L’image contemporaine du prêtre


Le prêtre, star médiatique ? Il ne se passe pas une semaine sans qu’un nouvel article, une émission de radio ou de télévision, voire un film, ne lui soient consacrés. Peut-on expliquer ce paradoxe ?
Analyse et réflexion avec Mgr Georges Gilson, Président de la Commission épiscopale des Ministères Ordonnés.
Une interview réalisée par le SNOP.

Le prêtre est un personnage constamment mis à la Une des médias. Récemment, il y a eu, bien entendu, la sortie du film "Prêtre". Mais depuis le début du mois de mai, on a pu relever aussi un portrait dans Le Point et un autre dans l’Express, une émission de Canal + sur les curés de campagne en France, et une autre sur France 2 proposant de soutenir l’action d’un prêtre en Roumanie. On note encore la participation d’un prêtre à un débat de RTL, un reportage de Europe 1 sur un missionnaire français en Afrique du Sud le tout en moins d’un mois. Et je ne parle pas des articles de presse écrite, nationale ou régionale, ni des personnages de publicité.
Comment expliquez-vous ce phénomène, paradoxal au regard de la situation de l’Eglise en France ?

La France est malade de devoir quitter sa longue Histoire nationale. Elle craint d’en perdre la mémoire. Quinze siècles, et plus, d’une société chrétienne. Au-delà et au coeur des vicissitudes de la vie politique et comme compagne vigilante des rois depuis Clovis jusqu’à Louis XVI, l’Eglise catholique a été le cadre de la vie morale et spirituelle des français. Et le village en était le terrain d’élection, habituel et quotidien : le village, c’est-à-dire la paroisse et son curé. Il faut redire cela pour comprendre la place unique du prêtre dans l’inconscient collectif. Personne ne peut vivre sans inscrire dans son existence la dimension du "sacré". La vie est sacrée. L’amour est sacré. Et la mort plus encore !
Alors l’image du prêtre reste inscrite dans la société. Son apparente disparition inquiète. Je dirai mieux, elle fascine. Plus encore, la transformation assez extraordinaire de sa mission, de sa manière d’être, de son "look", insécurisent une opinion publique qui affirme vouloir en faire, dans le contexte de la laïcité, un personnage anonyme et lui donner un statut privé, mais qui confusément supplie qu’il n’en soit rien.

- Pourquoi ce paradoxe ?

Car le prêtre est un signe. Celui du doigt levé vers le ciel, comme le clocher de tous nos villages. Le prêtre donne sens ; il est l’homme de Dieu. Il distille l’espérance. Bref, il est le pasteur.
Cependant, l’Eglise elle-même a, au nom de sa fidélité à l’Evangile, initié des ruptures d’images qui sont significatives. Par exemple, l’envoi en mission des prêtres-ouvriers, l’abandon de la soutane, et auparavant, en 1914, l’extraordinaire révolution qu’a été la vie des prêtres-soldats dans les tranchées de Verdun Plus encore, l’évolution post-conciliaire par laquelle l’Eglise n’est pas seulement l’ensemble des évêques et des prêtres, mais celui de tous les chrétiens laïcs qui portent la responsabilité du partage de l’Evangile. N’oublions pas non plus l’ordination des diacres, ou encore ce fait aux conséquences sociales majeures qui est de confier à des chrétiens laïcs la présidence de la prière des sépultures, etc.
Les prêtres, parmi tous les corps sociaux de la nation, sont ceux qui, plus que tous les autres, ont risqué le changement. Par fidélité à la mission évangélique. Et l’évolution n’est pas encore à son terme. Car le monde change toujours, peut-être même se détruit-il ! L’Eglise, dont les prêtres sont les pasteurs, est une portion d’humanité illuminée par l’Esprit de Jésus. L’Eglise enracinée solidement dans sa Tradition accepte d’être secouée comme le monde l’est, évidemment.

- Pensez-vous que ces images médiatiques puissent avoir une influence sur les vocations ? Est-ce une dimension prise en compte dans les travaux de la Commission épiscopale des ministères ordonnés, que vous présidez ?

La crise des vocations sacerdotales dans notre pays n’est pas résolue. Elle est grave. C’est une angoisse quotidienne. Oui, les images médiatiques ont une influence sur les vocations sacerdotales. Plus aujourd’hui qu’hier, car bien des jeunes ne fréquentent plus les prêtres, des prêtres jeunes. Ils ne vivent pas "avec" Les images déformées par l’écran de télévision ou de cinéma l’emportent sur l’expérience, le contact, le compagnonnage. La vocation est don de Dieu mais elle naît grâce à la rencontre avec un prêtre.
Et cependant, je suis toujours heureusement étonné en recevant les séminaristes. Ils disent que Dieu les a interpellés librement. Même s’ils ne savent que peu de chose sur le ministère et la vie des prêtres, ils sont saisis par le Christ et ils veulent le servir.
La Commission épiscopale des ministères ordonnés a une responsabilité particulière : celle d’aider tous les évêques de France, non pas à corriger les images, mais à permettre le témoignage. Nous devons aider fermement les communautés chrétiennes à faire en sorte que soient respectés les conditions de vie et le ministère des prêtres et des diacres. C’est cela qui est l’essentiel. L’image est donnée de surcroît.

- Certains propos des médias sur les prêtres choquent de nombreux catholiques. C’est le cas des polémiques sur le célibat. Quels conseils donnez-vous à ceux qui veulent "réagir" ?

Les polémiques sur le célibat ne sont pas nouvelles. Le problème d’ailleurs n’est pas le célibat comme état de vie : nous ne sommes pas les seuls. Nombreux sont ceux qui vivent l’obligation d’être célibataires comme un drame de la solitude. Le prêtre ne le vit pas ainsi, même si, parfois, il peut porter une crise spirituelle et affective à un moment de son existence. Il sait pourquoi il s’est engagé à vivre un amour mystérieux, qui le rend disponible à la rencontre avec Dieu et au service de ses frères les hommes et les femmes de son temps.
Le problème, donc, n’est pas le célibat : c’est celui du statut de la sexualité dans notre monde occidental. C’est celui du statut de l’homme dans son rapport à la féminité. Toutes les règles et les coutumes ont volé en éclats. Je ne suis pas sûr que les hommes sachent bien, aujourd’hui, qui ils sont. Et les prêtres sont d’abord des hommes. Des hommes qui ont une vocation, un projet de vie. Ces hommes ont d’ailleurs la chance que leur soit ouvert pendant près de dix ans un chemin d’éducation tout à fait exceptionnel ; le séminaire est une chance. Encore faut-il y entrer !
Les meilleurs conseils que l’on peut donner pour réagir devant cette situation, c’est de travailler avec vigueur à la pastorale de la famille, à la promotion du sacrement de mariage, à une étude pluridisciplinaire de la sexualité dans le monde contemporain. Il s’agit pour nous d’être des partenaires heureux. En ce domaine, la dernière encyclique du pape donne un enseignement tout à fait fort. Ainsi que bien d’autres enseignements concernant l’amour humain, le respect de la femme et de la vie familiale.

- L’utilisation du prêtre, comme de tout autre personnage religieux, par la publicité, suscite une exaspération croissante chez certains. Partagez-vous ce sentiment ?

Le moine sur les boites de camembert m’a toujours fait sourire plus qu’autre chose. Don Camillo qui établit un dialogue quelque peu agressif et souriant avec Pepone, ça n’a jamais fait de mal à personne non plus. L’humour, même publicitaire, peut être un chemin qui ne blesse pas.
En revanche, la dérision est une attaque directe contre la personne. La dérision est une arme de guerre. Aujourd’hui, certains utilisent contre l’Eglise catholique cette expression outrée. C’est un fait. La manière de réagir à cela ne peut être que celle du Christ lui-même : la force du témoignage, la vérité de la parole. Jamais nous ne pouvons répondre par la "guerre". Toute guerre engendre l’intégrisme. Toute guerre est une folie. Il n’y a pas de guerre sainte. Il y a le "martyre" à la manière de Jésus. Il y a aussi l’Etat de droit.
La meilleure des réponses, c’est la présence dans les médias. Encore faut-il apprendre à être présent ! La communication est une "écriture". Nous devons réapprendre à écrire. La sincérité ne suffit pas !

- L’image du prêtre dans les médias n’est évidemment pas homogène : les attaques les plus agressives côtoient les propos les plus admiratifs. Un certain courant d’affection subsiste même puisqu’un film très attendu "Les Anges gardiens", avec Gérard Depardieu et Christian Clavier sortira cet été, dans la veine des Don Camillo. Pensez-vous néammoins que l’on puisse trouver une certaine cohérence dans tout cela ? Est-il possible, finalement, de parler de l’image "du" prêtre ?

Les français sont souvent anticléricaux, mais ils aiment les prêtres. Ils regrettent leur absence. Qui donnera sens à leur vie si le curé n’est plus là à l’heure de la mort, ou s’il ne baptise plus ? Le prêtre catholique dans la société française, c’est l’homme de coeur, St Vincent de Paul ou l’Abbé Pierre. Mais c’est aussi l’homme du sacré et de la mystique, le Curé d’Ars et le moine bénédictin. C’est encore l’homme de l’engagement et de la proximité, l’abbé Popielusko et Guy Gilbert. C’est l’homme du péché et du pardon, c’est le bon samaritain et le prêtre "au coeur des masses". Mauriac, Bernanos, Cesbron et bien d’autres ont dessiné ces figures !
Comme le Christ, le prêtre crée la faille et l’ouverture dans la monotonie des jours. Il est autre. Il est mystère. Il témoigne que l’existence n’est pas un tombeau scellé. Il y a Pâques, le passage. Alors il déconcerte. Il irrite. On le conteste. Et parfois on le rejette : il ne faut pas s’en étonner.
Les médias blessent souvent les images des prêtres, comme l’enfant qui fait mal pour attirer le regard sur sa détresse. Les évêques doivent défendre l’honneur des prêtres. Et les prêtres aussi. Mais les uns et les autres doivent apprendre à entendre les appels d’une société qui a besoin d’eux. La France a besoin des prêtres. Des prêtres, témoins de l’Evangile qui vivent dans le quotidien de la population. C’est un cri.
La question d’aujourd’hui n’est pas tant celle de l’image du prêtre que du témoignage de celui-ci et des évêques. Il ne s’agit pas de publicité. Nous n’avons aucun produit à vendre. Il s’agit de communication. Nous sommes les hommes du sacrement, c’est-à-dire du signe de l’engagement de Dieu en ce monde. Dieu qui accomplit le miracle. C’est à ce niveau théologique là qu’il faut réfléchir et travailler. L’image n’appartient à personne. Nous n’avons sur l’image que très peu de pouvoir. C’est le témoignage qui est de notre responsabilité.

- En terme de communication, il faut bien admettre que personne, aujourd’hui, ne "contrôle" l’image du prêtre. Mais vous ne pensez pas que l’Eglise a les moyens, si ce n’est de le faire, au moins d’effectuer quelques retouches sur le portrait médiatique ?

Le portrait médiatique se rectifie par la présence authentique. Oser manifester la vérité qui nous habite. Non pas "contrôler" l’image du prêtre, mais manifester ce qui nous tient à coeur et à l’esprit.
Et puis nous devons travailler avec les publications et les radios avec lesquelles nous servons l’opinion publique dans l’Eglise. Les publications chrétiennes et nos radios diocésaines, c’est à elles de donner le ton. Je crois qu’en ce domaine, nous avons beaucoup à apprendre ou à réapprendre. Elles devraient donner le ton d’authenticité et de vérité.
En définitive notre seul chemin, c’est celui de l’Evangile. Jésus a vécu trois ans sur la place publique. L’Eglise doit accepter ce risque. Il est vrai que c’est évidemment le risque de la Croix.

Propos recueillis par Bruno Valentin - SNOP