Discerner aujourd’hui les traces d’un appel
Deuxième type de réponse, masculine celle-là, en la personne du Père Denis Marion, responsable du Service Diocésain des Vocations de Dijon.
Voilà une vaste question à laquelle il n’y a pas de réponse exhaustive : il n’y a pas deux cheminements semblables, les jeunes sont si divers et Dieu, si libre ! J’ai donc bien conscience des limites de ce que j’écrirai. Mon seul titre à m’exprimer sera une expérience de douze années en Service Diocésain de Vocations. J’ai dû y rencontrer entre 40 et 50 jeunes qui m’ont parlé de vie consacrée, majoritairement de vie religieuse monastique ou apostolique, mais aussi laïcat consacré ou communautés nouvelles, des filles et des garçons. Certains ont rejoint effectivement une communauté, d’autres n’ont pas donné suite, d’autres sont encore en cheminement.
J’ai repris mes notes. Notes prises au cours de rencontres du groupe de recherche, réflexions que je me faisais après un entretien ou des relectures faites en équipe. Cela représente un volume assez considérable d’informations. La mise en perspective, à propos de chacun d’une telle mine de données, sur les trois, cinq... huit ans que dure souvent un accompagnement, est d’une richesse insoupçonnée, mais difficile à dominer. C’est un livre qu’il faudrait écrire !
Je serai plus modeste. Je voudrais rester proche de l’expérience, des mots sous lesquels je me la suis spontanément formulée à moi-même, des mots qu’ont utilisés les jeunes. J’ai choisi de me laisser guider par quelques itinéraires qui m’ont marqué. Ils me serviront à illustrer la série de signes et de repères qui me paraissent jalonner - dans l’ordre ou le désordre - un itinéraire réussi. Mais également, m’inspirant de l’histoire de ceux qui ont choisi une autre route, j’essaierai d’attirer l’attention sur quelques éléments qui, au-delà du discours tenu, peuvent donner à penser que l’affaire n’est pas tout à fait bien enclenchée.
Une convergence de signes
* Plus que jamais, la vocation à la vie consacrée naît d’un coup de cœur pour le Christ personnellement rencontré. Le Christ prend la première place et on désire être en tout avec Lui. Comme le dit Siracide 1 à propos de la sagesse, ceci constitue le commencement, la plénitude, la couronne et la racine d’un appel à la vie consacrée
"Seconde conversion. Non plus faire des choses pour Dieu, mais laisser Dieu faire son œuvre en nous. Cela unifie la vie tout entière", dit un garçon quelques semaines après l’expérience qui a bousculé sa vie.
"Ma vie sans Jésus-Christ, ce serait vraiment une ruine. Se savoir aimée par Jésus miséricordieux", dit une autre, six ans avant son entrée en communauté.
"Le mariage est important. J’ai rencontré un gars, mais je mets tellement le Christ en premier", dit une troisième, quatre ans avant la décision ultime.
Souvent cette découverte du Christ est datée. La relecture montre que des jalons l’ont préparée dans les années précédentes, mais un jour c’est le choc.
- à l’occasion d’un bouleversement affectif : "C’est revenu lors du divorce de mes parents, quand j’étais en 5e. Là je me suis trouvé vraiment seul. Là, j’ai senti que j’étais appelé. Tous les soirs (j’étais interne), j’avais l’habitude de venir parler à Dieu. Au début, il n’y avait rien, puis il y a un dialogue qui est venu... Je savais que je consacrerais ma vie à Dieu."
- à l’occasion d’une expérience forte d’Eglise : retraite, pèlerinage..."Cela a commencé l’an dernier en Terminale, mais je n’avais rien le temps de faire. Puis, cet été, il y a eu le pélé à Assise et Rome où je suis allée en dernière minute. J’ai reçu une claque. Je me demandais ce qui m’arrivait."
- l’expérience du sacrement de Confirmation est très souvent déterminante. "Il y a trois ou quatre ans que j’ai découvert la foi. En seconde, j’ai commencé à comprendre. Cette année (Terminale), grande étape. Je me suis préparée à la confirmation et je l’ai vécue comme un premier engagement. Je répondais déjà."
Il y a, dans l’aveu de cette expérience première ou de cette détermination de fond, un ton de certitude vécue qui laisse pressentir un événement fondateur et qui empêche de le confondre avec je ne sais quel enthousiasme passager. La note spécifique qui distingue un tel appel d’un appel au ministère ordonné me paraît être en ceci que c’est prioritairement une façon d’être soi, un "pour-soi", que l’on cherche. D’abord trouver le lieu, le cadre, la spiritualité où on pourra vivre et s’épanouir - et ensuite bien sûr ce sera pour la gloire de Dieu, le service de l’Eglise et des hommes. Celui qui veut être prêtre se voit d’abord face à la communauté pour célébrer, prêcher, animer et c’est en conséquence de cela qu’il ressent les exigences qui vont en découler pour lui-même.
Quelquefois j’éprouve, face à ce désir de consécration religieuse, une impression proche de celle que j’ai devant certains jeunes qui se sentent la vocation militaire. Certains sentent qu’ils ne vivront leur attrait pour le Christ, qu’ils ne donneront leur pleine mesure que sous une règle claire, dans un cadre fort qui les gardera contre eux-mêmes.
* Commence alors, sur ce fondement, le travail du discernement, car "Ma vocation , je crois en avoir une, mais j’ai trouvé plus de questions que de réponses."
Pour les filles, je n’ai jamais cru que je pouvais faire le travail de discernement seul. Il est nécessaire, me semble-t-il, qu’elles soient mises en relation avec des femmes qui ont l’expérience de la vie religieuse ou de la vie consacrée séculière et qui seront mieux à même d’apprécier les aptitudes psychologiques et affectives à la vie consacrée que possède une jeune - et aussi de leur poser les questions de façon plus précise et incisive.
"Je me posais des questions sur mon avenir. On m’avait orientée vers Denis Marion, mais je voulais une Sœur."
Pour les garçons, il s’agira de discerner entre être prêtre ou être religieux. Parfois c’est clair : "Je veux être moine, car depuis mon enfance, j’ai connu les moines". Mais d’ordinaire, ce n’est pas aussi clair. La plupart du temps, le garçon a pensé à un moment ou à un autre être prêtre, puisque le prêtre est souvent le seul témoin d’une vie entièrement consacrée à Dieu qu’il côtoie.
"J’ai voulu toujours être prêtre, j’en ai parlé à mon curé, mais sans plus. Je sens que ce n’est pas possible à cause de mon niveau scolaire, mais j’ai un grand désir de me consacrer à Dieu." A ce jour, il n’a pas encore trouvé sa communauté. On avance. Déjà la vie monastique est exclue. Il veut continuer son travail social au milieu des pauvres avec un cadre de prière et de communauté.
Je me souviens toujours de ce jour où Jean m’avait parlé de toutes sortes de sujets hétéroclites. Il était alors en Terminale et pensait au séminaire. Or dans tout ce qu’il avait dit ce jour-là, il n’y avait pas une allusion à une situation où il se serait trouvé situé en vis-à-vis pastoral. Par contre je lui avais fait remarquer que le mot "prière" apparaissait dans chacun des récits si divers qu’il m’avait faits. Quelque temps plus tard, il disait : "J’ai découvert peu à peu que la vocation sacerdotale n’est pas prioritaire pour moi, mais davantage la vie religieuse."
Deux signes s’ajoutaient pour moi :
1) l’attrait grandissant qu’il avait pour une spiritualité précise. "Je lis pour l’instant la Règle de St Benoît et je m’y retrouve. Importance de la Bible, de la prière plutôt solitaire."
2) la contre-épreuve du groupe : "Je suis en groupe avec ceux qui veulent entrer au séminaire. Je suis l’exception. Cela me confirme l’idée d’une vocation religieuse. La vision des choses est différente." Mais le cas n’est pas rare bien sûr de celui qui veut être et prêtre et religieux : "J’aimerais à la fois être prêtre et faire de l’enseignement. J’ai rencontré un prêtre d’une congrégation enseignante ; cela me plait pas mal." Le SDV a, bien sûr, expliqué que le sacerdoce diocésain pouvait se vivre sous de multiples formes, y compris dans l’enseignement, mais à côté du choix d’enseigner, se manifestait aussi le désir d’une vie plus cadrée, plus régulière, avec des "Exercices". Ce garçon est entré au noviciat, reconnaissant de la liberté qu’on lui avait laissée tout en l’aidant.
Pour les garçons comme pour les filles, ce sont les retombées du projet dans la vie quotidienne qui seront, comme pour toute vocation, le signe le plus clair qu’on est sur la bonne route.
- retombées dans la vie courante, à l’école, à la maison... "Dans mon école, j’essaie d’être une petite lampe, ’le vermicelle dans la soupe’. Un copain me parle de la vie religieuse : c’est sensationnel de faire découvrir aux autres quelque chose et en même temps de découvrir leur richesse. Je me sens responsable dans ma vie scolaire. Cela a des répercussions sur mon travail scolaire."
- découverte du temps, de l’importance de faire les choses les unes après les autres selon la volonté de Dieu.
"Ce n’est pas très clair, mais je fais confiance ; je ne me sens pas mal de ne pas savoir, mais je ne veux ni perdre de temps ni m’énerver."
"Tout marchait bien, c’était d’accord pour entrer, mais, douche froide de Denis : il faut attendre. J’ai peur de devoir attendre, on ne sait pas : je ne veux pas que Dieu m’appelle ailleurs." Quelques mois plus tard, je note : elle se rend compte du bienfait de ne pas partir tout de suite, par rapport à sa mère, à sa famille, à ses relations plus simples avec les garçons, par rapport à son expérience apostolique. Je la sens plus détendue, moins fixée sur son idée de vie monastique. Elle y tient, mais c’est moins volontariste.
Cette acceptation d’un temps d’études, de travail salarié, vécu déjà comme une consécration, est un signe très positif de la purification des motivations d’une vocation.
"Plus importantes que le mois passé à l’abbaye ont été mes découvertes au sein de mon travail. Je m’y sens à l’aise. J’ai découvert qu’on pouvait vivre une vie de prière très forte tout en ayant une vie de travail normale. C’est très exigeant, mais riche. On se sent au cœur du monde. On porte tous ceux que l’on rencontre, les jeunes en difficulté. La vocation contemplative est une vocation parmi d’autres, pas mieux qu’une autre. Je crois qu’on pourrait vivre plusieurs types de vocations et Dieu nous appelle à une seule. C’est là qu’on doit aller par Lui, pour Lui . Je découvre que cet appel dépasse nos pensées, goûts, références personnelles. Jusqu’alors, ça correspondait à mes goûts."
- Persévérance dans l’effort de prière et souplesse pour en inventer de nouvelles formes quand les conditions changent. "Me voilà en fac. J’ai dû inventer d’autres manières de prier. Le chapelet est mon arme de bataille. J’assiste à l’eucharistie chaque jour, c’est nouveau."
* Sur ce fond général se fait peu à peu le choix de la famille religieuse dans laquelle on s’engagera.
- Il y a le point de départ. Tel a toujours été attiré par St Bernard. Telle s’est convertie lors d’un pèlerinage à Assise. Tel veut une présence cachée au milieu des pauvres. Tel se sent le goût de l’aventure missionnaire à vie. Tel se sent le goût de prêcher. Mais tel aussi n’a aucune idée précise ni maître spirituel privilégié ! Les accompagnateurs doivent rester très réservés, car il y a beaucoup de surprises.
- Commence d’habitude à ce moment-là un petit tour de différentes communautés religieuses.
"J’essaie de voir les différents moyens de faire la volonté de Dieu. C’est ça l’important. Moine, prêtre, ce ne sont que des moyens. J’essaie de voir ce que Dieu a inspiré à des hommes dans l’Eglise."
Pour certains, il faut un peu les prendre par la main. Certains n’y vont que pour se confirmer à eux-mêmes que leur premier choix est le bon. D’autres entreprennent de véritables tours de France. C’est très inquiétant. Il y a un milieu à trouver. Une palette de trois ou quatre communautés paraît raisonnable. Encore faut-il que les communautés acceptent de s’ouvrir, de se laisser déranger, d’agir dans la gratuité, sans arrière-pensée.
- Il me paraît que c’est dans le cas des vocations monastiques que le choix est clair le plus tôt.
Soit c’est exclu dès l’abord : "La vie monastique, pas pour moi. Je veux être au contact du monde."
Soit, très vite, on vise déjà un monastère précis. Quelquefois c’est sans paroles. On se dit : "Tiens, une telle, elle va bien régulièrement dans telle abbaye !" Celle-là, elle pourra faire ensuite le tour de toutes les Cisterciennes de France, il n’y aura qu’une maison de bien. Ailleurs, elle n’a plus la vocation ! Lors d’un camp vocation, Agnès a rencontré une sœur hôtelière rayonnante de vie et de joie. Trois ans plus tard, elle entre.
L’appel à la vie monastique peut aussi arriver par surprise. Vers l’âge de 15 ans, Pierre a pensé à être prêtre. L’aumônerie l’a beaucoup ouvert au Tiers-Monde et par là à la mission au loin. Après ses études, il part deux ans en Afrique en stage dans une congrégation missionnaire qu’il entend bien rejoindre après. Là, au milieu d’activités qui l’intéressent, il découvre prière et solitude. "Une phrase de Thomas Merton m’éclaire : ’J’avais donc besoin d’une règle tendant à me rendre apte à me détacher du monde pour m’unir à Dieu et non d’une règle tendant à me rendre apte à lutter pour Dieu dans le monde. Je ne compris pas cela en un jour’. Cette règle, je pense l’avoir trouvée chez les Chartreux : silence, solitude, prière. Ils ont aussi une grande dévotion à Marie : ainsi je me sens proche d’eux." L’affaire suit son cours. Les stages en clôture, la prise de contact avec le maître des novices, les interpellations qu’il lance et la façon dont elles sont reçues, rediscutées en SDV, avec le guide spirituel sont autant d’éléments qui font avancer le discernement de façon décisive.
- Le choix d’une congrégation apostolique me reste beaucoup plus mystérieux. Claire a commencé son cheminement en 1984. En 1985, une retraite la confirme dans le choix de la vie apostolique. En 1986, ses études d’infirmière l’amènent au contact d’une congrégation hospitalière. Serait-ce là ? Elle est très sensible à la pauvreté. Elle s’est "convertie" à Assise. 1987, elle nous dit : "Je ne suis pas loin de la décision". Elle va voir les Dominicaines, les Clarisses. 1988, pour une période d’examen, elle a besoin d’un logement provisoire ; "Une semaine en communauté chez les Sœurs de Cluny, je ne me suis pas sentie dépaysée ; l’an prochain, je prendrai un engagement". La voilà chez les Sœurs de St Joseph de Cluny. Au début, nous la voyions franciscaine !
Je me demande si ce n’est pas l’accueil et le rayonnement des personnes d’une communauté qui sont décisives... leur patience aussi, plus, bien sûr, ce je ne sais quoi qui est le secret de l’Esprit. Encore faut-il que le charisme donné à un Institut et par lui à toute l’Eglise soit clairement manifesté par ceux qui en sont les héritiers. Et il faut dire qu’aujourd’hui, nous sommes un peu en panne de visibilité, surtout du côté masculin.
Et puis l’attente et le vécu des jeunes ainsi que la façon dont ils les expriment ne correspondent pas forcément à ce que Ordres, Congrégations et Instituts voudraient éveiller dans ces mêmes jeunes à travers la présentation qu’ils font de leur charisme, constitutions, terrain d’apostolat. Les jeunes sont diablement neufs et nous diablement cadrés. Il y a beaucoup à chercher de ce côté-là et surtout beaucoup à écouter, écouter, écouter.
Ce qui me paraît déterminant dans le choix qu’un jeune va faire d’un Institut, c’est de la part de ceux qui sont déjà là : la disponibilité à l’imprévu de Dieu, l’accueil chaleureux et désintéressé qui sera fait, la clarté et la fermeté de l’exigence qui sera posée, et bien sûr l’indéfectible patience, l’espérance mise dans l’action du temps, l’action de Dieu dans le temps. Les prospectus, vidéos, n’ont qu’un impact restreint. La vitalité spirituelle des personnes et leur joie incitatrice sont le principal. L’écoute et le cœur. Il faut bien écouter, car, à travers les jeunes, c’est aussi pour une part l’Esprit qui parle aux Eglises, aux Instituts d’aujourd’hui.
Mais il y a aussi des cas plus simples. On se reconnaît dans un charisme, dans un fondateur, une fondatrice. Il rêvait d’être prêtre et enseignant. Il rencontre un prêtre d’un Congrégation enseignante : lui, il a trouvé du premier coup. Elle avait l’esprit scout, elle a fini par se reconnaître dans la Sainte Croix de Jérusalem, fondée par le Père Sevin, le fondateur des Scouts de France. Lui, il veut servir les pauvres sur le terrain, mais il n’a pas de modèle à portée de regard. Au SDV de jouer son rôle. En bref, je dirais que la découverte du charisme va de pair avec la connaissance de soi, la croissance de l’expérience humaine et spirituelle. C’est à partir de ce que je ressens consciemment de moi que je me sens en affinité avec tel ou tel fondateur ou tel ou telle de ses disciples. De même, on ne pénètre dans l’Evangile qu’à partir du moment où on y retrouve ce qu’on vit déjà intérieurement.
* Mais tout n’est pas fini. Très souvent la décision étant prise, la famille religieuse choisie, il y a l’ultime signe de vocation, la crise où tout semble remis en question, l’ultime assaut des doutes, la grande tentation qui signale l’approche du point zéro où l’on va tout lâcher pour une vie nouvelle. C’est le moment où la décision est assez forte pour qu’on se dise : "Je vais y passer" et on prend peur.
"Tentation d’aller ailleurs, de faire autrement que l’appel du Seigneur. Expérience de la girouette. Etape normale. Je garde confiance. C’est une mise au point nécessaire. Ce sont peut-être les dernières choses à mettre au point avant d’aller plus loin." "Un autre te mènera", dit Jésus, et il faut sans doute qu’il en soit ainsi.
Cette tentation peut être diffuse sur un long temps, violente dans une brève période. Elle peut passer presque inaperçue, mais il me semble qu’elle est toujours là quelque part. Je pense à un cas où cela ne s’est pas fait avant, alors c’est arrivé durant le noviciat. Avant, le monastère était encore trop idéalisé.
Puis vient le point zéro. "Dernière année dans le monde. Je goûte chaque chose d’une nouvelle manière. Sans nostalgie. Il y a un temps pour tout, le temps est venu pour moi. Ces dix mois me préparent à quitter ma famille, mes amis. Je me préparerai à partir, à me déposséder. J’éprouve une certaine liberté par rapport à moi-même. Je suis tout à fait serein."
Quelques signes qui invitent à la réserve
Comme toutes les autres vocations, mais peut-être plus encore que les autres à cause de son côté plus personnel, "pour soi", la vocation à la vie consacrée se prête à des idéalisations, à des rêves. Elle peut masquer des désirs de fuite. Et c’est quand elle se manifeste de la façon la plus péremptoire, à l’état le plus pur que je suis le plus circonspect. Extérieurement ces fragilités peuvent prendre l’apparence :
- d’une décision sans appel, sans souplesse aucune : c’est telle vocation ou rien ; telle maison ou rien.
- d’une impatience excessive. On supporte difficilement l’idée d’un délai.
- de la naïveté de qui rêve ou se laisse mener par des recruteurs sans discernement.
Certains indices doivent nous faire redoubler de vigilance : - une conversion récente, enthousiaste, qui confond vie chrétienne authentique et consécration religieuse.
- des difficultés familiales graves : mésentente, séparation des parents, manque d’affection qui peuvent pousser quelqu’un à voir dans l’abbaye, la congrégation, la communauté nouvelle, le lieu idéal de paix où, loin des troubles du monde, ils seront entourés d’affection et de sollicitude. Fuite au nom d’un droit au bonheur. Tel décès tragique d’un père peut laisser un enfant apeuré, en quête d’une autorité forte à laquelle s’abandonner.
- certaines pauvretés : instabilité, immaturité. Les blessés de la vie cherchent parfois dans l’état religieux une valorisation d’eux-mêmes ou un statut social. Les gens instables s’expriment de façon brillante et rassurante : on risque d’être entraîné dans leurs certitudes. Les faibles et les simples sont parfois entraînés, sans s’en rendre compte, dans des engagements dont ils n’ont pas pris la mesure. Il est parfois des êtres trop dociles et des personnes trop pieuses. On sera très vigilant sur la cohérence de vie d’un jeune, car l’unité intérieure de la personnalité est parfois loin d’être acquise et tel pourra mener de front, en toute bonne foi, une liaison amoureuse et un projet de vie religieuse.
Conclusion
Je terminerai par une action de grâces à Dieu de m’avoir donné, à moi, prêtre diocésain, de pouvoir accompagner tous ces jeunes en recherche de consécration religieuse.
- D’abord c’est la découverte émerveillée de la puissance transformatrice, unificatrice et épanouissante de l’amour du Dieu Trinité dans le cœur d’un garçon ou d’une fille. Le temps du discernement n’en donne qu’un premier aperçu. L’accompagnateur a parfois la grâce de rester par la suite en contact privilégié avec tel ou tel moine, moniale, religieux, religieuse et de voir jusqu’à quelle profondeur va ce travail de la grâce quand elle reconstruit l’homme pécheur.
- Enfin le travail même du discernement contribue à convertir l’accompagnateur lui-même :
- à la foi : foi dans les trésors semés par Dieu au cœur de l’homme. On est poussé à aiguiser son écoute pour mieux les percevoir. On n’écoute jamais assez.
- à la charité : disponibilité, accueil, souplesse de l’appréciation de ce qui se passe et désintéressement total, car ce qui compte seulement, c’est que l’autre existe selon ce que Dieu attend de lui.
- à l’espérance : patience, patience, patience. C’est Dieu qui est à l’œuvre !
Denis Marion
SDV Dijon