Ils ont choisi la vie consacrée


L’expression "vie consacrée" recouvre des choix de vie variés : Vie religieuse, apostolique ou monastique, Instituts séculiers, Ermites, Vierges consacrées, Sociétés de vie apostolique. Ils sont plus d’un million dans le monde (85 000 en France), à avoir misé toute leur vie sur Dieu, pour le salut du monde.

Statistiques pour la France (La Croix du 27/12/93) :

13 000 religieux apostoliques dont 3 000 à l’étranger dans 75 Instituts
61 000 religieuses apostoliques dont 4 000 à l’étranger dans 350 Instituts
1 500 moines
6 500 moniales
22 000 laïcs membres de 34 Inst. séculiers
1 000 prêtres
800 membres de Sociétés de vie apostolique
400 ermites, environ.

Hommes ou femmes, seuls ou en communautés, apostoliques ou cloîtrés, ils ont consacré leur vie à Dieu. Leur vie n’a plus d’autre visée, d’autre intérêt, d’autre occupation, d’autre prière que d’enraciner et d’étendre le Royaume. A travers cette diversité de réponses, une même question se pose : que signifie aujourd’hui "engager toute sa vie à la suite du Christ" ?

Le Concile a rappelé qu’il n’y avait pas deux catégories de disciples : tous les baptisés sont appelés à la sainteté dans la charité : "Soyez parfaits comme mon Père est parfait..." Qu’est-ce que la vie consacrée apporte de plus ? Pourquoi la choisir ?
On peut dire tout de suite qu’elle n’ajoute rien au baptême (elle n’est pas un second baptême), mais elle veut signifier la sainteté baptismale, l’appartenance exclusive à Dieu. Essayons de comprendre, de l’intérieur, le dynamisme qui fait naître cette réponse à l’appel de tous à la sainteté dans le cœur d’un certain nombre d’hommes et de femmes.

1 - Une vie marquée par un appel particulier

Les Conseils évangéliques - Les Béatitudes

La forme de vie choisie est une réponse à un appel évangélique. Saint Antoine, saint Ambroise, premiers moines dans les déserts d’Egypte et de Syrie, répondaient à un appel particulier. Le désir de vivre plus intensément et plus concrètement les Béatitudes (expression résumée des divers Conseils évangéliques), oriente ce choix capital. Ce désir conduit à consacrer sa vie à la pratique parfaite des conseils de chasteté, de pauvreté, et d’obéissance. La vie consacrée est ainsi un désir ardent de vivre en plénitude l’Evangile. Rien d’autre. Une vie de baptisé qui s’enracine pleinement dans le sacrement du baptême.

Diversité des familles

Dès les origines de l’Eglise, des hommes et des femmes ont voulu, par la pratique des conseils contenus dans l’Evangile, suivre le Christ et l’imiter de plus près (Concile Vatican II, Vie religieuse n° 1). Peu à peu sont apparus des styles de vie différents et sont nées de nombreuses familles "à la suite du Christ". On choisit d’être Chartreux ou Jésuite. Ce n’est pas la même chose d’être Cistercien, Franciscain, Sœur de la Charité, petite Sœur de Jésus... Mais chacun a reçu et entendu cet appel pour un choix de vie évangélique et cherche à y répondre.

Rupture pour répondre

Abraham reçut cet appel : "Quitte ton pays et va vers le pays que je te montrerai" (Gn 12, 1). L’appel conduit à une rupture, à un départ vers "une terre nouvelle". Celui qui fait ce choix y reconnaît sa vocation pour lui. Ignace va de Jérusalem à Paris et à Rome, Charles de Foucauld va de la Trappe de Notre-Dame des Neiges à Nazareth puis à Tamanrasset. A leur suite, d’autres vivront cette rupture. Ce départ correspond à une orientation nouvelle de leur vie, un changement, une conversion. Ils le voudront définitif.

2 - Vie nouvelle, offrande de soi

Au cœur de toute vocation se trouve le désir de faire de sa vie une offrande à Dieu : "Je vous exhorte, frères... à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu" (cf. Rm 12, 1). Cet appel s’adresse à tous mais les consacrés vont le traduire dans des choix précis : célibat, pauvreté, obéissance.

  • Le célibat pour le Royaume de Dieu veut témoigner de la foi au Christ ressuscité.
    La présence et l’amour du Christ vivant peuvent emplir le cœur de l’homme ou de la femme et donner un sens à une vie. Sœur Geneviève, aumônier d’étudiants, dit : "La chasteté c’est la volonté de ne pas considérer les autres comme des objets à posséder... Pour moi le célibat est une décision positive et non un renoncement. J’ai voulu témoigner d’une certitude : l’amour de Dieu peut combler une vie... Ne pas s’engager dans une relation particulière permet de mieux transmettre cet amour aux autres." (La Croix, 27/12/93). Tendresse pour tous "les petits, les exclus".
  • La pauvreté professée par les religieux ne cherche pas à faire l’apologie de la misère.
    Elle est vécue comme un partage fraternel avec "les petits, les exclus". Il s’agit pour les religieux du renoncement à la possession de biens personnels dans un monde qui pousse à posséder toujours plus. La pauvreté recherchée par les consacrés est un dépouillement de soi-même, pour choisir, avec le Christ, les vraies richesses, celles qui se multiplient lorsqu’on les partage : leur histoire, leur culture, leurs relations, la foi. Ils se veulent solidaires des petits, des pauvres. Les différentes familles tradui sent ce choix dans des formes très diverses de présence, d’accueil, d’accompagnement.
  • L’obéissance : "Non, dit Sœur Geneviève, l’obéissance ne mutile pas. Les décisions sont prises après un dialogue confiant avec ses supérieures." Les religieux ont le désir d’accomplir la volonté de Dieu. Ils ont choisi l’obéissance selon la règle de leur famille religieuse. Dans cette obéissance, l’autre n’est pas perçu comme un obstacle à la réalisation personnelle mais comme un appel, comme un signe qui permet et encourage un développement confiant des capacités individuelles. Chacun y a adhéré dans son projet personnel pour la mission commune. Cette solidarité communautaire qui limite la liberté individuelle est vécue comme une obéissance de foi.

Ces trois vœux ne disent pas tout du projet de vie, mais ils soulignent la tentative de consacrer à Dieu l’existence humaine dans ses dimensions essentielles : le travail, l’amour, la liberté.
Plus que les vœux eux-mêmes, ce qui caractérise l’état de vie consacrée c’est le choix d’une obligation, librement consentie, dans un Ordre religieux, communauté d’Eglise. Pour les consacrés, "les vœux religieux reprennent la consécration du baptême pour la pousser à son sommet, à son point le plus haut." (Rey-Mermet). Un religieux a dit : "J’engage mon avenir sur une Parole, à la manière de Dieu qui s’engage sur une Parole et qui nous engage sur sa Parole."

3 - Une vie pour la mission dans l’Eglise et pour le monde

La vie consacrée est un visage caractéristique de la sainteté de l’Eglise. Elle remplit une double mission, dans l’Eglise et pour le monde.

Dans l’Eglise

Elle naît nécessairement de la base comme une réponse de l’Esprit aux besoins d’une époque. L’Esprit suscite sans cesse un foisonnement de familles nouvelles, nées souvent d’initiatives humbles, qui se développent d’une façon inattendue et suscitent un renouveau de vie spirituelle. Les urgences évangéliques, inaperçues jusqu’alors, se manifestent tout à coup : détresse des enfants abandonnés dans Paris avec "Monsieur Vincent" au XVIIe siècle, appel des peuples d’Orient avec François Xavier au XVIe siècle, agonisants des rues de Calcutta (et d’ailleurs), avec Mère Teresa, sans-logis de l’abbé Pierre, etc... Ce sont là des réponses sociales à l’appel reçu. Certaines familles vivent d’une manière spirituelle leur appel spécifique. Les contemplatifs, retirés du monde, ont vocation à louer le Seigneur "toujours et partout". Chartreux, Cisterciens, Clarisses, Carmélites... retirés au "désert", vont à la rencontre de leur Seigneur dans l’ascèse (jeûne, veille, solitude et silence).
Chaque fois, les fondations religieuses sont un éveil et un rappel pour l’Eglise. On a dit que la vie religieuse avait pour mission d’être "la mémoire évangélique de l’Eglise". Elle conteste de l’intérieur ce qui s’éloigne de l’Evangile. Elle rappelle sans cesse à tous le projet évangélique et "ré-appelle" : louer Dieu et servir les frères.

Bien souvent on juge les religieux en fonction de l’utilité sociale de leur action que l’on apprécie. La vocation des religieux ne s’exprime pas dans ce qu’ils font mais dans ce qu’ils sont. Le Décret du Concile sur la Vie religieuse insiste sur le caractère prophétique de la vie consacrée : il n’y a rien de plus important que de "chercher d’abord le royaume de Dieu et sa justice". Le consacré rappelle essentiellement cette vérité première. Chacun le fait à sa manière. "Vie contemplative" ou "vie active", "vie communautaire" ou "vie en solitude", tous ont mission de donner visage à l’Evangile dans l’Eglise et pour l’Eglise, au service de la sainteté du peuple de Dieu. Tous contribuent à faire de l’Eglise, en ce monde, le sacrement du salut en Jésus-Christ.

Une vie pour le monde

En même temps, la vie consacrée est au service des hommes. Les communautés rassemblées au nom du Christ sont des havres de paix. Elles ont vu vivre dans la paix des hommes ou des femmes dont les pays faisaient la guerre : "Il n’y a ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre."
Les Ordres apostoliques et caritatifs ont témoigné que se vouer à Dieu, c’était se dévouer à ses frères. D’autres religions ont développé des formes de vie monastique qui avaient pour but la recherche absolue de Dieu par la solitude, l’ascèse et la méditation. Le christianisme, seul, a donné naissance à des communautés qui ont fait du service des hommes le lieu de la rencontre de Dieu. Le souci du frère n’est jamais absent de la vie de prière et d’offrande. "Ce n’est pas quitter Dieu que de quitter l’oraison pour soigner un malade, car c’est alors quitter Dieu pour Dieu" disait saint Vincent de Paul à ses religieuses qui lui demandaient "que choisir ?" !
Ainsi, à toutes les époques, la vie consacrée a-t-elle été présente sur les lieux où l’homme est bafoué, en danger : monastères devenus foyers de culture, ordres hospitaliers inventant les Hôtels-Dieu, ordres enseignants s’attachant à l’éducation du peuple, congrégations féminines ouvrant aux femmes les carrières d’enseignement, d’assistance sociale, etc. Chaque fondateur(trice) a répondu aux signes de son temps, aux détresses du monde.

  • A l’instabilité de la société barbare et à l’opulence de la vie des notables romains, saint Benoît répond par la stabilité paisible et le dépouillement des moines paysans.
  • Au besoin de recherche intellectuelle, et d’annonce de la vérité du message évangélique face aux hérésies, saint Dominique propose un ordre studieux de prêcheurs.
  • Aux bourgeois commerçants et avides d’argent, au monde industrieux de la naissance des villes, saint François prêche le dépouillement, à l’image du Christ dans la crèche, et propose à ses frères une vie de mendicité.
  • Saint Ignace de Loyola, sainte Thérèse d’Avila, saint Vincent de Paul, saint Jean-Baptiste de la Salle et beaucoup d’autres répondent à des appels pour les hommes de leur temps, dans la ligne de l’Incarnation.

Ces mouvements spirituels, inséparables de la vie de l’Eglise, en marquent les grandes heures. Ils ont connu également les défaillances de tous les chrétiens, défaillances et infidélités douloureuses car elles touchaient au cœur du message évangélique. Des réformes ou des fondations nouvelles permettent souvent un renouveau. L’Esprit s’est toujours manifesté : au XIIe siècle Franciscains et Dominicains, au XVIe siècle Carmes et Jésuites, au XVIIe et au début du XIXe congrégations féminines. Aujourd’hui d’autres formes apparaissent.

Conclusion

La vie chrétienne, c’est la suite du Christ. La vie consacrée c’est la suite directe, absolue, du Christ seul : "Je te suivrais où que tu ailles parce que tu m’as séduit." C’est l’Evangile dans sa radicalité !
Cette séduction qui est née dans une relation personnelle, intime, confiante, durable suscite une réponse clairement choisie, un engagement de tout l’être, un don complet. Ce changement est parfois perçu négativement par les yeux du "monde".
Toutefois, il veut souligner aux yeux de tous les hommes que la vie n’a pas de sens si elle est subie, qu’elle grandit si elle se donne par choix libre, par amour au service des autres et par amour de Dieu. Il y a quelque chose du secret de la Vie dans l’expérience de la vie consacrée... "Si le grain de blé ne meurt pas, il ne porte pas de fruits."

Equipe diocésaine de formation de Nîmes