eglise, les diacres sont les signes sacramentels du Christ qui se tient au milieu de nous comme celui qui sert, aimant d’un amour de prédilection les pauvres, les petits, les souffrants, les exclus. C’est sur ce fondement sacramentel qu’ils collaborent au ministère de l’évêque.

Nous avons beaucoup à dire pour considérer les ministères ordonnés dans cette perspective sacramentelle, qu’il s’agisse du diaconat, du presbytérat ou de l’épiscopat. On a été trop habitué à les penser et à les définir en termes de tâches à accomplir. On en mesure aujourd’hui les impasses. Sauf à retrouver cette dimension sacramentelle et à en faire découvrir l’importance aux chrétiens, on ne voit pas pourquoi il faudrait ordonner des diacres. II en est de même pour les prêtres qui voient confier à des laïcs une bonne partie de ce qu’ils faisaient. Du coup, on se demande ce qu’ils sont. Eux-mêmes aussi se le demandent parfois. Or ce n’est pas ce qu’ils font qui les identifie. C’est l’ordination. Et l’ordination joue non sur le faire, mais sur l’être et plus encore sur « l’être avec », lequel évidemment doit se concrétiser dans des tâches, mais ne peut s’y réduire. Ce n’est pas à partir de ce que font les ministres ordonnés que nous pouvons dire ce qu’ils sont, mais à partir de ce que l’ordination a fait d’eux que nous devons envisager quelles tâches il convient de leur confier.

C’est dire l’importance de l’ancrage sacramentel, en particulier eucharistique, de tout ministère ordonné, et donc du diaconat. Sans cet ancrage, la diaconie de la charité ne sera plus considérée que comme une activité socio-humanitaire, alors qu’elle est une manière privilégiée de rendre le Christ présent et de l’annoncer. Qui dit ordination dit aussi que celui qui est ordonné l’est pour l’édification de l’Eglise. Le diacre n’est pas là pour s’approprier le service de la diaconie, mais pour qu’en s’y adonnant l’Eglise devienne davantage diaconale, puisque telle est la loi selon laquelle elle est appelée à vivre. On retrouve ici la dimension sacramentelle de ce ministère : faire signe pour que l’Eglise devienne ce qui est signifié.

A la signification sacramentelle du diaconat est liée une attitude spirituelle. On en trouve une référence fondatrice dans cette scène relatée par saint Marc : Jacques et Jean se disputent les places importantes dans le Royaume de Dieu. Jésus leur rappelle qu’ils ne doivent pas se comporter ainsi : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il se fasse l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10, 44-45). Cette parole de Jésus est importante. Elle invite les diacres à ne pas rechercher les premières places, celles où on exerce un pouvoir, mais plutôt à tenir la place du serviteur, dans l’humilité. C’est en cela qu’ils feront autorité. Certes, l’humilité et l’esprit de service sont des vertus chrétiennes que tous les baptisés sont appelés à vivre, quelles que soient leurs fonctions dans l’Eglise. Mais pour que tous les vivent, certains sont appelés à le signifier visiblement. Si le diaconat en tant que ministère permanent a disparu pendant des siècles du paysage ecclésial, c’est en partie pour être devenu ce qu’il n’était pas. Nous devons donc être vigilants sur les missions confiées aux diacres, et ne pas nous laisser entraîner à des dérives qui sonneraient le glas de ce ministère ou n’en feraient plus qu’un ministère ordonné résiduel.



Pour quelles missions ?

Ces quelques éléments de réflexion orientent notre manière de situer concrètement les diacres. Ils aident à discerner les missions les mieux accordées à ce qu’ils signifient sacramentellement et celles qu’il ne convient pas de leur confier de façon habituelle. Si les diacres sont ordonnés « non pas en vue du sacerdoce mais en vue du service », il n’est pas souhaitable de leur confier, sinon de façon passagère, une mission de conduite de la communauté chrétienne en lieu et place d’un prêtre. Le diaconat risquerait alors de n’être perçu que comme un palliatif imparfait au manque de prêtres. Ce qui ne serait pas cohérent avec la spécificité sacramentelle de ce ministère et ne permettrait pas à la communauté des fidèles de la comprendre. […]

Les diacres sont ordonnés et envoyés aux communautés chrétiennes pour signifier sacramentellement l’amour préférentiel de Jésus pour les pauvres, les petits, les souffrants. C’est dans cette direction qu’il convient donc de privilégier leur investissement. Non pas que cette attention leur serait exclusivement réservée, mais pour qu’ils rappellent constamment à la communauté qu’elle ne sera « du Christ » que si elle est diaconale, constamment sensible aux multiples pauvretés de ce temps. En ce sens, le ministère diaconal est au service de l’identité chrétienne de la communauté et de sa mission. Dans cette perspective, il est souhaitable que chaque paroisse puisse bénéficier du ministère d’un diacre, que celui-ci lui soit ou non spécifiquement attaché. Mais à condition que la dimension proprement diaconale de ce ministère soit préservée et mise en œuvre. […]

L’ordination ne fait pas des diacres les assistants ou les subordonnés des prêtres, même si la mission qui leur est confiée peut les situer sous la responsabilité d’un prêtre, de même qu’elle peut les placer aussi sous l’autorité d’un laïc. Les diacres se définissent d’abord comme des collaborateurs de l’évêque pour l’exercice de son ministère apostolique. En fonction des charismes personnels et des besoins de la mission, il peut leur confier des responsabilités diocésaines dans des domaines qui s’accordent bien à ce ministère.



Développer l’appel au diaconat

Cela ne fait qu’un peu plus de trente ans que le diaconat permanent a été rétabli dans l’Eglise catholique. Et c’est en 1988 qu’a été ordonné le premier diacre de notre diocèse. Nous ne devons donc pas nous étonner des questions qui sont posées au sujet de ce ministère, ainsi que des incertitudes sur son identité et sur son positionnement dans l’Eglise. D’autant plus que cette restauration intervient dans un contexte ecclésial en pleine évolution. Les communautés chrétiennes sont plus réduites. Le nombre des prêtres diminue. La responsabilité des baptisés laïcs dans la vie ecclésiale décroit. Les évolutions de la société conduisent les chrétiens à remettre en cause leur façon de vivre en Eglise et de témoigner du Christ. Chacun est ainsi appelé à redéfinir la spécificité de sa mission et son articulation avec celle des autres. Dans ce contexte inconfortable, des hommes répondent à un appel de Dieu et de l’Eglise en s’engageant avec courage et avec joie dans l’aventure du diaconat permanent. Je souhaite que nous progressions dans l’appel à ce ministère. Que là où il n’y a pas de diacres permanents (paroisses, doyennés, mouvements, aumôneries, services), on se mette en route pour découvrir la signification de ce ministère. Que, l’ayant mieux comprise, on discerne les réalités ecclésiales et humaines qui pourraient en bénéficier et à qui la question d’un tel engagement pourrait être posée. En effet, il ne s’agit pas d’appeler des diacres seulement parce que la décision a été prise par un concile de restaurer ce ministère, mais parce qu’on aura perçu dans ce ministère une chance pour la mission.


Notes :
(1) Diaconat aujourd’hui, octobre 2002.
(2) Lumen gentium n° 29.