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Mille diacres en notre pays de France
Il y a des chiffres qui font rêver. Ils ont une portée symbolique qui mobilise la mémoire et l’imagination. Deux mille ans de Christianisme ! Bientôt nous chanterons l’ouverture du troisième millénaire... Comme d’autres événements historiques, ces dates et ces anniversaires sont une forte puissance émotionnelle même s’ils n’ont pas de soi une valeur scientifique. Nous devons même nous garder de donner à ces événements une dimension mythique. Dieu en Christ-Jésus, dans la lumière de son Esprit, nous a libérés de la magie des nombres.
Le seul nombre qui pour moi est essentiel et fondamental est le nombre trois : car il nous ouvre à la connaissance même de Dieu en son Mystère Trinitaire. La révélation que le Christ a confiée à son Eglise comme un trésor incandescent est Dieu-même en son secret vital et inouï d’un amour relationnel entre les trois personnes divines qui sont un seul et même Dieu. Dieu unique et transcendant.
Le ministère diaconal a quelque chose à voir avec le Mystère divin de la Trinité Sainte. Evidemment. Le diaconat est un sacrement.
En ouvrant cette réflexion sur les diacres et après avoir pris connaissance de plusieurs récits sur leur vie et leurs tâches, leurs expériences et leurs joies, je l’introduis en traçant une deuxième perspective.
Notre regard, en effet, ne s’arrête pas à la situation présente. Mille diacres pour notre pays, ce n’est pas un nombre considérable. Il ne suffit pas de faire le point de cette heureuse avancée du diaconat dit permanent dans les différents diocèses de France. La promotion du diaconat et la mission des diacres chez nous ne sont pas de l’ordre du provisoire ou de l’expérience. Le diaconat n’est pas à l’essai. Les diacres existent. J’ose écrire que je les ai rencontrés.C’est un fait. Un fait heureux.
C’est un fait. Et je le crois d’une grande portée évangélique et d’une grande signification sociale pour l’avenir. C’est pourquoi je me place dans la perspective d’un avenir religieux où demain il y aura autant de diacres que de prêtres. Et ce demain n’est peut-être pas très lointain. Les gens - pour ne pas dire la population française - et notamment tous les laïcs et religieux engagés dans la vie pastorale, et plus spécialement encore bien des prêtres... bref, beaucoup prennent conscience que l’Eglise catholique change, voire, a déjà changé.
Le nombre de prêtres a diminué d’une manière qui était imprévisible à la fin du Concile Vatican II en 1965, et qui, parfois, a été dramatique, car il n’y aura jamais de communautés ecclésiales sans prêtres ; pourtant, le nombre de baptisés qui, vivant de la Confirmation, sont engagés au service de l’Evangile du Christ dans la société française, a fortement augmenté. Le nombre de petites cellules d’Eglise, de petites équipes de tâches ou de révision de vie, de petites rencontres formelles ou informelles, est sans commune mesure avec ce qui existait hier, alors que les assemblées dominicales étaient beaucoup plus nombreuses qu’aujourd’hui. C’est vrai pour mon propre diocèse. C’est vrai partout. La répartition des missions et des charges s’est fortement modifiée. De cette évolution positive, les diacres témoignent chaque jour. Ils ont ouvert un chemin neuf.
Il faut le redire. Il ne peut y avoir des diacres sans la présence et l’action pastorale des prêtres ; cependant, le ministère sacerdotal ne peut et plus encore ne pourra demain s’accomplir d’une manière dynamique et correcte sans la présence des diacres. Il ne peut y avoir de diacres sans laïcs engagés qui portent effectivement des responsabilités ecclésiales. Il ne peut y avoir de diacres sans des chrétiens consacrés qui témoignent dans une vie quotidienne de religieuses et de religieux, que l’avenir, Dieu le situe dans l’appel eschatologique de la Jérusalem céleste.
Telle est bien notre Eglise : un peuple aux mille visages. Il n’y aura pas de diaconat de suppléance. Il n’y aura pas de diaconat pour temps de "disette". Demain, dix mille diacres !... Le ministère diaconal a été placé par le Concile, précisément, à ce carrefour. Il est là sur les routes humaines pour rappeler, à temps et à contre temps, la dignité de la personne. Il est là pour faire en sorte que l’Etat respecte l’Eglise comme communauté témoignant du primat de l’amour. Il est là pour que l’Eglise elle-même résiste à toute récupération par l’Etat, afin qu’elle ne soit jamais un enjeu du pouvoir et qu’elle écarte la tentation - souvent engendrée par la peur de perdre son identité et donc la vérité de Dieu - la tentation d’ouvrir une croisade ou de vivre l’inquisition avec l’aide du bras séculier.
L’Eglise est servante et son service est de s’engager auprès des plus petits et des plus pauvres (cf. Mt. 25, 31-46). L’Eglise ne peut vivre que le "martyre de l’amour". Elle ne peut que vouloir la civilisation de la charité de Dieu. Elle n’a pas d’autre chemin que le Christ en son témoignage. Elle doit toujours passer par le Golgotha et comprendre le Vendredi Saint comme l’ont compris les disciples d’Emmaüs, à la lumière du Ressuscité qui expliqua les signes des temps. Donc dans l’illumination pascale. Voilà l’essentiel.
Tous les chrétiens sont responsables de servir l’Eglise pour qu’elle serve l’avenir du monde. Evidemment, le sacerdoce baptismal et l’apostolat que consacre la chrismation de l’Esprit ont cette mission "insupportable" à dimension humaine - de tracer pour notre humanité, le chemin libérateur de l’amour authentique de la charité de Dieu. Là, toute violence et tout viol des consciences - et parfois des corps - n’existent plus. Car "notre cœur de pierre a été transformé en cœur de chair".
Oui, toute l’Eglise a cette charge, puisque c’est son identité même : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Oui, c’est la condition même de tout apostolat (cf. Jn 17, 20).
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Cette tâche diaconale au sein de la communauté, le diacre ne peut l’accomplir que parce qu’il est d’abord engagé dans le monde et le quotidien de son existence auprès des plus démunis, des plus délaissés, des plus laissés-pour-compte, bref, des plus pauvres. C’est par ses mains qu’il peut donner foi au sein de la communauté, au commandement du Seigneur (cf. Mt. 19). Il y a une dimension prophétique dans le ministère diaconal. Le diacre dérange, comme saint Paul le fait dans sa lettre aux Corinthiens (cf. I Co. 12 et 13)...
Mgr Georges Gilson,
évêque du Mans,
délégué de l’Episcopat au C.N.D.
(Extrait de la revue "Diaconat aujourd’hui" n° 64 - Sept. 1994)