Suivre le Christ pauvre dans la Vie religieuse Apostolique


Cet article a été écrit pour la revue REPSA (Religieuses en Professions de Santé) n°343, 1993. Il permet d’analyser les éléments à prendre en compte pour vivre un engagement de pauvreté en vie religieuse apostolique. L’appendice final est écrit par Sœur Suzanne David, du SNV, pour évoquer comment cette question des rapports aux biens, à l’argent, au travail, joue dans un discernement et une formation à la vie religieuse communautaire apostolique.

Mt 4, 18-22 : "Comme il cheminait sur le bord de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon dit Pierre, et André son frère, qui jetaient l’épervier à la mer, car c’étaiten des pêcheurs. Et eux aussitôt, laissant là leurs filets, le suivirent. A quelques pas de là, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans leur barque avec Zébédée leur père en train d’arranger leurs filets, et les appela. Et eux aussitôt, laissant leur barque et leur père, le suivirent."

Lorsque l’Evangile veut dire la radicalité de la réponse des disciples à l’appel de Jésus, il en parle en terme de mise à distance des biens et des personnes aimées : Pierre, André, Jacques et Jean laissent leur outil de travail et leur père, pour suivre Jésus. Quitter tout promptement, et suivre Jésus sans poser d’autres questions : voilà manifestée la radicalité de la réponse évangélique.

A chaque époque, cette radicalité de réponse trouve sa forme d’expression particulière, adaptée au contexte socio-économique et culturel du moment. Ce qui semblait édifiant à une époque serait regardé avec suspicion à une autre époque, dans un autre contexte socio-culturel ; que dirions-nous aujourd’hui d’un jeune qui, promptement, au premier appel d’un leader connu, laisserait tout : travail professionnel et famille, pour suivre l’aventure proposée ? A chaque contexte convient une forme de réponse adaptée : ceci est vrai pour toutes les composantes de la vie religieuse apostolique, et à plus forte raison à propos du vœu de pauvreté qui doit s’inscrire dans la matérialité de notre organisation de vie.

Le premier exercice nécessaire à notre réflexion est donc de repérer les divers éléments qui ont composé le contexte économique et socio-culturel dans lequel nous avons été formées au vœu de pauvreté au début de notre vie religieuse, et ensuite de voir le contexte d’aujourd’hui afin de mesurer les ajustements à faire pour que notre expression de ce vœu soit parlante pour ceux avec qui nous vivons.

1- Au moment de notre propre formation à la vie religieuse

L’expression concrète du vœu de pauvreté était en cohérence avec la mentalité ambiante dans la société civile de ce temps. Dans la vie religieuse, comme dans la société civile, il fallait économiser afin que les quelques fonds disponibles servent à la reconstruction du pays. Renoncer à ses besoins secondaires et user le plus longtemps ce qu’on avait déjà était habituel dans les familles et pas seulement dans la vie religieuse. Le mode de formation et d’expression du vœu de pauvreté était relatif au "système" global de la société dans lequel vivaient les congrégations.

2 - Les divers éléments économiques et socio-culturels dans les quels nous vivons aujourd’hui

Chacune est invitée dans un moment de travail personnel, à faire elle-même cette recherche, en prenant en compte divers éléments dont seulement quelques-uns sont évoqués dans ce tableau ci-dessus. Nous recherchons comment l’expression concrète de notre vœu de pauvreté va être "en cohérence" avec le contexte actuel, afin de devenir parole prophétique compréhensible pour aujourd’hui.

3 - Chaque personne a aussi son propre contexte intérieur où prend place de manière particulière le vœu de pauvreté

Il serait simple que chacune ait à gérer uniquement ce qui concerne le contexte ambiant, de la société et de la congrégation. En fait, chacune doit aussi gérer en elle-même les divers éléments de son contexte intérieur personnel, dont les racines sont très lointaines dans la petite enfance :

Chacune est marquée par son histoire familiale, qui s’inscrit dans un pays et un milieu social précis : là, chacune reçoit en héritage une conception du rapport à l’argent et aux biens, comme une idéologie qu’elle a intériorisée. Dans ce contexte se sont formées des racines très profondes, enfouies dans notre inconscient du plus loin de notre enfance. Ces racines conditionnent notre rapport aux biens. Nous devons à partir de là tracer un chemin de vie pour aujourd’hui. Pour ce qui concerne le rapport aux biens, ce chemin de vie passe par la reconnaissance humble de nos besoins. Sommes-nous en capacité de les considérer comme tels, en tant que besoins, ou avons-nous tendance à les utiliser pour exercer un pouvoir sur notre entourage ? C’est pourquoi cette reconnaissance est liée au rapport que nous avons au pouvoir, à l’autorité et ses diverses médiations. La parole échangée est essentielle dans cet ajustement toujours à faire.

Nos besoins ne peuvent être évangélisés que s’ils sont d’abord reconnus. Nous sommes naturellement dépendants de nos besoins. Il nous faut consentir à reconnaître cette dépendance afin d’apprendre à ne pas en être esclaves . Alors nous pouvons choisir de nous en distancer, en les regardant de front. Nous pouvons choisir de les satisfaire ou de ne pas les satisfaire, en cohérence à notre identité profonde, de femmes, religieuses, appelées à être apôtres au service du Royaume.

En effet, cette attention aux éléments anthropologiques sous-jacents à nos choix n’a de sens pour nous que si elle est au service de la finalité poursuivie : suivre le Christ pauvre, en entrant dans son même mouvement de vie livrée pour le salut de tous les hommes, en passant par l’amour préférentiel des pauvres et des petits. Si cette finalité est oubliée, l’attention que nous portons à nos besoins, à nos racines liées à notre histoire, etc... n’est plus que recherche égocentrique de soi, sous prétexte de se mettre au goût du jour.

Cet oubli s’impose parfois dans nos communautés, déguisé en respect de l’autre : chacune, y compris les responsables, va essayer de "respecter" les autres sœurs dans les demandes apparemment exprimées en termes de besoins divers. La vie communautaire peut devenir insensiblement vie juxtaposée de femmes célibataires et vieillissantes, tentées de récupérer, sans y penser vraiment, ce qu’elles avaient généreusement donné au temps de leur jeunesse. Ceci sous un discours valorisé de respect pour l’autre. Notre travail de vigilance actuel est de démasquer cette pente, et d’apprendre le respect de chacune dans son désir profond, là où veut surgir sa véritable identité selon l’engagement déjà pris et qui a été exprimé comme source de vie authentique : suivre le Christ en communauté apostolique, en s’aidant mutuellement à libérer nos énergies pour la mission, ces énergies qui nous conduisent à être créatrices à notre tour, fondatrices, alors même que nous suivons un Autre.

4- Le vœu de pauvreté nous ouvre à une autre hiérarchie des besoins à cause du Christ et de la mission qu’il nous confie

Vivre dans une communauté apostolique, à qui une mission est confiée : voilà ce qui, peu à peu, doit devenir premier et déterminant pour les autres choix. Cette mission va parfois me faire renoncer à des besoins que j’ai reconnus bons pour moi ; mais justement les ayant reconnus bons, je peux sans amertume y renoncer à cause du Christ et des gens qu’il me donne à aimer et à servir : c’est une hiérarchie nouvelle ordonnée au Christ et à la mission confiée.

Ainsi le vœu de pauvreté nous conduit à une rupture, à cause du Christ, vis-à-vis de la famille, des amis, des biens propres. Ce sont les aspects soulignés par l’Evangile et par toute la tradition de la vie religieuse chrétienne. Et c’est un chemin bien délicat à conduire, tellement nous touchons là à des choses très profondes et constitutives de chaque personnalité. Si ces ruptures se font trop vite, à partir d’un impératif extérieur, elles ne peuvent être vraiment l’expression d’un choix intérieur, personnel et durable. C’est une des difficultés importantes de nos congrégations apostoliques de voir un retour de ce qui a été trop vite refoulé dans leur jeunesse chez des sœurs qui avaient eu jusque-là une vie très conforme à la règle : avec l’âge, reviennent des besoins excessifs de relations familiales et de dépendance familiale, qui interfèrent souvent sur la gestion des biens propres, et sur la disponibilité à la mission confiée.

A tout âge et à toute étape de notre vie religieuse, nous sommes invitées à faire des choix personnels, en cohérence avec notre choix premier. La question n’est pas de s’abstenir de toute visite, ou de refuser tout cadeau, à recevoir ou à donner ; la question est de vérifier le chemin de liberté qui se construit à travers ce qui est accepté ou refusé. Une rupture est nécessaire pour grandir en autonomie intérieure, long chemin jamais achevé.

Vivre le vœu de pauvreté à la suite du Christ pauvre, nous conduit à désirer toujours plus profondément conformer notre vie à la sienne. L’Eucharistie est notre nourriture et notre chemin dans cette tentative.

Par le vœu de pauvreté, c’est toute notre vie qui est appelée par le Christ à entrer dans son grand mouvement de vie livrée en participation au Salut du monde. "Faites ceci en mémoire de moi." : livrer notre vie pour le Salut du monde, dans le service et le respect des autres et de nous-mêmes, comme le Christ nous l’a appris. Le vœu de pauvreté nous invite à apprendre à aimer les autres comme nous essayons de nous aimer nous-mêmes, dans la réciprocité de respect de notre dignité commune. C’est de mettre nos pas dans ceux du Christ, au jour le jour, qui nous conduit peu à peu à livrer notre vie, non pas parce que notre vie n’a pas de valeur mais, au contraire, parce que notre vie vaut la peine d’être mise au service de la vie de ceux à qui le Christ nous envoie. Suivre le Christ dans son mouvement de vie livrée n’a rien de doloriste, ni de méprisant pour les joies de la vie. Bien au contraire, le Christ à travers tous les actes de sa vie publique, nous montre le prix qu’il a accordé à la vie, à la santé, au bien-être de chacun. Mais il nous montre aussi qu’à certains moments, il nous faut hiérarchiser toutes ces valeurs pourtant bonnes, pour mettre à la première place la vie véritable : la nôtre, et celle des autres. Jésus a consenti à perdre sa vie physique, pour mettre à la première place son identité profonde de Fils de Dieu, capable d’accomplir sa mission jusqu’au bout ; il a donné sa vie afin de rester celui qu’il était en profondeur : Fils de Dieu. C’est dans ce sens que le Christ nous invite à livrer notre vie. Pas n’importe comment. Pas en nous reniant nous-mêmes de manière maladive. Il nous invite à livrer notre vie à son exemple, et en son nom : en aimant passionnément les bonnes choses de la vie, mais en sachant les subordonner à l’essentiel. C’est-à-dire le respect de notre propre identité de femmes consacrées à Dieu, et envoyées pour une mission, capables quand il le faut de perdre notre vie physique, peu à peu au long des jours, ou parfois tout d’un coup, pour que d’autres aient la vraie vie.

Suivre Jésus le pauvre, qui a dit : "Je suis venu pour que tous aient la vie, et la vie en abondance." Entrer dans ce mouvement eucharistique à la suite du Christ : c’est cela et cela seul, qui vaut le coup de "livrer sa vie". (Ne pas confondre le fait de s’user dans un activisme à la longue stérile, et le fait de "livrer sa vie" dans le sens où nous venons de le dire).

Livrer sa vie avec le Christ est une grâce de l’Esprit. Vivre le vœu de pauvreté jusqu’à livrer sa vie avec le Christ ne se fait pas à la force des poignets. C’est l’Esprit qui nous y introduit et nous en fait la grâce. Jésus n’a pas cherché à mourir sur la Croix. Mais lorsqu’il n’y a pas eu d’autre solution, il ne s’est pas dérobé.

Notre recherche doit aller vers ce qui est humain dans un essai d’équilibre de vie. Et l’interpellation de la communauté doit aider à un équilibre. Si les appels viennent de l’Esprit, nous saurons les reconnaître comme tels, dans la prière et le discernement. Alors l’Esprit nous donne aussi la grâce de ne pas nous dérober, à l’exemple du Christ. Dans ce cas, la pauvreté, don de l’Esprit, produit en nous les fruits de l’Esprit : paix, joie, bonté pour soi et pour les autres.

Vivre le vœu de pauvreté à la suite du Christ pauvre, et accueillir de l’Esprit la grâce de livrer toujours plus notre vie, à l’exemple du Christ, doit s’accompagner de paix intérieure et de joie profonde, malgré la souffrance très grande que nous sommes amenés à traverser parfois. Paix et joie sont des fruits de l’Esprit et des signes du Salut. Car nous mettre nous-mêmes au service du Salut nous fait bénéficier des effets de ce Salut : la paix, la joie, qui viennent de l’Esprit du Christ. Si je crois livrer ma vie à la suite du Christ, et que je suis triste, maussade et agressive vis-à-vis des autres, il s’agit d’autre chose et je me trompe de direction : il s’agit de difficultés personnelles que je dois regarder comme telles, sans me berner moi-même en croyant être au service du Salut. Etre vraiment au service du Salut ne peut que donner les fruits du Salut déjà en moi-même : paix, joie, bonté vis-à-vis des autres et de moi-même.

C’est pourquoi la comparaison agressive, ou les reproches agressifs, vis-à-vis du frère ou de la sœur qui ne me semble pas assez exigeant en matière de pauvreté, ne sont pas de mise si nous essayons de vivre le vœu de pauvreté comme une grâce de l’Esprit. L’interpellation évangélique peut se vivre dans un souci fraternel de croissance mutuelle, dans la bonté et le respect du chemin différent de l’autre. Mais non dans la rigidité, ou la dureté, à l’égard de soi, et à l’égard des autres.

5 - A la suite du Christ pauvre, apprendre la solidarité effective avec les pauvres de notre monde

Le vœu de pauvreté nous rend sensibles aux conditions de vie des "pauvres", des "appauvris".

Le vœu de pauvreté nous engage à chercher avec les "pauvres" des chemins de justice (1).

Ceci est vrai quelle que soit la mission de notre Institut. Le vœu de pauvreté nous appelle tous, où que nous soyons, à rechercher des chemins de justice, soit directement avec les "pauvres" concernés, soit en ordonnant la conception de la vie, et les choix qui en découlent, de telle manière que les "pauvres" puissent prendre leur place dans la société. Le vœu de pauvreté nous engage à vivre de telle manière que les "pauvres" puissent un jour reconnaître qu’ils sont aimés de Dieu, et que c’est aussi à leur sujet que Jésus a dit : "Je suis venu pour que tous aient la vie, et la vie en abondance."

Notre manière de vivre le vœu de pauvreté doit nous rendre inventifs, créatifs, pour actualiser l’Alliance que Dieu veut vivre avec tous les hommes.

Lucie Licheri
Petite Sœur de l’Assomption

En pratique, comment sont-ils vécus ?

Comment des jeunes vivent-elles le rapport aux biens, à l’argent, au travail et comment cet élément joue-t-il dans un discernement ?

Comment réagissent des jeunes au noviciat, dans des communautés et s’initient elles à la mise en commun, à la dépendance fraternelle ?

Pour respecter l’anonymat, cet apport se fait sous mode d’évocation. Pour aucune des jeunes auxquelles nous nous référons, cette question d’un rapport aux biens, à l’argent, au travail, n’est neutre. Elle constitue parfois même, sinon la pierre d’achoppement pour une décision, du moins un élément important de discernement.

Rapport aux biens et à l’argent

Un certain nombre de ces jeunes ont eu un logement équipé, une voiture, un salaire. Cette expérience de "l’avoir" est d’ailleurs importante et permettra de situer de manière réaliste l’engagement de pauvreté. Un certain nombre d’Instituts religieux et séculiers demandent cette expérience de vie autonome qui signifie, entre autre, deux choses : la capacité de rupture avec la famille, la capacité d’autonomie et de gestion personnelle de sa vie.

Lorsqu’un discernement conduit une jeune à penser (décider) qu’elle va choisir une vie communautaire apostolique, lorsqu’elle fait son noviciat ou vit dans une communauté comme jeune professe, des réactions surgissent, des questions se posent.

Pour l’une, qui a un travail sûr depuis quelques années, c’est la prise de conscience de la dépendance des autres sur laquelle se polarisent ses peurs et ses questions. Cela constitue en même temps pour elle, la prise de conscience du pouvoir que donne l’argent : je m’achète ce que je veux. Pour l’autre, c’est l’exigence de simplicité qui pose question : j’aime des vêtements fantaisistes, originaux. Pourrai-je vivre une certaine sobriété normale dans ce genre de vie ?

Certaines envisagent clairement le partage et la mise en commun. Pour une, c’est mettre à la disposition de la communauté de noviciat quelques biens personnels qu’elle pense donner à l’Institut : une table, de la vaisselle, une voiture. Assez étonnant de n’entendre plus jamais cette expression ma table ou mon ancienne table, mais comme pour toutes les autres de la communauté "la table de telle salle"... Passage du "je" au "nous".

Pour une autre c’est, aussitôt après avoir garé sa voiture, le jour de son entrée au noviciat, de poser la question : "Où met-on les clefs de la voiture ?" Pour une autre encore, même détermination au partage et à la mise en commun d’une voiture. Chacun des autres membres de la communauté peut l’utiliser librement. Mais le jour où il faut changer l’immatriculation, un passage est à vivre. C’est la prise de conscience d’une sorte d’identité préservée par la différence, y compris l’immatriculation de la voiture.
On pourrait encore évoquer le rapport aux bijoux. L’une assure que ses boucles d’oreilles ne sont que pacotilles "On ne peut s’interroger là-dessus au nom de la pauvreté", pense-t-elle. "Et si, lui répond une formatrice, il était aussi question de chasteté et de la symbolique des bijoux dans la relation homme-femme ?"

Pour d’autres, ce sera un passage plus ou moins long où l’on apprend à mettre au service de toutes un appareil photo, un livre ; à parler du cadeau que l’on vient de recevoir.

Pour d’autres encore, c’est la découverte d’une nécessité, même pratique, de négociations liées à la vie fraternelle menée en communauté. Celle qui revient de son travail avec quatre paires de draps (nécessaires car la communauté s’équipe) et qui réalise que ses quatre sœurs auraient pu rentrer ce même jour avec quatre autres paires !

C’est l’apprentissage de la différence et de négociations, plus ou moins onéreuses, en communauté pour décider de l’achat d’un magnétoscope (ou tout autre appareil). Pouvoir entendre l’une dire que ce n’est pas utile, que c’est un gadget de consommation, une autre dire que, en raison de la mission, ça lui semble nécessaire. Prendre sa place dans le concert des dialogues et mettre en œuvre une décision commune. Assumer la décision commune ("Au moins, on essaie") sans recourir aux arguments préalables ("Je vous l’avais bien dit..." etc.).

 

Un autre point est souvent sensible : le rapport à l’argent lui-même. Au noviciat surtout, la dépendance est radicale : on ne gagne plus et on est soumis à la règle du jeu en ce domaine (variable selon les instituts et les communautés). On perd progressivement le pouvoir sur des choix possibles : facilités offertes par les P.&T. On apprend la dépendance : "Je ne peux pas acheter des chaussures avec l’argent des... (Sœurs de la congrégation)." Il n’est pas si facile que cela d’entrer dans un "corps communautaire" !

Rapport au travail

En vie religieuse, le travail est un élément de la mission mais l’envoi en communauté précède. Un peu normalement, on ne cherche pas d’abord un travail, on fonde une communauté.

Dans le contexte actuel, le rapport au travail et au chômage marque profondément les personnes et les communautés. Les unes découvrent qu’elle peuvent risquer le chômage au bénéfice d’un envoi en communauté insérée en banlieue ou en rural ; d’autres découvrent qu’elles ne sont pas prêtes. Il s’agit alors d’apprendre à gérer ces questions en étant sérieux avec le contexte socioculturel, avec soi-même, avec l’engagement pris en vie religieuse. Les réponses et les décisions peuvent varier. Les unes découvrent un peu mieux les raisons profondes entrant dans le choix d’une profession, d’un métier. Un changement de vie peut conduire d’ailleurs à envisager un changement de profession, une formation motivée par la mission.

Et, petit à petit, on apprend que cet apprentissage d’un nouveau rapport aux biens, à l’argent, c’est, au fond, l’affaire de toute une vie.

Suzanne David,
St Gildas

NOTES ----------------------------

(1) C. Viard, M. Barrot, H. Madelin, M. Rondet. "Vie religieuse, communion et mission", Travaux du Centre-Sèvres, 1988, pp. 56 et ss. [ Retour au Texte ]