La vie religieuse après le Synode : Un nouvel élan
Le Père Claude Maréchal, Supérieur Général des Assomptionnistes, qui a participé au Synode sur la Vie consacrée, à Rome, l’an dernier, précise pour nous les enjeux et les chances de cette rencontre pour le dynamisme de l’Eglise.
Le temps du Synode, la vie religieuse a été projetée à l’avant-scène dans les milieux chrétiens. Les feux de la rampe sont maintenant éteints. Religieux et religieuses, qui bien souvent travaillent dans l’ombre, ont retrouvé leur place habituelle. Comme tant d’autres, ils continuent leur labeur discret, peu apparent dont ils ne voient pas toujours les fruits. Le Synode n’aurait-il rien changé ? Le gros travail préparatoire n’a-t-il servi à rien ? N’est-on pas en droit d’attendre des retombées positives ?
Le Synode est trop récent pour qu’on puisse mesurer son impact. Que retiendra le pape Jean Paul II des 55 suggestions qui lui ont été remises ? C’est à lui de le dire dans "l’Exhortation apostolique" sur la vie religieuse qui viendra en son temps. C’est elle qui donnera les orientations de fond valables pour toute l’Eglise.
Mais un Synode sur la vie religieuse ou, plus exactement, pour reprendre le titre officiel, sur "la vie consacrée et sa mission dans l’Eglise et dans le monde" est un événement par lui-même. Jamais tant d’évêques, de religieux et de religieuses n’avaient réfléchi aussi longtemps et aussi intensément à la vie religieuse. Jamais n’étaient apparus aussi clairement dans une haute instance ecclésiale les visages si diversifiés de la vie religieuse selon les continents et les pays. Jamais tant de questions n’avaient été soulevées et tant de points approfondis. Jamais non plus depuis le Concile une assemblée épiscopale universelle n’avait exprimé aussi clairement, non pas ses craintes comme quelques-uns le prévoyaient, mais ses convictions sur la vie religieuse.
Ce serait dommage de ne pas tirer profit de ce large tour d’horizon. La vie religieuse vit aujourd’hui une nouvelle étape d’une longue histoire qu’elle assume et qu’elle réactualise constamment. Le Concile a joué un rôle décisif dans le renouveau évangélique de cette vie qui doit en témoigner toujours plus radicalement. Le Synode vient d’apporter la caution ecclésiale à ce ressourcement évangélique du charisme propre de chaque Institut ; il donne ainsi des appuis solides pour continuer la marche. Va-t-il contribuer à l’accélérer ? Cela dépend plus de nous que de lui car, somme toute, son rôle est assez limité.
Deux brins d’histoire
Au temps où, en France comme ailleurs, religieux et religieuses portaient, en toutes circonstances, l’habit propre à leur famille religieuse, chacune ou presque ayant le sien, les processions ou les grands rassemblements ecclésiaux étaient hauts en couleurs ! L’habit révélait le nombre et la diversité des Ordres et Congrégations petites ou grandes, et parfois, pour le connaisseur, le siècle de leur naissance. De fait, les traits particuliers de toutes ces familles, de par leur origine et leur charisme propre, sont plus manifestes que les traits communs à cette forme de vie évangélique.
Elle ne constitue qu’une infime minorité dans l’Eglise : un million, toutes formes confondues, soit 0,12 % des membres de l’Eglise catholique. Les femmes sont trois fois plus nombreuses que les hommes qui ne sont pas nécessairement prêtres ou diacres. Il existe des Ordres de Frères et dans beaucoup d’autres, qualifiés de cléricaux, Frères ou Pères vivent sur un pied d’égalité sans pouvoir accéder pour autant à toutes les charges au même titre. Numériquement, la vie religieuse est donc beaucoup plus féminine que masculine. Aujourd’hui du moins car il n’en fut pas toujours ainsi. C’est d’ailleurs l’un des bénéfices de l’histoire : elle nous interdit de généraliser trop vite ; elle relativise des formes, des manières de faire qui portent le sceau de leur époque.
Comment résumer en quelques lignes une histoire complexe et séculaire puisqu’elle remonte à l’origine même du christianisme ? Contentons-nous de quelques aperçus.
Le charisme propre d’une famille religieuse
- Le document préparatoire au Synode qualifiait la vie religieuse de grand arbre aux multiples rameaux. Née en Orient, apparue sous les formes de la virginité et du monachisme, elle s’est développée en Occident, y prenant, au fil des siècles, des visages très diversifiés et très éloignés du monachisme initial. D’extérieur, le retrait du monde devient intérieur : il peut être vécu en pleine vie sociale.
- Toute famille religieuse a un père ou une mère, même si elle se réfère à l’une des grandes Règles traditionnelles des Pères de la vie religieuse. A l’origine de chaque Ordre ou Congrégation, il y a à la fois l’attachement exclusif à Jésus-Christ d’un homme ou d’une femme l’amenant à ne vivre que pour Lui, et la perception aiguë ou de l’urgence d’une forme de vie plus évangélique, compte tenu de l’époque, ou d’un besoin manifeste que l’Evangile rend criant et auquel il faut donc répondre.
- L’expérience spirituelle s’attache généralement à un aspect du mystère et de la mission du Christ qui lui donne sa tonalité propre et qui inspire, imprègne la forme d’apostolat privilégiée.
Autrement dit, le fondateur est un premier de cordée. Il pratique d’abord le chemin qu’il va inviter d’autres à suivre. Par appel particulier, il transmet à des disciples, sous forme d’expérience, le chemin spirituel et apostolique qu’il a lui-même suivi. Une fois reconnue par l’Eglise, cette expérience constitue le charisme propre de l’Institut religieux qui a pris forme à un moment donné de l’histoire.
Bien qu’elle soit incarnée dans un pays et un temps bien particuliers, cette expression initiale du charisme est normative : tant que durera cette famille, tout renouveau devra s’en inspirer, y rester fidèle. L’histoire d’un Ordre est le déploiement plus ou moins fidèle du charisme dans des cultures et des époques très différentes. La fidélité créatrice est donc constitutive de la vie religieuse. Elle n’est pas une invention moderne, même si le poids des traditions l’avait étouffée. Il n’y a pas lieu de s’en étonner si la vie religieuse est ce qu’elle doit être : évangélique et ecclésiale.
Née d’une expérience spirituelle de Jésus-Christ, marquée par la sensibilité religieuse et les besoins spirituels d’une époque, toute famille religieuse doit, pour être elle-même, se réapproprier constamment, en tous temps, cette expérience spirituelle pour en ré exprimer la vigueur et la traduire en formes apostoliques adéquates. Ce travail aboutit à la ré expression du charisme, à sa traduction contemporaine.
Au cœur de l’histoire
L’histoire de la vie religieuse n’est pas un développement prévisible, rectiligne. Elle est à l’image de l’histoire du salut faite de rebondissements imprévus, de coups de théâtre. Elle est à l’image de la grâce multiforme de Dieu. Elle est une succession non programmée par l’homme de jaillissements évangéliques, les nouveaux prenant place aux côtés des anciens qui, généralement, ne disparaissent pas mais profitent de ce bain de jouvence purificateur pour se rajeunir évangéliquement. La vie religieuse, c’est une histoire de naissances et de renaissances, bien souvent dans les douleurs de l’enfantement, témoignant des multiples facettes de l’Evangile de Jésus-Christ et de la richesse surprenante des dons du Père et de son Esprit, comme le disait le document préparatoire au Synode :
"Que la variété des formes de vie consacrée ne soit pas aplatie ni étouffée : elle répond à la grâce multiforme du Christ et à l’expérience historique de l’Eglise, elle témoigne d’une ’catholicité’ des valeurs évangéliques que l’Esprit Saint a suscitées et conserve pour la plénitude de l’Evangile du Christ." (n° 11).
Des vocations complémentaires
L’essor ou le déclin de la vie religieuse qui a toujours voulu imiter la vie même de Jésus dans la pauvreté, le célibat pour le Royaume, le refus du paraître est inséparable de l’histoire même du Peuple de Dieu. Que ce peuple s’éloigne de Dieu, vide l’Evangile de ses exigences, alors la vie religieuse la plus vigoureuse devient protestation évangélique souvent radicale, comme ce fut le cas à des siècles de distance. Quand ce peuple, au contraire, se régénère à l’Evangile, quand la vie laïque retrouve sa vraie stature chrétienne et apparaît comme une authentique vocation à la sainteté, alors la vie religieuse bénéficie de cette poussée chrétienne même si, parallèlement, elle en subit le contre-coup. Car, bien située dans l’Eglise et valorisée par elle, la vie laïque se fait plus attirante et il n’est pas rare que les entrées dans la vie religieuse s’en ressentent. Sans oublier toutefois que les familles chrétiennes sont le terreau des vocations religieuses.
Il est beaucoup plus clair depuis Vatican II que le témoignage évangélique suppose diverses vocations chrétiennes dont chacune a sa raison d’être. Aucune ne peut se prévaloir d’être la vocation évangélique par excellence qui pourrait se suffire à elle-même. Chacune, à sa façon, est un signe ecclésial, toutes ces vocations étant articulées entre elles. Bien repérer l’identité de chacune dans son lien aux autres n’est pas toujours facile, d’autant plus que les contextes et les attentes évoluent.
Le lien religieux-laïcs, pour reprendre l’expression habituelle, n’est plus tout à fait le même qu’au temps de Vatican II. Car certains Mouvements privilégient aujourd’hui une vie évangélique exigeante comme commun dénominateur de baptisés appartenant à une même communauté, qu’ils soient mariés ou consacrés par des vœux publics. Par ailleurs, des laïcs demandent à partager intensément la ligne spirituelle et apostolique de familles religieuses selon des formes nouvelles car, disent-ils, le charisme n’est pas destiné aux seuls religieux : c’est un don fait à l’Eglise, au bénéfice de tous, dans le respect des vocations respectives.
Depuis Vatican II
L’impulsion donnée par le Concile au renouveau de la vie religieuse a été décisive. Le présentant comme un signe donné à l’Eglise, dont tous les membres sont appelés à la sainteté, il mettait en valeur sa vocation ecclésiale. Soulignant son lien étroit avec l’Evangile, il l’invitait à retrouver cette Règle des Règles. Revalorisant le charisme initial de chaque famille, il convoquait chacune à un authentique renouveau respectueux de sa personnalité propre mais aussi des besoins de sociétés profondément différentes de celles d’hier. L’Eglise elle-même prenait l’initiative de la rénovation évangélique de la vie religieuse en demandant à chaque Institut de tenir des assises extraordinaires, les fameux Chapitres généraux d’aggiornamento. Ils furent, quasi partout, les artisans du renouveau et non pas la cause de la tempête qui suivit, secouant profondément tout l’édifice, effritant les convictions, multipliant les départs. La tourmente est passée mais les traces en sont encore bien visibles.
Avec des effectifs plus réduits, la vie religieuse a continué sa marche. Elle amorce peut-être un virage décisif, une nouvelle étape de sa longue histoire. Peinant en Occident où elle fut jadis florissante, elle est vigoureuse et dynamique dans d’autres pays. Elle est en pleine mutation. Elle se déplace géographiquement du Nord au Sud. Partout elle se veut plus proche des exclus de nos sociétés d’abondance ; elle privilégie les humbles, les victimes de l’injustice. Elle s’insère plus réellement dans les Eglises particulières sans se dissoudre en elles. Elle réconcilie dans une synthèse nouvelle la gratuité et l’engagement, la prière et l’action, la consécration et la mission.
L’évolution récente à grands traits
Depuis toujours, religieux et religieuses sont partis au loin pour témoigner en actes et en paroles de la Bonne Nouvelle. La vie religieuse s’est toujours expatriée. L’inculturation n’est pas non plus une nouveauté. Que des jeunes originaires d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine se pressent dans la vie religieuse, qu’ils y seront demain les plus nombreux, voilà ce qui est neuf. Le visage de la vie religieuse s’en trouve déjà changé et plus encore demain. Beaucoup plus universelle qu’elle n’était, elle bascule du Nord au Sud. On entrevoit déjà certaines conséquences.
L’option préférentielle pour les pauvres en est-elle une ? Certainement, encore que la prise de conscience soit très inégale selon les continents. L’Amérique latine a joué un rôle moteur. Certes la vie religieuse a une longue tradition d’attention aux pauvres, aux plus abandonnés. Accorder aux pauvres toute la place que leur donne l’Evangile, vivre au milieu d’eux, voir la société avec leurs yeux, remonter des effets aux causes pour y remédier, adopter l’attitude du Christ : voilà qui est neuf, à grande échelle.
Hier déjà, bien des religieuses étaient bien intégrées dans la population. Les Congrégations diocésaines étaient profondément incarnées dans leurs régions. La paroisse, le diocèse étaient des réalités très proches. C’était moins évident pour les hommes, les Congrégations internationales. Aujourd’hui, la proximité devient intégration délibérée dans une Eglise particulière, participation à son projet pastoral, apport original dans la réflexion missionnaire. La vie religieuse s’incarne tout en s’ouvrant à des horizons plus larges, plus universels.
Peut-être parvient-elle, après bien des tâtonnements, à réconcilier des valeurs qu’il n’est pas facile de vivre ensemble. On risque toujours, même dans l’Eglise, de dévaloriser aujourd’hui ce qu’on a survalorisé hier, de déprécier à nouveau l’engagement au profit d’une prière hier négligée ou même sacrifiée. Des synthèses nouvelles, faisant justice au passé, corrigeant ce qui devait l’être, se mettent en place, s’explicitent. La droiture d’hommes et de femmes profondément évangéliques, la réflexion sur le devenir des sociétés et la faillite des idéologies, la découverte toujours plus profonde du Dieu de Jésus-Christ dans le partage et la prière y contribuent.
Le Synode : un coup d’accélérateur ?
A trop en attendre, on risque d’être déçu, de trouver que cette haute instance ecclésiale "enfonce des portes ouvertes". Il est vrai que la qualité des travaux préparatoires faisait bien augurer de la suite. L’Instrumentum laboris qui en reprend l’essentiel est une synthèse remarquable. C’est une somme impressionnante, parfaitement ordonnée, sur la vie religieuse. N’y aurait-il que ce résultat, le Synode n’aurait pas été inutile. L’Exhortation apostolique que rédigera le pape Jean Paul II, en tenant compte de l’ensemble des travaux, aura-t-elle cette vigueur ? Pourquoi pas !
D’une assemblée internationale soigneusement préparée, constituée de pasteurs compétents, ouverts à l’Esprit et aux besoins de leurs peuples, bon connaisseurs pour la plupart de la vie religieuse, bénéficiant du témoignage direct de Sœurs, de Frères, de Pères et du savoir des experts, on attend beaucoup. Et c’est légitime. On attend, d’une telle concentration d’hommes et de femmes de foi et d’esprits brillants, des confirmations certes, mais surtout des idées neuves, des suggestions hardies, et même des avancées spectaculaires. Ce qui est déjà moins probable. Car on oublie alors la nature exacte du Synode.
- le Synode n’est pas une instance de recherche : il discerne pour officialiser, donner en quelque sorte le label ecclésial. "Ce n’était pas au Synode, écrit fort justement un Supérieur général, de définir le futur de la vie consacrée. Le rôle des évêques est avant tout d’authentifier, de discerner, de reconnaître, d’apprécier et de favoriser les diverses formes de vie consacrée."
- Dans cette perspective, l’objectif final est le consensus le plus large possible sur une cinquantaine de propositions émanant de l’assemblée et ratifiées par elle pour être remises au pape. C’est une manifestation de profonde communion sur des convictions communes qu’il ne faut pas sous-estimer. Mais cet objectif final conditionne beaucoup la méthode de travail et, à mon avis, c’est là que le bât blesse.
Pour aboutir à un large consensus, on privilégie le plus général, et on élimine l’original, l’inédit, le concret. La rédaction des propositions finales en est un bon exemple. Elles émanent bien des carrefours mais, pour ne pas dépasser la cinquantaine, elles sont comparées, imbriquées, fusionnées, jusqu’à perdre parfois leur originalité en dépit du grand savoir faire des artisans. On arrive ainsi à des textes très, trop généraux.
Le consensus s’en trouve facilité mais une telle méthode n’amène pas à approfondir des points importants ou délicats. Elle n’interprète guère les apports les plus significatifs, les plus novateurs apparus dans les interventions. Elle privilégie le dénominateur commun sur lequel des hommes, fort différents, peuvent assez facilement s’entendre. D’autres manières de faire serviraient davantage la créativité. Mais sans doute n’est-on pas prêt à renoncer à une méthode sûre au profit d’une autre beaucoup plus problématique. Et pourtant le Synode y gagnerait en vigueur.
Des acquis indéniables
En dépit d’une méthode de travail contestable, l’apport du Synode n’est pas négligeable. Les points suivants me paraissent positifs.
1 - Le fait même du Synode et sa préparation
Le Synode a été précédé de toute une fermentation synodale, de la base au sommet peut-on dire. Jamais peut-être on ne s’était autant intéressé à la vie consacrée. Le Synode lui-même est un événement marquant. C’est une expérience ecclésiale inhabituelle pour des femmes et des hommes venant de partout. C’est une sensibilisation exceptionnelle de l’épiscopat à la vie religieuse masculine et féminine. C’est un mois de formation intensive de par la qualité fréquente des interventions en assemblée plénière. On ne peut réduire le Synode aux seules propositions remises au Saint Père : sa production est beaucoup plus abondante. A coup sûr, tous ces matériaux feront progresser la réflexion.
2 - Les débats du Synode sont un tour d’horizon géographique et théologique extraordinaire de la vie religieuse.
On passe sans cesse des grandes cités aux campagnes reculées d’Amérique ou du fond de l’Afrique. On est tantôt en pays de chrétienté, tantôt en monde bouddhiste ou islamique. Défilent aussi les visages que prend la vie religieuse sous différents types de régimes, dont le régime communiste, pas encore aboli dans certains pays représentés pour la première fois (Cuba, Vietnam). Pour beaucoup, la vie religieuse dans les Eglises orientales unies ou chez nos frères orthodoxes, anglicans ou protestants, c’était l’inconnu. L’on mesure mieux à travers tant d’informations, les pesanteurs et les faiblesses de la vie religieuse évoquées à demi-mots. Mais l’on admire aussi son potentiel de générosité, de créativité, d’humble fidélité, œuvre permanente de l’Esprit.
3 - Les convictions nées de l’expérience et de la réflexion de ces trente dernières années, ces fruits mûris spécialement en Europe occidentale et en Amérique latine et entérinés par les Chapitres généraux, ont été ratifiés et officialisés.
C’est ainsi que l’option préférentielle pour les pauvres n’a pas fait problème. La portée sociale des vœux n’a pas été amoindrie. La fidélité créatrice exigeante et le prophétisme de la vie religieuse n’ont pas été récusés et certains textes sont vigoureux. Deux raisons, me semble-t-il, ont facilité cette large adhésion : - la consécration, au sens d’appartenance totale à Dieu en réponse au don plénier que Dieu fait de lui-même, a retrouvé toute sa place dans la réflexion. - le lien vocation-consécration-mission a bien été mis en relief en référence au Christ.
4 - La diversité des formes de vie et de charismes a été largement prise en compte
La tentation est grande de vouloir ramener cette large diversité de styles de vie et de charismes à un dénominateur commun. Le Synode n’a pas cédé à cette tentation. Il a cerné, décrit plus qu’il n’a défini, sans renoncer pourtant à des tentatives de clarification et à l’énoncé de critères permettant d’ordonner quelque peu cette diversité. C’est un choix qui a des conséquences pratiques. Il permet : - d’assouplir une législation qui se veut facilement globalisante ; - de valoriser le charisme fondateur de chaque Congrégation qui en fait l’originalité et qui doit être actualisé aujourd’hui dans des cultures bien différentes de celles d’autrefois ; - de retrouver des manières de faire qui ne faisaient pas problème à la fondation mais que l’Eglise n’a plus admises par la suite, comme la possibilité pour les Frères comme pour les Pères, chez les fils de saint François d’Assise, d’être supérieur local ou provincial.
5 - La vie religieuse féminine a été mieux reconnue dans son originalité
Pour de multiples raisons, la version féminine de la vie religieuse n’a pas été aussi valorisée dans l’Eglise que la masculine, plus cléricalisée et de ce fait beaucoup plus reconnue. Les choses sont en train de changer. Même si les textes restent encore timides, un pas a été fait au Synode. Les religieuses y furent très actives et leurs interventions, très écoutées. Cette perception plus réelle de l’originalité de la vie religieuse féminine est une reconnaissance de la sensibilité particulière de la femme dans une Eglise encore très masculine dans ses réflexes et dans ses cadres. A noter que ce sont les évêques francophones qui ont parlé le plus chaleureusement de la vie religieuse féminine !
Maigres résultats, direz-vous peut-être. Pas sûr. Certes, la vie religieuse décrite est la vie religieuse idéale alors que la réalité est beaucoup plus prosaïque. Elle est tellement mise en valeur qu’elle semble avoir beaucoup à donner et peu à recevoir d’autres vocations ecclésiales, d’autres expériences humaines fondamentales. En dépit de ces lacunes, l’expérience acquise a été entérinée, authentifiée dans la mesure où elle est évangélique. Nous sommes invités à continuer notre marche, à aller résolument de l’avant, fidèles à notre charisme et attentifs aux signes des temps.
Les grands défis actuels
Sur bien des points, les Chapitres généraux ont indiqué des routes à suivre qui correspondent à celles recommandées par le Synode. Depuis longtemps déjà, si nous sommes fidèles à ces orientations, nous marchons sur la bonne voie. Mais il nous faut accélérer la marche. N’oublions pas toutefois que la route à suivre n’est pas évidente pour tous, que nous ne marchons pas au même pas, que nous n’en sommes pas tous à la même étape. Voici quelques directions importantes à suivre. Selon moi, ce sont les grands défis de la vie religieuse ces prochaines décennies à l’échelle nationale mais plus encore mondiale.
1 - Croire à la fécondité mystérieuse de nos vies
Ce que nous faisons, même après mûre réflexion, ne transforme pas la terre et le ciel. Les résultats ne sont pas toujours à la hauteur de nos espérances. De plus, en Europe occidentale et en Amérique du Nord, la vie religieuse est en perte de vitesse, elle n’attire guère les jeunes générations. Les Congrégations ne se renouvellent pas. Elles s’éteignent, meurent à petit feu, ce qui est fort douloureux. Ne pas céder au découragement, servir l’Evangile jusqu’au bout, vivre ce dépouillement jusqu’à l’anéantissement en lien avec la kénose du Christ, dans la confiance au Père : un chemin difficile mais pacifiant et fructueux.
2 - Accentuer l’inculturation de la vie religieuse dans des mondes de plus en plus typés.
Le Synode n’a guère approfondi la question, faute d’une expérience suffisante de la vie religieuse en la matière. C’est pourtant une question capitale. Demain, la vie religieuse sera nettement moins européenne et beaucoup plus asiatique, africaine, sud-américaine. Sera-t-elle perçue dans ces continents bien typés, pour ce qu’elle est ou devrait être : une vigoureuse manifestation évangélique ? Grave question qui se pose en tout pays, quel qu’il soit, en fonction de situations bien concrètes. Car les défis de la vie religieuse en Afrique dans des cultures ancestrales en pleine mutation et dans un continent en proie à toutes les misères ne sont pas les défis de la vie religieuse en Asie. Là elle est confrontée aux grandes sagesses et démarches religieuses l’invitant à développer sa dimension contemplative et l’insertion au milieu des plus pauvres.
Comment rendre témoignage à l’Evangile dans ce pays bien concret, dans cette situation bien précise, compte tenu de toutes les données ? L’inculturation, c’est cela.
3 - S’inspirer plus encore de l’Evangile.
Nous ne le vivons pas encore assez ; aussi ne transparaît-il pas avec assez de radicalité pour attirer l’attention. Le témoignage évangélique, intensément vécu, ne passe pas inaperçu. Et pour nous tous, la solidarité avec les plus pauvres, les plus humbles reste bien la porte d’entrée dans le Royaume. C’est par eux que la vie religieuse progresse.
"Dispersées dans toutes les Eglises particulières, ces personnes consacrées sont mêlées à tous, comme signe de communion ecclésiale et de fraternité chrétienne. Souvent elles sont présentes dans le ’désert’, où il n’y a personne, dans la périphérie où elles font l’expérience de la pauvreté et partagent les besoins des gens, sur les ’frontières’ des situations difficiles où l’annonce de l’Evangile fait courir des risques." (Instrumentum laboris - n° 11).
Puisse-t-il en être ainsi !
4 - Revivifier le charisme pour l’incarner aujourd’hui et le partager avec des laïcs
En Asie, en Afrique, la vie religieuse est un produit importé. Presque toutes les Congrégations qui s’y développent sont nées et ont pris corps en Europe, dans un univers bien différent de ceux où elle s’enracine aujourd’hui. Il ne suffit pas de répéter un charisme, il faut le transplanter pour qu’il grandisse dans une autre terre. Opération délicate nécessitant non seulement des connaissances mais une véritable expérience spirituelle coulée dans celle du fondateur. Réactivée par cette transplantation, ce dépaysement, le charisme peut alors donner des fruits inespérés, dévoiler des aspects peu perçus jusqu’alors.
Comme le disait le cardinal Hume, l’avenir de la vie religieuse après le Synode "dépend en particulier de la ’sequela’ du Christ toujours renouvelée et radicale, de la docilité à l’Esprit, de l’enracinement dans la communion ecclésiale, du zèle missionnaire en réponse aux défis actuels, de la fidélité aux exigences de la vie consacrée et au charisme propre de l’Institut."
Claude Maréchal
Supérieur Général des Assomptionniste