Un engagement à la Visitation


"Perdre sa vie pour accueillir le Christ,
Se livrer au Christ pour rencontrer le Père,
Se trouver soi-même comme un don de Dieu".

C’est ce que mes sœurs et moi chanterons, ce dimanche 28 août 1994, au moment de ma profession perpétuelle, de mon engagement définitif en ce Monastère de la Visitation Ste Marie de Voiron (Isère).

Cette stance que j’ai choisie, me semble, en effet, traduire le sens profond de ma vie, de mon engagement. Oh, je sais... J’en entends déjà certains qui s’écrient : "Mais comment cela ? "Perdre sa vie - Se livrer" !... Comment être heureuse à ce compte-là ? N’est-ce pas un gâchis que de s’enfermer dans un monastère, quand on a à peine 30 ans... qu’on pourrait se marier et avoir des enfants... être si utile ailleurs...", etc, etc.

Oui, vous avez raison ! et pourtant laissez-moi vous dire que je suis heureuse là où je suis. Il ne s’agit pas d’une fuite, d’un refus de ce que le monde pourrait m’offrir, de ce que je pourrais vivre ailleurs, autrement... Il ne s’agit pas non plus d’une insatisfaction ou d’une frustration dans mon désir d’aider et d’aimer autrui. Non, j’avais une vie heureuse et épanouissante "dans le monde", et vous chercheriez en vain quelque chose qui m’ait déçue. N’essayez pas de comprendre de façon un peu trop intellectuelle et rationnelle... laissez-vous saisir par ce mystère, par cet amour... Car il s’agit bien d’un Amour qui m’a attirée, appelée, séduite.

Tout a commencé par le "sentiment" que la foi était quelque chose d’important pour moi, de sérieux pour et dans ma vie. Puis il y a eu meilleure connaissance et rencontre plus personnelle avec le Seigneur, avec, au fil des événements et des rencontres de ma vie, cette question née tout au fond de moi : "Et toi Blandine... la vie religieuse ?..." Question que je redoutais, que j’ai longtemps esquivée et qui est revenue tout doucement, invitation à ouvrir davantage la porte de mon cœur au Seigneur, à son Amour qui, petit à petit, bousculait mes projets, mes résistances, mes peurs... Amour qui, déjà, me comblait jusqu’à me conduire à ce désir de Lui consacrer toute ma vie.

Ce Dieu, si proche et si lointain à la fois, est Quelqu’un qui m’aime et me respecte profondément, au point qu’Il se fait mendiant de ma réponse, de mon amour. Il attend..."Veux-tu ? Acceptes-tu que Je t’aime, que je te donne la Vie, Ma Vie... simplement... gratuitement ? Acceptes-tu ?..."

Pas besoin de se justifier à ses yeux. Pas besoin de faire des merveilles, de briller et d’avoir la première place. Au contraire, redevenir petit, pauvre, dépendant devant Lui ; se découvrir et s’accepter soi-même, tel quel, sans masque, sans façade, sans rôle à jouer. Et se savoir ainsi infiniment aimé par Lui, avec nos dons et nos capacités, tout autant qu’avec nos difficultés, nos limites, nos faiblesses.

S’ouvrir alors à la Vie qu’il donne en plénitude, la recevoir pour soi-même...et ne plus pouvoir faire autre chose que de brûler du désir de la répandre d’une façon ou d’une autre : pour certains, ce sera de façon très visible, dans un engagement concret, "direct", au service des autres... Pour d’autres, ce sera de façon plus "secrète", "cachée en Lui", dans une vie essentiellement adonnée à la prière, à la louange et à l’intercession dans le silence, dans la solitude avec Dieu... autant que dans la vie fraternelle en communauté, pour que Lui prenne toute la place, pour que ce soit vraiment Lui qui agisse.
C’est à cette vie-là que je me sens appelée : invitée par Lui à grandir dans cette foi en son action à Lui, sans que j’aie besoin de me sentir indispensable, sans que j’aie besoin d’être "sur le front" et d’occuper forcément la première place. Il en faut, certes, qui occupent ces places-là ; pour moi, ce n’est pas là que j’ai à être...

Cela ne veut pas dire que je ne crois pas à l’utilité de notre vie monastique ! Bien au contraire ! Je crois à la mystérieuse fécondité de cette vie ; je ne peux certes pas la connaître précisément, ni même l’évaluer vaguement, mais à vrai dire, cela ne m’intéresse pas beaucoup ! Ce que je sais c’est qu’elle est bien réelle. Son poids d’amour est, lui aussi, tout caché en Dieu : cela seul compte.

C’est son Amour qui m’a bousculée et mise en mouvement. C’est son Amour qui me donne vie aujourd’hui. C’est son Amour et sa Fidélité qui font grandir en moi le désir de répondre à son désir d’Alliance avec moi, pour lui consacrer toute ma vie. Etre ainsi à Son service. Par Lui et en Lui qui est vie, être au service de la vie de l’Eglise et de tous les hommes, dans un profond souci de solidarité, de partage des joies, des peines, des préoccupations de chacun. Oui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la vie monastique, au lieu de m’en éloigner, me plonge toujours davantage au cœur de la vie de notre monde...

A cette condition : que je sois toujours plus unie à Celui qui est la source même de ma vie : ce Dieu-Père plein de tendresse, révélé en Jésus-Christ qui me montre le chemin, avec l’Esprit Saint, Créateur et Libérateur.

Sœur Blandine

(extrait de "La Page St André" - SDV Annecy- n°4, oct.-nov.-déc.1994)